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L’INITIATION CHRÉTIENNE Réponse à M. Marco Pallis

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Message par Ligeia Ven 5 Mar - 9:59

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Partie 1 :


Comme nous l’avons annoncé par la « Note de la Réduction » qui présentait l’article de M. Marco Pallis, « Le Voile du Temple » (1), nous apportons maintenant dans l’examen rouvert ainsi notre avis personnel, lequel, avons-nous déclaré, est basé sur celui de René Guénon.

Cependant, avant toute chose, nous devons à nos lecteurs une explication quant aux facteurs qui ont prévalu dans notre appréciation lorsque nous acceptâmes de publier un texte aussi “délicat” que celui que nous proposait M. Pallis, texte qui, par certains traits de style, nous l’attestons, devait surprendre même des lecteurs qui inclinaient pourtant dans le sens de ses conclusions.

M. Marco Pallis, auteur anglais (2), est de longue date ami et collaborateur des Etudes Traditionnelles. Il est donc un peu chez lui ici. En relations personnelles avec René Guénon, il a fait la traduction anglaise de l’Introduction générale à l‘étude des doctrines hindoues (3), et, en outre, il a composé en tibétain une adaptation spéciale de la Crise du Monde moderne, qui englobait d’ailleurs aussi l’essentiel du Règne de la Quantité (4). Il est donc aussi un ami de Guénon et de son œuvre. Au sujet de l’initiation, ainsi qu’il le déclare lui-même (5), Guénon, en attirant par ses écrits son attention sur cette notion, lui a ouvert, comme à tant d’autres, « des possibilités qui, sans lui, seraient presque certainement restées inaperçues ».

Quant à la question de l’initiation chrétienne, qui constitue le thème du présent débat, elle est une de celles qui l’ont particulièrement intéressé, alors que, pour beaucoup de lecteurs des Etudes Traditionnelles, elle se présente même comme la plus importante dans l’immédiat. On sait aussi, généralement, que, dans l’esprit de certains, cette question était restée insuffisamment éclaircie, ou, encore, résolue plutôt dans un sens opposé à celui qui avait été indiqué par Guénon. M. Marco Pallis est un de ceux pour qui les années de recherches et d’études traditionnelles ont renforcé cette dernière façon de voir. Cette question, qui avait commencé par être une difficulté d’ordre pratique on même simplement documentaire, est devenue pour beaucoup une question doctrinale portant sur le principe même de l’initiation dans le Christianisme. Si M. Marco Pallis avait été le seul parmi les écrivains de formation traditionnelle, à y voir une difficulté, nous n’aurions, certes, pas eu de raison suffisante de publier son texte, malgré tout ce que nous venons de dire de son cas personnel, et nous aurions seulement envisagé de faire un compte-rendu critique de sa thèse lorsque nous en aurions retrouvé par ailleurs la soutenance.

Par contre, la valeur indubitablement représentative de cette thèse, (point que nous avons énoncé de quelque façon dans notre « Note de la Rédaction »), nonobstant les  éléments documentaires qui constituent l’apport personnel de l’auteur, nous engageait à une attitude différente.

1 Voir E.T. nos juillet à octobre 1964, p. 155. Le dit article a eu des "suites" dans les nos de nov-déc. 1964 et mars-avril 1965.
2 Il a publié en 1939 Peaks and Lamas (en français Cimes et Lamas Albin Michel, 1955) et en 1960 The Way and the Mountain.
3 Parue en 1916 sous le titre Introduction to the study of Hindu doctrines.
4 Sortie en automne 1950 sous un titre signifiant Le Kâli-Yuga et ses dangers. Cf. Marco Pallis, « René Guénon et le Bouddhisme », E.T. nos de juillet à novembre 1951.
5  E.T. juillet-août et septembre-octobre 1964, p. 162.



En effet, l’article de M. Pallis nous apparaissait beaucoup moins comme une construction doctrinale particulière que comme une sorte de “document” historique reflétant certaine tendance idéologique contemporaine, bien que, à vrai dire, il ne paraisse recouvrir exactement aucune autre opinion qui nous soit connue. Nous nous trouvions ainsi, plus précisément, devant le fait d’un malentendu doctrinal de longue date qui reparaissait seulement sons une forme plus élaborée et d’une manière un peu plus insistante. Or, la façon fort peu exacte et quelquefois inversée dont était rapporté et compris l’enseignement de Guénon en la matière, nous semblait, après tout, elle-même significative, et pouvait expliquer, pour une part tout au moins, les complications qu’on avait connues ; dans ces conditions d’ailleurs, nous n’avions pas à nous étonner de la façon dont on négligeait d’autres données du débat qui venaient d’auteurs moins importants. Toutefois, pour nous, et nous tenons à le dire, la sincérité de M. Pallis ne saurait être mise en doute. Le ton emporté qu’il prend parfois, ainsi que les méprises et les lacunes qu’on peut alors facilement lui imputer, montrent qu’il est convaincu de ce qu’il soutient et qu’il ne se doute nullement de l’injustice qu’il est en train de commettre envers Guénon lui-même. Il y aurait ainsi donc en cause seulement une question de régularité méthodique, solidaire, bien entendu, d’une question d’ “optique” dans tous les sens du mot applicables ici.

Son texte pouvant être après tout une excellente occasion de mise au point de cette question, pour le profit de tout le monde, nous avons estimé qu’au lieu d’avoir à l’évoquer en le résumant d’après quelqu’autre revue ou l’un des livres à venir de M. Marco Pallis, il convenait mieux de lui faire une place dans les Etudes Traditionnelles, publication dans laquelle avaient paru autrefois les textes de Guénon et d’autres auteurs touchant le même sujet, et dans laquelle nous avions la conscience de pouvoir assurer un examen controversé les conditions d’objectivité et de régularité requises en pareil cas (6).

Il va de soi que nous accueillerons avec grand intérêt tout ce que M. Pallis jugera utile d’ajouter à sa thèse ou contre la nôtre, et nous tenons à ce qu’on sache aussi que cette discussion, malgré la différence des convictions au départ, est placée sous le signe de l’amitié traditionnelle et de la collaboration intellectuelle.

Le sujet de l‘article sur le Voile du Temple est en vérité celui de l‘initiation chrétienne : en quoi consiste-t-elle et où est-elle ? Ce que M. Marco Pallis veut établir tout d‘abord, à partir du sens qu‘il voit dans le déchirement du Voile, c‘est que le Christianisme est une tradition dans laquelle il n‘y a « plus de limite définissable entre le côté religieux… et les mystères, ou si l‘on préfère, entre les domaines exotérique et ésotérique  », et dans laquelle « toute expression formelle de leur séparation (c‘est-à-dire de ces deux domaines) était rendue impossible une fois pour toutes » (7).

6 En fait notre collaborateur avait déjà publié en anglais un texte sous le même titre (« The Veil of the Temple ») dans la revue Tomorrow, Spring (Printemps) 1964 – et nous ne l‘apprîmes, par retard d‘expédition, qu‘en automne de la même année – mais, pour employer les termes dans lesquels il nous expliqua lui-même ensuite le fait, il s‘agissait d‘un "abrégé", « sous la forme d‘une étude sur le Christianisme, sans allusion à René Guénon et aux anciennes discussions sur ce thème ».
7 E.T. 1964, p. 156.



Le corollaire de cette proposition principale est que, dans le Christianisme, il n‘y a pas d‘initiation distincte de l‘ordre simplement religieux, et plus précisément, qu‘il n‘y a pas de rite spécial d‘initiation ou de rattachement à l‘ordre initiatique. L‘ « initiation chrétienne » n‘est autre chose que l‘œuvre des sacrements ordinaires conférés à tous indistinctement et dont les virtualités peuvent être appelées à l‘actualité par une méthode initiatique, ceci, bien entendu ne pouvant concerner que le cas d‘êtres qualifiés, qui auront eu aussi la chance de trouver pour la voie effective un maître véritable sinon chrétien au moins d‘une autre forme traditionnelle. « Ceux qui ont cherché un rite initiatique supposé opérer en plus des Sacrements ont perdu leur temps. En ce qui concerne le Christianisme, l‘heure où le Voile du Temple se déchira en deux marque à jamais la fin d‘une telle possibilité » (8 ).

Nous remarquerons avant tout que cette façon de comprendre la notion de l‘initiation dans le Christianisme ne nous paraît pas devoir être nécessairement liée au symbolisme du Voile et de son déchirement, car en fait, nous avons connu autrefois, au même sujet, des opinions analogues, qui ne faisaient nullement intervenir une application de ce symbolisme. M. Pallis lui-même insinue d‘ailleurs une autre explication que celle-ci lorsqu‘il déclare : « La particularité de la tradition chrétienne, à savoir sa structure éso-exotérique, est étroitement liée à ce rôle omnivalent du Christ comme Verbe Incarné, en qui toutes les fonctions essentielles sont synthétisées sans distinction de niveau » (9). Seulement, cette dernière explication semble en contradiction avec la première, car si l‘Incarnation comportait par elle-même la fondation d‘une tradition où l‘ésotérisme devait être indistinct de l‘exotérisme, le déchirement du Voile n‘a plus de caractère nécessaire, sous le même rapport : plus précisément, si l‘Incarné avait été reçu par les siens, en tant que tel, il n‘y aurait plus eu de Passion, ni de déchirement du Voile, alors que, cependant, selon ce que dit M. Pallis, de la vertu propre de l‘Incarnation aurait dû résulter nécessairement une tradition "éso-exotérique", dans le sens qu‘il donne à cette expres​sion(10).

Du reste, ladite "synthèse" des "fonctions essentielles", "sans distinction de niveau" dans la mesure où nous voyons un sens utile à ces formules quelque peu abstraites "synthèse" qui peut être comprise même en dehors du cas spécial de l‘Incarnation, n‘exclut pas qu‘elle ait, dans des modalités techniques adéquates, des applications à des niveaux ultérieurs variés, comme ceux auxquels se situent respectivement l‘ordre ésotérique et l‘ordre exotérique. Il ne faut pas confondre l‘unité du Verbe en soi-même ou dans ses manifestations de caractère fondamental, avec une unité de niveau institutionnel où s‘exerceront les fonctions respectives, car ces fonctions non seulement peuvent, mais encore doivent s‘exercer institutionnellement à des niveaux multiples qui sont exactement ceux que comporte le monde et sa vie traditionnelle. Selon la façon de M. Pallis de comprendre les choses, il serait difficile d‘admettre la pluralité et la distinction des sacrements ordinaires eux-mêmes ! (11).

8  Ibid. p. 267.
9  Ibid. p. 157.
10 Nous faisons cette réserve parce que cette expression par elle-même ne dit pas ce que veut lui faire dire M. Pallis,  et elle pourrait tout aussi bien, et même plus régulièrement, servir à qualifier une tradition possédant dès l‘origine et d‘une façon normale les deux parties constitutives fondamentales du domaine traditionnel : l‘ésotérisme et l‘exotérisme.
11 Comme exemple de "synthèse", autre que celle de l‘Incarnation, mais réalisée également par descente sensible du Verbe, nous citerons le Coran arabe, lequel comporte de multiples applications opératives, aussi bien que doctrinales, tant dans l‘ordre ésotérique que dans l‘ordre exotérique, ce qui n‘empêche donc nullement la tradition islamique d‘avoir ces deux ordres normalement distincts.



Mais il est certain que c‘est au symbolisme du déchirement du Voile que M. Pallis rattache de façon décisive sa thèse de l‘interpénétration, dans le cas du Christianisme, des deux domaines ésotérique et exotérique ; or son exégèse scripturaire en ce cas ne nous paraît pas plus rigoureuse ni plus convaincante que l‘autre, sous le rapport qui nous intéresse le plus ici, à savoir celui des deux ordres de réalités spirituelles en cause et des formes organiques qui leur correspondent. Pour qu‘on comprenne mieux le caractère arbitraire et excessif d‘une telle méthode d‘investigation traditionnelle, nous ferons quelques constatations faciles à vérifier.


A suivre.

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Message par Ligeia Mar 9 Mar - 7:53

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L’INITIATION CHRÉTIENNE RÉPONSE À M. MARCO PALLIS

Partie 2 :


Tout d‘abord, le Temple de Jérusalem avait deux voiles : l‘un séparant le Saint du Vestibule, l‘autre, appelé d‘ailleurs « deuxième voile » (12), entre le Saint des Saints et le Saint. Les Evangiles ne précisent pas lequel des deux se déchira, mais les Pères de l‘Eglise estimaient plutôt qu‘il s‘agissait du premier mentionné, le seul visible aux simples fidèles et dont le symbolisme est nécessairement moins important que celui du Saint des Saints. Voici une citation d‘Origène tout à fait instructive à ce sujet :
« Et voici que le Voile du Temple se déchira en deux, du haut en bas » (13). Aussi longtemps que Jésus n‘avait pas subi la mort pour les hommes, il demeurait « le Désiré des nations »‖ et le rideau du Temple voilait l‘intérieur du sanctuaire. Le Temple devait en effet rester voilé jusqu‘à ce que celui qui seul pouvait lever le voile, vint découvrir le sanctuaire aux yeux avides de le voir ; ainsi, c‘est par la mort du Christ, par laquelle fut anéantie la mort des croyants, que les fidèles délivrés de la mort, purent contempler ce qui était caché derrière le voile…
« Mais si on a lu les Ecritures sans négligence, on peut poursuivre l‘enquête et remarquer qu‘il y a deux voiles : l‘un des deux cache le Saint des Saints, à l‘intérieur du Temple, l‘autre à l‘extérieur du Temple, car l‘un et l‘autre étaient les figures de ce Tabernacle (céleste) que le Père avait préparé dès l‘origine.
L‘un de ces deux rideaux « se déchira du haut jusqu‘en bas », lorsque « Jésus, en poussant un grand  cri,  remit  son esprit » ; ce mystère nous montre, me semble-t-il, que la passion de Notre Seigneur et Sauveur fit « se déchirer »‖le voile extérieur « du haut jusqu‘en bas » afin que, « depuis le haut (c‘est-à-dire depuis le commencement du monde) jusqu‘en bas (c‘est-à-dire jusqu‘à son terme), soient révélés les secrets qui étaient demeurés cachés pour de justes raisons, avant la venue du Christ. Et, si nous ne « connaissions » pas « en partie seulement », si, dès cette chair, le Christ avait tout révélé à ses disciples bien-aimés, il aurait fallu que les deux rideaux se déchirassent, celui de l‘extérieur et celui de l‘intérieur. Mais comme nous avons encore à progresser sans cesse dans la connaissance, seul le voile extérieur fut déchiré « de haut en bas » ; ainsi, lorsque viendra la connaissance parfaite, et que tous les autres mystères seront dévoilés, on enlèvera également le deuxième rideau, et nous pourrons  voir ce qui est caché derrière, à savoir, la vraie arche d‘alliance et son véritable aspect ; et les vrais chérubins et le véritable propitiatoire,  et  la  manne  recueillie  dans  les vases d‘or » (14).

12 Exode 26, 31-35 ; Hébreux 9, 3).
13 Mat. 27, 51.
14 D‘après Origène, Esprit et Feu, T. II, pp. 238-239, textes choisis et présentés par Urs von Balthasar, Ed. du Cerf. – Comme on le voit dans le dernier passage de cette citation, Origène envisage le symbolisme du temple originel où rien ne manquait au Saint des Saints.



Dans ces conditions, les conséquences que M. Pallis pourrait tirer du déchirement du Voile seraient moins totales qu‘il ne le pensait, et cela même montrerait déjà qu‘il n‘est pas possible, dans le cas du Christianisme comme dans tout autre cas, de parler d‘un blocage limitatif, dès le début, de tout l‘ordre traditionnel, avec toute la hiérarchie des mystères à un seul niveau institutionnel ; une chose est le germe synthétique qui contient une tradition, et autre chose est son développement aux multiples modalités, condition de sa manifestation complète et de sa fécondité en tant que tradition instituée. On trouve  certes, aussi, un certain nombre d‘auteurs qui pensent qu‘il s‘agit de l‘autre voile. Voici, par exemple, ce que dit à ce propos Ruysbroeck : « Au moment où le sacrifice fut offert, le Voile du Temple, par lequel le Saint était séparé du Saint des Saints, se déchira en signe que le Seigneur nous avait ouvert l‘entrée de la vie éternelle et lavé dans son sang tout ce qui nous en avait éloigné, etc… » (15).
Mais dans ce cas, en toute rigueur interprétative, il y a un autre obstacle à la conséquence totale que voulait tirer M. Pallis. La suppression de ce deuxième voile ne donnerait l‘accès au Saint des Saints qu‘à ceux qui peuvent régulièrement se trouver dans le Saint ; or, dans cette partie du Temple, n‘avaient accès, contrairement à ce que dit M. Pallis, que les prêtres officiants et non pas le reste des fidèles qui, eux, se tenaient dans le Vestibule avant le premier voile, resté intact dans cette hypothèse ; encore moins l‘accès au Saint des Saints pouvait-il concerner d‘une façon directe les Gentils admis seulement au Parvis. On voit ainsi que, dans ce cas, selon la logique symbolique, les effets du déchirement et de la « révélation » qu‘on peut lui attribuer, sont limités à un ordre intérieur, et cela rend encore moins admissible le sens d‘interpénétration complète entre intérieur et extérieur, et de combinaison inextricable de l‘ésotérisme et de l‘exotérisme que proclame M. Pallis.
De plus il y a une conséquence à tirer dans ce même ordre symbolique des choses du fait que le Saint des Saints à l‘époque christique ne renfermait plus l‘Arche d‘Alliance avec les Chérubins et les autres objets saints, supports de la Présence divine, qui étaient disparus depuis longtemps (16) ; une dalle de pierre rappelait l‘emplacement de l‘Arche. Origène, en parlant, dans le texte précédemment cité d‘un Saint des Saints contenant tous les objets saints, envisageait un développement purement idéal à venir dans le Temple reconstitué ou retrouvé dans toute sa perfection.
Par contre le seul « mystère » qui subsistait encore dans le Temple contemporain de Jésus, à part le symbolisme de l‘enclos sacré et inaccessible, était la prononciation du Nom Ineffable, une fois l‘an, le Jour des Expiations, par le Grand-Prêtre. C‘est sous ce seul rapport que le symbolisme de la déchirure du Voile peut être logiquement interprété. Cela aussi doit entrer en ligne de compte quand on veut juger de la portée significative des évènements. C‘est du reste pourquoi l‘aspect dégagé avant tout par l‘enseignement théologique est celui de la transposition du sacrifice annuel et de l‘expiation annuelle en sacrifice du Christ et expiation une fois pour toutes, suivie de l‘entrée, une fois pour toutes, du Christ comme Grand-Prêtre des biens à venir, dans le Saint des Saints, après avoir acquis une rédemption éternelle (17).
De tout cela, il résulte que, s‘il y a dans l‘événement du ―déchirement du Voile‖ un certain sens de « révélation » (18 ), il n‘en est pas moins vrai que la dualité des voiles du Temple empêche qu‘on puisse tirer dudit événement des conséquences d‘un caractère qui soit à la fois total et cependant de nature initiatique et ésotérique ; ensuite que l‘état du Judaïsme à l‘époque du Christ limite les effets du ―dévoilement‖ des mystères moïsiaques en tant que substance constitutive du Christianisme (19).

15 Ruysbroeck l‘Admirable, Œuvres, « Le Livre du Tabernacle spirituel » IIe Partie, p, 127, Vromant & C°, 1930.
16 Pour ce qui est de l‘Arche et du Tabernacle une tradition citée par le Livre II. Machabées 2, 4-7 dit que c‘est Jérémie qui les avait cachés dans un antre de la montagne Nébo à l‘époque de la captivité babylonique. On sait que l‘Eglise éthiopienne prétend détenir un certain héritage de l‘Arche ; c‘est pourquoi probablement les livres de Machabbées ne font pas partie de la Bible Ethiopienne.
17 Cf. Ep. aux Hébreux, IX, 12.
18 Nous nous exprimons de cette façon parce qu‘avant tout, il y a dans le déchirement du Voile un autre sens plus direct, mais qui est sinistre et tragique : ce sens concerne seulement la tradition judaïque à laquelle appartenait en propre ce sanctuaire, en lequel elle avait le centre de son culte sacrificiel et qu‘elle devait perdre alors, car le déchirement du Voile préfigurait la destruction de l‘an 70. – Saint Méliton (2ème siècle) dit que lorsque le Voile se déchira, l‘Ange de Dieu s‘enfuit ; et on peut dire que c‘est ce qui se passe nécessairement en opération alchimique lorsqu‘il y a fissure de l‘Athanor. – Cependant la tradition judaïque même diminuée et dépourvue de son centre cultuel et géographique fut providentiellement dispersée dans l‘espace on devait s‘étendre et s‘installer la tradition chrétienne elle-même, et n‘en continua pas moins, en opposition avec le point de vue du dogme chrétien, un cycle légitime d‘existence tant an point de vue ésotérique qu‘exotérique. L‘interprétation positive et "bénéfique" de la déchirure du Voile est ainsi le propre du Christianisme et correspond d‘ailleurs à un Temple de transposition qui est comme on le sait, à travers le corps de passion, le Corps de Résurrection. (A la différence des 3 synoptiques, l‘Evangile de Saint-Jean ne fait pas mention de la déchirure du Voile et à l‘endroit, on a en échange l‘ouverture du flanc de Jésus par la lance du centurion, dans laquelle l‘Eglise unit la source des sacrements du Nouveau Temple spirituel).
19 La célèbre formule de Suger Quod Moyses velat Christi doctrina revelat est elle-même, donc, trop générale et trop indéterminée. — De toute façon, il n‘est pas question de comprendre ce dévoilement dans le sens que toutes les possibilités ésotériques de la tradition judaïque ont été dévolues de quelque façon au Christianisme, puisque l‘existence de la kabbale après l‘extension de celui-ci comme tradition intégrale et autonome prouve le contraire, et parce que, de plus, les manifestations assez tardives d‘une kabbale chrétienne montrent même que l‘ésotérisme chrétien pouvait toujours trouver du côté judaïque des réserves vivantes utiles à sa propre prospérité.



Par contre, il est possible de tirer des conséquences de généralité, mais qui soient alors d‘un caractère sensiblement religieux et exotérique. C‘est ainsi qu‘apparaissent les choses chez les docteurs de l‘Eglise quand, en traitant du Voile du Temple et de son déchirement, ces auteurs restent dans les termes imprécis des Evangiles (lesquels ne mentionnent pas l‘existence de deux voiles) et envisagent un sens fondamental, mais très général. On se rend compte d‘ailleurs qu‘implicitement c‘est au premier voile, celui de l‘extérieur placé entre le Parvis et le Saint, qu‘ils pensent alors. Voici un exemple de caractère notablement exotérique avec le texte suivant de Saint Augustin : « Si donc maintenant est manifestée (la Justice de Dieu), elle existait aussi autrefois (dans l‘Ancienne Alliance), mais cachée. Le Voile du Temple était le signe de cette occultation, lui qui fut déchiré lors de la mort du Christ (20) pour signifier la révélation de celui-ci. Alors, donc, la grâce d‘un Médiateur unique de Dieu et des hommes, Jésus-Christ, résidait dans le Peuple de Dieu, mais comme dans un nuage de pluie ; elle demeurait cachée cette grâce qui  n‘était pas due, mais volontairement offerte par Dieu, et qu‘Il réservait à Son héritage (21). Mais maintenant, ce nuage étant comme desséché – ce qui signifie : le peuple juif ayant été réprouvé – cette grâce est vue à découvert parmi toutes les nations, comme sur une aire à blé » (22).
Saint Thomas d‘Aquin confirme en somme cette même perspective quand il dit : « Le mystère de la Rédemption s‘est accompli dans la Passion du Christ ; c‘est pourquoi le Seigneur a dit alors : ―Tout est consommé (23). Alors durent cesser les cérémonies légales parce que leur vérité venait de trouver leur consommation. En signe de cela, on lit que lors de la Passion du Christ le voile du Temple se déchira (24). En conséquence, avant la Passion pendant que le Christ prêchait et faisait des miracles, la Loi et l‘Évangile existaient simultanément parce que le mystère du Christ était commencé, mais non consommé.

20 Mt, XXVII, 51.
21 Ps. LXIII, 10.
22 De Peccato originale, ch. XXV, 29 ; P.L. 44, 400
23 Jean, XIX, 30.
24 Mat. XXVII, 51.



C‘est pour cette raison que le Christ commanda aux lépreux avant la Passion, d‘observer les cérémonies légales » (25).
Une preuve de plus que les choses présentées ainsi le sont dans une perspective exotérique, est le fait que simultanément il en résulte une occultation de certaines vérités traditionnelles élémentaires, connues et reçues ouvertement jusque là. Les vérités nouvelles concernant la nature et le rôle du Christ et qui initiatiquement symbolisent  avant tout verticalement et intemporellement, dans l‘ordre des principes immuables, sont retraduites, pour leur applicabilité exotérique, dans des modalités principalement horizontales et historiques. C‘est ainsi que l‘on a le dogme de l‘unicité temporelle du Médiateur et par cela même de la Vérité universelle, la négation de toute voie salutaire, autonome et complète chez les autres, et cela non seulement chez les Gentils d‘Occident et d‘Orient, mais aussi chez les Fils d‘Israël eux-mêmes, et encore non seulement depuis la déchéance de la tradition chez ces derniers mais depuis les origines mêmes, Patriarches inclus, parce que le thème fondamental de la nouvelle révélation est celui du péché originel et de la Rédemption universelle réalisable seulement par le sacrifice particulier du Christ historique chez les Juifs (26).
Sur la base d‘une vérité profonde et permanente, mais contingentement nouvelle et présentée comme une nouveauté absolue avec des vertus exclusives, est créé ainsi un exotérisme qui à certains égards est même le plus radical et le plus étroit que l‘on connaisse. Mais qu‘on ne s‘imagine pas que nous contesterions le moins du monde la légitimité et la validité dans son ordre de cette perspective générale de la tradition chrétienne car cette perspective est d‘institution divine : il s‘agit de lui voir simplement le caractère limitatif en soi-même et exotérique. Ce caractère est lui aussi sacré et c‘est tout cela d‘ailleurs qu‘il est positif dans son domaine : comme il garde toujours une forme symbolique qui peut être valorisée dans une perspective verticale et intemporelle qui est celle des choses initiatiques et de la connaissance transcendante, l‘existence de l‘ordre exotérique et de son point de vue doctrinal n‘empêche nullement l‘existence simultanée d‘un ordre initiatique et ésotérique avec son propre point de vue ; on doit même dire que de par sa formulation divine tout l‘ordre exotérique exige l‘existence simultanée de l‘ordre ésotérique puisqu‘il en est solidaire et qu‘il n‘a pas en soi-même une raison d‘être totalement suffisante.
Les exemples du caractère normal de l‘exotérisme chrétien pourraient être multipliés indéfiniment tant dans l‘ordre doctrinal que dans l‘ordre rituel. Si nous nous sommes arrêtés plus spécialement à celui que nous venons de mentionner c‘est parce qu‘il est lié d‘une façon spéciale au symbolisme du déchirement du Voile, par la Passion dont résulte la Rédemption.

25 Somme Théologique, Ia IIae q. 103, art. 3, ad 2m.
26 Le Christ étant une manifestation du Verbe éternel et universel, toutes les autres manifestations prophétiques et législatives du cycle traditionnel humain peuvent lui être attribuées dans son aspect transcendant et permanant ; c‘est en les lui attribuant en son aspect individuel et historique que ce résultat exclusiviste et négatif est atteint.



A suivre.


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Message par Ligeia Jeu 11 Mar - 7:58


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L’INITIATION CHRÉTIENNE RÉPONSE À M. MARCO PALLIS

Partie 3 :


Dans l‘ordre des principes qui sont ici en cause, il nous reste à faire mieux comprendre qu'il n‘y a rien d‘extraordinaire à ce que des vérités d‘un ordre intérieur soient instituées sur le plan extérieur de la tradition. Cela est au contraire la norme même de la Révélation prophétique qui tirera toujours des profondeurs de la sagesse divine quelque chose de nouveau et même de difficile à accepter du premier moment tout au moins par la majorité des êtres auxquels elle est adressée. Le Cheikh al-Akbar ibn al-‘Arabî explique que la Sharî’ah, la Voie Apparente ou la Loi générale est en elle-même une Haqîqah, Réalité essentielle et fondamentale, d‘entre les haqâ’iq.

Il précise aussi, point qui pourra très bien faire comprendre le cas même de la manifestation de Jésus-Christ, que « la Haqîqah est l‘apparition de la qualité (Sifah) de ce qui est "Dieu" (Haqq) sous le voile d’une qualité de "serviteur" (‘abd), etc. » (27). Seulement, il faut comprendre aussi que la sagesse du divin Législateur, en révélant des réalités d‘une nature informelle et transcendante qu‘elle destine cependant à une fonction exotérique, pour les rendre accessibles au plus grand nombre, les recouvre de formes auxquelles elle attache comme condition d‘efficacité l‘obéissance et la foi. Quelles que soient les apparences et les différences le mystère christique est lui-même réellement adapté à un tel effet, sans quoi il n‘aurait pu manifester et constituer une religion.

En critiquant la thèse de Guénon qui reconnaît au Christianisme originel un caractère initiatique et ésotérique, et affirme son exotérisation ultérieure (chose déjà accomplie disait Guénon à l‘époque de Constantin et du Concile de Nicée) M. Pallis en arrive, sans pouvoir éviter quelques spéculations irritées à s‘exclamer : « … par-dessus tout, l‘idée que la tradition chrétienne avant d‘avoir franchi trois siècles a dû "perdre" son héritage essentiel, celui qui provient directement de son Fondateur divin, afin de rester désormais dans un état d‘émasculation exotérique, cette idée nous semble insoutenable, etc. »
Ceci n‘est que trop juste, mais cette idée, heureusement, et cela n‘a rien de fortuit, Guénon ne l‘a pas soutenue ; au contraire l‘idée qu‘il énonçait à ce propos aurait dû rassurer tout le monde : « … si le Christianisme comme tel cessait par là d‘être initiatique, il restait encore la possibilité qu‘il subsistât, à son intérieur, une initiation spécifiquement chrétienne pour l'élite qui ne pouvait s‘en tenir au seul point de vue de l‘exotérisme et s‘enfermer dans les limitations qui sont inhérentes à celui-ci » (28 ).

Ensuite en parlant de l‘état des choses au moyen-âge, il faisait mention « des organisations initiatiques régulières qui existaient à cette époque, souvent même sous le couvert des ordres religieux et à leur intérieur, bien que ne se confondant en aucune façon avec eux » ; il en mentionnait aussi les continuations actuelles (29). Par cela il entendait d‘ailleurs parler d‘ « organisations initiatiques spécifiquement chrétiennes, telles qu‘il y en a eu incontestablement pendant tout le moyen-âge » (30). M. Pallis commet donc là une erreur capitale de lecture qui va vicier toute la discussion qu‘il entreprend ensuite et dans laquelle il juge en parallèle les deux cas, selon Guénon, du Christianisme et de la Maçonnerie, et cela d‘autant plus qu‘en l‘occurrence, le deuxième cas est, au fond, lui-même mal compris.

27 Cf. E.T. janvier-février 1962, Muhyu-d-dîn Ibn ‗Arabî, « Une instruction sur les Rites fondamentaux de l‘Islam », Notice Introductive, p. 25.
28 « Christianisme et Initiation », E.T., oct.-nov. 1949, p 295 ; repris dans Aperçus sur l’Esotérisme chrétien, p. 15.
29 Idem, déc. 1949, p. 346 et resp. p. 24.
30 Ibidem, p. 344 et p. 22.


En effet, pour ce qui est de la Maçonnerie, M. Pallis impute à Guénon d‘avoir attribué à celle-ci – malgré sa corruption moderne – une « validité intacte » ; c‘est beaucoup simplifier et se tromper encore : il n‘y a aucune raison d‘oublier que la Maçonnerie est depuis le XVIIIème à l‘état « spéculatif », ce qui, ainsi que l‘a fait comprendre Guénon, est l‘effet d‘une dégénérescence, et que pour qu‘elle retrouve une efficacité initiatique il faudrait qu‘elle recouvre son caractère « opératif », lequel comporte l‘enseignement et l‘influence spirituelle nécessaire au travail initiatique car il faut bien préciser que en passant de l‘ « opératif » au « spéculatif », la Maçonnerie a perdu une part de son influence spirituelle.

Il n‘y avait donc pas lieu de comprendre que dans la pensée de Guénon le Christianisme par le fait de l‘adaptation exotérique des sacrements avait été dépossédé de « son héritage essentiel » tant qu‘il conservait l‘initiation dans un ordre ésotérique, ni que la Maçonnerie tout en restant dans le domaine initiatique a conservé à l‘époque moderne une « validité intacte ». Il n‘y avait ainsi aucune possibilité d‘imputer à Guénon une iniquité de jugement entre ces deux organisations traditionnelles, et de spéculer sur les desseins de Dieu que ce maître de la sainte sagesse traditionnelle aurait rendu « monstrueux » ou « grotesque ».
C‘est M. Pallis qui déforme la pensée de Guénon, certainement puisqu‘il ne l‘a pas comprise, mais c‘est toujours regrettable. Par contre, pendant que nous sommes à ces mots énergiques – et nous sommes sûrs que M. Pallis voudra bien accepter un petit choc en retour – un certain effet « grotesque » résulte pour le lecteur quand, avec une belle surprise il comprend (chose que nous avons déjà entendue de la part d‘un ancien collaborateur de notre revue) que la tradition chrétienne comporte par définition, et donc par un état « de droit », une structure qu‘illustre l‘acte de jeter des perles devant les pourceaux (31). Comme le fondateur du Christianisme est le Christ, c‘est lui-même qui aurait ainsi, à la fois donné le conseil de ne pas jeter les perles devant les pourceaux, et les aurait jetées : ce n‘est pas pour cela d‘ailleurs que les Chrétiens se trouveront plus flattés.

Ce point, nous amène à signaler que quoi que puisse penser M. Pallis lui-même des concordances de sa thèse avec les thèses ou opinions d‘autres penseurs (dont nous avons eu une connaissance à quelque moment et que nous n‘évoquerons pas ici, ne fut-ce que pour éviter de compliquer davantage les choses) nous voyons à la sienne un caractère qui lui est propre et qui la distingue bien des autres. Le fait qu‘il donne au déchirement du Voile le sens d‘une suppression de limite séparative entre les domaines exotérique et ésotérique avec un effet d‘unification, implique une institution sacrée de cette structure d‘ambivalence qu‘il voit plus spécialement dans les sacrements de l‘Eglise, et qui est ainsi un état « de droit ». Par contre ceux qui soutiennent que le Christianisme avait au début un caractère d‘organisation purement initiatique et ésotérique appuyé sur l‘exotérisme de la Loi, et qui pensent que ces rites n‘ont jamais perdu leur caractère initial, professent que l‘exotérisation subséquente est un simple état « de fait » qui n‘enlève rien aux vertus initiatiques intrinsèques des sacrements. Ceux-ci pourront certainement s‘éviter d‘attribuer au Christ lui-même l‘acte de jeter les perles aux pourceaux, tout en essayant de convaincre les Chrétiens qu‘ils doivent être flattés, sinon par le symbole qu‘on leur applique, du moins par les perles qu‘on leur distribue...

31 E.T., juillet à sept. 1964, pp. 158-159

Quant à la justesse déférente de Guénon concernant la structure du Christianisme dans son ensemble et le mode de l‘initiation chrétienne, nous avons la possibilité d‘en fournir des preuves aussi bien doctrinales que documentaires. C‘est ce que nous entreprenons de faire maintenant.

M. Pallis affirme que dès le début dans le Christianisme il n‘y a « plus de limite définissable entre le côté religieux de la tradition et les mystères ou, si l‘on préfère, entre les domaines exotérique et ésotérique ». Contre cette opinion nous apporterons pour commencer deux témoignages autorisés ; d‘autres preuves s‘ajouterons par la suite qui ressortiront de textes cités dans un ordre d‘idées plus spécial.

Voici tout d‘abord plusieurs passages de Saint Clément d‘Alexandrie (32) qui attestent l‘existence normale d‘un ordre de la gnose en tant que voie d‘une élite :
« C‘est pour quelques hommes choisis, admis à passer de la foi à la gnose que sont conservés les saints mystères des prophéties cachées sous les paraboles » (33). Cette voie comporte « un premier changement, salutaire de la gentilité à la foi » et « un deuxième de la foi et la gnose ; celle-ci se terminant dans la charité unit ensuite l‘ami à l‘Ami, le connaissant au Connu » (34).
Cette élite d‘un ordre si particulier est attestée encore avec la hiérarchie sacerdotale qui lui est propre : « Et les premiers parmi les élus, c‘est une élite en possession de la gnose parfaite, choisie encore au sein de l‘Eglise et honorée de la gloire la plus brillante : ce sont les juges et les administrateurs (Kritai dé kai dioikètai) » (35).

On peut voir ainsi que les « choisis », « admis à passer de la foi à la gnose » suivent un ordre ascendant normal d‘accès de l‘exotérisme à l‘ésotérisme. La situation décrite par Clément est héritée traditionnellement : « La gnose a été transmise à un petit nombre depuis les Apôtres par la succession des maîtres et sans écriture » (36). « La gnose transmise par tradition, selon la grâce de Dieu, est remise comme un dépôt aux mains de ceux qui se montrent dignes de l‘enseignement, et fait briller de lumière en lumière l‘excellence de la charité » (37).
Clément précise bien que cette tradition est spécifiquement orale et que sa lignée, en tant que voie d‘une élite, remonte au Christ lui-même : « Le Seigneur a consenti à faire part des divins mystères et de cette sainte lumière à « ceux qui pouvaient comprendre ».

Ainsi donc ce n‘est pas au grand nombre qu‘il a révélé ce qui n‘est pas pour le grand nombre mais à quelques-uns à qui il savait que cet enseignement conviendrait, ceux qui étaient capables de les recevoir et de se laisser former par eux. Car les secrets ineffables comme Dieu lui-même, sont confiés à la parole et non à l‘écriture. Et si l‘on objecte qu‘il est écrit : « Il n‘est rien de caché qui ne doive être mis en lumière et rien de voilé qui ne doive être révélé », qu‘on sache de nous que le Seigneur a annoncé par ce logion que le secret sera illuminé pour celui qui écoute en secret, que ce qui est voilé comme vérité sera montré à qui est capable de recevoir sous le voile ce qui est transmis, et que ce qui est caché à la foule sera visible à quelques-uns » (38 ).

32 né vers 150, mort vers 216.
33 Stromates, VI : XV, 126.
34 Idem VIII : X, cité par J. Cross, La divinisation du chrétien, p. 163.
35 Stromates, VI : 107, 2, cité par J. Héring, La Doctrine de la chute, etc. chez Clément d‘Alexandrie.
36 Idem, VI : VII, 61.
37 Idem, VII : X, 55.
38 Idem I : I, II.


Il est opportun de se rendre compte que Clément d‘Alexandrie n‘était séparé des Apôtres que par une seule génération initiatique. Indiquant les maîtres spirituels qu‘il a eus (dont le dernier en date, mais le « premier en puissance », fut Saint Pantène), il ajoute :

  • « Ceux-là conservaient la vraie tradition du bienheureux enseignement l‘ayant reçu immédiatement des saints Apôtres Pierre et Jean, Jacques et Paul, comme un enfant reçoit de son père – et bien peu ressemblent à leur père – et par la grâce de Dieu ils sont venus jusqu‘à nous pour déposer ces semences des ancêtres et des Apôtres » (39). « Après sa résurrection, le Seigneur a transmis aux autres Apôtres et les autres Apôtres aux Soixante- Dix, parmi lesquels était Barnabé » (40).


Chez Origène la distinction des deux domaines traditionnels est également affirmée, mais on comprendra qu‘il n‘est pas possible d‘exiger des précisions qui auraient risqué la censure ecclésiastique ; dans le texte qui suit on trouvera cité aussi le témoignage de Saint Paul :
« Même d‘après notre enseignement, il vaut beaucoup mieux adhérer aux dogmes avec raison et sagesse que par la simple foi. Si le Verbe a voulu dans certains cas la simple foi, c‘est pour ne pas laisser entièrement les hommes sans recours. On le voit par les paroles de Paul, vrai disciple de Jésus : « parce que dans la sagesse de Dieu, le monde n‘a pas connu Dieu par la sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication » (41).
Il montre clairement par là qu‘il faudrait connaître Dieu dans la sagesse de Dieu ; mais puisque cela n‘est pas arrivé, il a plu à Dieu en seconde ligne de sauver les croyants, non pas simplement par la folie, mais par la folie en tant qu‘elle est dans la prédication. Et Paul le comprend bien lorsqu‘il dit : « Nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations, mais pour les élus, Juifs et Hellènes, le Christ vertu de Dieu et sagesse de Dieu » (42).

La foi, le salut, la folie (en tant qu‘absence de compréhensibilité) et la prédication, sont évidemment les caractères propres de l‘exotérisme. Celui-ci est ainsi institué par la volonté divine légiférante ; or, disons le tout de suite, ne serait-il pas inexplicable ou même contradictoire que la Providence n‘ait pas institué, comme dans d‘autres formes traditionnelles, des rites convenant par nature à cette humanité de « seconde ligne » ?

Répondant à Celse qui attaquait la prédication chrétienne du fait qu‘elle usait de promesses et menaces. Origène dit :
  • « Si quelqu‘un s‘imagine voir dans tout cela non tant de la méchanceté que de la superstition chez la foule de ceux qui croient à notre doctrine, et lui reproche de faire des superstitieux, nous lui dirons ce que répondait un législateur à celui qui lui demandait s‘il avait donné à ses concitoyens les meilleures lois : Non pas absolument les meilleures, mais les meilleures possibles ; ainsi, le père de la doctrine des chrétiens pourrait dire :
    « J‘ai établi les lois et les enseignements les meilleurs possibles pour l‘amendement des mœurs du grand nombre, menaçant de châtiments qui ne sont pas des mensonges, de peines infligées aux pécheurs, peines véritables et nécessaires et qui tendent à corriger les méchants, même s‘ils ne comprennent pas entièrement la Volonté de celui qui les châtie et l‘action des peines. Tout cela est dit pour l‘utilité et selon la vérité et en secret, d‘une manière utile. Du reste ce n‘est pas en général aux méchants que s‘adresse la prédication chrétienne ; nous ne sommes pas insolents envers la divinité ; car nous disons à son sujet des choses vraies et qui semblent claires à la foule, bien qu‘elles ne soient pas claires à ces quelques esprits d‘élite qui s‘exercent à philosopher sur notre doctrine. » (43).


Ainsi donc il n‘y a entre Saint Paul et l‘Ecole d‘Alexandrie aucune différence quant au double message exotérique et ésotérique du Christianisme.

39 Cité dans Foi et Gnose du P. Th. Camelot.
40 Hypotyposes, cit. Eusèbe : H.E. II, I, 4.
41 I. Cor. 1, 23.
42 Contra Celsum I, 13.
43 Contra Celsum, III. 79, cit. J. Lebreton : « Les degrés de la connaissance d‘après Origène », in Recherches de Sciences Religieuses, 1922, p. 267.




A suivre.


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L’INITIATION CHRÉTIENNE Réponse à M. Marco Pallis Empty Re: L’INITIATION CHRÉTIENNE Réponse à M. Marco Pallis

Message par Ligeia Dim 14 Mar - 14:01

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L’INITIATION CHRÉTIENNE RÉPONSE À M. MARCO PALLIS

Partie 4 :


Il nous reste à montrer que, dans le Christianisme tout comme dans les autres formes traditionnelles, l‘ordre initiatique et ésotérique dispose de formes propres de rattachement ou d‘affiliation et confère des influences spirituelles spécifiques. Ces deux choses vont de pair d‘ailleurs, tout au moins lors de l‘entrée dans la voie.
Lorsque l‘on trouve chez les Alexandrins la distinction entre les deux catégories de chrétiens, c‘est déjà un point que l‘Eglise officielle tolère difficilement. On ne peut s‘attendre à trouver affirmée l‘existence de deux sortes d‘influences spirituelles correspondant à ces deux catégories.
Il semble bien pourtant qu‘un texte, au moins, d‘Origène l‘affirme en l‘appuyant d‘ailleurs encore de l‘autorité de Saint Paul. Il y a un « esprit de servitude » et un « esprit de filiation » selon les termes de l‘Epitre au Galates, IV, 6, qui correspondent respectivement à l‘exotérisme et à l‘ésotérisme. Il ne s‘agit pas d‘une simple différence de mentalité, mais d‘influences spirituelles conférées, car Saint Paul dit textuellement (44) :

  • « Et parce que vous êtes Ses Fils, Dieu a envoyé dans vos cœurs L‘Esprit de Son Fils, lequel crie : Abba ! Père !, et il n‘y a pas là qu‘une image. Origène désigne alors celle influence spirituelle qui est celle de la gnose, également par le nom de « véritable lumière », ce qui n‘est pas non plus une simple image pour quelque valeur « morale » ou « théorique » :
    « Ceux qui ne sont pas de Dieu, avant d‘avoir reçu la véritable lumière, n‘ont même pas le pouvoir de devenir enfants de Dieu ; mais, quand ils l‘ont reçue, ils reçoivent le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Alors étant de Dieu, ils entendent Ses paroles – celui qui est de Dieu entend les paroles de Dieu – et ils ne sont plus de simples croyants, mais ils perçoivent plus intuitivement les réalités de la religion. Mais ceux qui n‘ont pas cette grâce ne deviennent pas enfants de Dieu, ne sont pas de Dieu, et à cause de cela, n‘entendent pas Sa parole et ne comprennent pas Sa volonté ; mais ils restent dans l‘état qui précède celui des enfants de Dieu, c‘est-à-dire dans l‘état de simples croyants ; ils sont serviteurs de Dieu, parce qu‘ils ont reçu l‘esprit de servitude en crainte, et ne font pas effort pour s‘avancer, pour progresser, pour recevoir l‘esprit de filiation, par lequel ceux qui l‘ont reçu crient : « Abba ! Père ! » (45).


Ce texte d‘Origène qui, en somme, ne fait que préciser un peu plus le passage de Galate IV, 6, instruit de l‘existence d‘une catégorie d‘hommes spirituels qui ont obtenu la filiation divine et qui sont différents des simples croyants ; comme ces croyants sont eux- mêmes déjà chrétiens, il est évident que les êtres de l‘autre catégorie représentent une élite. Cette élite est constituée certainement par un acte d‘adoption divine et cela suppose d‘ailleurs une opération initiatique très précise, et évidente, car dés le moment de la réception le récipiendaire crie : « Abba ! » (Père !) (46).

44 Ibid.
45 In Joann., XX, 22, 287-289. P.G. XIV, 648 ; in J, Lebreton, art. cit. p. 286.
46 Ce mot pourrait être aussi un vocable invocatoire spécifique de cette catégorie spirituelle, un monologistos autre que les formes d‘invocation du nom « Jésus ».


Une autre source de données prouvant l‘existence d‘actes caractérisés de rattachement à l‘ordre initiatique et de transmission spirituelle correspondante, sont les œuvres de Saint Syméon le Nouveau Théologien (47), Docteur et Maître de l‘Eglise orthodoxe, une des autorités de l‘Hésychasme (48 ). On y trouve, assez précise et soulignée, la mention d‘un sacerdoce de la « gnose sacrée » constitué par de vénérables saints hommes et des illuminés, ayant qualité de « dispensateurs de la grâce » et de « médiateurs », qui transmettent, notamment par un rite d‘imposition des mains, une « puissance » venant de la Puissance divine du Christ et qui est appelée encore « Esprit Saint » (sans l‘article).

Cette communication de grâce à laquelle Saint Syméon convie tout être de désir spirituel, est justifiée souvent chez lui par la caducité du « baptême » ordinaire, dans lequel cependant il faut considérer inclus le sacrement de confirmation, car, dans l‘Orthodoxie, celui-ci est conféré, sous forme de chrêmation, en même temps que le baptême proprement dit, et est appelé d‘ailleurs « Saint-Chrême ».
Selon cette façon de présenter les choses il apparaît que le rite de Saint Syméon vient suppléer, non pas au sacrement ordinaire de l‘Eglise lequel existe bien dans son ordre et ne peut du reste être réitéré, mais au baptême originel de l‘Esprit donné par les Apôtres : ou plutôt il s‘agit du même rite dans sa lignée initiatique. Voici à cet égard un texte assez explicite malgré sa concision :


  • « Si quelqu‘un dit : moi j‘ai reçu le Christ du Saint-Baptême, qu‘il sache que tous ceux qui sont baptisés par le moyen du baptême ne portent pas le Christ, mais seuls ceux qui sont fermes dans la foi et qui se sont préparés (avant le Baptême) eux-mêmes dans la connaissance finale et dans la purification et qui ont marché ainsi vers le Baptême. Celui qui examinera les écritures relatives aux paroles et actes apostoliques, trouvera (la preuve de ce que nous affirmons), car il écrit :
    « Les Apôtres qui étaient à Jérusalem, ayant entendu que la Samarie avait reçu la parole de Dieu, y envoyèrent Pierre et Jean. Ceux-ci arrivés chez les Samaritains prièrent pour eux afin qu‘ils reçussent l‘Esprit-Saint. Car il n‘était encore descendu sur aucun d‘eux ; ils avaient été seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains et ils reçurent l‘Esprit-Saint » (49).


47 Recueillies notamment dans La Patrologie Grecque de Migne, vol. 120 ; K. Holl, Enthusiasmus and Bussgewalt beim griechischen Mönchtum, Leipzig, 1898 ; Irénée Hausherr, La méthode d’oraison hésychaste, Orientalia Christiana, Rome 1927, et Vie de Syméon le nouveau Théologien, Orientalia Christiana, Rome 1928.
48 Saint Syméon (né en 949, mort en 1022) est vénéré dans le monde orthodoxe comme l‘un de ses plus grands saints : l‘Église le considère comme une de ses autorités doctrinales. Le titre de ―Nouveau Théologien‖ qu‘on lui donne ordinairement est la reconnaissance en sa faveur d‘une véritable fonction prophétique et apostolique (au sens chrétien et restreint de ces termes). « Quoi qu‘il fût tout à fait ignorant des sciences profanes, il parlait de Dieu comme le disciple bien aimé », écrit Nicétas Stéthatos. L‘allusion s‘applique à Saint Jean l‘Evangéliste qui est également appelé le Théologien. (A part ces deux cas, le titre de Théologien n‘est accordé qu‘à Saint Grégoire de Nazianze).
49 Oraison LVI, Alatius, texte grec cité par J. Hausherr : Vie de Syméon pp. LXXIII - IV.


Pour mieux comprendre la nature et le rôle de cette imposition des mains nous citons encore quelques passages de Saint Syméon :


  • « Tout chrétien donc, qui n‘a pas reçu intérieurement une puissance (énédunamôthè) provenant de la Puissance divine du Christ, afin que par elle, étant donné sa propre faiblesse, il puisse accomplir la volonté de Dieu, qu‘il marche, et auparavant qu‘il reçoive intérieurement cette puissance moyennant la foi et l‘imposition des mains (Cheirôn épithiésia) des dispensateurs de la grâce (oikonomoi tès charitos) » (50).


  • « A ceux qui n‘ont pas senti la puissance théurgique du baptême dans le bassin sacré, puissance qui est appelée régénération, rénovation et, en vérité, reformation de l‘homme tout entier, à ceux-là, par la suite sont nécessaires l‘enseignement et l‘imposition des mains vénérables des saints hommes et des illuminés » (51).


  • « ...Offerte dans l‘immersion du baptême commun, les nouveau-nés n‘ont pu avoir aucune conscience de cette grâce immense et transcendante, il a été nécessaire qu‘elle soit acquise à nouveau par le travail et que la grâce soit reçue encore une fois, elle qui est telle, qu‘elle ne peut demeurer auprès de celui qui n‘en prend pas conscience, et qu‘elle s‘envole devant cette ignorance. Tout chrétien donc, qui n‘a pas eu intérieurement une puissance provenant de la puissance divine du Christ, afin que (par elle) étant donné sa (propre) faiblesse, il puisse accomplir la volonté de Dieu, qu‘il marche, et auparavant, qu‘il reçoive intérieurement de cette puissance moyennant la foi et l‘imposition des mains de la part  des dispensateurs de la grâce (laquelle vient de la foi, non des œuvres) (52) pour que, revêtu d‘abord de la force d‘en haut, il puisse mener dès lors une vie digne d‘un chrétien (53).


On remarque ainsi que le remède à l‘absence d‘une sensation de la vertu du baptême, n‘est pas dans une simple prise de conscience ultérieure de la valeur du rite (comme non plus dans une réitération, impossible d‘ailleurs, du rite commun), mais dans une préparation nouvelle complétée par le rite spécial de l‘imposition des mains d‘un sacerdoce à part, celui de la pure gnose, avec effet de collation nouvelle de la grâce de l‘Esprit Saint.
Comment s‘explique-t-il alors que les choses soient présentées comme si, en principe, le baptême commun (chrêmation incluse) conféré aux enfants pouvait, dans des conditions voulues, attribuer cette grâce que Saint Syméon cherchera cependant ensuite dans une imposition des mains spéciale, proprement initiatique, bien entendu de tradition également apostolique ?
C‘est qu‘effectivement des réceptions exceptionnelles de grâce, avec, bien entendu, le support général des sacrements ordinaires peuvent exister quelquefois, mais cela est tout à fait rare dans une génération traditionnelle car ce n‘est au fond qu‘une variante des cas d‘initiation spontanée (54).
En tout cas Saint Syméon lui-même en affirme la possibilité :


  • « On doit tendre… à recevoir la grâce par la foi, par la pénitence et par l‘imposition des mains du sacrificateur (hiéreus) ; sans ces conditions la grâce ne reviendrait pas d‘elle- même vers ceux qui après le baptême l‘ont abandonnée. Et même si sans l‘imposition des mains elle vient vers quelques-uns, leur nombre est certainement restreint, deux ou trois peut-être ; or la rareté ne constitue pas la loi (nomos) de l‘Eglise » (55).


50 Oraison XIV, P.G. 380 A2 ; texte grec, cité dans K. Holl, p. 59.
51 Oraison X, P.G. 366 ; texte grec partiel K. Holl, p. 59.
52 Les mots entre parenthèses sont intercalés par la traduction latine, le texte grec, cité par K. Holl finit au mot "grâce".
53 Oraison XIV, P.G. 380 ; texte grec partiel K. Holl, p. 58.
54 Voir René Guénon, « Sagesse innée et sagesse acquise », E.T. de janvier-février 1949, repris dans Initiation et Réalisation spirituelle, ch. XXII.
55 Oraison XIV, P.G. 381 ; texte grec de la dernière phrase dans K. Holl, p. 58.


On peut remarquer d‘ailleurs que Saint Syméon parle, pour ces derniers cas, textuellement de "venue" (èlthen eis tinas = dans la trad. latine de P.G. in aliquos venit), de même que dans les cas d‘imposition des mains il est question de « réception » (ou encore d‘ « acquisition ») mais non de « retour » ou de « recouvrement ». L‘idée d‘un « retour » à propos de la grâce, n‘est employée que lorsque cette idée est niée, et c‘est la « venue » qui est alors par contre affirmée.

Ces cas extrêmement rares s‘expliquent alors plutôt par la qualification exceptionnelle des sujets et par un concours favorable de facteurs multiples et plus ou moins indéterminés.
En principe tout au moins, toute influence spirituelle particulière, de n‘importe quelle catégorie, est de quelque façon en communication, de près ou de loin, avec sa source première et avec l‘ensemble des forces qui en dérivent, de sorte que, compte tenu aussi de la connexion existante entre les moyens et les actes traditionnels de tous ordres, il puisse y avoir occasionnellement et de façon extraordinaire et imprévisible, des résultats d‘infusion majeurs de grâce alors qu‘il ne s‘en produit pas normalement. Saint Syméon qui signale ces cas, ajoute bien que ce n‘est pas cela la loi de l‘Eglise, et il indique alors quelle est la loi en cause, et parle donc de la démarche pour acquérir l‘Esprit-Saint par une imposition des mains déterminée dans sa fonction comme dans son origine qui est de l‘exercice d‘un sacerdoce purement initiatique, celui de la gnose sacrée.

Chose remarquable qui permet de situer mieux la position de ce sacerdoce de la gnose lequel cependant n‘a rien d‘officiel, c‘est que Saint Syméon en arrive à subordonner à l‘autorité de celui-ci la fonction d‘enseignement théologique de la hiérarchie ecclésiastique ordinaire.


  • « Mais on doit veiller à ce que la colère de Dieu ne vienne pas sur nous, lorsque certains qui sont actuellement en dehors de cet ordre (l‘ordre de ceux qui ont la connaissance intellectuelle du Saint-Esprit, ou qui par la foi du Christ ont reçu la grâce transcendante), se trouvent être ministres du culte, évêques ou prêtres et maîtres des âmes, et l‘on doit voir si ce n‘est pas un ignorant qui instruit, enseigne et déforme les choses divines, du fait que leur représentation dépasse la portée de l‘intelligence humaine. Il ne faut pas en effet que quelqu‘un monte sur le trône pour enseigner le Saint-Esprit avant de s‘être uni à la nature divine. S‘il en était autrement, il exciterait contre lui la colère de Dieu. C‘est assurément pour cette raison que beaucoup qui étaient savants en paroles se sont révélés comme les auteurs et les fondateurs de doctrines hérétiques. Au reste puisqu‘ils ont été informés en un sens par le divin baptême, comme par les principes, ils n‘ont pas eu la connaissance ; marchant d‘abord dans la pénitence et la connaissance comme nous l‘avons dit plus haut, et s‘appuyant sur la médiation et l‘imposition des mains de la part des arbitres et des administrateurs de grand mystère et de la part de ceux qui sont instruits de la gnose sacrée, qu‘ils assimilent l‘enseignement (doctrinal) depuis le début, ainsi que l‘espèce et la forme des réalités spirituelles et leur signification mystique ; en tant que confirmés qu‘ils travaillent dans la vigne de Dieu… » (56).


Ainsi, même sous le rapport de l‘enseignement doctrinal, le Nouveau Théologien envoie les membres de la hiérarchie ecclésiastique à l‘école des maîtres spirituels de la gnose, et non pas en tant qu‘auditeurs ou étudiants, mais en tant que disciples dans la voie de la connaissance directe à laquelle ils accéderont par les vertus de l‘imposition des mains de ce sacerdoce initiatique (57).

56 Oraison II, P.G. 329-330.
57 Pour ne rien omettre de ce qu‘il peut être utile de connaître dans l‘ordre des présentes questions d‘études, nous signalerons avoir relevé autrefois dans la Notice d‘Alatius sur « les écrits de Syméon » (P.G. 287) la mention au point XVI d‘un Récit utile des débuts pour un disciple soumis qui reçoit l’Esprit-Saint par les prières de son Père spirituel. J. Hausherr cite, de son côté, dans sa Vie de Syméon, (p. LXX) un texte où Saint Syméon dit que ses adversaires protestent ainsi : « Qui a reçu l‘Esprit-saint, de telle sorte que par l‘intermédiaire de son père (spirituel) le fils est aussi jugé digne de voir ? ».



A suivre.

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Message par Ligeia Mar 16 Mar - 8:55

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L’INITIATION CHRÉTIENNE RÉPONSE À M. MARCO PALLIS

Partie 5 :


Pour ce qui est de l‘aspect rituel de ces choses il y a lieu d‘ajouter que l‘imposition des mains n‘est pas le seul rite initiatique dont on trouve mention dans les écrits de Saint Syméon. Dans un de ses textes, il est question d‘un certain « chrême » dont le caractère particulier est d‘autant plus remarquable qu‘il est mentionné à côté d‘onctions d‘un caractère plus commun, avec lesquelles il ne peut donc être confondu :


  • « Dans les âmes qui après le saint-baptême ont été dominées par ces trois choses (le plaisir, les richesses et la vaine gloire) il est impossible qu‘une telle grâce pénètre autrement que par l‘accomplissement d‘actions bonnes et réparatrices par lesquelles seulement le salut vient. Et de quelle manière ? Par le breuvage des (eaux) bénies (posis  tôn agiasmatôn), par l‘onction des huiles consacrées (chrisis tôn égiasménôn élaiôn), par le « Chrême des Saints » (murôn tôn agiôn) et en respirant la bonne odeur de ceux-ci (antilèpsis tês autôn eudias), car le Christ a fait entrer dans les saints le pouvoir de sanctifier, de même qu‘il a purifié leur âme » (58 ).


Le « Chrême des Saints » mentionné ici est tout à fait remarquable comme expression, puisqu‘en ce cas l‘onguent est désigné par le terme employé dans l‘ordre sacramentel proprement dit, murôn, sans être qualifié toutefois de Saint-Chrême ce qui permet de le différencier mieux du sacrement ordinaire, mais en étant, par contre, au pouvoir des
« Saints » comme ministres de l‘onction. Du reste, dans ces conditions, les autres substances salutaires recommandées en même temps, pour autant qu‘elles soient administrées par ce sacerdoce de perfection, devraient avoir elles-mêmes une portée bien plus profonde.

Quoi qu‘il en soit de la signification exacte de toutes les onctions mentionnées ici, comme de la portée exacte d‘autres moyens dont Saint Syméon parle par ailleurs (59), on est obligé de constater au sujet de cette imposition des mains dont il est question constamment et qui opère la collation nouvelle de l‘Esprit-Saint, non seulement qu‘elle ne fait pas partie des sacrements officiels de l‘Église, mais encore qu‘elle n‘est pas non plus une bénédiction ordinaire, car elle est expressément requise comme condition initiale et nécessaire de la voie de la connaissance, et du reste elle ne peut être exercée comme telle que par le sacerdoce spécial de cette voie. Ce rite est, dans son mode et sa fonction, de tradition apostolique.

58  Oraison VII P.G. 348 ; texte grec dans K. Holl, p. 59.
59 Nous pensons notamment à l‘indication qu‘on trouve chez lui d‘une certaine transmission opérée par le rite de la prise de l‘habit monastique appelé ―Schéma angélique et (on ajoute parfois) "divin" qu‘il appelle précisément "un second baptême" : « Si ceux qui après avoir eu un second baptême par l‘habit angélique, et en reçoivent quelque chose, ne l‘ont pas compris, ils ne participeront pas à la vertu divine et toute puissante du Saint-Esprit, car la grâce s‘est enfui d‘eux de la même façon que celle qui avait été conférée par les eaux du baptême; et à cause de leur engourdissement jusqu‘à maintenant, ils sont enclins au mal, comme par le passé ; leur foi est sans fruit, et vain aussi leur second baptême, puisque les vêtements sacrés leur ont été imposés pendant qu‘ils n‘en avaient aucune conscience et étaient ―morts‖ (Oraison II, P.G. 327 B).


Certes, d‘après ce que dit Saint Syméon de l‘origine du rite, celui-ci semble se rattacher aux mêmes actes sacrés des Apôtres dont se réclame, d‘autre part, le sacrement de confirmation ou de chrêmation, mais il n‘y a là nulle incompatibilité ; par contre, plutôt, cela fait voir, à l‘occasion, qu‘il y a deux lignées de transmission d‘influences spirituelles, l‘une purement initiatique l‘autre simplement religieuse, qui remontent à la même source, et que les sacrements religieux ordinaires, dans leur institution sacrée, ont pu être en quelque sorte calqués sur la forme des rites originels qui étaient de nature purement initiatique et qui sont restés tels, mais dans un ordre strictement ésotérique (60).

Il y a lieu d‘ajouter ici quelques précisions utiles venant de René Guénon, qui ne se trouvent pas par ailleurs dans ses écrits. Lui ayant fait part de quelques-uns des passages cités ici de Saint Syméon, et cela suivait de peu la publication de son article
« Christianisme et Initiation » (61), il nous répondait ceci :

  • « …il me paraît très intéressant que vous ayez trouvé dans les textes se rapportant à l‘hésychasme l‘indication de rites bien distincts des sacrements, en outre de la simple transmission d‘une formule qui peut cependant, être considérée aussi comme constituant par elle-même un véritable rite d‘initiation, car, dans l‘Inde, il existe des initiations (c‘est bien le mot « dîkshâ » qu‘on emploie en pareil cas) qui ne comportent rien d‘autre que la communication d‘un mantra. J‘espère que vous pourrez me reparler de cette question de l‘hésychasme quand vous aurez fait encore quelques recherches de ce côté… » (62).


Un mois environ plus tard, nous lui avons envoyé un travail sur la question de l‘Initiation extra-sacramentelle chez Saint Syméon le Nouveau Théologien, qui contenait toutes les citations de textes donnés plus haut. En nous répondant à propos du « caractère de rites d‘initiation » que nous attribuons à ceux qui sont indiqués chez Saint Syméon, il nous disait notamment : « il me semble… que toute cette partie de votre travail se tient parfaitement et qu‘elle est réellement assez probante » (63).

En faisant ces constations qui apportent la solution principale concernant l‘existence régulière d‘un ordre initiatique des choses avec les rites de rattachement et les transmissions d‘influences spirituelles afférentes, nous ne sommes pas tenus de donner aussi l‘explication historique du processus d‘institution qui les concerne, question d‘un ordre différent et d‘un intérêt accessoire, et ceci d‘autant plus que cela demanderait des investigations et des analyses d‘une très grande complexité. Mais pour répondre au moins à un souci majeur, celui de savoir si l‘état des choses dont nous parlons est au point de vue traditionnel tout à fait régulier, et qu‘il n‘y a pas là une situation de caractère plus ou moins arbitraire et artificiel, nous dirons que tout ce qui concerne l‘organisation  de l‘Église sous ses deux aspects initiatique et religieux, ésotérique et exotérique, est l‘ouvre du législateur divin et nullement celle des hommes. Seulement pour bien comprendre cette œuvre il faut savoir que le développement de la tradition chrétienne est régi par la fonction législative permanente de l‘ « autre Paraclet », de l‘Esprit-Saint en tant qu‘Esprit de Vérité, pour la venue duquel le Christ devait envisager son propre départ (64), et sous l‘autorité duquel se tient explicitement l‘Eglise visible elle-même. Et c‘est à cette fonction permanente de l‘Esprit-Saint, illustrée notamment par l‘œuvre des Conciles, qu‘il faut rattacher toutes les réadaptations du message christique originel, tant sous le rapport doctrinal que normatif, y compris l‘organisation du domaine rituel et des forces spirituelles afférentes, pendant toute l‘histoire apparente ou cachée du cycle traditionnel chrétien (65).

60 De cette façon on peut dire que certains rites exotériques et plus spécialement les sacrements voilent et  symbolisent à la fois les rites purement initiatiques d‘après lesquels ils ont été constitués. C‘est pourquoi les interprétations spirituelles de sens manifestement initiatique appliquées apparemment aux sacrements ordinaires dans les écrits des maîtres spirituels doivent viser en vérité tout d‘abord les rites de l‘ordre ésotérique et secondairement  les rites ordinaires. N‘est-il pas ainsi significatif qu‘un auteur comme Nicolas Cabasilas, au XIVème siècle, c‘est-à-dire après un millénaire de pratique généralisée du baptême des enfants, interprète le symbolisme baptismal en prenant comme sujet type un adulte ? Car évidemment il n‘y a qu‘un adulte qui peut tenir le rôle d‘un récipiendaire véritablement initiatique.
61 E.T. de septembre à décembre 1949.
62 Lettre du 11 février 1950. Il ajoutait : « et aussi me dire quelque chose des constatations que vous avez faites concernant Maître Eckhardt. » Nous reviendrons à un autre moment sur ce point.
63 Lettre du 5 avril 1950.
64 « Et moi je prierai le Père, et il vous donnera au autre Paraclet (Consolateur), pour qu‘il demeure toujours avec vous ; c‘est l‘Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir, parce qu‘il ne le voit point et ne le connaît point ; mais vous, vous le connaissez parce qu‘il demeure au milieu de vous. Encore un peu de temps et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez, parce que je vis, et que vous vivrez. En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père, et vous en moi, et moi en vous… Je vous ai dit ces choses pendant que je demeure avec vous. Mais le Paraclet, l‘Esprit-Saint, que mon père enverra en mon nom, lui, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit ». (Jean 14, 16 & sq.)
« Cependant je vous dis la vérité : il vous est bon que je m‘en aille; car si je ne m‘en vais pas, le Paraclet ne viendra pas en vous ; mais si je m‘en vais, je vous l‘enverrai. Et quand il sera venu, il convaincra le monde au sujet du péché, de la justice et du jugement : au sujet du péché, parce qu‘ils n‘ont pas cru en moi ; au sujet de la justice, parce que je vais au Père et que vous ne me verrez plus ; au sujet du jugement, parce que le Prince de ce monde est (déjà) jugé. J‘ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent. Quand le Paraclet, l‘Esprit de vérité sera venu, il vous guidera dans toute la vérité. Car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu‘il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir. Celui-ci me glorifiera, parce qu‘il recevra de ce qui est à moi; et il vous l‘annoncera. Tout ce que le Père a est à moi. C‘est pourquoi j‘ai dit qu‘il recevra de ce qui est à moi, qu‘il vous l‘annoncera… », Jean 16, 7-15).
65 Il sera précieux de connaître sur ce point également une réflexion de René Guénon, faite lorsque nous lui avons parlé pour la première fois, de cet aspect du développement sacramentaire (par la suite notre travail sur ce point s‘est encore développé, mais nous ne pouvons pas nous y arrêter d‘avantage maintenant) : « Je vous remercie de vos explications… notamment, en ce qui concerne l‘intervention du St-Esprit en rapport avec l‘extrusion du Christianisme chez les nations ; bien que je n‘aie jamais eu l‘occasion d‘envisager la question à ce point de vue, cela me paraît tout à fait plausible ; ne pourrait-on pas dire qu‘il s‘agit là surtout d‘un rôle de ―réadaptation‖ en quelque sorte ? Naturellement vous ne pouviez pas tout développer, mais je crois qu‘il serait intéressant que vous ayez la possibilité d‘y revenir… » (Lettre du 22 juin 1950).



L‘enseignement de Saint Syméon que nous venons de reconstituer sommairement par une enquête littéraire qui n‘est certes pas exhaustive, peut être vérifié dans une mesure appréciable et même complété par des données qu‘on peut avoir du côté de la tradition hésychaste attestée encore de nos jours. M. Pallis a fait lui-même des recherches du même côté qui se veulent conclusives et qui sont bien entendu négatives : « absence totale de tout rite spécifiquement initiatique » dit-il (66), et il ajoute même, comme nous l‘avons déjà relevé précédemment, que « ceux qui ont cherché un rite initiatique supposé opérer en plus des Sacrements ont perdu leur temps » (67). M. Pallis veut dire, pensons-nous, que ceux des chercheurs dont il a eu connaissance n‘ont rien trouvé jusqu‘à un certain moment de leurs recherches, bien que nous n‘aurions pas dit, même en ce cas, qu‘ils aient vraiment perdu leur temps s‘il s‘agit de recherches d‘intention spirituelle.
Or, nous savons de notre côté que d‘autres affirment le contraire. Nous ne pouvons, bien entendu, assurer par nous-même ce qu‘il en est en fait, mais nous n‘avons aucune raison de douter de la valeur de leurs affirmations. Nous ne voulons, certes, pas cautionner en aucune mesure et d‘aucune façon des prétentions incontrôlables qu‘on pourrait entendre de différents côtés, dans un monde comme le nôtre, venant au nom de l‘hésychasme ou de tout autre spiritualité, mais nous accueillons avec une confiance normale des données qui nous viennent de personnes d‘esprit véritablement traditionnel et, c‘est le cas, de formation doctrinale – il faut dire le mot – "guénonienne".
D‘ailleurs on ne petit pas ignorer que, de longue date, nous tenons de tels témoignages comme acquis pour nous, car nous l‘avons écrit, dans un des anciens cahiers des Etudes Traditionnelles ; en parlant alors de l‘incompréhension de certains milieux intellectuels occidentaux concernant la nature et les moyens de l‘initiation chrétienne, nous disions : « L‘on considère ainsi que celle-ci est conférée par les sacrements ordinaires de l‘Eglise, en raison d‘un privilège spécial qu‘aurait le Christianisme d‘être une « initiation offerte à tout le monde » ! Ceci est affirmé à la faveur d‘une certaine difficulté que l‘on a rencontrée à démontrer l‘existence d‘autres rites purement ésotériques pour l‘initiation chrétienne.

66 E.T., nov.-déc. 1964, p. 264 E.T., nov.-déc. 1964, p. 264.
67 Ibid. p. 267.


Nous ne pourrions traiter ici de cette question, mais puisque beaucoup de ceux qui professent cette opinion accordent par ailleurs, que l‘hésychasme est une voie initiatique, qu‘ils sachent que celui-ci a, de nos  jours même, comme moyen de rattachement un rite spécial et réservé, analogue à ce que l‘on sait du rite de rattachement dans les initiations islamiques ; mais pour savoir ce qu‘il en est exactement, ce n‘est pas aux théologiens ou aux prêtres, ni même à tout moine, qu‘on pourrait le demander ; en cette matière il faut d‘ailleurs savoir que la réponse dépendra éminemment de la droite intention du chercheur, et de sa bonne volonté » (68 ). C‘est pourquoi la présente mise au point nous a paru en la circonstance vraiment inévitable et, somme toute, indispensable.

68 Voir E.T., N° spécial dédié à René Guénon, Juillet à novembre 1951, p. 237, en note.


A suivre.

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Message par Ligeia Jeu 18 Mar - 9:54

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L’INITIATION CHRÉTIENNE RÉPONSE À M. MARCO PALLIS

Partie 6 (fin) :


Nous rappelons tout d‘abord que Guénon écrivait déjà : « Dans l‘hésychasme, l‘initiation proprement dite est essentiellement constituée par la transmission régulière de certaines formules, exactement comparable à la communication des mantras dans la tradition hindoue et à celle du wird dans les turuq islamiques ; il y existe aussi toute une « technique » de l‘invocation comme moyen propre du travail intérieur (69), moyen bien distinct des rites chrétiens exotériques, quoique ce travail n‘en puisse pas moins trouver aussi un point d‘appui dans ceux-ci comme nous l‘avons expliqué, dès lors que, avec les formules requises l‘influence à laquelle elles servent de véhicule a été transmise valablement, ce qui implique naturellement l‘existence d‘une chaîne initiatique ininterrompue, puisqu‘on ne peut évidemment transmettre que ce qu‘on a reçu  soi- même (70). Ce sont là encore des questions que nous ne pouvons qu‘indiquer ici très sommairement, mais, du fait que l‘hésychasme est encore vivant de nos jours, il nous semble qu‘il serait, possible de trouver de ce côté certains éclaircissements sur ce qu‘ont pu être les caractères et les méthodes d‘autres initiations chrétiennes qui malheureusement appartiennent au passé » (71).

On remarquera à ce propos que M. Pallis néglige très spécialement la précision donnée dans ce texte par Guénon sur l‘une tout au moins des modalités de l‘initiation hésychaste qui présente une analogie manifeste avec des modalités hindoues  et  islamiques (72).


69 « Une remarque intéressante à ce propos est que cette invocation est désignée en grec par le terme mnêmé, "mémoire" ou "souvenir", qui est ici exactement l‘équivalent de l‘arabe dhikr. »
70 « Il est à noter que, parmi les interprètes modernes de l‘hésychasme, il en est beaucoup qui s‘efforcent de "minimiser" l‘importance de son côté proprement "technique", soit parce que cela répond réellement à leurs tendances, soit parce qu‘ils pensent se débarrasser ainsi de certaines critiques qui procèdent d‘une méconnaissance complète des choses initiatiques ; c‘est là, dans tous les cas, un exemple de ces amoindrissements dont nous parlions tout à l‘heure. »
71 « Christianisme et initiation », dans E.T. de décembre 1949, p. 347.
72 Ceci est d‘autant plus étonnant que d‘autre part, lorsqu‘il parlait de Zen, M. Pallis ne refusait pas par principe comme possible que « le fait que le Maître accepte un disciple et lui administre son premier koan soit considéré comme équivalent à l‘initiation telle que nous la connaissons », et si en fait, il concluait, néanmoins dans le sens contraire, c‘était simplement parce que cela « n‘était pas l‘opinion de notre informateur » (E.T. juillet à octobre 1964), ce qui nous saurait nous suffire pour être assurés que l‘informateur ne se trompait pas quant au sens de la question qu‘on lui posait et quant au sens qu‘on donnerait à sa réponse ; de toute façon, l‘administration du koan par le Maître au disciple et le lien qui est ainsi établi entre eux, ne fut-ce que depuis cet acte, ne sont-ils pas suffisants pour reconnaître qu‘il y a là une filiation et, une transmission de caractère initiatique ?


De plus il lui reproche de n‘avoir « jamais pu se débarrasser de la conviction que cachée quelque part dans le monde chrétien passé ou présent, une forme spécifique d‘initiation conforme au modèle qu‘il en était venu à considérer comme universellement applicable, serait découverte fonctionnant en plus des Sacrements » (73).

Le fait est que, d‘après des renseignements tenus par nous, Guénon avait parfaitement raison même sous ce rapport plus déterminé. Il est malaisé de donner publiquement des précisions en cette matière, mais nous devons bien montrer comment s‘est vérifié pour nous depuis longtemps qu‘il y a effectivement dans l‘Hésychasme, pour employer les termes mêmes de M. Pallis, « une forme d‘initiation » correspondant, sinon à « un modèle que Guénon en serait venu à considérer comme universellement applicable », du moins à la définition essentielle de l‘initiation, et en tout cas, à l‘initiation islamique. Ainsi, dans l‘une des branches hésychastes de l‘Est européen (où il y aurait peut-être deux chaînes initiatiques distinctes, l‘une, celle qui est à l‘origine des Staretzi D‘Optyno, et une autre plus ancienne), et tout au moins quant à l‘une des transmissions opérées, le récipiendaire se met à genoux devant le transmetteur (lequel, s‘il est prêtre, lui pose la chasuble sur la tête) ; celui-ci lit une prière spéciale par laquelle on habilite le néophyte à une forme de récitation appelée « prière mentale ».
Ensuite le récipiendaire embrasse la main du transmetteur lequel prend la Main de l‘initiable entre ses deux mains, l‘embrasse sur le front et lui dit : « Au nom du Père, du Fis et du Saint-Esprit ! Béni soit le commencement et l‘accomplissement final de ton travail ! » Enfin, tous les deux, ainsi que les initiés assistants s‘il y en a, récitent un certain temps, à voix basse, la prière transmise.
Le récipiendaire peut être un religieux ou un laïc. De même la qualité de transmetteur peut être conférée par le Staretz à un simple laïc (on en connaît plusieurs dans la contrée respective).

Dans l‘une des voies susmentionnées, tout au moins, « l‘entrée comporte deux actes rituels bien distincts et sans aucune liaison avec d‘autres rites exotériques, à savoir la Petite Bénédiction et la Grande Bénédiction, séparées par des années l‘une de l‘autre ; dans la plupart des cas la deuxième ne se confère pas du fait que le candidat ne remplit pas les conditions requises ».

En conclusion de cette documentation, comme de celle tirée des écrits de Saint Syméon le Nouveau Théologien, nous pouvons donc affirmer non seulement l‘existence d‘un rite, ou de rites de rattachement à la voie hésychaste avec une transmission d‘influence spirituelle que désigne la notion de « bénédiction », mais encore celle d‘une ligne sacerdotale spéciale où la qualité de transmetteur peut être déléguée même à un laïc.

Une chose qui pourrait sembler vérifier en quelque sorte la thèse de M. Pallis sur la nature des moyens de travail spirituel et sur l‘absence d‘initiation proprement dite hors les sacrements est le fait que la Prière de Jésus dans le Christianisme (comme d‘ailleurs le Nembutsu dans le Bouddhisme Jodo) peut être pratiquée sans autorisation. C‘est un fait qui ne peut avoir qu‘une valeur religieuse ordinaire, mais il l‘a, et c‘est pourquoi il existe.

73 E.T., mars-avril 1965, p. 63.

Il en est de même en Islam avec toutes les formules de dhikr connues qui peuvent être pratiquées par n‘importe quel fidèle et qui le sont effectivement, par beaucoup (74) : ce n‘est pas pour cela qu‘un tel pratiquant serait un homme de la voie.
Mais un jour, si celui-ci a une vocation authentique il sera "régularisé" par quelque rencontre ou quelqu‘intervention opportune, et cela pas nécessairement dans l‘ordre visible d‘une tarîqah. De toute façon, dans n‘importe quelle forme traditionnelle, la voie effective ne sera pas parcourue sans une direction véritablement spirituelle.

Dans ce qui précède nous avons étudié uniquement une question d‘ordre rituel concernant l‘engagement dans la voie hésychaste, mais en rapprochant les données venant de l‘hésychasme actuel de celles tirées précédemment de Saint Syméon le Nouveau Théologien, nous ne voulons pas dire que par la seule vertu du rite d‘un rattachement actuel on accèderait aujourd‘hui même à une direction spirituelle comparable à celle de Saint Syméon et de son époque, car la valeur pratique du rattachement initiatique le plus régulier dépendra, bien entendu, de la pureté et de l‘effectivité spirituelle du milieu initiatique respectif, et cela est une des conditions les plus difficiles à voir remplie aujourd‘hui.

Pour prendre comme exemple le milieu spirituel d‘Optyno, on sait que du temps de Dostoïevski (Les Frères Karamazov) son déclin était déjà accusé ; or, avec tous les bouleversements politiques et sociaux survenus depuis, en Russie tout d‘abord, ensuite un peu partout dans le monde orthodoxe, bien que la chaîne initiatique ait pu, fort heureusement, être continuée et cela même hors de Russie, les conditions de son maintien furent bien entendu trop peu propices à un développement spirituel normal.

Un tel rattachement reste cependant un rattachement spécifiquement initiatique dont les possibilités dépendront naturellement aussi bien de la qualité des récipiendaires que de celle de leur guidance spirituelle.

74 C‘est un ordre divin donné dans le Coran à toute la communauté que d‘invoquer Allâh "beaucoup", et les recommandations générales du Prophète de pratiquer le dhikr ne se comptent plus.

Pour résumer tout ce que nous venons de dire jusqu‘ici nous pouvons  donc  conclure :

L‘exemple de l‘hésychasme, choisi par M. Pallis lui-même comme preuve de l‘inexistence d‘une initiation proprement dite dans le Christianisme, nous fournit la preuve « de fait » actuelle du contraire. D‘autre part les éléments doctrinaux puisés chez Saint Syméon concernant l‘existence de rites d‘affiliation et de transmission spirituelle ont apporté une preuve analogue pour ce qu‘il y avait au moyen-âge.

Enfin les données documentaires de Saint Clément et d‘Origène ont montré que dans le Christianisme l‘ordre initiatique est régulièrement ésotérique en tant qu‘il concerne une élite, et cela est il la fois un témoignage historique et une preuve doctrinale d‘un des meilleurs temps parce que proche de la génération des Apôtres.
Le Christianisme ne pouvait faire à cet égard aucune exception parce qu‘en tant qu‘il est une religion il s‘adresse sous un certain rapport à l‘ensemble de son humanité, malgré l‘inégalité des individus et sous un autre à une élite qualifiée pour une voie de la connaissance initiatique. Le fait qu‘il ait eu ou pu avoir initialement un statut de voie initiatique occupant une position nécessairement ésotérique dans le cadre exotérique du Judaïsme, n‘empêche pas – puisqu‘il fallait qu‘il fût complété après le Christ par le ministère du Paraclet, et répandu hors son premier cadre comme religion dans la Gentilité – qu‘il devait être adapté de façon à embrasser la totalité de son humanité et l‘organiser selon une économie où chaque réalité prend sa place naturelle dans l‘ensemble et où les grâces spirituelles initiatiques ou religieuses pour être telles doivent être appropriées à ceux auxquels elles sont destinées.

Il y a, certes, d‘autres points qui méritent d‘être traités à propos de l‘article de M. Pallis, mais nous avons dû nous limiter pour cette fois-ci à ce qui était le plus urgent.


MICHEL VÂLSAN


FIN.

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