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Aperçus sur l'initiation

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Message par Ligeia Mar 14 Jan - 14:57

«... chacun, étant naturellement porté à s’estimer « bien et dûment qualifié », et étant ainsi à la fois juge et partie dans sa propre cause, découvrirait assurément sans peine d’excellentes raisons (excellentes du moins à ses propres yeux et suivant les idées particulières qu’il s’est forgées) pour se considérer comme initié sans plus de formalités, et nous ne voyons même pas pourquoi il s’arrêterait en si bonne voie et hésiterait à s’attribuer d’un seul coup les degrés les plus transcendants. (...)
Qu’on n’aille point opposer [à ce qui va être dit] que les « pouvoirs » spontanés pourraient être le résultat de quelque initiation reçue « en astral », si ce n’est dans des existences antérieures ; il doit être bien entendu que, quand nous parlons de l’initiation, nous entendons parler uniquement de choses sérieuses, et non point de fantasmagories d’un goût douteux. »


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CHAPITRE V : DE LA RÉGULARITÉ INITIATIQUE

Le rattachement à une organisation traditionnelle régulière, avons-nous dit, est non seulement une condition nécessaire de l’initiation, mais il est même ce qui constitue l’initiation au sens le plus strict, tel que le définit l’étymologie du mot qui la désigne, et c’est lui qui est partout représenté comme une « seconde naissance », ou comme une « régénération » ; « seconde naissance », parce qu’il ouvre à l’être un monde autre que celui où s’exerce l’activité de sa modalité corporelle, monde qui sera pour lui le champ de développement de possibilités d’un ordre supérieur ; « régénération », parce qu’il rétablit ainsi cet être dans des prérogatives qui étaient naturelles et normales aux premiers âges de l’humanité, alors que celle-ci ne s’était pas encore éloignée de la spiritualité originelle pour s’enfoncer de plus en plus dans la matérialité, comme elle devait le faire au cours des époques ultérieures, et parce qu’il doit le conduire tout d’abord, comme première étape essentielle de sa réalisation, à la restauration en lui de l’« état primordial », qui est la plénitude et la perfection de l’individualité humaine, résidant au point central unique et invariable d’où l’être pourra ensuite s’élever aux états supérieurs.

Il nous faut maintenant insister encore à cet égard sur un point capital : c’est que le rattachement dont il s’agit doit être réel et effectif, et qu’un soi-disant rattachement « idéal », tel que certains se sont plu parfois à l’envisager à notre époque, est entièrement vain et de nul effet (1).
Cela est facile à comprendre, puisqu’il s’agit proprement de la transmission d’une influence spirituelle, qui doit s’effectuer selon des lois définies ; et ces lois, pour être évidemment tout autres que celles qui régissent les forces du monde corporel, n’en sont pas moins rigoureuses, et elles présentent même avec ces dernières, en dépit des différences profondes qui les en séparent, une certaine analogie, en vertu de la continuité et de la correspondance qui existent entre tous les états ou les degrés de l’Existence universelle.  

1 Pour des exemples de ce soi-disant rattachement « idéal », par lequel certains vont jusqu’à prétendre faire revivre des formes traditionnelles entièrement disparues, voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXVI ; nous y reviendrons d’ailleurs un peu plus loin.

C’est cette analogie qui nous a permis, par exemple, de parler de « vibration » à propos du Fiat Lux par lequel est illuminé et ordonné le chaos des potentialités spirituelles, bien qu’il ne s’agisse nullement là d’une vibration d’ordre sensible comme celles qu’étudient les physiciens, pas plus que la « lumière » dont il est question ne peut être identifiée à celle qui est saisie par la faculté visuelle de l’organisme corporel (1) ; mais ces façons de parler, tout en étant nécessairement symboliques, puisqu’elles sont fondées sur une analogie ou sur une correspondance, n’en sont pas moins légitimes et strictement justifiées, car cette analogie et cette correspondance existent bien réellement dans la nature même des choses et vont même, en un certain sens, beaucoup plus loin qu’on ne pourrait le supposer (2).
Nous aurons à revenir plus amplement sur ces considérations lorsque nous parlerons des rites initiatiques et de leur efficacité ; pour le moment, il suffit d’en retenir qu’il y a là des lois dont il faut forcément tenir compte, faute de quoi le résultat visé ne pourrait pas plus être atteint qu’un effet physique ne peut être obtenu si l’on ne se place pas dans les conditions requises en vertu des lois auxquelles sa production est soumise ; et, dès lors qu’il s’agit d’une transmission à opérer effectivement, cela implique manifestement un contact réel, quelles que soient d’ailleurs les modalités par lesquelles il pourra être établi, modalités qui seront naturellement déterminées par ces lois d’action des influences spirituelles auxquelles nous venons de faire allusion.

De cette nécessité d’un rattachement effectif résultent immédiatement plusieurs conséquences extrêmement importantes, soit en ce qui concerne l’individu qui aspire à l’initiation, soit en ce qui concerne les organisations initiatiques elles-mêmes ; et ce sont ces conséquences que nous nous proposons d’examiner présentement. Nous savons qu’il en est, et beaucoup même, à qui ces considérations paraîtront fort peu plaisantes, soit parce qu’elles dérangeront l’idée trop commode et trop « simpliste » qu’ils s’étaient formée de l’initiation, soit parce qu’elles détruiront certaines prétentions injustifiées et certaines assertions plus ou moins intéressées, mais dépourvues de toute autorité ; mais ce sont là des choses auxquelles nous ne saurions nous arrêter si peu que ce soit, n’ayant et ne pouvant avoir, ici comme toujours, nul autre souci que celui de la vérité.

Tout d’abord, pour ce qui est de l’individu, il est évident, après ce qui vient d’être dit, que son intention d’être initié, même en admettant qu’elle soit vraiment pour lui l’intention de se rattacher à une tradition dont il peut avoir quelque connaissance « extérieure », ne saurait aucunement suffire par elle-même à lui assurer l’initiation réelle (3).

1 Des expressions comme celles de « Lumière intelligible » et de « Lumière spirituelle », ou d’autres expressions équivalentes à celles-là, sont d’ailleurs bien connues dans toutes les doctrines traditionnelles, tant occidentales qu’orientales ; et nous rappellerons seulement d’une façon plus particulière, à ce propos, l’assimilation, dans la tradition islamique, de l’Esprit (Er-Rûh), dans son essence même, à la Lumière (En-Nûr).
2 C’est l’incompréhension d’une telle analogie, prise à tort pour une identité, qui, jointe à la constatation d’une certaine similitude dans les modes d’action et les effets extérieurs, a amené certains à se faire une conception erronée et plus ou moins grossièrement matérialisée, non seulement des influences psychiques ou subtiles, mais des influences spirituelles elles-mêmes, les assimilant purement et simplement à des forces « physiques », au sens le plus restreint de ce mot, telles que l’électricité ou le magnétisme ; et de cette même incompréhension a pu venir aussi, au moins en partie, l’idée trop répandue de chercher à établir des rapprochements entre les connaissances traditionnelles et les points de vue de la science moderne et profane, idée absolument vaine et illusoire, puisque ce sont la des choses qui n’appartiennent pas au même domaine, et que d’ailleurs le point de vue profane en lui-même est proprement illégitime. Ŕ Cf. Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XVIII.
3 Nous entendons par là non seulement l’initiation pleinement effective, mais même la simple initiation virtuelle, suivant la distinction qu’il y a lieu de faire à cet égard et sur laquelle nous auront à revenir par la suite d’une façon plus précise.


En effet, il ne s’agit nullement d’« érudition », qui, comme tout ce qui relève du savoir profane, est ici sans aucune valeur ; et il ne s’agit pas davantage de rêve ou d’imagination, non plus que d’aspirations sentimentales quelconques. S’il suffisait, pour pouvoir se dire initié, de lire des livres, fussent-ils les Ecritures sacrées d’une tradition orthodoxe, accompagnées même, si l’on veut, de leurs commentaires les plus profondément ésotériques, ou de songer plus ou moins vaguement à quelque organisation passée ou présente à laquelle on attribue complaisamment, et d’autant plus facilement qu’elle est plus mal connue, son propre « idéal » (ce mot qu’on emploie de nos jours à tout propos, et qui, signifiant tout ce qu’on veut, ne signifie véritablement rien au fond), ce serait vraiment trop facile ; et la question préalable de la « qualification » se trouverait même par là entièrement supprimée, car chacun, étant naturellement porté à s’estimer « bien et dûment qualifié », et étant ainsi à la fois juge et partie dans sa propre cause, découvrirait assurément sans peine d’excellentes raisons (excellentes du moins à ses propres yeux et suivant les idées particulières qu’il s’est forgées) pour se considérer comme initié sans plus de formalités, et nous ne voyons même pas pourquoi il s’arrêterait en si bonne voie et hésiterait à s’attribuer d’un seul coup les degrés les plus transcendants.
Ceux qui s’imaginent qu’on « s’initie » soi-même, comme nous le disions précédemment, ont-ils jamais réfléchi à ces conséquences plutôt fâcheuses qu’implique leur affirmation ? Dans ces conditions, plus de sélection ni de contrôle, plus de « moyens de reconnaissance », au sens où nous avons déjà employé cette expression, plus de hiérarchie possible, et, bien entendu, plus de transmission de quoi que ce soit ; en un mot, plus rien de ce qui caractérise essentiellement l’initiation et de ce qui la constitue en fait ; et pourtant c’est là ce que certains, avec une étonnante inconscience, osent présenter comme une conception « modernisée » de l’initiation (bien modernisée en effet, et assurément bien digne des « idéaux » laïques, démocratiques et égalitaires), sans même se douter que, au lieu d’avoir tout au moins des initiés « virtuels », ce qui après tout est encore quelque chose, on n’aurait plus ainsi que de simples profanes qui se poseraient indûment en initiés.

Mais laissons là ces divagations, qui peuvent sembler négligeables : si nous avons cru devoir en parler quelque peu, c’est que l’incompréhension et le désordre intellectuel qui caractérisent malheureusement notre époque leur permettent de se propager avec une déplorable facilité. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que, dès lors qu’il est question d’initiation, il s’agit exclusivement de choses sérieuses et de réalités « positives », dirions-nous volontiers si les « scientistes » profanes n’avaient tant abusé de ce mot ; qu’on accepte ces choses telles qu’elles sont, ou qu’on ne parle plus du tout d’initiation ; nous ne voyons aucun moyen terme possible entre ces deux attitudes, et mieux vaudrait renoncer franchement à toute initiation que d’en donner le nom à ce qui n’en serait plus qu’une vaine parodie, sans même les apparences extérieures que cherchent du moins encore à sauvegarder certaines autres contrefaçons dont nous aurons à parler tout à l’heure.

Pour revenir à ce qui a été le point de départ de cette digression, nous dirons qu’il faut que l’individu n’ait pas seulement l’intention d’être initié, mais qu’il soit « accepté » par une organisation traditionnelle régulière, ayant qualité pour lui conférer l’initiation (1), c’est-à-dire pour lui transmettre l’influence spirituelle sans le secours de laquelle il lui serait impossible, en dépit de tous ses efforts, d’arriver jamais à s’affranchir des limitations et des entraves du monde profane. Il peut se faire que, en raison de son défaut de « qualification », son intention ne rencontre aucune réponse, si sincère qu’elle puisse être d’ailleurs, car là n’est pas la question, et en tout ceci il ne s’agit nullement de « morale », mais uniquement de règles « techniques » se référant à des lois « positives » (nous répétons ce mot faute d’en trouver un autre plus adéquat) et qui s’imposent avec une nécessité aussi inéluctable que, dans un autre ordre, les conditions physiques et mentales indispensables à l’exercice de certaines professions.
En pareil cas, il ne pourra jamais se considérer comme initié, quelles que soient les connaissances théoriques qu’il arrivera à acquérir par ailleurs ; et il est du reste à présumer que, même sous ce rapport, il n’ira jamais bien loin (nous parlons naturellement d’une compréhension véritable, quoique encore extérieure, et non pas de la simple érudition, c’est-à-dire d’une accumulation de notions faisant uniquement appel à la mémoire, ainsi que cela a lieu dans l’enseignement profane), car la connaissance théorique elle-même, pour dépasser un certain degré, suppose déjà normalement la « qualification » requise pour obtenir l’initiation qui lui permettra de se transformer, par la « réalisation » intérieure, en connaissance effective, et ainsi nul ne saurait être empêché de développer les possibilités qu’il porte vraiment en lui-même ; en définitive, ne sont écartés que ceux qui s’illusionnent sur leur propre compte, croyant pouvoir obtenir quelque chose qui, en réalité, se trouve être incompatible avec leur nature individuelle.

Passant maintenant à l’autre côté de la question, c’est-à-dire à celui qui se rapporte aux organisations initiatiques elles-mêmes, nous dirons ceci : il est trop évident qu’on ne peut transmettre que ce qu’on possède soi-même ; par conséquent, il faut nécessairement qu’une organisation soit effectivement dépositaire d’une influence spirituelle pour pouvoir la communiquer aux individus qui se rattachent à elle ; et ceci exclut immédiatement toutes les formations pseudo-initiatiques, si nombreuses à notre époque, et dépourvues de tout caractère authentiquement traditionnel. Dans ces conditions, en effet, une organisation initiatique ne saurait être le produit d’une fantaisie individuelle ; elle ne peut être fondée, à la façon d’une association profane, sur l’initiative de quelques personnes qui décident de se réunir en adoptant des formes quelconques ; et, même si ces formes ne sont pas inventées de toutes pièces, mais empruntées à des rites réellement traditionnels dont les fondateurs auraient eu quelque connaissance par « érudition », elles n’en seront pas plus valables pour cela, car, à défaut de filiation régulière, la, transmission de l’influence spirituelle est impossible et inexistante, si bien que, en pareil cas, on n’a affaire qu’à une vulgaire contrefaçon de l’initiation.

1 Par là, nous ne voulons pas dire seulement qu’il doit s’agir d’une organisation proprement initiatique, à l’exclusion de toute autre sorte d’organisation traditionnelle, ce qui est en somme trop évident, mais encore que cette organisation ne doit pas relever d’une forme traditionnelle à laquelle, dans sa partie extérieure, l’individu en question serait étranger ; il y a même des cas où ce qu’on pourrait appeler la « juridiction » d’une organisation initiatique est encore plus limité, comme celui d’une initiation basée sur un métier, et qui ne peut être conférée qu’à des individus appartenant à ce métier ou ayant tout au moins avec lui certains liens bien définis.

A plus forte raison en est-il ainsi lorsqu’il ne s’agit que de reconstitutions purement hypothétiques, pour ne pas dire imaginaires, de formes traditionnelles disparues depuis un temps plus ou moins reculé, comme celles de l’Egypte ancienne ou de la Chaldée par exemple ; et, même s’il y avait dans l’emploi de telles formes une volonté sérieuse de se rattacher à la tradition à laquelle elles ont appartenu, elles n’en seraient pas plus efficaces, car on ne peut se rattacher en réalité qu’à quelque chose qui a une existence actuelle, et encore faut-il pour cela, comme nous le disions en ce qui concerne les individus, être « accepté » par les représentants autorisés de la tradition à laquelle on se réfère, de telle sorte qu’une organisation apparemment nouvelle ne pourra être légitime que si elle est comme un prolongement d’une organisation préexistante, de façon à maintenir sans aucune interruption la continuité de la « chaîne » initiatique.

En tout ceci, nous ne faisons en somme qu’exprimer en d’autres termes et plus explicitement ce que nous avons déjà dit plus haut sur la nécessité d’un rattachement effectif et direct et la vanité d’un rattachement « idéal » ; et il ne faut pas, à cet égard, se laisser duper par les dénominations que s’attribuent certaines organisations qui n’y ont aucun droit, mais qui essaient de se donner par là une apparence d’authenticité. Ainsi, pour reprendre un exemple que nous avons déjà cité en d’autre occasions, il existe une multitude de groupements, d’origine toute récente, qui s’intitulent « Rosicruciens », sans avoir jamais eu le moindre contact avec les Rose-Croix, bien entendu, fût-ce par quelque voie indirecte et détournée, et sans même savoir ce que ceux-ci ont été en réalité, puisqu’ils se les représentent presque invariablement comme ayant constitué une « société », ce qui est une erreur grossière et encore bien spécifiquement moderne. Il ne faut voir là, le plus souvent, que le besoin de se parer d’un titre à effet ou la volonté d’en imposer aux naïfs ; mais, même si l’on envisage le cas le plus favorable, c’est-à-dire si l’on admet que la constitution de quelquesunes de ces groupements procède d’un désir sincère de se rattacher « idéalement » aux Rose-Croix, ce ne sera encore là, au point de vue initiatique, qu’un pur néant. Ce que nous disons sur cet exemple particulier s’applique d’ailleurs pareillement à toutes les organisations inventées par les occultistes et autres « néo-spiritualistes » de tout genre et de toute dénomination, organisations qui, quelles que soient leurs prétentions, ne peuvent, en toute vérité, être qualifiées que de « pseudo-initiatiques », car elles n’ont absolument rien de réel à transmettre, et ce qu’elles présentent n’est qu’une contrefaçon, voire même trop souvent une parodie ou une caricature de l’initiation (1).

1 Des investigations que nous avons dû faire à ce sujet, en un temps déjà. lointain, nous ont conduit à une conclusion formelle et indubitable que nous devons exprimer ici nettement, sans nous préoccuper des fureurs qu’elle peut risquer de susciter de divers côtés : si l’on met à. part le cas de la survivance possible de quelques rares groupements d’hermétisme chrétien du moyen âge, d’ailleurs extrêmement restreints en tout état de cause, c’est un fait que, de toutes les organisations à prétentions initiatiques qui sont répandues actuellement dans le monde occidental, il n’en est que deux qui, si déchues qu’elles soient l’une et l’autre par suite de l’ignorance et de l’incompréhension de l’immense majorité de leurs membres, peuvent revendiquer une origine traditionnelle authentique et une transmission initiatique réelle ; ces deux organisations, qui d’ailleurs, à vrai dire, n’en furent primitivement qu’une seule, bien qu’à branches multiples, sont le Compagnonnage et la Maçonnerie. Tout le reste n’est que fantaisie ou charlatanisme, même quand il ne sert pas à dissimuler quelque chose de pire ; et, dans cet ordre d’idées, il n’est pas d’invention si absurde ou si extravagante qu’elle n’ait à notre époque quelque chance de réussir et d’être prise au sérieux, depuis les rêveries occultistes sur les « initiations en astral » jusqu’au système américain, d’intentions surtout « commerciales », des prétendues « initiations par correspondance » !

Ajoutons encore, comme autre conséquence de ce qui précède, que, lors même qu’il s’agit d’une organisation authentiquement initiatique, ses membres n’ont pas le pouvoir d’en changer les formes à leur gré ou de les altérer dans ce quelles ont « d’essentiel » ; cela n’exclut pas certaines possibilités d’adaptation aux circonstances, qui d’ailleurs s’imposent aux individus bien plutôt qu’elles ne dérivent de leur volonté, mais qui, en tout cas, sont limitées par la condition de ne pas porter atteinte aux moyens par lesquels sont assurées la conservation et la transmission de l’influence spirituelle dont l’organisation considérée est dépositaire ; si cette condition n’était pas observée, il en résulterait une véritable rupture avec la tradition, qui ferait perdre à cette organisation sa « régularité ».
En outre, une organisation initiatique ne peut valablement incorporer à ses rites des éléments empruntés à des formes traditionnelles autres que celle suivant laquelle elle est régulièrement constituée (1) ; de tels éléments, dont l’adoption aurait un caractère tout artificiel, ne représenteraient que de simples fantaisies superfétatoires, sans aucune efficacité au point de vue initiatique, et qui par conséquent n’ajouteraient absolument rien de réel, mais dont la présence ne pourrait même être, en raison de leur hétérogénéité, qu’une cause de trouble et de désharmonie ; le danger de tels mélanges est du reste loin d’être limité au seul domaine initiatique, et c’est là un point assez important pour mériter d’être traité à part. Les lois qui président au maniement des influences spirituelles sont d’ailleurs chose trop complexe et trop délicate pour que ceux qui n’en ont pas une connaissance suffisante puissent se permettre impunément d’apporter des modifications plus ou moins arbitraires à des formes rituéliques où tout a sa raison d’être, et dont la portée exacte risque fort de leur échapper.

1 C’est ainsi que, assez récemment, certains ont voulu essayer d’introduire dans la Maçonnerie, qui est une forme initiatique proprement occidentale, des éléments empruntés à des doctrines orientales, dont ils n’avaient d’ailleurs qu’une connaissance tout extérieure ; on en trouvera un exemple cité dans L’Esotérisme de Dante, p. 20.

Ce qui résulte clairement de tout cela, c’est la nullité des initiatives individuelles quant à la constitution des organisations initiatiques, soit en ce qui concerne leur origine même, soit sous le rapport des formes qu’elles revêtent ; et l’on peut remarquer à ce propos que, en fait, il n’existe pas de formes rituéliques traditionnelles auxquelles on puisse assigner comme auteurs des individus déterminés. Il est facile de comprendre qu’il en soit ainsi, si l’on réfléchit que le but essentiel et final de l’initiation dépasse le domaine de l’individualité et ses possibilités particulières, ce qui serait impossible si l’on en était réduit à des moyens d’ordre purement humain ; de cette simple remarque, et sans même aller au fond des choses, on peut donc conclure immédiatement qu’il y faut la présence d’un élément « non-humain », et tel est bien en effet le caractère de l’influence spirituelle dont la transmission constitue l’initiation proprement dite.

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Message par Adju Mar 14 Jan - 22:25

Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris: ce que Guénon dit, c'est que pour qu'un individu soit "initié", il doit faire partie d'une organisation initiatique gérée par des initiés pour le guider, mais que ce n'est plus possible à notre époque (Humanité trop éloignée de la Tradition) et que le seul moyen pour un individu d'aujourd'hui d'être initié, c'est de l'être par une influence extérieure à l'humain, c'est ça ?
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Message par Ligeia Mer 15 Jan - 8:13

Edit : Un texte qui éclaire sur les possibilités initiatiques en Occident :
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Disons plutôt que ce n’est plus possible dans l’Occident moderne car il existe des possibilités ailleurs, notamment dans la tradition islamique, même si l’obtention d’un rattachement régulier est de plus en plus difficile et restreint.

Mais c’est l’organisation initiatique elle-même qui dispense, à celui qui est jugé apte, l’influence spirituelle (Baraka) et elle seule peut légitimement assurer la continuité de la chaîne de transmission.
Pour être complète, il faut préciser qu’il a existé des cas de réalisation spirituelle spontanée notamment en Inde, mais Guénon averti bien sur les restrictions à y mettre :  


  • « il n’est peut-être pas entièrement sans danger de parler de cette possibilité, parce que trop de gens peuvent avoir tendance à s’illusionner à cet égard ; il suffira qu’il survienne dans leur existence un événement quelque peu extraordinaire, ou paraissant tel à leurs propres yeux, mais d’ailleurs d’un genre quelconque, pour qu’ils l’interprètent comme un signe qu’ils ont reçu cette initiation exceptionnelle ; et les Occidentaux actuels, en particulier, ne seront que trop facilement tentés de saisir le moindre prétexte de cette sorte pour se dispenser d’un rattachement régulier ; c’est pourquoi il convient d’insister tout spécialement sur ce que, tant que celui-ci n’est pas impossible à obtenir en fait, il n’y a pas a compter qu’on puisse, en dehors de lui, recevoir une initiation quelconque. (...) mais, de toute façon, il y a nécessairement là un contact réel, ce qui n’a assurément rien de commun avec des « visions » ou des rêveries qui ne relèvent guère que de l’imagination. »


Donc oui, être initié signifie recevoir une influence spirituelle supra-individuelle (au-delà de l’être humain) mais non, cette influence, pour mener à une réalisation effective et totale, ne peut pas être dispensée hors du cadre l’une organisation initiatique.
Cela ne veut pas dire qu’on ne peut bénéficier de « grâces » mais cela n’a rien à voir avec l’initiation en tant que telle.

Pour bien se situer et faire la différence entre le domaine exotérique et l’ésotérisme, Guénon a utilisé l’image d’un fruit :


  • « L’enveloppe ou l’écorce (el-qishr) c’est la shariyâh, c'est-à-dire la loi religieuse extérieure, qui s’adresse à tous et qui est faite pour être suivie par tous (...) Le noyau (el-lobb), c’est la haqîqah, c'est-à-dire la vérité ou la réalité essentielle, qui au contraire de la shariyah, n’est pas à la portée de tous, mais est réservée à ceux qui savent la découvrir sous les apparences et l’atteindre à travers les formes extérieures qui la recouvrent, la protégeant et la dissimulant tout à la fois.
    Cet « extérieur » et cet « intérieur » sont figurés par la circonférence et son centre, ce qui peut être considéré comme la coupe même du fruit évoqué par le symbolisme précédent, en même temps que nous sommes ainsi ramené d’autre part à l’image, commune à toutes les traditions, de la « roue des choses ». (...)
    Pour passer de l’une à l’autre, donc de la circonférence au centre, il faut suivre un des rayons : c’est la tarîqah, c'est-à-dire le « sentier », la voie étroite qui n’est suivie que par un petit nombre. »


Mais je m’aperçois que j’ai commis une erreur car nous n’avons pas tous forcément déjà lu les mêmes choses. Je vais rectifier et publier les premiers chapitres du livre qui t’apporteront un éclairage sur le sujet.
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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre I : voie mystique et voie initiatique

Message par Ligeia Mer 15 Jan - 8:41

Rappels :
Le domaine religieux et par conséquent celui du mysticisme, relève de l’exotérisme (l’écorce).
Il reste cantonné aux « petits mystères » et quelque soit ce que certaines personnes veulent faire croire, il ne dépassera jamais l’individualité humaine.
Seule la voie initiatique permet de parvenir aux états supérieurs et de rejoindre le Centre (le noyau).

A lire en complément : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

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Chapitre I : VOIE INITIATIQUE ET VOIE MYSTIQUE

La confusion entre le domaine ésotérique et initiatique et le domaine mystique, ou, si l’on préfère, entre les points de vue qui leur correspondent respectivement, est une de celles que l’on commet le plus fréquemment aujourd’hui, et cela, semble-t-il, d’une façon qui n’est pas toujours entièrement désintéressée ; il y a là, du reste, une attitude assez nouvelle, ou qui du moins, dans certains milieux, s’est beaucoup généralisée en ces dernières années, et c’est pourquoi il nous paraît nécessaire de commencer par nous expliquer nettement sur ce point.

Il est maintenant de mode, si l’on peut dire, de qualifier de « mystiques » les doctrines orientales elles-mêmes, y compris celles où il n’y a pas même l’ombre d’une apparence extérieure pouvant, pour ceux qui ne vont pas plus loin, donner lieu à une telle qualification ; l’origine de cette fausse interprétation est naturellement imputable à certains orientalistes, qui peuvent d’ailleurs n’y avoir pas été amenés tout d’abord par une arrière-pensée nettement définie, mais seulement par leur incompréhension et par le parti pris plus ou moins inconscient, qui leur est habituel, de tout ramener à des points de vue occidentaux  (1).
Mais d’autres sont venus ensuite, qui se sont emparés de cette assimilation abusive, et qui, voyant le parti qu’ils pourraient en tirer pour leurs propres fins, s’efforcent d’en propager l’idée en dehors du monde spécial, et somme toute assez restreint, des orientalistes et de leur clientèle ; et ceci est plus grave, non pas seulement parce que c’est par là surtout que cette confusion se répand de plus en plus, mais aussi parce qu’il n’est pas difficile d’y apercevoir des marques non équivoques d’une tentative « annexionniste » contre laquelle il importe de se tenir sur ses gardes.

1 C’est ainsi que, spécialement depuis que l’orientaliste anglais Nicholson s’est avisé de traduire taçawwuf par mysticisme, il est convenu en Occident que l’ésotérisme islamique est quelque chose d’essentiellement « mystique » ; et même, dans ce cas, on ne parle plus du tout d’ésotérisme, mais uniquement de mysticisme, c’est-à-dire qu’on en est arrivé à une véritable substitution de points de vue. Le plus beau est que, sur des questions de cet ordre, l’opinion des orientalistes, qui ne connaissent ces choses que par les livres, compte manifestement beaucoup plus, aux yeux de l’immense majorité des Occidentaux, que l’avis de ceux qui en ont une connaissance directe et effective !

En effet, ceux auxquels nous faisons allusion ici sont ceux que l’on peut regarder comme les négateurs les plus « sérieux » de l’ésotérisme, nous voulons dire par là les exotéristes religieux qui se refusent à admettre quoi que ce soit au delà de leur propre domaine, mais qui estiment sans doute cette assimilation ou cette « annexion » plus habile qu’une négation brutale ; et, à voir de quelle manière certains d’entre eux s’appliquent à travestir en « mysticisme » les doctrines les plus nettement initiatiques, il semblerait vraiment que cette tâche revête à leurs yeux un caractère tout particulièrement urgent (1).

A vrai dire, il y aurait pourtant, dans ce même domaine religieux auquel appartient le mysticisme, quelque chose qui, à certains égards, pourrait mieux se prêter à un rapprochement, on plutôt à une apparence de rapprochement : c’est ce qu’on désigne par le terme d’« ascétique », car il y a là tout au moins une méthode « active », au lieu de l’absence de méthode et de la « passivité » qui caractérisent le mysticisme et sur lesquelles nous aurons à revenir tout à l’heure (2) ; mais il va de soi que ces similitudes sont tout extérieures, et, d’autre part, cette « ascétique » n’a peut-être que des buts trop visiblement limités pour pouvoir être avantageusement utilisée de cette façon, tandis que, avec le mysticisme, on ne sait jamais très exactement où l’on va, et ce vague même est assurément propice aux confusions.
Seulement, ceux qui se livrent à ce travail de propos délibéré, non plus que ceux qui les suivent plus ou moins inconsciemment, ne paraissent pas se douter que, dans tout ce qui se rapporte à l’initiation, il n’y a en réalité rien de vague ni de nébuleux, mais au contraire des choses très précises et très « positives » ; et, en fait, l’initiation est, par sa nature même, proprement incompatible avec le mysticisme.
Cette incompatibilité ne résulte pas, d’ailleurs, de ce qu’implique originellement le mot « mysticisme » lui-même, qui est même manifestement apparenté à l’ancienne désignation des « mystères », c’est-à-dire de quelque chose qui appartient au contraire à l’ordre initiatique ; mais ce mot est de ceux pour lesquels, loin de pouvoir s’en rapporter uniquement à l’étymologie, on est rigoureusement obligé, si l’on veut se faire comprendre, de tenir compte du sens qui leur a été imposé par l’usage, et qui est, en fait, le seul qui s’y attache actuellement.
Or chacun sait ce qu’on entend par « mysticisme », depuis bien des siècles déjà, de sorte qu’il n’est plus possible d’employer ce terme pour désigner autre chose ; et c’est cela qui, disons-nous, n’a et ne peut avoir rien de commun avec l’initiation, d’abord parce que ce mysticisme relève exclusivement du domaine religieux, c’est-à-dire exotérique, et ensuite parce que la voie mystique diffère de la voie initiatique par tous ses caractères essentiels, et que cette différence est telle qu’il en résulte entre elles une véritable incompatibilité.

Précisons d’ailleurs qu’il s’agit en cela d’une incompatibilité de fait plutôt que de principe, en ce sens qu’il ne s’agit aucunement pour nous de nier la valeur au moins relative du mysticisme, ni de lui contester la place qui peut légitimement lui appartenir dans certaines formes traditionnelles ; la voie initiatique et la voie mystique peuvent donc parfaitement coexister (3), mais ce que nous voulons dire, c’est qu’il est impossible que quelqu’un suive à la fois l’une et l’autre, et cela même sans rien préjuger du but auquel elles peuvent conduire, bien que du reste on puisse déjà pressentir, en raison de la différence profonde des domaines auxquels elles se rapportent, que ce but ne saurait être le même en réalité.

1 D’autres s’efforcent aussi de travestir les doctrines orientales en « philosophie », mais cette fausse assimilation est peut-être, au fond, moins dangereuse que l’autre, en raison de l’étroite limitation du point de vue philosophique lui-même ; ceux-là ne réussissent d’ailleurs guère, par la façon spéciale dont ils présentent ces doctrines, qu’à en faire quelque chose de totalement dépourvu d’intérêt, et ce qui se dégage de leurs travaux est surtout une prodigieuse impression d’« ennui » !
2 Nous pouvons citer, comme exemple d’« ascétique », les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, dont l’esprit est incontestablement aussi peu mystique que possible, et pour lesquels il est au moins vraisemblable qu’il s’est inspiré en partie de certaines méthodes initiatiques, d’origine islamique, mais, bien entendu, en les appliquant à un but entièrement différent.
3 Il Pourrait être intéressant, à cet égard, de faire une comparaison avec la « voie sèche » et la « voie humide » des alchimistes, mais ceci sortirait du cadre de la présente étude.


Nous avons dit que la confusion qui fait voir à certains du mysticisme là où il n’y en a pas la moindre trace a son point de départ dans la tendance à tout réduire aux points de vue occidentaux ; c’est que, en effet, le mysticisme proprement dit est quelque chose d’exclusivement occidental et, au fond, de spécifiquement chrétien.

A ce propos, nous avons eu l’occasion de faire une remarque qui nous paraît assez curieuse pour que nous la notions ici : dans un livre dont nous avons déjà parlé ailleurs (1), le philosophe Bergson, opposant ce qu’il appelle la « religion statique » et la « religion dynamique », voit la plus haute expression de cette dernière dans le mysticisme, que d’ailleurs il ne comprend guère, et qu’il admire surtout pour ce que nous pourrions y trouver au contraire de vague et même de défectueux sous certains rapports ; mais ce qui peut sembler vraiment étrange de la part d’un « non-chrétien », c’est que, pour lui, le « mysticisme complet », quelque peu satisfaisante que soit l’idée qu’il s’en fait, n’en est pas moins celui des mystiques chrétiens.
A la vérité, par une conséquence nécessaire du peu d’estime qu’il éprouve pour la « religion statique », il oublie un peu trop que ceux-ci sont chrétiens avant même d’être mystiques, ou du moins, pour les justifier d’être chrétiens, il pose indûment le mysticisme à l’origine même du Christianisme ; et, pour établir à cet égard une sorte de continuité entre celui-ci et le judaïsme, il en arrive à transformer en « mystiques » les prophètes juifs ; évidemment, du caractère de la mission des prophètes et de la nature de leur inspiration, il n’a pas la moindre idée (2).

Quoi qu’il en soit, si le mysticisme chrétien, si déformée ou amoindrie qu’en soit sa conception, est ainsi à ses yeux le type même du mysticisme, la raison en est, au fond, bien facile à comprendre : c’est que, en fait et à parler strictement, il n’existe guère de mysticisme autre que celui-là ; et même les mystiques qu’on appelle « indépendants », et que nous dirions plus volontiers « aberrants », ne s’inspirent en réalité, fût-ce à leur insu, que d’idées chrétiennes dénaturées et plus ou moins entièrement vidées de leur contenu originel.
Mais cela aussi, comme tant d’autres choses, échappe à notre philosophe, qui s’efforce de découvrir, antérieurement au Christianisme, des « esquisses du mysticisme futur », alors qu’il s’agit de choses totalement différentes ; il y a là, notamment, sur l’Inde, quelques pages qui témoignent d’une incompréhension inouïe. Il y a aussi les mystères grecs, et ici le rapprochement, fondé sur la parenté étymologique que nous signalions plus haut, se réduit en somme à un bien mauvais jeu de mots ; du reste, Bergson est forcé d’avouer lui-même que « la plupart des mystères n’eurent rien de mystique » ; mais alors pourquoi en parle-t’il sous ce vocable ?

1 Les deux sources de la morale et de la religion. Ŕ Voir à ce sujet Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXIII.
2 En fait, on ne peut trouver de mysticisme judaïque proprement dit que dans le Hassidisme, c’est-à-dira à une époque très récente.


Quant à ce que furent ces mystères, il s’en fait la représentation la plus « profane » qui puisse être ; ignorant tout de l’initiation, comment pourrait-il comprendre qu’il y eut là, aussi bien que dans l’Inde, quelque chose qui d’abord n’était nullement d’ordre religieux, et qui ensuite allait incomparablement plus loin que son « mysticisme », et même, il faut bien le dire, que le mysticisme authentique, qui, par là même qu’il se tient dans le domaine purement exotérique, a forcément aussi ses limitations (1) ?

Nous ne nous proposons point présentement d’exposer en détail et d’une façon complète toutes les différences qui séparent en réalité les deux points de vue initiatique et mystique, car cela seul demanderait tout un volume ; notre intention est surtout d’insister ici sur la différence en vertu de laquelle l’initiation, dans son processus même, présente des caractères tout autres que ceux du mysticisme, voire même opposés, ce qui suffit à montrer qu’il y a bien là deux « voies » non seulement distinctes, mais incompatibles dans le sens que nous avons déjà précisé.

Ce qu’on dit le plus souvent à cet égard, c’est que le mysticisme est « passif », tandis que l’initiation est « active » ; cela est d’ailleurs très vrai, à la condition de bien déterminer l’acception dans laquelle on doit l’entendre, exactement.
Cela signifie surtout que, dans le cas du mysticisme, l’individu se borne à recevoir simplement ce qui se présente à lui, et tel qu’il se présente, sans que lui-même y soit pour rien ; et, disons-le tout de suite, c’est en cela que réside pour lui le danger principal, du fait qu’il est ainsi « ouvert » à toutes les influences, de quelque ordre qu’elles soient, et qu’au surplus, en général et sauf de rares exceptions, il n’a pas la préparation doctrinale qui serait nécessaire pour lui permettre d’établir entre elles une discrimination quelconque (2).

Dans le cas de l’initiation, au contraire, c’est à l’individu qu’appartient l’initiative d’une « réalisation » qui se poursuivra méthodiquement, sous un contrôle rigoureux et incessant, et qui devra normalement aboutir à dépasser les possibilités mêmes de l’individu comme tel ; il est indispensable d’ajouter que cette initiative ne suffit pas, car il est bien évident que l’individu ne saurait se dépasser lui-même par ses propres moyens, mais, et c’est là ce qui nous importe pour le moment, c’est elle qui constitue obligatoirement le point de départ de toute « réalisation » pour l’initié, tandis que le mystique n’en a aucune, même pour des choses qui ne vont nullement au delà du domaine des possibilités individuelles.
Cette distinction peut déjà paraître assez nette, puisqu’elle montre bien qu’on ne saurait suivre à la fois les deux voies initiatique et mystique, mais elle ne saurait cependant suffire ; nous pourrions même dire qu’elle ne répond encore qu’à l’aspect le plus « exotérique » de la question, et, en tout cas, elle est par trop incomplète en ce qui concerne l’initiation, dont elle est fort loin d’inclure toutes les conditions nécessaires ; mais, avant d’aborder l’étude de ces conditions, il nous reste encore quelques confusions à dissiper.

1 M. Alfred Loisy a voulu répondre à Bergson et soutenir contre lui qu’il n’y a qu’une seule « source » de la morale et de la religion ; en sa qualité de spécialiste de l’« histoire des religions », il préfère les théories de Frazer à celles de Durkheim, et aussi l’idée d’une « évolution » continue à celle d’une « évolution » par mutations brusques ; à nos yeux, tout cela se vaut exactement ; mais il est du moins un point sur lequel nous devons lui donner raison, et il le doit assurément à son éducation ecclésiastique : grâce à celle-ci il connaît les mystiques beaucoup mieux que Bergson, et il fait remarquer qu’ils n’ont jamais eu le moindre soupçon de quelque chose qui ressemble si peu que ce soit à l’« élan vital » ; évidemment, Bergson a voulu en faire des « bergsoniens » avant la lettre, ce qui n’est guère conforme à. la simple vérité historique ; et M. Loisy s’étonne aussi à juste titre de voir Jeanne d’Arc rangée parmi les mystiques. Ŕ Signalons en passant, car cela encore est bon à enregistrer, que son livre s’ouvre par un aveu bien amusant : « L’auteur du présent opuscule, déclare-t-il, ne se connait pas d’inclination particulière pour les questions d’ordre purement spéculatif ». Voilà du moins une assez louable franchise ; et puisque c’est lui-même qui le dit, et de façon toute spontanée, nous l’en croyons bien volontiers sur parole!
2 C’est aussi ce caractère de « passivité » qui explique, s’il ne les justifie nullement, les erreurs modernes qui tendent à confondre les mystiques, soit avec les médiums et autres « sensitifs », au sens que les « psychistes » donnent à ce mot, soit même avec de simples malades.



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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre II : Magie et mysticisme

Message par Ligeia Lun 20 Jan - 9:19

Rappel :

Toutes les rêveries du monde ne mèneront jamais à la Délivrance qui ne peut être envisageable que dans le cadre d'une organisation traditionnelle. Il s’agit encore et toujours de bien distinguer ce qui relève du psychisme, du mysticisme, ou véritablement de la connaissance par l’initiation.

On ne peut pas s’associer impunément aux Prophètes et aux Maîtres. C’est faire preuve d’un irrespect total et démontrer par là sa propre incompréhension (en supposant que cela ne relève pas d’une volonté délibérée d’induire en erreur).

Les états psychiques n’ont rien de « supérieurs » et restent de l’ordre individuel : la voie mystique aussi légitime soit-elle à son niveau, ne peut pas non plus conduire aux états supra-individuels et ne pourra mener dans le meilleur des cas (ce qui est non négligeable) qu’au salut.  C’est une voie exclusivement occidentale et même spécifiquement chrétienne. Elle concerne le domaine religieux, c’est-à-dire l’exotérisme.

Il est étrange de noter la persistance de cette confusion chez ceux là même qui prétendent partager les enseignements des Maîtres tels Guénon et Ibn Arabî par exemple (si souvent rabaissé à un simple mystique) !
Incompétence ou volonté délibérée de semer la confusion sur leurs propres « capacités », toujours est-il que cela reste inadmissible.
L’ésotérisme n’est pas à la portée de tout le monde : mais si quelqu’un se révélait incapable de le concevoir, mieux vaut donc s’abstenir d’en parler plutôt que de risquer de le « contrefaire ». Il n’y a aucune humiliation à reconnaître ses limites.

Les états mystiques comme l’extase, ne sont que passagers et une fois terminés, l’être retrouve simplement sa condition humaine terrestre. Jamais il ne peut y être question de Connaissance pure et de fusion avec le Principe :

  • « Il s’agit alors, dans le langage du taçawwuf islamique, d’un hâl ou état transitoire qui n’a pas pu être fixé et transformé en maqâm, c’est-à- dire en « station » permanente, acquise une fois pour toutes, quel que soit d’ailleurs le degré de réalisation auquel elle correspond. »

Faire un rapprochement avec la réalisation atteinte par les Prophètes et les véritables initiés, cela dépasse l’entendement.

C’est ce type d’incompréhension qui peut aboutir à une déviation réelle par inversion des rapports légitimes.
Car en s’illusionnant de la sorte, l’être favorisera la prise de contact non pas avec le supérieur et les influences spirituelles « mais tout simplement avec la "lumière astrale", nous dirions plutôt avec le monde des "influences errantes", c’est-à-dire en somme avec la partie la plus inférieure du domaine subtil (...) au lieu de s’appliquer à quelque chose d’ordre purement intellectuel et à l’acquisition d’une connaissance supérieure, comme il le devrait normalement s’il était pris en un sens initiatique légitime, il ne se rapporte qu’à des phénomènes de "clairvoyance" ou à d’autres "pouvoirs" de même catégorie, fort peu intéressants en eux-mêmes, et d’ailleurs surtout négatifs dans ce cas, car il paraît qu’ils servent finalement à rendre celui qui en est affligé accessible aux suggestions émanant de prétendus « Maîtres » inconnus, lesquels, en l’occurrence, ne sont que de sinistres "magiciens noirs". »


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Guénon - MAGIE ET MYSTICISME



La confusion de l’initiation avec le mysticisme est surtout le fait de ceux qui veulent, pour des raisons quelconques, nier plus ou moins expressément la réalité de l’initiation elle-même en la réduisant à quelque chose d’autre ; d’un autre côté, dans les milieux qui ont au contraire des prétentions initiatiques injustifiées, comme les milieux occultistes, on a la tendance à regarder comme faisant partie intégrante du domaine de l’initiation, sinon même comme la constituant essentiellement, une foule de choses d’un autre genre qui, elles aussi, lui sont tout à fait étrangères, et parmi lesquelles la magie occupe le plus souvent la première place.

Les raisons de cette méprise sont aussi, en même temps, les raisons pour lesquelles la magie présente des dangers spécialement graves pour les Occidentaux modernes, et dont la première est leur tendance à attribuer une importance excessive à tout ce qui est « phénomènes », comme en témoigne par ailleurs le développement qu’ils ont donné aux sciences expérimentales ; s’ils sont si facilement séduits par la magie, et si alors ils s’illusionnent à tel point sur sa portée réelle, c’est qu’elle est bien, elle aussi, une science expérimentale, quoique assez différente, assurément, de celles que l’enseignement universitaire connaît sous cette dénomination.
Il ne faut donc pas s’y tromper : il s’agit là d’un ordre de choses qui n’a en lui-même absolument rien de « transcendant » ; et, si une telle science peut, comme toute autre, être légitimée par son rattachement aux principes supérieurs dont tout dépend, suivant la conception générale des sciences traditionnelles, elle ne se placera pourtant alors qu’au dernier rang des applications secondaires et contingentes, parmi celles qui sont le plus éloignées des principes, donc qui doivent être regardées comme les plus inférieures de toutes.

C’est ainsi que la magie est considérée dans toutes les civilisations orientales : qu’elle y existe, c’est un fait qu’il n’y a pas lieu de contester, mais elle est fort loin d’y être tenue en honneur comme se l’imaginent trop souvent les Occidentaux, qui prêtent si volontiers aux autres leurs propres tendances et leurs propres conceptions.
Au Thibet même aussi bien que dans l’Inde ou en Chine, la pratique de la magie, en tant que « spécialité », si l’on peut dire, est abandonnée à ceux qui sont incapables de s’élever à un ordre supérieur ; ceci, bien entendu, ne veut pas dire que d’autres ne puissent aussi produire parfois, exceptionnellement et pour des raisons particulières, des phénomènes extérieurement semblables aux phénomènes magiques, mais le but et même les moyens mis en œuvre sont alors tout autres en réalité.
Du reste, pour s’en tenir à ce qui est connu dans le monde occidental lui-même, que l’on prenne simplement des histoires de saints et de sorciers, et que l’on voie combien de faits similaires se trouvent de part et d’autre ; et cela montre bien que, contrairement à la croyance des modernes « scientistes », les phénomènes, quels qu’ils soient, ne sauraient absolument rien prouver par eux-mêmes (1).

Maintenant, il est évident que le fait de s’illusionner sur la valeur de ces choses et sur l’importance qu’il convient de leur attribuer en augmente considérablement le danger ; ce qui est particulièrement fâcheux pour les Occidentaux qui veulent se mêler de « faire de la magie », c’est l’ignorance complète où ils sont nécessairement, dans l’état actuel des choses et en l’absence de tout enseignement traditionnel, de ce à quoi ils ont affaire en pareil cas.
Même en laissant de côté les bateleurs et les charlatans si nombreux à notre époque, qui ne font en somme rien de plus que d’exploiter la crédulité des naïfs, et aussi les simples fantaisistes qui croient pouvoir improviser une « science » de leur façon, ceux mêmes qui veulent sérieusement essayer d’étudier ces phénomènes, n’ayant pas de données suffisantes pour les guider, ni d’organisation constituée pour les appuyer et les protéger, en sont réduits à un fort grossier empirisme ; ils agissent véritablement comme des enfants qui, livrés à eux-mêmes, voudraient manier des forces redoutables sans en rien connaître, et, si de déplorables accidents résultent trop souvent d’une pareille imprudence, il n’y a certes pas lieu de s’en étonner outre mesure.

En parlant ici d’accidents, nous voulons surtout faire allusion aux risques de déséquilibre auxquels s’exposent ceux qui agissent ainsi ; ce déséquilibre est en effet une conséquence trop fréquente de la communication avec ce que certains ont appelé le « plan vital », et qui n’est en somme pas autre chose que le domaine de la manifestation subtile, envisagé d’ailleurs surtout dans celles de ses modalités qui sont les plus proches de l’ordre corporel, et par là même les plus facilement accessibles à l’homme ordinaire.
L’explication en est simple : il s’agit là exclusivement d’un développement de certaines possibilités individuelles, et même d’un ordre assez inférieur ; si ce développement se produit d’une façon anormale, désordonnée et inharmonique, et au détriment de possibilités supérieures, il est naturel et en quelque sorte inévitable qu’il doive aboutir à un tel résultat, sans même parler des réactions, qui ne sont pas négligeables non plus et qui sont même parfois terribles, des forces de tout genre avec lesquelles l’individu se met inconsidérément en contact.

Nous disons « forces », sans chercher à préciser davantage, car cela importe peu pour ce que nous nous proposons ; nous préférons ici ce mot, si vague qu’il soit, à celui d’« entités », qui, du moins pour ceux qui ne sont pas suffisamment habitués à certaines façons symboliques de parler, risque de donner lieu trop facilement à des « personnifications » plus ou moins fantaisistes. Ce « monde intermédiaire » est d’ailleurs, comme nous l’avons souvent expliqué, beaucoup plus complexe et plus étendu que le monde corporel ; mais l’étude de l’un et de l’autre rentre, au même titre, dans ce qu’on peut appeler les « sciences naturelles », au sens le plus vrai de cette expression ; vouloir y voir quelque chose de plus, c’est, nous le répétons, s’illusionner de la plus étrange façon.
Il n’y a là absolument rien d’« initiatique », non plus d’ailleurs que de « religieux » ; il s’y rencontre même, d’une façon générale, beaucoup plus d’obstacles que d’appuis pour parvenir à la connaissance véritablement transcendante, qui est tout autre chose que ces sciences contingentes, et qui, sans aucune trace d’un « phénoménisme » quelconque, ne relève que de la pure intuition intellectuelle, qui seule est aussi la pure spiritualité.

1 Cf. Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXIX

Certains, après s’être livrés plus ou moins longtemps à cette recherche des phénomènes extraordinaires ou supposés tels, finissent cependant par s’en lasser, pour une raison quelconque, ou par être déçus par l’insignifiance des résultats qu’ils obtiennent et qui ne répondent pas à leur attente, et, chose assez digne de remarque, il arrive souvent que ceux-là se tournent alors vers le mysticisme (1) ; c’est que, si étonnant que cela puisse sembler à première vue, celui-ci répond encore, quoique sous une autre forme, à des besoins ou à, des aspirations similaires.
Assurément, nous sommes bien loin de contester que le mysticisme ait, en lui-même, un caractère notablement plus élevé que la magie ; mais, malgré tout, si l’on va au fond des choses, on peut se rendre compte que, sous un certain rapport tout au moins, la différence est moins grande qu’on ne pourrait le croire : là encore, en effet, il ne s’agit en somme que de « phénomènes », visions ou autres, manifestations sensibles et sentimentales de tout genre, avec lesquelles on demeure toujours exclusivement dans le domaine des possibilités individuelles (2).

C’est dire que les dangers d’illusion et de déséquilibre sont loin d’être dépassés, et, s’ils revêtent ici des formes assez différentes, ils n’en sont peut-être pas moins grands pour cela ; ils sont même aggravés, en un sens, par l’attitude passive du mystique, qui, comme nous le disions plus haut, laisse la porte ouverte à toutes les influences qui peuvent se présenter, tandis que le magicien est tout au moins défendu jusqu’à un certain point par l’attitude active qu’il s’efforce de conserver à l’égard de ces mêmes influences, ce qui ne veut certes pas dire, d’ailleurs, qu’il y réussisse toujours et qu’il ne finisse pas trop souvent par être submergé par elles.
De là vient aussi, d’autre part, que le mystique, presque toujours, est trop facilement dupe de son imagination, dont les productions, sans qu’il s’en doute, viennent souvent se mêler aux résultats réels de ses « expériences » d’une façon à peu près inextricable.

Pour cette raison, il ne faut pas s’exagérer l’importance des « révélations » des mystiques, ou, du moins, on ne peut jamais les accepter sans contrôle (3) ; ce qui fait tout l’intérêt de certaines visions, c’est qu’elles sont en accord, sur de nombreux points, avec des données traditionnelles évidemment ignorées du mystique qui a eu ces visions (4) ; mais ce serait une erreur, et même un renversement des rapports normaux, que de vouloir trouver là une « confirmation » de ces données, qui n’en ont d’ailleurs nullement besoin, et qui sont, au contraire, la seule garantie qu’il y a réellement dans les visions en question autre chose qu’un simple produit de l’imagination ou de la fantaisie individuelle.

1 Il faut dire qu’il est aussi arrivé parfois que d’autres, après être entrés réellement dans la voie initiatique, et non pas seulement dans les illusions de la pseudo-initiation comme ceux dont nous parlons ici, ont abandonné cette voie pour le mysticisme ; les motifs sont naturellement alors assez différents, et principalement d’ordre sentimental, mais, quels qu’ils puissent être, il faut surtout voir, dans de pareils cas, la conséquence d’un défaut quelconque sous le rapport des qualifications initiatiques, du moins en ce qui concerne l’aptitude à réaliser l’initiation effective ; un des exemples les plus typiques qu’on puisse citer en ce genre est celui de L.-Cl. de Saint-Martin.
2 Cette attitude de réserve prudente, qui s’impose en raison de la tendance naturelle des mystiques à la « divagation » au sens propre de ce mot, est d’ailleurs celle que le Catholicisme observe invariablement à leur égard.
3 Bien entendu, cela ne veut nullement dire que les phénomènes dont il s’agit soient uniquement d’ordre psychologique comme le prétendent certains modernes.
4 On peut citer ici comme exemple les visions d’Anne-Catherine Emmerich.


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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre III : Erreurs diverses concernant l'initiation

Message par Ligeia Ven 7 Fév - 7:50

La véritable initiation ne se passe pas "en rêve", comme certains le laissent entendre et tous les rêves du monde ne remplaceront jamais l'initiation effective. Quant à la Délivrance, il faut être singulièrement égaré pour songer à l'atteindre par ce type de "méthodes".

Il s’agit encore et toujours de bien distinguer ce qui relève du psychisme, du mysticisme, ou au contraire, de la Connaissance véritable et immédiate pouvant être délivrée par l’initiation.
Il est étrange de noter la persistance de cette confusion chez ceux là même qui prétendent partager les enseignements des Maîtres. Incompétence ou volonté délibérée de tromper sur leurs propres « capacités », toujours est-il que cela reste inadmissible.

L’ésotérisme n’est pas à la portée de tout le monde ; si quelqu’un se révèle incapable de le comprendre, mieux vaut donc s’abstenir d’en parler au risque de le « contrefaire ». Il n’y a aucune humiliation en cela et au contraire, il est toujours préférable d'avoir conscience de ses limites.

Les états mystiques comme l’extase, ne sont que passagers et une fois "terminés", l’être retrouve simplement sa condition humaine terrestre. Jamais il ne peut y être question de Connaissance pure et de fusion avec le Principe :


  • « Il s’agit alors, dans le langage du taçawwuf islamique, d’un hâl ou état transitoire qui n’a pas pu être fixé et transformé en maqâm, c’est-à- dire en « station » permanente, acquise une fois pour toutes, quel que soit d’ailleurs le degré de réalisation auquel elle correspond. »

Faire un rapprochement avec la réalisation atteinte par les Prophètes et les véritables initiés cela dépasse l’entendement mais cela illustre l'incompétence de ceux qui y prétendent.
C’est ce type d’incompréhension qui peut aboutir à une déviation réelle par inversion des rapports légitimes rejoignant en cela le satanisme.

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Chapitre III : Erreurs diverses concernant l'initiation


Nous ne croyons pas superflu, pour déblayer le terrain en quelque sorte, de signaler encore dès maintenant quelques autres erreurs concernant la nature et le but de l’initiation, car tout ce que nous avons eu l’occasion de lire sur ce sujet, pendant bien des années, nous a apporté presque journellement des preuves d’une incompréhension à peu près générale.
Naturellement, nous ne pouvons songer à faire ici une sorte de « revue » dans laquelle nous relèverions toutes ces erreurs une à une et dans le détail, ce qui serait par trop fastidieux et dépourvu d’intérêt ; mieux vaut nous borner à considérer certains cas en quelque sorte « typiques », ce qui, en même temps, a l’avantage de nous dispenser de faire des allusions trop directes à tel auteur ou à telle école, puisqu’il doit être bien entendu que ces remarques ont pour nous une portée tout à fait indépendante de toute question de « personnalités », comme on dit communément, ou plutôt, pour parler un langage plus exact, d’individualités.

Nous rappellerons d’abord, sans y insister outre mesure, les conceptions beaucoup trop répandues suivant lesquelles l’initiation serait quelque chose d’ordre simplement « moral » et « social » (1) ; celles-là sont par trop bornées et « terrestres », si l’on peut s’exprimer ainsi, et, comme nous l’avons dit souvent à d’autres propos, l’erreur la plus grossière est loin d’être toujours la plus dangereuse. Nous dirons seulement, pour couper court à toute confusion, que de telles conceptions ne s’appliquent même pas réellement à cette première partie de l’initiation que l’antiquité désignait sous le nom de « petits mystères » ; ceux-ci, ainsi que nous l’expliquerons plus loin, concernent bien l’individualité humaine, mais dans le développement intégral de ses possibilités, donc au delà de la modalité corporelle dont l’activité s’exerce dans le domaine qui est commun à tous les hommes. Nous ne voyons vraiment pas quelle pourrait être la valeur ou même la raison d’être d’une prétendue initiation qui se bornerait à répéter, en le déguisant sous une forme plus ou moins énigmatique, ce qu’il y a de plus banal dans l’éducation profane, ce qui est le plus vulgairement « à la portée de tout le monde ».

1 Ce point de vue est notamment celui de la majorité des Maçons actuels, et, en même temps, c’est aussi sur le même terrain exclusivement « social » que se placent la plupart de ceux qui les combattent, ce qui prouve bien encore que les organisations initiatiques ne donnent prise aux attaques du dehors que dans la mesure même de leur dégénérescence.

D’ailleurs, nous n’entendons nullement nier par là que la connaissance initiatique puisse avoir des applications dans l’ordre social, aussi bien que dans n’importe quel autre ordre ; mais c’est là une tout autre question : d’abord, ces applications contingentes ne constituent aucunement le but de l’initiation, pas plus que les sciences traditionnelles secondaires ne constituent l’essence d’une tradition ; ensuite, elles ont en elles-mêmes un caractère tout différent de ce dont nous venons de parler, car elles partent de principes qui n’ont rien à voir avec des préceptes de « morale » courante, surtout lorsqu’il s’agit de la trop fameuse « morale laïque » chère à tant de nos contemporains, et, au surplus, elles procèdent par des voies insaisissables aux profanes, en vertu de la nature même des choses ; c’est donc assez loin de ce que quelqu’un appelait un jour, en propres termes, « la préoccupation de vivre convenablement ».
Tant qu’on se bornera à « moraliser » sur les symboles, avec des intentions aussi louables qu’on le voudra, on ne fera certes pas œuvre d’initiation ; mais nous reviendrons là-dessus plus loin, quand nous aurons à parler plus particulièrement de l’enseignement initiatique.

Des erreurs plus subtiles, et par suite plus redoutables, se produisent parfois lorsqu’on parle, à propos de l’initiation, d’une « communication » avec des états supérieurs ou des « mondes spirituels » ; et, avant tout, il y a là trop souvent l’illusion qui consiste à prendre pour « supérieur » ce qui ne l’est pas véritablement, simplement parce qu’il apparaît comme plus ou moins extraordinaire ou « anormal ». Il nous faudrait en somme répéter ici tout ce que nous avons déjà dit ailleurs de la confusion du psychique et du spirituel (1), car c’est celle-là qui est le plus fréquemment commise à cet égard ; les états psychiques n’ont, en fait, rien de « supérieur » ni de « transcendant », puisqu’ils font uniquement partie de l’état individuel humain (2) ; et, quand nous parlons d’états supérieurs de l’être, sans aucun abus de langage, nous entendons par là exclusivement les états supra-individuels.

Certains vont même encore plus loin dans la confusion et font « spirituel » à peu près synonyme d’« invisible », c’est-à-dire qu’ils prennent pour tel, indistinctement, tout ce qui ne tombe pas sous les sens ordinaires et « normaux » ; nous avons vu qualifier ainsi jusqu’au monde « éthérique », c’est-à-dire, tout simplement, la partie la moins grossière du monde corporel !
Dans ces conditions, il est fort à craindre que la « communication » dont il s’agit ne se réduise en définitive à la « clairvoyance », à la « clair-audience », ou à l’exercice de quelque autre faculté psychique du même genre et non moins insignifiante, même quand elle est réelle. C’est bien là ce qui arrive toujours en fait, et, au fond, toutes les écoles pseudo-initiatiques de l’Occident moderne en sont plus ou moins là ; certaines se donnent même expressément pour but « le développement des pouvoirs psychiques latents dans l’homme » ; nous aurons encore à revenir, par la suite, sur cette question des prétendus « pouvoirs psychiques » et des illusions auxquelles ils donnent lieu.

1 Voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXV.
2 Suivant la représentation géométrique que nous avons exposée dans Le Symbolisme de la Croix, ces modalités d’un même état sont de simples extensions se développant dans le sens horizontal, c’est-à-dire à un même niveau, et non pas dans le sens vertical suivant lequel se marque la hiérarchie des états supérieurs et inférieurs de l’être.


Mais ce n’est pas tout : admettons que, dans la pensée de certains, il s’agisse vraiment d’une communication avec les états supérieurs ; cela sera encore bien loin de suffire à caractériser l’initiation. En effet, une telle communication est établie aussi par des rites d’ordre purement exotérique, notamment par les rites religieux ; il ne faut pas oublier que, dans ce cas également, des influences spirituelles, et non plus simplement psychiques, entrent réellement en jeu, bien que pour des fins toutes différentes de celles qui se rapportent au domaine initiatique.
L’intervention d’un élément « non-humain » peut définir, d’une façon générale, tout ce qui est authentiquement traditionnel ; mais la présence de ce caractère commun n’est pas une raison suffisante pour ne pas faire ensuite les distinctions nécessaires, et en particulier pour confondre le domaine religieux et le domaine initiatique, ou pour voir entre eux tout au plus une simple différence de degré, alors qu’il y a réellement une différence de nature, et même, pouvons-nous dire, de nature profonde.
Cette confusion est très fréquente aussi, surtout chez ceux qui prétendent étudier l’initiation « du dehors », avec des intentions qui peuvent être d’ailleurs fort diverses ; aussi est-il indispensable de la dénoncer formellement : l’ésotérisme est essentiellement autre chose que la religion, et non pas la partie « intérieure » d’une religion comme telle, même quand il prend sa base et son point d’appui dans celle-ci comme il arrive dans certaines formes traditionnelles, dans l’Islamisme par exemple (1) ; et l’initiation n’est pas non plus une sorte de religion spéciale réservée à une minorité, comme semblent se l’imaginer, par exemple, ceux qui parlent des mystères antiques en les qualifiant de « religieux » (2).

Il ne nous est pas possible de développer ici toutes les différences qui séparent les deux domaines religieux et initiatique, car, plus encore que lorsqu’il s’agissait seulement du domaine mystique qui n’est qu’une partie du premier, cela nous entraînerait assurément fort loin ; mais il suffira, pour ce que nous envisageons présentement, de préciser que la religion considère l’être uniquement dans l’état individuel humain et ne vise aucunement à l’en faire sortir, mais au contraire à lui assurer les conditions les plus favorables dans cet état même (3) , tandis que l’initiation a essentiellement pour but de dépasser les possibilités de cet état et de rendre effectivement possible le passage aux états supérieurs, et même, finalement, de conduire l’être au delà de tout état conditionné quel qu’il soit.
Il résulte de là que, en ce qui concerne l’initiation, la simple communication avec les états supérieurs ne peut pas être regardée comme une fin, mais seulement comme un point de départ : si cette communication doit être établie tout d’abord par l’action d’une influence spirituelle, c’est pour permettre ensuite une prise de possession effective de ces états, et non pas simplement, comme dans l’ordre religieux, pour faire descendre sur l’être une « grâce » qui l’y relie d’une certaine façon, mais sans l’y faire pénétrer.

1 C’est pour bien marquer ceci et éviter toute équivoque qu’il convient de dire « ésotérisme islamique » ou « ésotérisme chrétien », et non pas, comme le font certains, « Islamisme ésotérique » ou « Christianisme ésotérique » ; il est facile de comprendre qu’il y a là plus qu’une simple nuance.
2 On sait que l’expression « religion de mystères » est une de celles qui reviennent constamment dans la terminologie spéciale adoptée par les « historiens des religions ».
3 Bien entendu, il s’agit ici de l’état humain envisagé dans son intégralité, y compris l’extension indéfinie de ses prolongements extra-corporels.


Pour exprimer la chose d’une manière qui sera peut-être plus aisément compréhensible, nous dirons que, si par exemple quelqu’un peut entrer en rapport avec les anges, sans cesser pour cela d’être lui-même enfermé dans sa condition d’individu humain, il n’en sera pas plus avancé au point de vue initiatique (1) ; il ne s’agit pas ici de communiquer avec d’autres êtres qui sont dans un état « angélique », mais d’atteindre et de réaliser soi-même un tel état supra-individuel, non pas, bien entendu, en tant qu’individu humain, ce qui serait évidemment absurde, mais en tant que l’être qui se manifeste comme individu humain dans un certain état a aussi en lui les possibilités de tous les autres états.
Toute réalisation initiatique est donc essentiellement et purement « intérieure », au contraire de cette « sortie de soi » qui constitue l’« extase » au sens propre et étymologique de ce mot (2) ; et là est, non pas certes la seule différence, mais du moins une des grandes différences qui existent entre les états mystiques, lesquels appartiennent entièrement au domaine religieux, et les états initiatiques.

C’est là, en effet, qu’il faut toujours en revenir en définitive, car la confusion du point de vue initiatique avec le point de vue mystique, dont nous avons tenu à souligner dès le début le caractère particulièrement insidieux, est de nature à tromper des esprits qui ne se laisseraient point prendre aux déformations plus grossières des pseudo-initiations modernes, et qui même pourraient peut-être arriver sans trop de difficulté à comprendre ce qu’est vraiment l’initiation, s’ils ne rencontraient sur leur route ces erreurs subtiles qui semblent bien y être mises tout exprès pour les détourner d’une telle compréhension.

1 On peut voir par là combien s’illusionnent ceux qui, par exemple, veulent attribuer une valeur proprement initiatique à des écrits comme ceux de Swedenborg.
2 Il va sans dire, d’ailleurs, que cette « sortie de soi » n’a elle-même absolument rien de commun avec la prétendue « sortie en astral » qui joue un si grand rôle dans les rêveries occultistes.



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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre IV : Des conditions de l'initiation

Message par Ligeia Dim 23 Fév - 11:37

« Qu’on n’aille point opposer [à ce qui va être dit] que les "pouvoirs" spontanés pourraient être le résultat de quelque initiation reçue "en astral", si ce n’est dans des existences antérieures ; il doit être bien entendu que, quand nous parlons de l’initiation, nous entendons parler uniquement de choses sérieuses, et non point de fantasmagories d’un goût douteux. »


L’initiation n’est pas, comme les réalisations mystiques, quelque chose qui tombe d’au delà des nuages, si l’on peut dire, sans qu’on sache comment ni pourquoi ; elle repose au contraire sur des lois scientifiques positives et sur des règles techniques rigoureuses ; on ne saurait trop insister là-dessus, chaque fois que l’occasion sen présente, pour écarter toute possibilité de malentendu sur sa véritable nature.

Précision aussi sur l’Illumination dont parle Guénon : il ne s’agit bien évidemment pas des illusions psychiques ou mystiques que nourrissent à plaisir certaines personne sur leur propre « élévation » :


  • « Au lieu de s’appliquer à quelque chose d’ordre purement intellectuel et à l’acquisition d’une connaissance supérieure, comme il le devrait normalement s’il était pris en un sens initiatique légitime, ce terme ne se rapporte [pour ces personnes] qu’à des phénomènes (...) fort peu intéressants en eux-mêmes, et d’ailleurs surtout négatifs dans ce cas, car il paraît qu’ils servent finalement à rendre celui qui en est affligé accessible aux suggestions émanant de prétendus « Maîtres » inconnus, lesquels, en l’occurrence, ne sont que de sinistres « magiciens noirs ».


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CHAPITRE IV : DES CONDITIONS DE L’INITIATION


Nous pouvons revenir maintenant à la question des conditions de l’initiation, et nous dirons tout d’abord, quoique la chose puisse paraître aller de soi, que la première de ces conditions est une certaine aptitude ou disposition naturelle, sans laquelle tout effort demeurerait vain, car l’individu ne peut évidemment développer que les possibilités qu’il porte en lui dès l’origine ; cette aptitude, qui fait ce que certains appellent l’« initiable », constitue proprement la « qualification » requise par toutes les traditions initiatiques (1).
Cette condition est, du reste, la seule qui soit, en un certain sens, commune à l’initiation et au mysticisme, car il est clair que le mystique doit avoir, lui aussi, une disposition naturelle spéciale, quoique entièrement différente de celle de l’« initiable », voire même opposée par certains cotés ; mais cette condition, pour lui, si elle est également nécessaire, est de plus suffisante ; il n’en est aucune autre qui doive venir s’y ajouter, et les circonstances font tout le reste, faisant passer à leur gré de la « puissance » à l’« acte » telles ou telles des possibilités que comporte la disposition dont il s’agit.

Ceci résulte directement de ce caractère de « passivité » dont nous avons parlé plus haut : il ne saurait en effet, en pareil cas, s’agir d’un effort ou d’un travail personnel quelconque, que le mystique n’aura jamais à effectuer, et dont il devra même se garder soigneusement, comme de quelque chose qui serait en opposition avec sa « voie » (2) , tandis que, au contraire, pour ce qui est de l’initiation, et en raison de son caractère « actif », un tel travail constitue une autre condition non moins strictement nécessaire que la première, et sans laquelle le passage de la « puissance » à l’« acte », qui est proprement la « réalisation », ne saurait s’accomplir• en aucune façon (3).

1 On verra d’ailleurs, par l’étude spéciale que nous ferons dans la suite de la question des qualifications initiatiques, que cette question présente en réalité des aspects beaucoup plus complexes qu’on ne pourrait le croire au premier abord et si l’on s’en tenait à la seule notion très générale que nous en donnons ici.
2 Aussi les théologiens voient-ils volontiers, et non sans raison, un « faux mystique » dans celui qui cherche, par un effort quelconque, à obtenir des visions ou d’autres états extraordinaires, cet effort se bornât-il même à l’entretien d’un simple désir.
3 Il résulte de là, entre autres conséquences, que les connaissances d’ordre doctrinal, qui sont indispensables à l’initié, et dont la compréhension théorique est pour lui une condition préalable de toute « réalisation », peuvent faire entièrement défaut au mystique ; de là vient souvent, chez celui-ci, outre la possibilité d’erreurs et de confusions multiples, une étrange incapacité de s’exprimer intelligiblement. Il doit être bien entendu, d’ailleurs, que les connaissances dont il s’agit n’ont absolument rien à voir avec tout ce qui n’est qu’instruction extérieure ou « savoir » profane, qui est ici de nulle valeur, ainsi que nous l’expliquerons encore par la suite, et qui même, étant donné ce qu’est l’éducation moderne, serait plutôt un obstacle qu’une aide en bien des cas ; un homme peut fort bien ne savoir ni lire ni écrire et atteindre néanmoins aux plus hauts degrés de l’initiation, et de tels cas ne sont pas extrêmement rares en Orient, tandis qu’il est des « savants » et même des « génies », suivant la façon de voir du monde profane, qui ne sont « initiables » à aucun degré.


Pourtant, ce n’est pas encore tout : nous n’avons fait en somme que développer la distinction, posée par nous au début, de l’« activité » initiatique et de la « passivité » mystique, pour en tirer cette conséquence que, pour l’initiation, il y a une condition qui n’existe pas et ne saurait exister en ce qui concerne le mysticisme ; mais il est encore une autre condition non moins nécessaire dont nous n’avons pas parlé, et qui se place en quelque sorte entre celles dont il vient d’être question.

Cette condition, sur laquelle il faut d’autant plus insister que les Occidentaux, en général, sont assez portés à l’ignorer ou à en méconnaître l’importance, est même, à la vérité, la plus caractéristique de toutes, celle qui permet de définir l’initiation sans équivoque possible, et de ne la confondre avec quoi que ce soit d’autre ; par là, ce cas de l’initiation est beaucoup mieux délimité que ne saurait l’être celui du mysticisme, pour lequel il n’existe rien de tel. Il est souvent bien difficile, sinon tout à fait impossible, de distinguer le faux mysticisme du vrai ; le mystique est, par définition même, un isolé et un « irrégulier », et parfois il ne sait pas lui-même ce qu’il est vraiment ; et le fait qu’il ne s’agit pas chez lui de connaissance à l’état pur, mais .que même ce qui est connaissance réelle est toujours affecté par un mélange de sentiment et d’imagination, est encore bien loin de simplifier la question ; en tout cas, il y a là quelque chose qui échappe à tout contrôle, ce que nous pourrions exprimer en disant qu’il n’y a pour le mystique aucun « moyen de reconnaissance » (1).

On pourrait dire aussi que le mystique n’a pas de « généalogie », qu’il n’est tel que par une sorte de « génération spontanée », et nous pensons que ces expressions sont faciles à comprendre sans plus d’explications ; dès lors, comment oserait-on affirmer sans aucun doute que l’un est authentiquement mystique et que l’autre ne l’est pas, alors que cependant toutes les apparences peuvent être sensiblement les mêmes ?
Par contre, les contrefaçons de l’initiation peuvent toujours être décelées infailliblement par l’absence de la condition à laquelle nous venons de faire allusion, et qui n’est autre que le rattachement à une organisation traditionnelle régulière.

Il est des ignorants qui s’imaginent qu’on « s’initie » soi-même, ce qui est en quelque sorte une contradiction dans les termes ; oubliant, s’ils l’ont jamais su, que le mot initium signifie « entrée » ou « commencement », ils confondent le fait même de l’initiation, entendue au sens strictement étymologique, avec le travail à accomplir ultérieurement pour que cette initiation, de virtuelle qu’elle a été tout d’abord, devienne plus ou moins pleinement effective. L’initiation, ainsi comprise, est ce que toutes les traditions s’accordent à désigner comme la « seconde naissance » ; comment un être pourrait-il bien agir par lui-même avant d’être né (2) ?

1 Nous n’entendons pas par là des mots ou des signes extérieurs et conventionnels, mais ce dont de tels moyens ne sont en réalité que la représentation symbolique
2 Rappelons ici l’adage scolastique élémentaire : « pour agir, il faut être ».


Nous savons bien ce qu’on pourra objecter à cela : si l’être est vraiment « qualifié », il porte déjà en lui les possibilités qu’il s’agit de développer ; pourquoi, s’il en est ainsi, ne pourrait-il pas les réaliser par son propre effort, sans aucune intervention extérieure ?
C’est là, en effet, une chose qu’il est permis d’envisager théoriquement, à la condition de la concevoir comme le cas d’un homme « deux-fois né » dès le premier moment de son existence individuelle ; mais, s’il n’y a pas à cela d’impossibilité de principe, il n’y en a pas moins une impossibilité de fait, en ce sens que cela est contraire à l’ordre établi pour notre monde, tout au moins dans ses conditions actuelles.

Nous ne sommes pas à l’époque primordiale où tous les hommes possédaient normalement et spontanément un état qui est aujourd’hui attaché à un haut degré d’initiation (1) ; et d’ailleurs, à vrai dire, le mot même d’initiation, dans une telle époque, ne pouvait avoir aucun sens.
Nous sommes dans le Kali-Yuga, c’est-à-dire dans un temps où la connaissance spirituelle est devenue cachée, et où quelques uns seulement peuvent encore l’atteindre, pourvu qu’ils se placent dans les conditions voulues pour l’obtenir ; or, une de ces conditions est précisément celle dont nous parlons, comme une autre condition est un effort dont les hommes des premiers âges n’avaient non plus nul besoin, puisque le développement spirituel s’accomplissait en eux tout aussi naturellement que le développement corporel.

Il s’agit donc d’une condition dont la nécessité s’impose en conformité avec les lois qui régissent notre monde actuel ; et, pour mieux le faire comprendre, nous pouvons recourir ici à une analogie : tous les êtres qui se développeront au cours d’un cycle sont contenus dès le commencement, à l’état de germes subtils, dans l’« Œuf du Monde » ; dès lors, pourquoi ne naîtraient-ils pas à l’état corporel d’eux-mêmes et sans parents ?
Cela non plus n’est pas une impossibilité absolue, et on peut concevoir un monde où il en serait ainsi ; mais, en fait, ce monde n’est pas le nôtre. Nous réservons, bien entendu, la question des anomalies ; il se peut qu’il y ait des cas exceptionnels de « génération spontanée », et, dans l’ordre spirituel, nous avons nous-même appliqué tout à l’heure cette expression au cas du mystique ; mais nous avons dit aussi que celui-ci est un « irrégulier », tandis que l’initiation est chose essentiellement « régulière », qui n’a rien à voir avec les anomalies. Encore faudrait il savoir exactement jusqu’où celles-ci peuvent aller ; elles doivent bien, elles aussi, rentrer en définitive dans quelque loi, car toutes choses ne peuvent exister que comme éléments de l’ordre total et universel.

Cela seul, si l’on voulait bien y réfléchir, pourrait suffire pour donner à penser que les états réalisés par le mystique ne sont pas précisément les mêmes que ceux de l’initié, et que, si leur réalisation n’est pas soumise aux mêmes lois, c’est qu’il s’agit effectivement de quelque chose d’autre ; mais nous pouvons maintenant laisser entièrement de côté le cas du mysticisme, sur lequel nous en avons dit assez pour ce que nous nous proposions d’établir, pour ne plus envisager exclusivement que celui de l’initiation.

Il nous reste en effet à préciser le rôle du rattachement à une organisation traditionnelle, qui ne saurait, bien entendu, dispenser en aucune façon du travail intérieur que chacun ne peut accomplir que par soi-même, mais qui est requis, comme condition préalable, pour que ce travail même puisse effectivement porter ses fruits.

1 C’est ce qu’indique, dans la tradition hindoue, le mot Hamsa, donné comme le nom de la caste unique qui existait à l’origine, et désignant proprement un état qui est ativarna, c’est-à-dire au delà de la distinction des castes actuelles.

Il doit être bien compris, dès maintenant, que ceux qui ont été constitués les dépositaires de la connaissance initiatique ne peuvent la communiquer d’une façon plus ou moins comparable à celle dont un professeur, dans l’enseignement profane, communique à ses élèves des formules livresques qu’ils n’ auront qu’à emmagasiner dans leur mémoire ; il s’agit ici de quelque chose qui, dans son essence même, est proprement « incommunicable », puisque ce sont des états à réaliser intérieurement.
Ce qui peut s’enseigner, ce sont seulement des méthodes préparatoires à l’obtention de ces états ; ce qui peut être fourni du dehors à cet égard, c’est en somme une aide, un appui qui facilite grandement le travail à accomplir, et aussi un contrôle qui écarte les obstacles et les dangers qui peuvent se présenter ; tout cela est fort loin d’être négligeable, et celui qui en serait privé risquerait fort d’aboutir à un échec, mais encore cela ne justifierait-il pas entièrement ce que nous avons dit quand nous avons parlé d’une condition nécessaire.

Aussi bien n’est-ce pas là ce que nous avions en vue, du moins d’une façon immédiate ; tout cela n’intervient que secondairement, et en quelque sorte à titre de conséquences, après l’initiation entendue dans son sens le plus strict, tel que nous l’avons indiqué plus haut, et lorsqu’il s’agit de développer effectivement la virtualité qu’elle constitue ; mais encore faut-il, avant tout, que cette virtualité préexiste.
C’est donc autrement que doit être entendue la transmission initiatique proprement dite, et nous ne saurions mieux la caractériser qu’en disant qu’elle est essentiellement la transmission d’une influence spirituelle ; nous aurons à y revenir plus amplement, mais, pour le moment, nous nous bornerons à déterminer plus exactement le rôle que joue cette influence, entre l’aptitude naturelle préalablement inhérente à l’individu et le travail de réalisation qu’il accomplira par la suite.

Nous avons fait remarquer ailleurs que les phases de l’initiation, de même que celles du « Grand Œuvre » hermétique qui n’en est au fond qu’une des expressions symboliques, reproduisent celles du processus cosmogonique (1) ; cette analogie, qui se fonde directement sur celle du « microcosme » avec le « macrocosme », permet, mieux que toute autre considération, d’éclairer la question dont il s’agit présentement. On peut dire, en effet, que les aptitudes ou possibilités incluses dans la nature individuelle ne sont tout d’abord, en elles-mêmes, qu’une materia prima, c’est-à-dire une pure potentialité, où il n’est rien de développé ou de différencié (2) ; c’est alors l’état chaotique et ténébreux, que le symbolisme initiatique fait précisément correspondre au monde profane, et dans lequel se trouve l’être qui n’est pas encore parvenu à la « seconde naissance ».

1 Voir L’Esotérisme de Dante, notamment pp, 63-64 et 94.
2 Il va de soi que ce n’est, à. rigoureusement parler, une materia prima qu’en un sens relatif, non au sens absolu ; mais cette distinction n’importe pas au point de vue où nous nous plaçons ici, et d’ailleurs il en est de même de la materia prima d’un monde tel que le notre, qui, étant déjà déterminée d’une certaine façon, n’est en réalité, par rapport à la substance universelle, qu’une materia secunda (cf. Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. II), de sorte que, même sous ce rapport, l’analogie avec le développement de notre monde à partir du chaos initial est bien vraiment exacte.


Pour que ce chaos puisse commencer à prendre forme et à s’organiser, il faut qu’une vibration initiale lui soit communiquée par les puissances spirituelles, que la Genèse hébraïque désigne comme les Elohim ; cette vibration, c’est le Fiat Lux qui illumine le chaos, et qui est le point de départ nécessaire de tous les développements ultérieurs ; et, au point de vue initiatique, cette illumination est précisément constituée par la transmission de l’influence spirituelle dont nous venons de parler (1).
Dès lors, et par la vertu de cette influence, les possibilités spirituelles de l’être ne sont plus la simple potentialité qu’elles étaient auparavant ; elles sont devenues une virtualité prête à se développer en acte dans les divers stades de la réalisation initiatique.

Nous pouvons résumer tout ce qui précède en disant que l’initiation implique trois conditions qui se présentent en mode successif, et qu’on pourrait faire correspondre respectivement aux trois termes de « potentialité », de « virtualité » et d’« actualité » :

1) la « qualification », constituée par certaines possibilités inhérentes à la nature propre de l’individu, et qui sont la materia prima sur laquelle le travail initiatique devra s’effectuer ;
2) la transmission, par le moyen du rattachement à une organisation traditionnelle, d’une influence spirituelle donnant à l’être l’« illumination » qui lui permettra d’ordonner et de développer ces possibilités qu’il porte en lui ;
3) le travail intérieur par lequel, avec le secours d’« adjuvants » ou de « supports » extérieurs s’il y a lieu et surtout dans les premiers stades, ce développement sera réalisé graduellement, faisant passer l’être, d’échelon en échelon, à travers les différents degrés de la hiérarchie initiatique, pour le conduire au but final de la « Délivrance » ou de l’« Identité Suprême ».

1 De là viennent des expressions comme celles de « donner la lumière » et « recevoir la lumière », employées pour désigner, par rapport à l’initiateur et à l’initié respectivement, l’initiation au sens restreint, c’est-à-dire la transmission même dont il s’agit ici. On remarquera aussi, en ce qui concerne les Elohim, que le nombre septénaire qui leur est attribué est en rapport avec la constitution des organisations initiatiques, qui doit être effectivement une image de l’ordre cosmique lui-même.

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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre V : De la régularité initiatique

Message par Ligeia Mar 3 Mar - 7:55

«... chacun, étant naturellement porté à s’estimer « bien et dûment qualifié », et étant ainsi à la fois juge et partie dans sa propre cause, découvrirait assurément sans peine d’excellentes raisons (excellentes du moins à ses propres yeux et suivant les idées particulières qu’il s’est forgées) pour se considérer comme initié sans plus de formalités, et nous ne voyons même pas pourquoi il s’arrêterait en si bonne voie et hésiterait à s’attribuer d’un seul coup les degrés les plus transcendants. »

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CHAPITRE V DE LA RÉGULARITÉ INITIATIQUE

Le rattachement à une organisation traditionnelle régulière, avons-nous dit, est non seulement une condition nécessaire de l’initiation, mais il est même ce qui constitue l’initiation au sens le plus strict, tel que le définit l’étymologie du mot qui la désigne, et c’est lui qui est partout représenté comme une « seconde naissance », ou comme une « régénération » ; « seconde naissance », parce qu’il ouvre à l’être un monde autre que celui où s’exerce l’activité de sa modalité corporelle, monde qui sera pour lui le champ de développement de possibilités d’un ordre supérieur ; « régénération », parce qu’il rétablit ainsi cet être dans des prérogatives qui étaient naturelles et normales aux premiers âges de l’humanité, alors que celle-ci ne s’était pas encore éloignée de la spiritualité originelle pour s’enfoncer de plus en plus dans la matérialité, comme elle devait le faire au cours des époques ultérieures, et parce qu’il doit le conduire tout d’abord, comme première étape essentielle de sa réalisation, à la restauration en lui de l’« état primordial », qui est la plénitude et la perfection de l’individualité humaine, résidant au point central unique et invariable d’où l’être pourra ensuite s’élever aux états supérieurs.

Il nous faut maintenant insister encore à cet égard sur un point capital : c’est que le rattachement dont il s’agit doit être réel et effectif, et qu’un soi-disant rattachement « idéal », tel que certains se sont plu parfois à l’envisager à notre époque, est entièrement vain et de nul effet (1).
Cela est facile à comprendre, puisqu’il s’agit proprement de la transmission d’une influence spirituelle, qui doit s’effectuer selon des lois définies ; et ces lois, pour être évidemment tout autres que celles qui régissent les forces du monde corporel, n’en sont pas moins rigoureuses, et elles présentent même avec ces dernières, en dépit des différences profondes qui les en séparent, une certaine analogie, en vertu de la continuité et de la correspondance qui existent entre tous les états ou les degrés de l’Existence universelle. C’est cette analogie qui nous a permis, par exemple, de parler de « vibration » à propos du Fiat Lux par lequel est illuminé et ordonné le chaos des potentialités spirituelles, bien qu’il ne s’agisse nullement là d’une vibration d’ordre sensible comme celles qu’étudient les physiciens, pas plus que la « lumière » dont il est question ne peut être identifiée à

1 Pour des exemples de ce soi-disant rattachement « idéal », par lequel certains vont jusqu’à prétendre faire revivre des formes traditionnelles entièrement disparues, voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXVI ; nous y reviendrons d’ailleurs un peu plus loin.

C’est cette analogie qui nous a permis, par exemple, de parler de « vibration » à propos du Fiat Lux par lequel est illuminé et ordonné le chaos des potentialités spirituelles, bien qu’il ne s’agisse nullement là d’une vibration d’ordre sensible comme celles qu’étudient les physiciens, pas plus que la « lumière » dont il est question ne peut être identifiée à celle qui est saisie par la faculté visuelle de l’organisme corporel (1) ; mais ces façons de parler, tout en étant nécessairement symboliques, puisqu’elles sont fondées sur une analogie ou sur une correspondance, n’en sont pas moins légitimes et strictement justifiées, car cette analogie et cette correspondance existent bien réellement dans la nature même des choses et vont même, en un certain sens, beaucoup plus loin qu’on ne pourrait le supposer (2).
Nous aurons à revenir plus amplement sur ces considérations lorsque nous parlerons des rites initiatiques et de leur efficacité ; pour le moment, il suffit d’en retenir qu’il y a là des lois dont il faut forcément tenir compte, faute de quoi le résultat visé ne pourrait pas plus être atteint qu’un effet physique ne peut être obtenu si l’on ne se place pas dans les conditions requises en vertu des lois auxquelles sa production est soumise ; et, dès lors qu’il s’agit d’une transmission à opérer effectivement, cela implique manifestement un contact réel, quelles que soient d’ailleurs les modalités par lesquelles il pourra être établi, modalités qui seront naturellement déterminées par ces lois d’action des influences spirituelles auxquelles nous venons de faire allusion.

De cette nécessité d’un rattachement effectif résultent immédiatement plusieurs conséquences extrêmement importantes, soit en ce qui concerne l’individu qui aspire à l’initiation, soit en ce qui concerne les organisations initiatiques elles-mêmes ; et ce sont ces conséquences que nous nous proposons d’examiner présentement. Nous savons qu’il en est, et beaucoup même, à qui ces considérations paraîtront fort peu plaisantes, soit parce qu’elles dérangeront l’idée trop commode et trop « simpliste » qu’ils s’étaient formée de l’initiation, soit parce qu’elles détruiront certaines prétentions injustifiées et certaines assertions plus ou moins intéressées, mais dépourvues de toute autorité ; mais ce sont là des choses auxquelles nous ne saurions nous arrêter si peu que ce soit, n’ayant et ne pouvant avoir, ici comme toujours, nul autre souci que celui de la vérité.

Tout d’abord, pour ce qui est de l’individu, il est évident, après ce qui vient d’être dit, que son intention d’être initié, même en admettant qu’elle soit vraiment pour lui l’intention de se rattacher à une tradition dont il peut avoir quelque connaissance « extérieure », ne saurait aucunement suffire par elle-même à lui assurer l’initiation réelle (3).

1 Des expressions comme celles de « Lumière intelligible » et de « Lumière spirituelle », ou d’autres expressions équivalentes à celles-là, sont d’ailleurs bien connues dans toutes les doctrines traditionnelles, tant occidentales qu’orientales ; et nous rappellerons seulement d’une façon plus particulière, à ce propos, l’assimilation, dans la tradition islamique, de l’Esprit (Er-Rûh), dans son essence même, à la Lumière (En-Nûr).
2 C’est l’incompréhension d’une telle analogie, prise à tort pour une identité, qui, jointe à la constatation d’une certaine similitude dans les modes d’action et les effets extérieurs, a amené certains à se faire une conception erronée et plus ou moins grossièrement matérialisée, non seulement des influences psychiques ou subtiles, mais des influences spirituelles elles-mêmes, les assimilant purement et simplement à des forces « physiques », au sens le plus restreint de ce mot, telles que l’électricité ou le magnétisme ; et de cette même incompréhension a pu venir aussi, au moins en partie, l’idée trop répandue de chercher à établir des rapprochements entre les connaissances traditionnelles et les points de vue de la science moderne et profane, idée absolument vaine et illusoire, puisque ce sont la des choses qui n’appartiennent pas au même domaine, et que d’ailleurs le point de vue profane en lui-même est proprement illégitime. Ŕ Cf. Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XVIII.
3 Nous entendons par là non seulement l’initiation pleinement effective, mais même la simple initiation virtuelle, suivant la distinction qu’il y a lieu de faire à cet égard et sur laquelle nous auront à revenir par la suite d’une façon plus précise.


En effet, il ne s’agit nullement d’« érudition », qui, comme tout ce qui relève du savoir profane, est ici sans aucune valeur ; et il ne s’agit pas davantage de rêve ou d’imagination, non plus que d’aspirations sentimentales quelconques. S’il suffisait, pour pouvoir se dire initié, de lire des livres, fussent-ils les Ecritures sacrées d’une tradition orthodoxe, accompagnées même, si l’on veut, de leurs commentaires les plus profondément ésotériques, ou de songer plus ou moins vaguement à quelque organisation passée ou présente à laquelle on attribue complaisamment, et d’autant plus facilement qu’elle est plus mal connue, son propre « idéal » (ce mot qu’on emploie de nos jours à tout propos, et qui, signifiant tout ce qu’on veut, ne signifie véritablement rien au fond), ce serait vraiment trop facile ; et la question préalable de la « qualification » se trouverait même par là entièrement supprimée, car chacun, étant naturellement porté à s’estimer « bien et dûment qualifié », et étant ainsi à la fois juge et partie dans sa propre cause, découvrirait assurément sans peine d’excellentes raisons (excellentes du moins à ses propres yeux et suivant les idées particulières qu’il s’est forgées) pour se considérer comme initié sans plus de formalités, et nous ne voyons même pas pourquoi il s’arrêterait en si bonne voie et hésiterait à s’attribuer d’un seul coup les degrés les plus transcendants.

Ceux qui s’imaginent qu’on « s’initie » soi-même, comme nous le disions précédemment, ont-ils jamais réfléchi à ces conséquences plutôt fâcheuses qu’implique leur affirmation ? Dans ces conditions, plus de sélection ni de contrôle, plus de « moyens de reconnaissance », au sens où nous avons déjà employé cette expression, plus de hiérarchie possible, et, bien entendu, plus de transmission de quoi que ce soit ; en un mot, plus rien de ce qui caractérise essentiellement l’initiation et de ce qui la constitue en fait ; et pourtant c’est là ce que certains, avec une étonnante inconscience, osent présenter comme une conception « modernisée » de l’initiation (bien modernisée en effet, et assurément bien digne des « idéaux » laïques, démocratiques et égalitaires), sans même se douter que, au lieu d’avoir tout au moins des initiés « virtuels », ce qui après tout est encore quelque chose, on n’aurait plus ainsi que de simples profanes qui se poseraient indûment en initiés.

Mais laissons là ces divagations, qui peuvent sembler négligeables : si nous avons cru devoir en parler quelque peu, c’est que l’incompréhension et le désordre intellectuel qui caractérisent malheureusement notre époque leur permettent de se propager avec une déplorable facilité. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que, dès lors qu’il est question d’initiation, il s’agit exclusivement de choses sérieuses et de réalités « positives », dirions-nous volontiers si les « scientistes » profanes n’avaient tant abusé de ce mot ; qu’on accepte ces choses telles qu’elles sont, ou qu’on ne parle plus du tout d’initiation ; nous ne voyons aucun moyen terme possible entre ces deux attitudes, et mieux vaudrait renoncer franchement à toute initiation que d’en donner le nom à ce qui n’en serait plus qu’une vaine parodie, sans même les apparences extérieures que cherchent du moins encore à sauvegarder certaines autres contrefaçons dont nous aurons à parler tout à l’heure.

Pour revenir à ce qui a été le point de départ de cette digression, nous dirons qu’il faut que l’individu n’ait pas seulement l’intention d’être initié, mais qu’il soit « accepté » par une organisation traditionnelle régulière, ayant qualité pour lui conférer l’initiation (1), c’est-à-dire pour lui transmettre l’influence spirituelle sans le secours de laquelle il lui serait impossible, en dépit de tous ses efforts, d’arriver jamais à s’affranchir des limitations et des entraves du monde profane. Il peut se faire que, en raison de son défaut de « qualification », son intention ne rencontre aucune réponse, si sincère qu’elle puisse être d’ailleurs, car là n’est pas la question, et en tout ceci il ne s’agit nullement de « morale », mais uniquement de règles « techniques » se référant à des lois « positives » (nous répétons ce mot faute d’en trouver un autre plus adéquat) et qui s’imposent avec une nécessité aussi inéluctable que, dans un autre ordre, les conditions physiques et mentales indispensables à l’exercice de certaines professions.
En pareil cas, il ne pourra jamais se considérer comme initié, quelles que soient les connaissances théoriques qu’il arrivera à acquérir par ailleurs ; et il est du reste à présumer que, même sous ce rapport, il n’ira jamais bien loin (nous parlons naturellement d’une compréhension véritable, quoique encore extérieure, et non pas de la simple érudition, c’est-à-dire d’une accumulation de notions faisant uniquement appel à la mémoire, ainsi que cela a lieu dans l’enseignement profane), car la connaissance théorique elle-même, pour dépasser un certain degré, suppose déjà normalement la « qualification » requise pour obtenir l’initiation qui lui permettra de se transformer, par la « réalisation » intérieure, en connaissance effective, et ainsi nul ne saurait être empêché de développer les possibilités qu’il porte vraiment en lui-même ; en définitive, ne sont écartés que ceux qui s’illusionnent sur leur propre compte, croyant pouvoir obtenir quelque chose qui, en réalité, se trouve être incompatible avec leur nature individuelle.

Passant maintenant à l’autre côté de la question, c’est-à-dire à celui qui se rapporte aux organisations initiatiques elles-mêmes, nous dirons ceci : il est trop évident qu’on ne peut transmettre que ce qu’on possède soi-même ; par conséquent, il faut nécessairement qu’une organisation soit effectivement dépositaire d’une influence spirituelle pour pouvoir la communiquer aux individus qui se rattachent à elle ; et ceci exclut immédiatement toutes les formations pseudo-initiatiques, si nombreuses à notre époque, et dépourvues de tout caractère authentiquement traditionnel. Dans ces conditions, en effet, une organisation initiatique ne saurait être le produit d’une fantaisie individuelle ; elle ne peut être fondée, à la façon d’une association profane, sur l’initiative de quelques personnes qui décident de se réunir en adoptant des formes quelconques ; et, même si ces formes ne sont pas inventées de toutes pièces, mais empruntées à des rites réellement traditionnels dont les fondateurs auraient eu quelque connaissance par « érudition », elles n’en seront pas plus valables pour cela, car, à défaut de filiation régulière, la, transmission de l’influence spirituelle est impossible et inexistante, si bien que, en pareil cas, on n’a affaire qu’à une vulgaire contrefaçon de l’initiation.

1 Par là, nous ne voulons pas dire seulement qu’il doit s’agir d’une organisation proprement initiatique, à l’exclusion de toute autre sorte d’organisation traditionnelle, ce qui est en somme trop évident, mais encore que cette organisation ne doit pas relever d’une forme traditionnelle à laquelle, dans sa partie extérieure, l’individu en question serait étranger ; il y a même des cas où ce qu’on pourrait appeler la « juridiction » d’une organisation initiatique est encore plus limité, comme celui d’une initiation basée sur un métier, et qui ne peut être conférée qu’à des individus appartenant à ce métier ou ayant tout au moins avec lui certains liens bien définis.

A plus forte raison en est-il ainsi lorsqu’il ne s’agit que de reconstitutions purement hypothétiques, pour ne pas dire imaginaires, de formes traditionnelles disparues depuis un temps plus ou moins reculé, comme celles de l’Egypte ancienne ou de la Chaldée par exemple ; et, même s’il y avait dans l’emploi de telles formes une volonté sérieuse de se rattacher à la tradition à laquelle elles ont appartenu, elles n’en seraient pas plus efficaces, car on ne peut se rattacher en réalité qu’à quelque chose qui a une existence actuelle, et encore faut-il pour cela, comme nous le disions en ce qui concerne les individus, être « accepté » par les représentants autorisés de la tradition à laquelle on se réfère, de telle sorte qu’une organisation apparemment nouvelle ne pourra être légitime que si elle est comme un prolongement d’une organisation préexistante, de façon à maintenir sans aucune interruption la continuité de la « chaîne » initiatique.

En tout ceci, nous ne faisons en somme qu’exprimer en d’autres termes et plus explicitement ce que nous avons déjà dit plus haut sur la nécessité d’un rattachement effectif et direct et la vanité d’un rattachement « idéal » ; et il ne faut pas, à cet égard, se laisser duper par les dénominations que s’attribuent certaines organisations qui n’y ont aucun droit, mais qui essaient de se donner par là une apparence d’authenticité. Ainsi, pour reprendre un exemple que nous avons déjà cité en d’autre occasions, il existe une multitude de groupements, d’origine toute récente, qui s’intitulent « Rosicruciens », sans avoir jamais eu le moindre contact avec les Rose-Croix, bien entendu, fût-ce par quelque voie indirecte et détournée, et sans même savoir ce que ceux-ci ont été en réalité, puisqu’ils se les représentent presque invariablement comme ayant constitué une « société », ce qui est une erreur grossière et encore bien spécifiquement moderne. Il ne faut voir là, le plus souvent, que le besoin de se parer d’un titre à effet ou la volonté d’en imposer aux naïfs ; mais, même si l’on envisage le cas le plus favorable, c’est-à-dire si l’on admet que la constitution de quelquesunes de ces groupements procède d’un désir sincère de se rattacher « idéalement » aux Rose-Croix, ce ne sera encore là, au point de vue initiatique, qu’un pur néant. Ce que nous disons sur cet exemple particulier s’applique d’ailleurs pareillement à toutes les organisations inventées par les occultistes et autres « néo-spiritualistes » de tout genre et de toute dénomination, organisations qui, quelles que soient leurs prétentions, ne peuvent, en toute vérité, être qualifiées que de « pseudo-initiatiques », car elles n’ont absolument rien de réel à transmettre, et ce qu’elles présentent n’est qu’une contrefaçon, voire même trop souvent une parodie ou une caricature de l’initiation (1).

1 Des investigations que nous avons dû faire à ce sujet, en un temps déjà. lointain, nous ont conduit à une conclusion formelle et indubitable que nous devons exprimer ici nettement, sans nous préoccuper des fureurs qu’elle peut risquer de susciter de divers côtés : si l’on met à. part le cas de la survivance possible de quelques rares groupements d’hermétisme chrétien du moyen âge, d’ailleurs extrêmement restreints en tout état de cause, c’est un fait que, de toutes les organisations à prétentions initiatiques qui sont répandues actuellement dans le monde occidental, il n’en est que deux qui, si déchues qu’elles soient l’une et l’autre par suite de l’ignorance et de l’incompréhension de l’immense majorité de leurs membres, peuvent revendiquer une origine traditionnelle authentique et une transmission initiatique réelle ; ces deux organisations, qui d’ailleurs, à vrai dire, n’en furent primitivement qu’une seule, bien qu’à branches multiples, sont le Compagnonnage et la Maçonnerie. Tout le reste n’est que fantaisie ou charlatanisme, même quand il ne sert pas à dissimuler quelque chose de pire ; et, dans cet ordre d’idées, il n’est pas d’invention si absurde ou si extravagante qu’elle n’ait à notre époque quelque chance de réussir et d’être prise au sérieux, depuis les rêveries occultistes sur les « initiations en astral » jusqu’au système américain, d’intentions surtout « commerciales », des prétendues « initiations par correspondance » !

Ajoutons encore, comme autre conséquence de ce qui précède, que, lors même qu’il s’agit d’une organisation authentiquement initiatique, ses membres n’ont pas le pouvoir d’en changer les formes à leur gré ou de les altérer dans ce quelles ont « d’essentiel » ; cela n’exclut pas certaines possibilités d’adaptation aux circonstances, qui d’ailleurs s’imposent aux individus bien plutôt qu’elles ne dérivent de leur volonté, mais qui, en tout cas, sont limitées par la condition de ne pas porter atteinte aux moyens par lesquels sont assurées la conservation et la transmission de l’influence spirituelle dont l’organisation considérée est dépositaire ; si cette condition n’était pas observée, il en résulterait une véritable rupture avec la tradition, qui ferait perdre à cette organisation sa « régularité ».
En outre, une organisation initiatique ne peut valablement incorporer à ses rites des éléments empruntés à des formes traditionnelles autres que celle suivant laquelle elle est régulièrement constituée (1) ; de tels éléments, dont l’adoption aurait un caractère tout artificiel, ne représenteraient que de simples fantaisies superfétatoires, sans aucune efficacité au point de vue initiatique, et qui par conséquent n’ajouteraient absolument rien de réel, mais dont la présence ne pourrait même être, en raison de leur hétérogénéité, qu’une cause de trouble et de désharmonie ; le danger de tels mélanges est du reste loin d’être limité au seul domaine initiatique, et c’est là un point assez important pour mériter d’être traité à part. Les lois qui président au maniement des influences spirituelles sont d’ailleurs chose trop complexe et trop délicate pour que ceux qui n’en ont pas une connaissance suffisante puissent se permettre impunément d’apporter des modifications plus ou moins arbitraires à des formes rituéliques où tout a sa raison d’être, et dont la portée exacte risque fort de leur échapper.

1 C’est ainsi que, assez récemment, certains ont voulu essayer d’introduire dans la Maçonnerie, qui est une forme initiatique proprement occidentale, des éléments empruntés à des doctrines orientales, dont ils n’avaient d’ailleurs qu’une connaissance tout extérieure ; on en trouvera un exemple cité dans L’Esotérisme de Dante, p. 20.

Ce qui résulte clairement de tout cela, c’est la nullité des initiatives individuelles quant à la constitution des organisations initiatiques, soit en ce qui concerne leur origine même, soit sous le rapport des formes qu’elles revêtent ; et l’on peut remarquer à ce propos que, en fait, il n’existe pas de formes rituéliques traditionnelles auxquelles on puisse assigner comme auteurs des individus déterminés. Il est facile de comprendre qu’il en soit ainsi, si l’on réfléchit que le but essentiel et final de l’initiation dépasse le domaine de l’individualité et ses possibilités particulières, ce qui serait impossible si l’on en était réduit à des moyens d’ordre purement humain ; de cette simple remarque, et sans même aller au fond des choses, on peut donc conclure immédiatement qu’il y faut la présence d’un élément « non-humain », et tel est bien en effet le caractère de l’influence spirituelle dont la transmission constitue l’initiation proprement dite.

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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre VI : Synthèse et syncrétisme

Message par Ligeia Jeu 26 Mar - 20:20

« Quiconque prétend que sa propre façon de comprendre et d’exposer la vérité est la seule licite est mu, non par la vision de Dieu, mais par sa propre présomption. Un tel croyant, dit Mohyiddin ibn Arabi, « n’exalte que lui-même, car son Dieu est son œuvre, et vanter l’œuvre, c’est vanter l’ouvrier : son excellence ou son imperfection provient de l’ouvrier. C’est pourquoi il blâme les croyances des autres, ce qu’il ne ferait pas s’il était juste. »  A. K. Coomaraswamy

« Toutes choses paraissent si simples à celui qui ne connaît rien ! » Guénon

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CHAPITRE VI : Synthèse et syncrétisme

Nous disions tout à l’heure qu’il est non seulement inutile, mais parfois même dangereux, de vouloir mélanger des éléments rituéliques appartenant à des formes traditionnelles différentes, et que d’ailleurs ceci n’est pas vrai que pour le seul domaine initiatique auquel nous l’appliquions tout d’abord ; en effet, il en est ainsi en réalité pour tout l’ensemble du domaine traditionnel, et nous ne croyons pas sans intérêt d’envisager ici cette question dans toute sa généralité, bien que cela puisse sembler nous éloigner quelque peu des considérations se rapportant plus directement à l’initiation.

Comme le mélange dont il s’agit ne représente d’ailleurs qu’un cas particulier de ce qui peut s’appeler proprement « syncrétisme », nous devrons commencer, à ce propos, par bien préciser ce qu’il faut entendre par là, d’autant plus que ceux de nos contemporains qui prétendent étudier les doctrines traditionnelles sans en pénétrer aucunement l’essence, ceux surtout qui les envisagent d’un point du vue « historique » et de pure érudition, ont le plus souvent une fâcheuse tendance à confondre « synthèse » et « syncrétisme ».
Cette remarque s’applique, d’une façon tout à fait générale, à l’étude « profane » des doctrines de l’ordre exotérique aussi bien que de celles de l’ordre ésotérique ; la distinction entre les unes et les autres y est d’ailleurs rarement faite comme elle devrait l’être, et c’est ainsi que la soi-disant « science des religions » traite d’une multitude de choses qui n’ont en réalité rien de « religieux », comme par exemple, ainsi que nous l’indiquions déjà plus haut, les mystères initiatiques de l’antiquité.

Cette « science » affirme nettement elle-même son caractère « profane », au pire sens de ce mot, en posant en principe que celui qui est en dehors de toute religion, et qui, par conséquent, ne peut avoir de la religion (nous dirions plutôt de la tradition, sans en spécifier aucune modalité particulière) qu’une connaissance tout extérieure, est seul qualifié pour s’en occuper « scientifiquement ». La vérité est que, sous un prétexte de connaissance désintéressée, se dissimule une intention nettement anti-traditionnelle : il s’agit d’une « critique » destinée avant tout, dans l’esprit de ses promoteurs, et moins consciemment peut-être chez ceux qui les suivent, à détruire toute tradition, en ne voulant, de parti pris, y voir qu’un ensemble de faits psychologiques, sociaux ou autres, mais en tout cas purement humains.
Nous n’insisterons d’ailleurs pas davantage là-dessus, car, outre que nous avons en déjà assez souvent l’occasion d’en parler ailleurs, nous ne nous proposons présentement que de signaler une confusion qui, bien que très caractéristique de cette mentalité spéciale, peut évidemment exister aussi indépendamment de cette intention anti-traditionnelle.
Le « syncrétisme », entendu dans son vrai sens, n’est rien de plus qu’une simple juxtaposition d’éléments de provenances diverses, rassemblés « du dehors », pour ainsi dire, sans qu’aucun principe d’ordre plus profond vienne les unifier.

Il est évident qu’un tel assemblage ne peut pas constituer réellement une doctrine, pas plus qu’un tas de pierres ne constitue un édifice ; et, s’il en donne parfois l’illusion à ceux qui ne l’envisagent que superficiellement, cette illusion ne saurait résister à un examen tant soit peu sérieux.
Il n’est pas besoin d’aller bien loin pour trouver d’authentiques exemples de ce syncrétisme : les modernes contrefaçons de la tradition, comme l’occultisme et le théosophisme, ne sont pas autre chose au fond (1) ; des notions fragmentaires empruntées à différentes formes traditionnelles, et généralement mal comprises et plus ou moins déformées, s’y trouvent mêlées à des conceptions appartenant a la philosophie et à la science profane.
Il est aussi des théories philosophiques formées à peu près entièrement de fragments d’autres théories, et ici le syncrétisme prend habituellement le nom d’« éclectisme » ; mais ce cas est en somme moins grave que le précédent, parce qu’il ne s’agit que de philosophie, c’est-à-dire d’une pensée profane qui, du moins, ne cherche pas à se faire passer pour autre chose que ce qu’elle est.
Le syncrétisme, dans tous les cas, est toujours un procédé essentiellement profane, par son « extériorité » même ; et non seulement il n’est point une synthèse, mais, en un certain sens, il en est même tout le contraire.
En effet, la synthèse, par définition, part des principes, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus intérieur ; elle va, pourrait-on dire, du centre à la circonférence, tandis que le syncrétisme se tient à la circonférence même, dans la pure multiplicité, en quelque sorte « atomique », et de détail indéfini d’éléments pris un à un, considérés en eux-mêmes et pour eux-mêmes, et séparés de leur principe, c’est-à-dire de leur véritable raison d’être.

Le syncrétisme a donc un caractère tout analytique, qu’il le veuille ou non ; il est vrai que nul ne parle si souvent ni si volontiers de synthèse que certains « syncrétistes », mais cela ne prouve qu’une chose : c’est qu’ils sentent que, s’ils reconnaissaient la nature réelle de leurs théories composites, ils avoueraient par là même qu’ils ne sont les dépositaires d’aucune tradition, et que le travail auquel ils ne sont livrés ne diffère en rien de celui que le premier « chercheur » venu pourrait faire en rassemblant tant bien que mal les notions variées qu’il aurait puisées dans les livres.
Si ceux-là ont un intérêt évident à faire passer leur syncrétisme pour une synthèse, l’erreur de ceux dont nous parlions au début se produit généralement en sens inverse : quand ils se trouvent en présence d’une véritable synthèse, ils manquent rarement de la qualifier de syncrétisme.
L’explication d’une telle attitude est bien simple au fond : s’en tenant au point de vue le plus étroitement profane et le plus extérieur qui se puisse concevoir, ils n’ont aucune conscience de ce qui est d’un autre ordre, et, comme ils ne veulent ou ne peuvent admettre que certaines choses leur échappent, ils cherchent naturellement à tout ramener aux procédés qui sont à la portée de leur propre compréhension.

1 Cf. Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXVI.

S’imaginant que toute doctrine est uniquement l’œuvre d’un ou de plusieurs individus humains, sans aucune intervention d’éléments supérieurs (car il ne faut pas oublier que c’est là le postulat fondamental de toute leur « science »), ils attribuent à ces individus ce qu’eux-mêmes seraient capables de faire en pareil cas ; et il va d’ailleurs sans dire qu’ils ne se soucient aucunement de savoir si la doctrine qu’ils étudient à leur façon est ou n’est pas l’expression de la vérité, car une telle question, n’étant pas « historique », ne se pose même pas pour eux. Il est même douteux que l’idée leur soit jamais venue qu’il puisse y avoir une vérité d’un autre ordre que la simple « vérité de fait », qui seule peut être objet d’érudition ; quant à l’intérêt qu’une telle étude peut présenter pour eux dans ces conditions, nous devons avouer qu’il nous est tout à fait impossible de nous en rendre compte, tellement cela relève d’une mentalité qui nous est étrangère.
Quoi qu’il en soit, ce qu’il est particulièrement important de remarquer, c’est que la fausse conception qui veut voir du syncrétisme dans les doctrines traditionnelles a pour conséquence directe et inévitable ce qu’on peut appeler la théorie des « emprunts » : quand on constate l’existence d’éléments similaires dans deux formes doctrinales différentes, on s’empresse de supposer que l’une d’elles doit les avoir empruntés à l’autre.

Bien entendu, il ne s’agit aucunement là de l’origine commune des traditions, ni de leur filiation authentique, avec la transmission régulière et les adaptations successives qu’elle comporte ; tout cela, échappant entièrement aux moyens d’investigation dont dispose l’historien profane, n’existe littéralement pas pour lui. On veut parler uniquement d’emprunts au sens le plus grossier du mot, d’une sorte de copie ou de plagiat d’une tradition par une autre avec laquelle elle s’est trouvée en contact par suite de circonstances toutes contingentes, d’une incorporation accidentelle d’éléments détachés, ne répondant à aucune raison profonde (1) ; et c’est bien là, effectivement, ce qu’implique la définition même du syncrétisme. Par ailleurs, on ne se demande pas s’il n’est pas normal qu’une même vérité reçoive des expressions plus ou moins semblables ou tout au moins comparables entre elles, indépendamment de tout emprunt, et on ne peut pas se le demander, puisque, comme nous le disions tout à l’heure, on est résolu à ignorer l’existence de cette vérité comme telle.

1 Comme exemple d’application de cette façon de voir à des choses relevant du domaine ésotérique et initiatique, nous pouvons citer la théorie qui veut voir dans le taçawwuf islamique un emprunt fait à l’Inde, sous prétexte que des méthodes similaires se rencontrent de part et d’autre ; évidemment, les orientalistes qui soutiennent cette théorie n’ont jamais eu l’idée de se demander si ces méthodes n’étaient pas imposées également dans les deux cas par la nature même des choses, ce qui semblerait pourtant devoir être assez facile à comprendre, du moins pour qui n’a aucune idée préconçue.

Cette dernière explication serait d’ailleurs insuffisante sans la notion de l’unité traditionnelle primordiale, mais du moins représenterait-elle un certain aspect de la réalité ; ajoutons qu’elle ne doit aucunement être confondue avec une autre théorie, non moins profane que celle des « emprunts », bien que d’un autre genre, et qui fait appel à ce qu’on est convenu de dénommer l’« unité de l’esprit humain », en l’entendant en un sens exclusivement psychologique, où, en fait, une telle unité n’existe pas, et en impliquant, là encore, que toute doctrine n’est qu’un simple produit de cet « esprit humain », si bien que ce « psychologisme » n’envisage pas plus la question de la vérité doctrinale que l’« historicisme » des partisans de l’explication syncrétique (1).

1 Cf. Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XIII.

Nous signalerons encore que la même idée du syncrétisme et des « emprunts », appliquée plus spécialement aux Ecritures traditionnelles, donne naissance à la recherche de « sources » hypothétiques, ainsi qu’à la supposition des « interpolations », qui est, comme on le sait, une des plus grandes ressources de la « critique » dans son œuvre destructive, dont l’unique but réel est la négation de toute inspiration « supra-humaine ».
Ceci se rattache étroitement à l’intention anti-traditionnelle que nous indiquions au début ; et ce qu’il faut surtout en retenir ici, c’est l’incompatibilité de toute explication « humaniste » avec l’esprit traditionnel, incompatibilité qui au fond est d’ailleurs évidente, puisque ne pas tenir compte de l’élément « non-humain », c’est proprement méconnaître ce qui est l’essence même de la tradition, ce sans quoi il n’y a plus rien qui mérite de porter ce nom.

D’autre part, il suffit, pour réfuter la conception syncrétiste, de rappeler que toute doctrine traditionnelle a nécessairement pour centre et pour point de départ la connaissance des principes métaphysiques, et que tout ce qu’elle comporte en outre, à titre plus ou moins secondaire, n’est en définitive que l’application de ces principes à différents domaines ; cela revient à dire qu’elle est essentiellement synthétique, et, d’après ce que nous avons expliqué plus haut, la synthèse, par sa nature même, exclut tout syncrétisme.
On peut aller plus loin : s’il est impossible qu’il y ait du syncrétisme dans les doctrines traditionnelles elles-mêmes, il est également impossible qu’il y en ait chez ceux qui les ont véritablement comprises, et qui, par là même, ont forcément compris aussi la vanité d’un tel procédé, ainsi que de tous ceux qui sont le propre de la pensée profane, et n’ont d’ailleurs nul besoin d’y avoir recours.

Tout ce qui est réellement inspiré de la connaissance traditionnelle procède toujours « de l’intérieur » et non « de l’extérieur » ; quiconque a conscience de l’unité essentielle de toutes les traditions peut, pour exposer et interpréter la doctrine, faire appel, suivant les cas, à des moyens d’expression provenant de formes traditionnelles diverses, s’il estime qu’il y ait à cela quelque avantage ; mais il n’y aura jamais là rien qui puisse être assimilé de près ou de loin à un syncrétisme quelconque ou à la « méthode comparative » des érudits.
D’un côté, l’unité centrale et principielle éclaire et domine tout ; de l’autre, cette unité étant absente ou, pour mieux dire, cachée aux regards du « chercheur » profane, celui-ci ne peut que tâtonner dans les « ténèbres extérieures », s’agitant vainement au milieu d’un chaos que pourrait seul ordonner le Fiat Lux initiatique qui, faute de « qualification », ne sera jamais proféré pour lui.


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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre VII - Contre le mélange des formes traditionnelles

Message par Ligeia Sam 18 Avr - 20:25


  • " ... c’est pourquoi Dieu a dit : « Je suis dans l’opinion que mon serviteur a de Moi », c’est-à-dire : « Je ne me manifeste pas à lui, si ce n’est dans « la forme de sa croyance ». Dieu est absolu ou non limité, autant qu’il Lui plaît de l’être ; mais le Dieu de la croyance religieuse est soumis à des limitations, car Il est le Dieu qui est contenu dans le cœur de Son serviteur »."


Coomaraswamy, « Shri Râmakrishna et la tolérance religieuse »


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CHAPITRE VII : Contre le mélange des formes traditionnelles


Comme nous l’avons déjà dit ailleurs (1), il y a, suivant la tradition hindoue, deux façons opposées, l’une inférieure et l’autre supérieure, d’être en dehors des castes : on peut être « sans caste » (avarna), au sens « privatif », c’est-à-dire au-dessous d’elles ; et l’on peut être au contraire « au-delà des castes » (ativarna) ou au-dessous d’elles, bien que ce second cas soit incomparablement plus rare que le premier, surtout dans les conditions de l’époque actuelle (2).

D’une manière analogue, on peut être aussi en-deçà ou au-delà des formes traditionnelles : l’homme « sans religion », par exemple, tel qu’on le rencontre couramment dans le monde occidental moderne, est incontestablement dans le premier cas ; le second, par contre, s’applique exclusivement à ceux qui ont pris effectivement conscience de l’unité et de l’identité fondamentales de toutes les traditions ; et, ici encore, ce second cas ne peut être actuellement que très exceptionnel.

Que l’on comprenne bien, d’ailleurs, que, en parlant de conscience effective, nous voulons dire par là que des notions simplement théorique sur cette unité et cette identité, tout en étant assurément loin d’être négligeables, sont tout à fait insuffisantes pour que quelqu’un puisse estimer avoir dépassé le stade où il est nécessaire d’adhérer à une forme déterminée et de s’y tenir strictement.
Ceci, bien entendu, ne signifie nullement que celui qui est dans ce cas ne doit pas s’efforcer en même temps de comprendre les autres formes aussi complètement et aussi profondément que possible, mais seulement que, pratiquement, il ne doit pas faire usage de moyens rituels ou autres appartenant en propre à plusieurs formes différentes, ce qui, comme nous le disions plus haut, serait non seulement inutile et vain, mais même nuisible et dangereux à divers égards (3).

Les formes traditionnelles peuvent être comparées à des voies qui conduisent toutes à un même but (4), mais qui, en tant que voies, n’en sont pas moins distinctes ; il est évident qu’on n’en peut suivre plusieurs à la fois, et que, lorsqu’on s’est engagé dans l’une d’elles, il convient de la suivre jusqu’au bout et sans s’en écarter, car vouloir passer de l’une à l’autre serait bien le meilleur moyen de ne pas avancer en réalité, sinon même de risquer de s’égarer tout à fait.
Il n’y a que celui qui est parvenu au terme qui, par là même, domine toutes les voies, et cela parce qu’il n’a plus à les suivre ; il pourra donc, s’il y a lieu, pratiquer indistinctement toutes les formes, mais précisément parce qu’il les a dépassées et que, pour lui, elles sont désormais unifiées dans leur principe commun. Généralement, d’ailleurs, il continuera alors à s’en tenir extérieurement à une forme définie, ne serait-ce qu’à titre d’ « exemple » pour ceux qui l’entourent et qui ne sont pas parvenus au même point que lui ; mais, si des circonstances particulières viennent à l’exiger, il pourra tout aussi bien participer à d’autres formes, puisque de ce point où il est, il n’y a plus entre elles aucune différence réelle.

Du reste, dès lors que ces formes sont ainsi unifiées pour lui, il ne saurait plus aucunement y avoir en cela mélange ou confusion quelconque, ce qui suppose nécessairement l’existence de la diversité comme telle ; et, encore une fois, il s’agit de celui-là seul qui est au-delà de cette diversité : les formes, pour lui, n’ont plus le caractère de voies ou de moyens, dont il n’a plus besoin, et elles ne subsistent plus qu’en tant qu’expression de la Vérité une, expressions dont il est tout aussi légitime de se servir suivant qu’il l’est de parler en différentes langues pour se faire comprendre de ceux à qui l’on s’adresse (5).

(1) Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch.IX.
(2) C’est au contraire, d’après ce que nous avons indiqué dans une note précédente, le cas normal pour les hommes de l’époque primordiale.
(3) Ceci doit permettre de mieux comprendre ce que nous disions plus haut de la « juridiction » des organisations initiatiques relevant d’une forme traditionnelle déterminée : l’initiation au sens strict, obtenue par le rattachement à une telle organisation, étant proprement un « commencement », il est évident que celui qui la reçoit est encore bien loin de pouvoir être effectivement au-delà des formes traditionnelles.
(4) Pour être tout à fait exact, il conviendrait d’ajouter ici : à la condition qu’elles soient complètes, c’est-à-dire qu’elles comportent non seulement la partie exotérique, mais aussi la partie ésotérique et initiatique ; il en est toujours ainsi en principe, mais, en fait, il peut arriver que, par une sorte de dégénérescence, cette seconde partie soit oubliée et en quelque sorte perdue.
(5) C’est précisément là ce que signifie en réalité, au point de vue initiatique, ce qu’on appelle le « don des langues », sur lequel nous reviendrons plus loin.


Il y a en somme, entre ce cas et celui d’un mélange illégitime de formes traditionnelles, toute la différence que nous avons indiquée comme étant, d’une façon générale, celle de la synthèse et du syncrétisme, et c’est pourquoi il était nécessaire, à cet égard, de bien préciser celle-ci tout d’abord. En effet, celui qui envisage toutes les formes dans l’unité même de leur principe, comme nous venons de le dire, en a par là même une vue essentiellement synthétique, au sens le plus rigoureux du mot ; il ne peut se placer qu’à l’intérieur de toutes également, et même, devrions-nous dire, au point qui est pour toutes le plus intérieur, puisque c’est véritablement leur centre commun.

Pour reprendre la comparaison que nous avons employée tout à l’heure, toutes les voies, partant de points différents, vont en se rapprochant de plus en plus, mais en demeurant toujours distinctes, jusqu’à ce qu’elles aboutissent à ce centre unique (6) ; mais, vues du centre même, elles ne sont plus en réalité qu’autant de rayons qui en émanent et par les quels il est en relation avec les points multiples de la circonférence (7).

Ces deux sens, inverses l’un de l’autre, suivant lesquels les mêmes voies peuvent être envisagées, correspondent très exactement à ce que sont les points de vues respectifs de celui qui est « en chemin » vers le centre et de celui qui y est parvenu, et dont les états, précisément, sont souvent décris ainsi, dans le symbolisme traditionnel, comme ceux du « voyageur » et du « sédentaire ». Ce dernier est encore comparable à celui qui, se tenant au sommet d’une montagne, en voit également, et sans avoir à se déplacer, les différents versants, tandis que celui qui gravit cette même montagne n’en voit que la partie la plus proche de lui ; et il est bien évident que la vue qu’en a le premier peut seule être dite synthétique.
D’autre part, celui qui n’est pas au centre est forcément toujours dans une position plus ou moins « extérieure », même à l’égard de sa propre forme traditionnelle, et à plus forte raison à l’égard des autres ; si donc il veut, par exemple, accomplir des rites appartenant à plusieurs formes différentes, prétendant utiliser concurremment les uns et les autres comme moyens ou « supports » de son développement spirituel, il ne pourra réellement les associer ainsi  que du « dehors », ce qui revient à dire que ce qu’il fera ne sera pas autre chose que du syncrétisme, puisque celui-ci consiste justement en un tel mélange d’éléments disparates que rien n’unifie véritablement.

Tout ce que nous avons dit contre le syncrétisme en général vaut donc dans ce cas particulier, et même, pourrait-on dire, avec certaines aggravations : tant qu’il ne s’agit que de théories, en effet, il peut, tout en étant parfaitement insignifiant et illusoire et en ne représentant qu’effort dépensé en pure perte, être du moins encore relativement inoffensif ;mais ici, par le contact direct qui est impliqué avec des réalités d’un ordre plus profond, il risque d’entraîner, pour celui qui agit ainsi, une déviation ou un arrêt de ce développement intérieur pour lequel il croyait au contraire, bien à tort, se procurer par là de plus grandes facilités.

Un tel cas est assez comparable à celui de quelqu’un qui, sous prétexte d’obtenir plus sûrement une guérison, emploierait à la fois plusieurs médicaments dont les effets ne feraient que se neutraliser et se détruire, et qui pourraient même, parfois, avoir entre elles des réactions imprévues et plus ou moins dangereuses pour l’organisme ; il est des choses dont chacune est efficace quand on s’en sert séparément, mais qui n’en sont pas moins radicalement incompatibles.

(6) Dans le cas d’une forme traditionnelle devenue incomplète comme nous l’expliquions plus haut, on pourrait dire que la voie se trouve coupée en un certain point avant d’atteindre le centre, peut-être plus exactement encore, qu’elle est impraticable en fait à partir de ce point, qui marque le passage du domaine exotérique au domaine ésotérique.
(7) Il est bien entendu que, de ce point de vue central, les voies qui, comme telles, ne sont plus praticables jusqu’au bout, ainsi que nous venons de le dire dans la note précédente, ne font aucunement exception.


Ceci nous amène à préciser encore un autre point : c’est que, en outre de la raison proprement doctrinale qui s’oppose à la validité de tout mélange de formes traditionnelles, il est une considération qui, pour être d’un ordre plus contingent, n’en est pas moins fort importante au point de vue qu’on peut appeler « technique ».

En effet, en supposant que quelqu’un se trouve dans les conditions voulues pour accomplir des rites relevant de plusieurs formes de telle façon que les uns et les autres aient des effets réels, ce qui implique tout au moins quelques liens effectifs avec chacune de ces formes, il pourra arriver, et même il arrivera presque inévitablement dans la plupart des cas, que ces rites feront entrer en action non pas seulement des influences spirituelles, mais aussi, et même tout d’abord, des influences psychiques qui, ne s’harmonisant pas entre elles, se heurteront et provoqueront un état de désordre et de déséquilibre affectant plus ou moins gravement celui qui les aura imprudemment suscitées ; on conçoit sans peine qu’un tel danger est de ceux auxquels il ne convient pas de s’exposer inconsidérément.

Le choc des influences psychiques est d’ailleurs plus particulièrement à redouter, d’une part, comme conséquence de l’emploi des rites les plus extérieurs, c’est-à-dire de ceux qui appartiennent au côté exotérique des différentes traditions, puisque c’est évidemment sous ce rapport surtout que celles-ci se présentent comme exclusives les unes des autres, la divergence des voies étant d’autant plus grande qu’on les considère plus loin du centre ; et, d’autre part, bien que cela puisse sembler paradoxal à qui n’y réfléchit pas suffisamment, l’opposition est alors d’autant plus violente que les traditions auxquelles il est fait appel ont plus de caractère communs, comme par exemple, dans le cas de celles qui revêtent exotériquement la forme religieuse proprement dite, car des choses qui sont beaucoup plus différentes n’entrent que difficilement en conflit entre elles, du fait de cette différence même ; dans ce domaine comme dans tout autre, il ne peut y avoir de lutte qu’à condition de se placer sur le même terrain.

Nous n’insisterons pas davantage là-dessus, mais il est à souhaiter que du moins cet avertissement suffise à ceux qui pourraient être tentés de mettre en œuvre de tels moyens discordants ; qu’ils n’oublient pas que le domaine purement spirituel est le seul où l’on soit à l’abris de toute atteinte, parce que les oppositions mêmes n’y ont plus aucun sens, et que, tant que le domaine psychique n’est pas complètement et définitivement dépassé, les pires mésaventures demeurent toujours possibles, même, et nous devrions peut-être dire surtout, pour ceux qui font trop résolument profession de n’y pas croire.


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Aperçus sur l'initiation  Empty Chap. VIII : DE LA TRANSMISSION INITIATIQUE

Message par Ligeia Mar 19 Mai - 19:30


  • «... chacun, étant naturellement porté à s’estimer « bien et dûment qualifié », et étant ainsi à la fois juge et partie dans sa propre cause, découvrirait assurément sans peine d’excellentes raisons (excellentes du moins à ses propres yeux et suivant les idées particulières qu’il s’est forgées) pour se considérer comme initié sans plus de formalités, et nous ne voyons même pas pourquoi il s’arrêterait en si bonne voie et hésiterait à s’attribuer d’un seul coup les degrés les plus transcendants. »


L'initiation réelle et seule véritable n’est ni reçue en rêve, ni en astral et encore moins dans des « existences antérieures » ; ce genre d’illusions relève de la confusion récurrente entre le psychisme et le spirituel.


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CHAPITRE VIII : De la transmission initiatique

Nous avons dit précédemment que l’initiation proprement dite consiste essentiellement en la transmission d’une influence spirituelle, transmission qui ne peut s’effectuer que par le moyen d’une organisation traditionnelle régulière, de telle sorte qu’on ne saurait parler d’initiation en dehors du rattachement à une telle organisation.

Nous avons précisé que la « régularité » devait être entendue comme excluant toutes les organisations pseudo-initiatiques, c’est-à-dire toutes celles qui, quelles que soient leurs prétentions et de quelque apparence qu’elles se revêtent, ne sont effectivement dépositaires d’aucune influence spirituelle, et ne peuvent par conséquent rien transmettre en réalité. Il est dès lors facile de comprendre l’importance capitale que toutes les traditions attachent à ce qui est désigné comme la « chaîne » initiatique (1), c’est-à-dire à une succession assurant d’une façon ininterrompue la transmission dont il s’agit ; en dehors de cette succession, en effet, l’observation même des formes rituéliques serait vaine, car il y manquerait l’élément vital essentiel à leur efficacité.

Nous reviendrons plus spécialement par la suite sur la question des rites initiatiques, mais nous devons dès maintenant répondre à une objection qui peut se présenter ici : ces rites, dira-t-on, n’ont-ils pas par eux-mêmes une efficacité qui leur est inhérente ?
Ils en ont bien une en effet, puisque, s’ils ne sont pas observés, ou s’ils sont altérés dans quelqu’un de leurs éléments essentiels, aucun résultat effectif ne pourra être obtenu ; mais, si c’est bien là une condition nécessaire, elle n’est pourtant pas suffisante, et il faut en outre, pour que ces rites aient leur effet, qu’ils soient accomplis par ceux qui ont qualité pour les accomplir.

1 Ce mot « chaîne » est celui qui traduit l’hébreu shelsheleth, l’arabe silsilah, et aussi le sanscrit paramparâ, qui exprime essentiellement l’idée d’une succession régulière et ininterrompue.

Ceci, d’ailleurs, n’est nullement particulier aux rites initiatiques, mais s’applique tout aussi bien aux rites d’ordre exotérique, par exemple aux rites religieux, qui ont pareillement leur efficacité propre, mais qui ne peuvent pas davantage être accomplis valablement par n’importe qui ; ainsi, si un rite religieux requiert une ordination sacerdotale, celui qui n’a pas reçu cette ordination aura beau en observer toutes les formes et même y apporter l’intention voulue (2), il n’en obtiendra aucun résultat, parce qu’il n’est pas porteur de l’influence spirituelle qui doit opérer en prenant ces formes rituéliques comme support (3).

2 Nous formulons expressément ici cette condition de l’intention pour bien préciser que les rites ne sauraient être un objet d’« expériences » au sens profane de ce mot ; celui qui voudrait accomplir un rite, de quelque ordre qu’il soit d’ailleurs, par simple curiosité et pour en expérimenter l’effet, pourrait être bien sûr d’avance que cet effet sera nul.
3 Les rites mêmes qui ne requièrent pas spécialement une telle ordination ne peuvent pas non plus être accomplis par tout le monde indistinctement, car l’adhésion expresse à la forme traditionnelle à laquelle ils appartiennent est, dans tous les cas, une condition indispensable de leur efficacité.



Même dans des rites d’un ordre très inférieur et ne concernant que des applications traditionnelles secondaires, comme les rites d’ordre magique par exemple, où intervient une influence qui n’a plus rien de spirituel, mais qui est simplement psychique (en entendant par là, au sens le plus général, ce qui appartient au domaine des éléments subtils de l’individualité humaine et de ce qui y correspond dans l’ordre « macrocosmique »), la production d’un effet réel est conditionnée dans bien des cas par une certaine transmission ; et la plus vulgaire sorcellerie des campagnes fournirait à cet égard de nombreux exemples (1).
Nous n’avons d’ailleurs pas à insister sur ce dernier point, qui est en dehors de notre sujet ; nous l’indiquons seulement pour faire mieux comprendre que, à plus forte raison, une transmission régulière est indispensable pour permettre d’accomplir valablement les rites impliquant l’action d’une influence d’ordre supérieur, qui peut être dite proprement « non-humaine », ce qui est à la fois le cas des rites initiatiques et celui des rites religieux. Là est en effet le point essentiel, et il nous faut encore y insister quelque peu : nous avons déjà dit que la constitution d’organisations initiatiques régulières n’est pas à la disposition de simples initiatives individuelles, et l’on peut en dire exactement autant en ce qui concerne les organisations religieuses, parce que, dans l’un et l’autre cas, il faut la présence de quelque chose qui ne saurait venir des individus, étant au delà du domaine des possibilités humaines. On peut d’ailleurs réunir ces deux cas en disant qu’il s’agit ici, en fait, de tout l’ensemble des organisations qui peuvent être qualifiées véritablement de traditionnelles ; on comprendra dès lors, sans même qu’il y ait besoin de faire intervenir d’autres considérations, pourquoi nous nous refusons, ainsi que nous l’avons dit en maintes occasions, à appliquer le nom de tradition à des choses qui ne sont que purement humaines, comme le fait abusivement le langage profane ; il ne sera pas inutile de remarquer que ce mot même de « tradition », dans son sens originel, n’exprime rien d’autre que l’idée même de transmission que nous envisageons présentement, et c’est d’ailleurs là une question sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin.

1 Cette condition de la transmission se retrouve donc jusque dans les déviations de la tradition ou dans ses vestiges dégénérés, et même aussi, devons-nous ajouter, dans la subversion proprement dite qui est le fait de ce que nous avons appelé la « contre initiation ». Cf. à ce propos Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXIV et XXXVIII.

Maintenant, on pourrait, pour plus de commodité, diviser les organisations traditionnelles en « exotériques » et « ésotériques », bien que ces deux termes, si on voulait les entendre dans leur sens le plus précis, ne s’appliquent peut-être pas partout avec une égale exactitude ; mais, pour ce que nous avons actuellement en vue, il nous suffira d’entendre par « exotériques » les organisations qui, dans une certaine forme de civilisation, sont ouvertes à tous indistinctement, et par « ésotériques » celles qui sont réservées à une élite, ou, en d’autres termes, où ne sont admis que ceux qui possèdent une « qualification » particulière.

Ces dernières sont proprement les organisations initiatiques ; quant aux autres, elles ne comprennent pas seulement les organisations spécifiquement religieuses, mais aussi, comme on le voit dans les civilisations orientales, des organisations sociales qui n’ont pas ce caractère religieux, tout en étant pareillement rattachées à un principe d’ordre supérieur, ce qui est dans tous les cas la condition indispensable pour qu’elles puissent être reconnues comme traditionnelles. D’ailleurs, comme nous n’avons pas à envisager ici les organisations exotériques en elles-mêmes, mais seulement pour comparer leur cas à celui des organisations ésotériques ou initiatiques, nous pouvons nous borner à la considération des organisations religieuses, parce que ce sont les seules de cet ordre qui soient connues en Occident, et qu’ainsi ce qui s’y rapporte sera plus immédiatement compréhensible.

Nous dirons donc ceci : toute religion, au vrai sens de ce mot, a une origine « non-humaine » et est organisée de façon à conserver le dépôt d’un élément également « non-humain » qu’elle tient de cette origine ; cet élément, qui est de l’ordre de ce que nous appelons les influences spirituelles, exerce son action effective par le moyen de rites appropriés, et l’accomplissement de ces rites, pour être valable, c’est-à-dire pour fournir un support réel à l’influence dont il s’agit, requiert une transmission directe et ininterrompue au sein de l’organisation religieuse.

S’il en est ainsi dans l’ordre simplement exotérique (et il est bien entendu que ce que nous disons ne s’adresse pas aux « critiques » négateurs auxquels nous avons fait allusion précédemment, qui prétendent réduire la religion à un « fait humain », et dont nous n’avons pas à prendre l’opinion en considération, pas plus que tout ce qui ne procède pareillement que des préjugés antitraditionnels), à plus forte raison devra-t-il en être de même dans un ordre plus élevé, c’est-à-dire dans l’ordre ésotérique.
Les termes dont nous venons de nous servir sont assez larges pour s’appliquer encore ici sans aucun changement, en remplaçant seulement le mot de « religion » par celui d’« initiation » ; toute la différence portera sur la nature des influences spirituelles qui entrent en jeu (car il y a encore bien des distinctions à faire dans ce domaine, où nous comprenons en somme tout ce qui se rapporte à des possibilités d’ordre supraindividuel), et surtout sur les finalités respectives de l’action qu’elles exercent dans l’un et l’autre cas.

Si, pour nous faire mieux comprendre encore, nous nous référons plus particulièrement au cas du Christianisme dans l’ordre religieux, nous pourrons ajouter ceci : les rites d’initiation, ayant pour but immédiat la transmission de l’influence spirituelle d’un individu à un autre qui, en principe tout au moins, pourra par la suite la transmettre à son tour, sont exactement comparables sous ce rapport à des rites d’ordination (1) ; et l’on peut même remarquer que les uns et les autres sont semblablement susceptibles de comporter plusieurs degrés, la plénitude de l’influence spirituelle n’étant pas forcément communiquée d’un seul coup avec toutes les prérogatives qu’elle implique, spécialement en ce qui concerne l’aptitude actuelle à exercer telles ou telles fonctions dans l’organisation traditionnelle (2).

1 Nous disons « sous ce rapport », car, à un autre point de vue, l’initiation première, en tant que « seconde naissance », serait comparable au rite du baptême ; il va de soi que les correspondances que l’on peut envisager entre des choses appartenant à des ordres aussi différents doivent être forcément assez complexes et ne se laissent pas réduire à une sorte de schéma unilinéaire.
2 Nous disons « aptitude actuelle » pour préciser qu’il s’agit ici de quelque chose de plus que la « qualification » préalable, qui peut être désignée aussi comme une aptitude ; ainsi, on pourra dire qu’un individu est apte à l’exercice des fonctions sacerdotales s’il n’a aucun des empêchements qui en interdisent l’accès, mais il n’y sera actuellement apte que s’il a reçu effectivement l’ordination. Remarquons aussi, à ce propos, que celle-ci est le seul sacrement pour lequel des « qualifications » particulières soient exigées, en quoi elle est encore comparable à l’initiation, à la condition, bien entendu, de toujours tenir compte de la. différence essentielle des deux domaines exotérique et ésotérique.


Or on sait quelle importance a, pour les Eglises chrétiennes, la question de la « succession apostolique », et cela se comprend sans peine, puisque, si cette succession venait à être interrompue, aucune ordination ne saurait plus être valable, et, par suite, la plupart des rites ne seraient plus que de vaines formalités sans portée effective (1).
Ceux qui admettent à très juste titre la nécessité d’une telle condition dans l’ordre religieux ne devraient pas avoir la moindre difficulté à comprendre qu’elle ne s’impose pas moins rigoureusement dans l’ordre initiatique, ou, en d’autres termes, qu’une transmission régulière, constituant la « chaîne » dont nous parlions plus haut, y est tout aussi strictement indispensable.

Nous disions tout à l’heure que l’initiation doit avoir une origine « non-humaine », car, sans cela, elle ne pourrait en aucune façon atteindre son but final, qui dépasse le domaine des possibilités individuelles ; c’est pourquoi les véritables rites initiatiques, comme nous l’avons indiqué précédemment, ne peuvent être rapportés à des auteurs humains, et, en fait, on ne leur connaît jamais de tels auteurs (2), pas plus qu’on ne connait d’inventeurs aux symboles traditionnels, et pour la même raison, car ces symboles sont également « non-humains » dans leur origine et dans leurs essence (3) ; et d’ailleurs il y a, entre rites et symboles, des liens fort étroits que nous examinerons plus tard.
On peut dire en toute rigueur que, dans des cas comme ceux-là, il n’y a pas d’origine « historique », puisque l’origine réelle se situe dans un monde auquel ne s’appliquent pas les conditions de temps et de lieu qui définissent les faits historiques comme tels ; et c’est pourquoi ces choses échapperont toujours inévitablement aux méthodes profanes de recherche, qui, en quelque sorte par définition, ne peuvent donner de résultats relativement valables que dans l’ordre purement humain (5).

1 Nous disons « aptitude actuelle » pour préciser qu’il s’agit ici de quelque chose de plus que la « qualification » préalable, qui peut être désignée aussi comme une aptitude ; ainsi, on pourra dire qu’un individu est apte à l’exercice des fonctions sacerdotales s’il n’a aucun des empêchements qui en interdisent l’accès, mais il n’y sera actuellement apte que s’il a reçu effectivement l’ordination. Remarquons aussi, à ce propos, que celle-ci est le seul sacrement pour lequel des « qualifications » particulières soient exigées, en quoi elle est encore comparable à l’initiation, à la condition, bien entendu, de toujours tenir compte de la différence essentielle des deux domaines exotérique et ésotérique.
2 En fait, les Eglises protestantes qui n’admettent pas les fonctions sacerdotales ont supprimé presque tous les rites, ou ne les ont gardés qu’à titre de simples simulacres « commémoratifs » ; et, étant donnée la constitution propre de la tradition chrétienne, ils ne peuvent en effet être rien de plus en pareil cas. On sait d’autre part à quelles discussions la question de la « succession apostolique » donne lieu en ce qui concerne la légitimité de l’Eglise anglicane ; et il est curieux de noter que les théosophistes eux-mêmes, lorsqu’ils voulurent constituer leur Eglise « libre-catholique », cherchèrent avant tout à lui assurer le bénéfice d’une succession apostolique régulière.
3 Certaines attributions à des personnages légendaires, ou glus exactement symboliques, ne sauraient aucunement être regardées comme ayant un caractère « historique », mais confirment au contraire pleinement ce que nous disons ici.
4 Les organisations ésotériques islamiques se transmettent un signe de reconnaissance qui, suivant la tradition, fut communiqué au Prophète par l’archange Gabriel lui-même ; On ne saurait indiquer plus nettement l’origine « non-humaine » de l’initiation.
5 Notons à ce propos que ceux qui, avec des intentions « apologétiques », insistent sur ce qu’ils appellent, d’un terme d’ailleurs assez barbare, l’« historicité » d’une religion, au point d’y voir quelque chose de tout à fait essentiel et même d’y subordonner parfois les considérations doctrinales (alors qu’au contraire les faits historiques eux-mêmes ne valent vraiment qu’en tant qu’ils peuvent être pris comme symboles de réalités spirituelles), commettent une grave erreur au détriment de la « transcendance » de cette religion. Une telle erreur, qui témoigne d’ailleurs d’une conception assez fortement « matérialisée » et de l’incapacité de s’élever à un ordre supérieur, peut être regardée comme une fâcheuse concession au point de vue a « humaniste », c’est-à-dire individualiste et antitraditionnel, qui caractérise proprement l’esprit occidental moderne.


Dans de telles conditions, il est facile de comprendre que le rôle de l’individu qui confère l’initiation à un autre est bien véritablement un rôle de « transmetteur », au sens le plus exact de ce mot ; il n’agit pas en tant qu’individu, mais en tant que support d’une influence qui n’appartient pas à l’ordre individuel ; il est uniquement un anneau de la « chaîne » dont le point de départ est en dehors et au delà de l’humanité. C’est pourquoi il ne peut agir en son propre nom, mais au nom de l’organisation à laquelle il est rattaché et dont il tient ses pouvoirs, ou, plus exactement encore, au nom du principe que cette organisation représente visiblement.

Cela explique d’ailleurs que l’efficacité du rite accompli par un individu soit indépendante de la valeur propre de cet individu comme tel, ce qui est vrai également pour les rites religieux ; et nous ne l’entendons pas au sens « moral », ce qui serait trop évidemment sans importance dans une question qui est en réalité d’ordre exclusivement « technique », mais en ce sens que, même si l’individu considéré ne possède pas le degré de connaissance nécessaire pour comprendre le sens profond du rite et la raison essentielle de ses divers éléments, ce rite n’en aura pas moins son plein effet si, étant régulièrement investi de la fonction de « transmetteur », il l’accomplit en observant toutes les règles prescrites, et avec une intention que suffit à déterminer la conscience de son rattachement à l’organisation traditionnelle.
De là dérive immédiatement cette conséquence, que même une organisation où il ne se trouverait plus à un certain moment que ce que nous avons appelé des initiés « virtuels » (et nous reviendrons encore là-dessus par la suite) n’en demeurerait pas moins capable de continuer à transmettre réellement l’influence spirituelle dont elle est dépositaire ; il suffit pour cela que la « chaîne » ne soit pas interrompue ; et, à cet égard, la fable bien connue de « l’âne portant des reliques » est susceptible d’une signification initiatique digne d’être méditée (1).

1 Il est même à remarquer, à ce propos, que les reliques sont précisément un véhicule d’influences spirituelles ; la est la véritable raison du culte dont elles sont l’objet, même si cette raison n’est pas toujours consciente chez les représentants des religions exotériques, qui semblent parfois ne pas se rendre compte du caractère très « positif » des forces qu’ils manient, ce qui d’ailleurs n’empêche pas ces forces d’agir effectivement, même à leur insu, quoique peut-être avec moins d’ampleur que si elles étalent mieux dirigées « techniquement ».

Par contre, la connaissance même complète d’un rite, si elle a été obtenue en dehors des conditions régulières, est entièrement dépourvue de toute valeur effective ; c’est ainsi, pour prendre un exemple simple (puisque le rite s’y réduit essentiellement à la prononciation d’un mot ou d’une formule), que, dans la tradition hindoue, le mantra qui a été appris autrement que de la bouche d’un guru autorisé est sans aucun effet, parce qu’il n’est pas « vivifié » par la présence de l’influence spirituelle dont il est uniquement destiné à être le véhicule (1).

Ceci s’étend d’ailleurs, à un degré ou à un autre, à tout ce à quoi est attachée une influence spirituelle : ainsi, l’étude des textes sacrés d’une tradition, faite dans les livres, ne saurait jamais suppléer à leur communication directe ; et c’est pourquoi, là même où les enseignements traditionnels ont été plus ou moins complètement mis par écrit, ils n’en continuent pas moins à être régulièrement l’objet d’une transmission orale, qui, en même temps qu’elle est indispensable pour leur donner leur plein effet (dès lors qu’il ne s’agit pas de s’en tenir à une connaissance simplement théorique), assure la perpétuation de la « chaine » à laquelle est liée la vie même de la tradition. Autrement, on n’aurait plus affaire qu’à une tradition morte, à laquelle aucun rattachement effectif n’est plus possible ; et, si la connaissance de ce qui reste d’une tradition peut avoir encore un certain intérêt théorique (en dehors, bien entendu, du point de vue de la simple érudition profane, dont la valeur ici est nulle, et en tant qu’elle est susceptible d’aider à la compréhension de certaines vérités doctrinales), elle ne saurait être d’aucun bénéfice direct en vue d’une « réalisation » quelconque (2).

Il s’agit si bien, en tout ceci, de la communication de quelque chose de « vital », que, dans l’Inde, nul disciple ne peut jamais s’asseoir en face du guru, et cela afin d’éviter que l’action du prâna qui est lié au souffle et à la voix, en s’exerçant trop directement, ne produise un choc trop violent et qui, par suite, pourrait n’être pas sans danger, psychiquement et même physiquement (3). Cette action est d’autant plus puissante, en effet, que le prâna lui-même, en pareil cas, n’est que le véhicule ou le support subtil de l’influence spirituelle qui se transmet du guru au disciple ; et le guru, dans sa fonction propre, ne doit pas être considéré comme une individualité (celle-ci disparaissant alors véritablement, sauf en tant que simple support), mais uniquement comme le représentant de la tradition même, qu’il incarne en quelque sorte par rapport à son disciple, ce qui constitue bien exactement ce rôle de « transmetteur » dont nous parlions plus haut.

1 Signalons en passant, à propos de cette « vivification », si l’on peut s’exprimer ainsi, que la consécration des temples, des images et des objets rituels a pour but essentiel d’en faire le réceptacle effectif des influences spirituelles sans la présence desquelles les rites auxquels ils doivent servir seraient dépourvus d’efficacité.
2 Ceci complète et précise encore ce que nous disions plus haut de la vanité d’un prétendu rattachement « idéal » aux formes d’une tradition disparue.
3 Là est aussi l’explication de la disposition spéciale des sièges dans une Loge maçonnique, ce dont la plupart des Maçons actuels sont assurément bien loin de se douter.


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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre IX : Tradition et transmission

Message par Ligeia Lun 6 Juil - 12:41

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Tradition et transmission


Nous avons fait remarquer plus haut que le mot de « tradition », dans son acception étymologique, n’exprime en somme d’autre idée que celle de transmission ; il n’y a là, au fond, rien que de parfaitement normal et en accord avec l’application qui en est faite quand on parle de « tradition » au sens où nous l’entendons, et ce que nous avons déjà expliqué devrait suffire à le faire comprendre facilement ; pourtant, certains ont soulevé à ce propos une objection qui nous a montré la nécessité d’y insister davantage, afin qu’il ne puisse subsister aucune équivoque sur ce point essentiel.

Voici quelle est cette objection : n’importe quoi peut faire l’objet d’une transmission, y compris les choses de l’ordre le plus profane ; alors, pourquoi ne pourrait-on parler tout aussi bien de « tradition » pour tout ce qui est ainsi transmis, quelle qu’en soit la nature, au lieu de restreindre l’emploi de ce mot au seul domaine que nous pouvons appeler « sacré » ?

Nous devons faire tout d’abord une remarque importante, et qui réduit déjà beaucoup la portée de cette question : c’est que, si l’on se reportait aux origines, celle-ci n’aurait pas à se poser, la distinction entre « sacré » et « profane » qu’elle implique étant alors inexistante. En effet, comme nous l’avons souvent expliqué, il n’y a pas proprement un domaine profane, auquel un certain ordre de choses appartiendrait par sa nature même ; il y a seulement, en réalité, un point de vue profane, qui n’est que la conséquence et le produit d’une certaine dégénérescence, résultant elle-même de la marche descendante du cycle humain et de son éloignement graduel de l’état principiel.

Donc, antérieurement à cette dégénérescence, c’est-à-dire en somme dans l’état normal de l’humanité non encore déchue, on peut dire que tout avait véritablement un caractère traditionnel, parce que tout était envisagé dans sa dépendance essentielle à l’égard des principes et en conformité avec ceux-ci, de telle sorte qu’une activité profane, c’est-à-dire séparée de ces mêmes principes et les ignorant, eût été quelque chose de tout à fait inconcevable, même pour ce qui relève de ce qu’on est convenu d’appeler aujourd’hui la « vie ordinaire », ou plutôt pour ce qui pouvait y correspondre alors, mais qui apparaissait sous un aspect bien différent de ce que nos contemporains entendent par là (1), et à plus forte raison pour ce qui est des sciences, des arts et des métiers, pour lesquels ce caractère traditionnel s’est maintenu intégralement beaucoup plus tard et se retrouve encore dans toute civilisation de type normal, si bien qu’on pourrait dire que leur conception profane est, à part l’exception qu’il y a peut-être lieu de faire jusqu’à un certain point pour l’antiquité dite « classique », exclusivement propre à la seule civilisation moderne, qui ne représente elle-même, au fond, que l’ultime degré de la dégénérescence dont nous venons de parler.

1 Cf. Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps ch. XV.

Si maintenant nous considérons l’état de fait postérieur à cette dégénérescence, nous pouvons nous demander pourquoi l’idée de tradition y exclut ce qui est désormais traité comme d’ordre profane, c’est-à-dire ce qui n’a plus de lien conscient avec les principes, pour ne s’appliquer qu’à ce qui a gardé son caractère originel, avec l’aspect « transcendant » qu’il comporte.
Il ne suffit pas de constater que l’usage l’a voulu ainsi, du moins tant que ne s’étaient pas encore produites les confusions et les déviations toutes modernes sur lesquelles nous avons attiré l’attention en d’autres occasions (1) ; il est vrai que l’usage modifie souvent le sens premier des mots, et qu’il peut notamment y ajouter ou en retrancher quelque chose ; mais cela même, du moins quand il s’agit d’un usage légitime, doit avoir aussi sa raison d’être, et surtout dans un cas comme celui-là, cette raison ne peut pas être indifférente.

Nous pouvons d’ailleurs remarquer que ce fait n’est pas limité aux seules langues qui emploient ce mot latin de « tradition » ; en hébreu, le mot qabbalah, qui a exactement le même sens de transmission, est pareillement réservé a la désignation de la tradition telle que nous l’entendons, et même d’ordinaire, plus strictement encore, de sa partie ésotérique et initiatique, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus « intérieur » et de plus élevé dans cette tradition, de ce qui en constitue en quelque sorte l’esprit même ; et cela encore montre bien qu’il doit y avoir là quelque chose de plus important et de plus significatif qu’une simple question d’usage au sens ou on peut l’entendre quand il s’agit seulement de modifications quelconques du langage courant.

En premier lieu, il y a une indication qui résulte immédiatement de ceci, que, comme nous le disions tout à l’heure, ce à quoi s’applique le nom de tradition, c’est ce qui est en somme, dans son fond même, sinon forcément dans son expression extérieure, resté tel qu’il était à l’origine ; il s’agit donc bien là de quelque chose qui a été transmis, pourrait-on dire, d’un état antérieur de l’humanité à son état présent. En même temps, on peut remarquer que le caractère « transcendant » de tout ce qui est traditionnel implique aussi une transmission dans un autre sens, partant des principes mêmes pour se communiquer à l’état humain ; et ce sens rejoint d’une certaine façon et complète évidemment le précédent.
On pourrait même, en reprenant ici les termes que nous avons employés ailleurs (2), parler à la fois d’une transmission « verticale », du supra-humain à l’humain, et d’une transmission « horizontale », à travers les états ou les stades successifs de l’humanité ; la transmission verticale est d’ailleurs essentiellement « intemporelle », la transmission horizontale seule impliquant une succession chronologique.

1 Voir notamment Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXI.
2 Voir Le Symbolisme de la Croix.


Ajoutons encore que la transmission verticale, qui est telle quand on l’envisage de haut en bas comme nous venons de le faire, devient, si on la prend au contraire de bas un haut, une « participation » de l’humanité aux réalités de l’ordre principiel, participation qui, en effet, est précisément assurée par la tradition sous toutes ses formes, puisque c’est là ce par quoi l’humanité est mise en rapport effectif et constant avec ce qui lui est supérieur.

La transmission horizontale, de son côté, si on la considère en remontant le cours des temps, devient proprement un « retour aux origines », c’est-à-dire une restauration de l’« état primordial » ; et nous avons déjà indiqué plus haut que cette restauration est précisément une condition nécessaire pour que, de là, l’homme puisse ensuite s’élever effectivement aux états supérieurs. Il y a encore autre chose : au caractère de « transcendance » qui appartient essentiellement aux principes, et dont tout ce qui y est effectivement rattaché participe par là-même à quelque degré (ce qui se traduit par la présence d’un élément « non-humain » dans tout ce qui est proprement traditionnel), s’ajoute un caractère de « permanence » qui exprime l’immutabilité de ces mêmes principes, et qui se communique pareillement, dans toute la mesure du possible, à leurs applications, alors même que celles-ci se réfèrent à des domaines contingents.
Ceci ne veut pas dire, bien entendu, que la tradition ne soit pas susceptible d’adaptations conditionnées par certaines circonstances ; mais, sous ces modifications, la permanence est toujours maintenue quant à l’essentiel ; et, même lorsqu’il s’agit de contingences, ces contingences comme telles sont en quelque sorte dépassées et « transformées » par le fait même de leur rattachement aux principes.

Au contraire, quand on se place au point de vue profane, qui se caractérise, d’une façon qui ne peut d’ailleurs être que toute négative, par l’absence d’un tel rattachement, on est, si l’on peut dire, dans la contingence pure, avec tout ce qu’elle comporte d’instabilité et de variabilité incessante, et sans aucune possibilité d’en sortir ; c’est en quelque sorte le « devenir » réduit à lui-même, et il n’est pas difficile de se rendre compte qu’en effet les conceptions profanes de toute nature sont soumises à un changement continuel, non moins que les façons d’agir qui procèdent du même point de vue, et dont ce qu’on appelle la « mode » représente l’image la plus frappante à cet égard.

On peut conclure de là que la tradition comprend non seulement tout ce qui vaut d’être transmis, mais même tout ce qui peut l’être véritablement, puisque le reste, ce qui est dépourvu de caractère traditionnel et qui; par conséquent, tombe dans le point de vue profane, est dominé par le changement au point que toute transmission y devient bientôt un « anachronisme » pur et simple, ou une « superstition », au sens étymologique du mot, qui ne répond plus à rien de réel ni de valable.

On doit maintenant comprendre pourquoi tradition et transmission peuvent être regardées, sans aucun abus de langage, comme presque synonymes ou équivalentes, ou pourquoi, tout au moins, la tradition, sous quelque rapport qu’on l’envisage, constitue ce qu’on pourrait appeler la transmission par excellence.

D’autre part, si cette idée de transmission est si essentiellement inhérente au point de vue traditionnel que celui-ci ait pu en tirer légitimement sa désignation même, tout ce que nous avons dit précédemment de la nécessité d’une transmission régulière pour ce qui appartient à cet ordre traditionnel, et plus particulièrement à l’ordre initiatique qui en est partie non seulement intégrante, mais même « éminente », s’en trouve encore renforcé et en acquiert même une sorte d’évidence immédiate qui devrait, au regard de la plus simple logique, et sans même faire appel à des considérations plus profondes, rendre décidément impossible toute contestation sur ce point, où d’ailleurs les organisations pseudo-initiatiques ont seules intérêt, précisément parce que cette transmission leur fait défaut, à maintenir l’équivoque et la confusion.


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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre X : Des centres initiatiques

Message par Ligeia Dim 19 Juil - 10:13

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DES CENTRES INITIATIQUES


Nous pensons en avoir dit assez pour montrer, aussi clairement qu’il est possible de le faire, la nécessité de la transmission initiatique, et pour bien faire comprendre qu’il ne s’agit pas là de choses plus ou moins nébuleuses, mais au contraire de choses extrêmement précises et bien définies, où la rêverie et l’imagination ne sauraient avoir la moindre part, non plus que tout ce qu’on qualifie aujourd’hui de « subjectif » et d’« idéal ».

Il nous reste encore, pour compléter ce qui se rapporte à cette question, à parler quelque peu des centres spirituels dont procède, directement ou indirectement, toute transmission régulière, centres secondaires rattachés eux-mêmes au centre suprême qui conserve le dépôt immuable de la Tradition primordiale, dont toutes les formes traditionnelles particulières sont dérivées par adaptation à telles ou telles circonstances définies de temps et de lieu.

Nous avons indiqué, dans une autre étude (1), comment ces centres spirituels sont constitués à l’image du centre suprême lui-même, dont ils sont en quelque sorte comme autant de reflets ; nous n’y reviendrons donc pas ici, et nous nous bornerons à envisager certains points qui sont en relation plus immédiate avec les considérations que nous venons d’exposer.
Tout d’abord, il est facile de comprendre que le rattachement au centre suprême soit indispensable pour assurer la continuité de transmission des influences spirituelles depuis les origines mêmes de la présente humanité (nous devrions même dire au delà de ces origines, puisque ce dont il s’agit est « non-humain ») et à travers toute la durée de son cycle d’existence ; il en est ainsi pour tout ce qui a un caractère véritablement traditionnel, même pour les organisations exotériques, religieuses ou autres, tout au moins à leur point de départ ; à plus forte raison en est-il de même dans l’ordre initiatique. En même temps, c’est ce rattachement qui maintient l’unité intérieure et essentielle existant sous la diversité des apparences formelles, et qui est, par conséquent, la garantie fondamentale de l’« orthodoxie », au vrai sens de ce mot.

1 Le Roi du Monde.

Seulement, il doit être bien entendu que ce rattachement peut ne pas demeurer toujours conscient, et cela n’est que trop évident dans l’ordre exotérique ; par contre, il semble qu’il devrait l’être toujours dans le cas des organisations initiatiques, dont une des raisons d’être est précisément, en prenant pour point d’appui une certaine forme traditionnelle, de permettre de passer au delà de cette forme et de s’élever ainsi de la diversité à l’unité. Ceci, naturellement, ne veut pas dire qu’une telle conscience doive exister chez tous les membres d’une organisation initiatique, ce qui est manifestement impossible et rendrait d’ailleurs inutile l’existence d’une hiérarchie de degrés ; mais elle devrait normalement exister au sommet de cette hiérarchie, si tous ceux qui y sont parvenus étaient véritablement des « adeptes », c’est-à-dire des êtres ayant réalisé effectivement la plénitude de l’initiation (1) ; et de tels « adeptes » constitueraient un centre initiatique qui serait constamment en communication consciente avec le centre suprême.

Cependant, en fait, il peut arriver qu’il n’en soit pas toujours ainsi, ne serait-ce que par suite d’une certaine dégénérescence que rend possible l’éloignement des origines, et qui peut aller jusqu’au point où, comme nous le disions précédemment, une organisation en arriverait à ne plus comprendre que ce que nous avons appelé des initiés « virtuels », continuant toutefois à transmettre, même s’ils ne s’en rendent plus compte, l’influence spirituelle dont cette organisation est dépositaire. Le rattachement subsiste alors malgré tout par là même que la transmission n’a pas été interrompue, et cela suffit pour que quelqu’un de ceux qui auront reçu l’influence spirituelle dans ces conditions puisse toujours en reprendre conscience s’il a en lui les possibilités requises ; ainsi, même dans ce cas, le fait d’appartenir à une organisation initiatique est loin de ne représenter qu’une simple formalité sans portée réelle, du même genre que l’adhésion à une quelconque association profane, comme le croient trop volontiers ceux qui ne vont pas au fond des choses et qui se laissent tromper par quelques similitudes purement extérieures, lesquelles ne sont d’ailleurs dues, en fait, qu’à l’état de dégénérescence dans lequel se trouvent actuellement les seules organisations initiatiques dont ils peuvent avoir quelque connaissance plus ou moins superficielle.

D’autre part, il importe de remarquer qu’une organisation initiatique peut procéder du centre suprême, non pas directement, mais par l’intermédiaire de centres secondaires et subordonnés, ce qui est même le cas le plus habituel ; comme il y a dans chaque organisation une hiérarchie de degrés, il y a ainsi, parmi les organisations elles-mêmes, ce qu’on pourrait appeler des degrés d’« intériorité » et d’« extériorité » relative ; et il est clair que celles qui sont les plus extérieures, c’est-à-dire les plus éloignées du centre suprême, sont aussi celles où la conscience du rattachement à celui-ci peut se perdre le plus facilement.

1 C’est là le seul sens vrai et légitime de ce mot, qui, à l’origine appartenait exclusivement à la terminologie initiatique et plus spécialement rosicrucienne ; mais il faut encore signaler à ce propos un de ces étranges abus de langage si nombreux à notre époque : on en est arrivé, dans l’usage vulgaire, à prendre « adeptes » pour un synonyme d’« adhérents », si bien qu’on applique couramment ce mot à l’ensemble des membres de n’importe quelle organisation, s’agit-il de l’association la plus purement profane qu’il soit possible de concevoir !

Bien que le but de toutes les organisations initiatiques soit essentiellement le même, il en est qui se situent en quelque sorte à des niveaux différents quant à leur participation à la Tradition primordiale (ce qui d’ailleurs ne veut pas dire que, parmi leurs membres, il ne puisse pas y en avoir qui aient atteint personnellement un même degré de connaissance effective) ; et il n’y a pas lieu de s’en étonner, si l’on observe que les différentes formes traditionnelles elles-mêmes ne dérivent pas toutes immédiatement de la même source originelle ; la « chaîne » peut compter un nombre plus ou moins grand d’anneaux intermédiaires, sans qu’il y ait pour cela aucune solution de continuité.

L’existence de cette superposition n’est pas une des moindres raisons parmi toutes celles qui font la complexité et la difficulté d’une étude quelque peu approfondie de la constitution des organisations initiatiques ; encore faut-il ajouter qu’une telle superposition peut se rencontrer aussi à l’intérieur d’une même forme traditionnelle, ainsi qu’on peut en trouver un exemple particulièrement net dans le cas des organisations appartenant à la tradition extrême-orientale.
Cet exemple, auquel nous ne pouvons faire ici qu’une simple allusion, est même peut-être un de ceux qui permettent le mieux de comprendre comment la continuité est assurée à travers les multiples échelons constitués par autant d’organisations superposées, depuis celles qui, engagées dans le domaine de l’action, ne sont que des formations temporaires destinées à jouer un rôle relativement extérieur, jusqu’à celles de l’ordre le plus profond, qui, tout en demeurant dans le « non-agir » principiel, ou plutôt par cela même, donnent à toutes les autres leur direction réelle.

A ce propos, nous devons appeler spécialement l’attention sur le fait que, même si certaines de ces organisations, parmi les plus extérieures, se trouvent parfois être en opposition entre elles, cela ne saurait en rien empêcher l’unité de direction d’exister effectivement, parce que la direction en question est au delà de cette opposition, et non point dans le domaine où celle-ci s’affirme. Il y a là, en somme, quelque chose de comparable aux rôles joués par différents acteurs dans une même pièce de théâtre, et qui, alors même qu’ils s’opposent, n’en concourent pas moins à la marche de l’ensemble ; chaque organisation joue de même le rôle auquel elle est destinée dans un plan qui la dépasse ; et ceci peut s’étendre même au domaine exotérique, où, dans de telles conditions, les éléments qui luttent les uns contre les autres n’en obéissent pas moins tous, quoique tout à fait inconsciemment et involontairement, à une direction unique dont ils ne soupçonnent même pas l’existence (1).

Ces considérations font aussi comprendre comment, au sein d’une même organisation, il peut exister en quelque sorte une double hiérarchie, et ceci plus spécialement dans le cas ou les chefs apparents ne sont pas conscients eux-mêmes du rattachement à un centre spirituel ; il pourra y avoir alors, en dehors de la hiérarchie visible qu’ils constituent, une autre hiérarchie invisible, dont les membres, sans remplir aucune fonction « officielle », seront cependant ceux qui assureront réellement, par leur seule présence, la liaison effective avec ce centre.

1 D’après la tradition islamique, tout être est naturellement et nécessairement muslim, c’est-à-dire soumis à la Volonté divine, à laquelle, en effet, rien ne peut se soustraire ; la différence entre les êtres consiste en ce que, tandis que les uns se conforment consciemment et volontairement à l’ordre universel, les autres l’ignorent ou même prétendent s’y opposer (voir Le Symbolisme de la Croix, p. 187). Pour comprendre entièrement le rapport de ceci avec ce que nous venons de dire, il faut remarquer que les véritables centres spirituels doivent être considérés comme représentant la Volonté divine en ce monde ; aussi ceux qui y sont rattachés de façon effective peuvent-ils être regardés comme collaborant consciemment à la réalisation de ce que l’initiation maçonnique désigne comme le « plan du Grand Architecte de l’Univers » ; quant aux deux autres catégories auxquelles nous venons de faire allusion, les ignorants purs et simples sont les profanes, parmi lesquels il faut, bien entendu, comprendre les « pseudo-initiés » de toute sorte, et ceux qui ont la prétention illusoire d’aller contre l’ordre préétabli relèvent, à un titre ou à un autre, de ce que nous avons appelé la « contre-initiation ».

Ces représentants des centres spirituels, dans les organisations relativement extérieures, n’ont évidemment pas à se faire connaître comme tels, et ils peuvent prendre telle apparence qui convient le mieux à l’action « de présence » qu’ils ont à exercer, que ce soit celle de simples membres de l’organisation s’ils doivent y jouer un rôle fixe et permanent, ou bien, s’il s’agit d’une influence momentanée ou devant se transporter en des points différents, celle de ces mystérieux « voyageurs » dont l’histoire a gardé plus d’un exemple, et dont l’attitude extérieure est souvent choisie de la façon la plus propre à dérouter les investigateurs, qu’il s’agisse d’ailleurs de frapper l’attention pour des raisons spéciales, ou au contraire de passer complètement inaperçus (1).
On peut comprendre également par là ce que furent véritablement ceux qui, sans appartenir eux-mêmes à aucune organisation connue (et nous entendons par là une organisation revêtue de formes extérieurement saisissables), présidèrent dans certains cas à la formation de telles organisations, ou, par la suite, les inspirèrent et les dirigèrent invisiblement ; tel fut notamment, pendant une certaine période (2), le rôle des Rose-Croix dans le monde occidental, et c’est là aussi le vrai sens de ce que la Maçonnerie du XVIIIème siècle désigna sous le nom de « Supérieurs Inconnus ».

Tout ceci permet d’entrevoir certaines possibilités d’action des centres spirituels, en dehors même des moyens que l’on peut considérer comme normaux, et cela surtout lorsque les circonstances sont elles-mêmes anormales, nous voulons dire dans des conditions telles qu’elles ne permettent plus l’emploi de voies plus directes et d’une régularité plus apparente.

C’est ainsi que, sans même parler d’une intervention immédiate du centre suprême, qui est possible toujours et partout, un centre spirituel, quel qu’il soit, peut agir en dehors de sa zone d’influence normale, soit en faveur d’individus particulièrement « qualifiés », mais se trouvant isolés dans un milieu où l’obscurcissement en est arrivé à un tel point que presque rien de traditionnel n’y subsiste plus et que l’initiation ne peut plus y être obtenue, soit en vue d’un but plus général, et aussi plus exceptionnel, comme celui qui consisterait à renouer une « chaîne » initiatique rompue accidentellement.
Une telle action se produisant plus particulièrement dans une période ou dans une civilisation où la spiritualité est presque complètement perdue, et où, par conséquent, les choses de l’ordre initiatique sont plus cachées que dans aucun autre cas, on ne devra pas s’étonner que ses modalités soient extrêmement difficiles à définir, d’autant plus que les conditions ordinaires de lieu et parfois même de temps y deviennent pour ainsi dire inexistantes.

1 Pour ce dernier cas, qui échappe forcément aux historiens, mais qui est sans doute le plus fréquent, nous citerons seulement deux exemples typiques, très connus dans la tradition taoïste, et dont on pourrait trouver l’équivalent même en Occident : celui des jongleurs et celui des marchands de chevaux.
2 Bien qu’il soit difficile d’apporter ici de grandes précisions, on peut regarder cette période comme s’étendant du XIVème au XVIIème siècle ; on peut donc dire qu’elle correspond à la première partie des temps modernes, et il est dès lors facile de comprendre qu’il s’agissait avant tout d’assurer la conservation de ce qui, dans les connaissances traditionnelles du moyen âge, pouvait être sauvé en dépit des nouvelles conditions du monde occidental.

Nous n’y insisterons donc pas davantage ; mais ce qu’il est essentiel de retenir, c’est que, même s’il arrive qu’un individu apparemment isolé parvienne à une initiation réelle, cette initiation ne pourra jamais être spontanée qu’en apparence, et que, en fait, elle impliquera toujours le rattachement, par un moyen quelconque, à un centre existant effectivement (1) ; en dehors d’un tel rattachement, il ne saurait en aucun cas être question d’initiation.

Si nous revenons à la considération des cas normaux, nous devons dire encore ceci pour éviter toute équivoque sur ce qui précède : en faisant allusion à certaines oppositions, nous n’avons nullement en vue les voies multiples qui peuvent être représentées par autant d’organisations initiatiques spéciales, soit en correspondance avec des formes traditionnelles différentes, soit dans une même forme traditionnelle. Cette multiplicité est rendue nécessaire par le fait même des différences de nature qui existent entre les individus, afin que chacun puisse trouver ce qui, lui étant conforme, lui permettra de développer ses propres possibilités ; si le but est le même pour tous, les points de départ sont indéfiniment diversifiés, et comparables à la multitude des points d’une circonférence, d’où partent autant de rayons qui aboutissent tous au centre unique, et qui sont ainsi l’image des voies mêmes dont il s’agit. Il n’y a en tout cela aucune opposition, mais au contraire une parfaite harmonie ; et, à vrai dire, il ne peut y avoir d’opposition que lorsque certaines organisations sont, du fait des circonstances contingentes, appelées à jouer un rôle en quelque sorte accidentel, extérieur au but essentiel de l’initiation et n’affectant celui-ci en aucune façon.

On pourrait cependant croire, d’après certaines apparences, et on croit souvent en fait, qu’il y a des initiations qui sont, en elles-mêmes, opposées les unes aux autres ; mais c’est là une erreur, et il est bien facile de comprendre pourquoi il ne saurait en être réellement ainsi. En effet, comme il n’y a en principe qu’une Tradition unique, dont toute forme traditionnelle orthodoxe est dérivée, il ne peut y avoir qu’une initiation également unique en son essence, quoique sous des formes diverses et avec des modalités multiples ; là où la « régularité » fait défaut, c’est-à-dire là où il n’y a pas de rattachement à un centre traditionnel orthodoxe, on n’a plus affaire à la véritable initiation, et ce n’est qu’abusivement que ce mot pourra être encore employé en pareil cas.

En cela, nous n’entendons pas parler seulement des organisations pseudo-initiatiques dont il a déjà été question précédemment qui ne sont en vérité qu’un pur néant ; mais il est autre chose qui présente un caractère plus sérieux, et qui est précisément ce qui peut donner une apparence de raison à l’illusion que nous venons de signaler : s’il semble qu’il y ait des initiations opposées, c’est que, en dehors de l’initiation véritable, il y a ce qu’on peut appeler la « contre-initiation » , à la condition de bien préciser en quel sens exact une telle expression doit être entendue, et dans quelles limites quelque chose peut vraiment s’opposer à l’initiation ; nous nous sommes du reste suffisamment expliqué ailleurs sur cette question pour n’avoir pas besoin d’y revenir ici d’une façon spéciale (2).

1 Certains incidents mystérieux de la vie de Jacob Bœhme, par exemple, ne peuvent s’expliquer réellement que de cette façon.
2 Voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXVIII.



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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre XI : Organisations initiatiques et sectes religieuses

Message par Ligeia Mer 22 Juil - 19:38

« (...) par définition également, la religion (ainsi que la partie exotérique de toute tradition, même si elle ne revêt pas cette forme spécifiquement religieuse) s’adresse au contraire à tous indistinctement ; l’initiation, au vrai sens de ce mot, impliquant des « qualifications » particulières, ne peut pas être d’ordre religieux »

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ORGANISATIONS INITIATIQUES ET SECTES RELIGIEUSES


L’étude des organisations initiatiques est, disions-nous plus haut, chose particulièrement complexe, et il faut ajouter qu’elle est encore compliquée par les erreurs que l’on commet trop souvent à ce sujet, et qui impliquent généralement une méconnaissance plus ou moins complète de leur véritable nature ; parmi ces erreurs, il convient de signaler en premier lieu celle qui fait appliquer le terme de « sectes » à de telles organisations, car il y a là beaucoup plus qu’une simple impropriété de langage. En effet, cette expression de « sectes », en pareil cas, n’est pas seulement à rejeter parce qu’elle est déplaisante et, se prenant toujours en mauvaise part, paraît être le fait d’adversaires, bien que d’ailleurs certains de ceux qui l’emploient aient pu le faire sans intention spécialement hostile, par imitation ou par habitude, comme il en est qui appellent « paganisme » les doctrines de l’antiquité sans même se douter que ce n’est là qu’un terme injurieux et d’assez basse polémique (1).

En réalité, il y a là une grave confusion entre des choses d’ordre entièrement différent, et cette confusion, chez ceux qui l’ont créée ou qui l’entretiennent, semble bien n’être pas toujours purement involontaire ; elle est due surtout, dans le monde chrétien et même parfois aussi dans le monde islamique (2), à des ennemis ou à des négateurs de l’ésotérisme, qui veulent ainsi, par une fausse assimilation, faire rejaillir sur celui-ci quelque chose du discrédit qui s’attache aux « sectes » proprement dites c’est-à-dire en somme aux « hérésies », entendues en un sens spécifiquement religieux (3).

1 Fabre d’Olivet, dans ses Examens des Vers Dorés de Pythagore, dit très justement à ce sujet : « Le nom de « païen » est un terme injurieux et ignoble, dérivé du latin paganus, qui signifie un rustre, un paysan. Quand le Christianisme eut entièrement triomphe du polythéisme grec et romain et que, par l’ordre de l’empereur Théodose, on eut abattu dans les villes les derniers temples dédiés aux Dieux des Nations, il se trouva que les peuples de la campagne persistèrent encore assez longtemps dans l’ancien culte, ce qui fit appeler par dérision pagani ceux qui les imitèrent. Cette dénomination, qui pouvait convenir, dans le Vème siècle, aux Grecs et aux Romains qui refusaient de se soumettre à la religion dominante de l’Empire, est fausse et ridicule quand on l’étend à d’autres temps et à d’autres peuples ».
2 Le terme arabe correspondant au mot « secte » est firqah, qui, comme lui, exprime proprement une idée de « division ».
3 On voit que, bien qu’il s’agisse toujours d’une confusion des deux domaines ésotérique et exotérique, il y a là une assez grande différence avec la fausse assimilation de l’ésotérisme au mysticisme dont nous avons parlé en premier lieu, car celle-ci, qui semble d’ailleurs être de date plus récente, tend plutôt à « annexer » l’ésotérisme qu’à le discréditer, ce qui est assurément plus habile et peut donner à penser que certains ont fini par se rendre compte de l’insuffisance d’une attitude de mépris grossier et de négation pure et simple.


Or, par là même qu’il s’agit d’ésotérisme et d’initiation, il ne s’agit aucunement de religion, mais bien de connaissance pure et de « science sacrée », qui, pour avoir ce caractère sacré (lequel n’est certes point le monopole de la religion comme certains paraissent le croire à tort) (1), n’en est pas moins essentiellement science, quoique dans un sens notablement différent de celui que donnent à ce mot les modernes, qui ne connaissent plus que la science profane, dépourvue de toute valeur au point de vue traditionnel, et procédant plus ou moins, comme nous l’avons souvent expliqué, d’une altération de l’idée même de science. Sans doute, et c’est là ce qui rend possible la confusion dont il s’agit, cet ésotérisme a plus de rapports, et d’une façon plus directe, avec la religion qu’avec toute autre chose extérieure, ne serait-ce qu’en raison du caractère proprement traditionnel qui leur est commun ; dans certains cas, il peut même, ainsi que nous l’indiquions plus haut, prendre sa base et son point d’appui dans une forme religieuse définie ; mais il ne s’en rapporte pas moins à un tout autre domaine que celle-ci, avec laquelle, par conséquent, il ne peut entrer ni en opposition ni en concurrence.
Du reste, cela résulte encore du fait qu’il s’agit là, par définition même, d’un ordre de connaissance réservé à une élite, tandis que, par définition également, la religion (ainsi que la partie exotérique de toute tradition, même si elle ne revêt pas cette forme spécifiquement religieuse) s’adresse au contraire à tous indistinctement ; l’initiation, au vrai sens de ce mot, impliquant des « qualifications » particulières, ne peut pas être d’ordre religieux (2). D’ailleurs, sans même examiner le fond des choses, la supposition qu’une organisation initiatique pourrait faire concurrence à une organisation religieuse est véritablement absurde, car, du fait même de son caractère « fermé » et de son recrutement restreint, elle serait par trop désavantagée à cet égard (3) ; mais là n’est ni son rôle ni son but.

Nous ferons remarquer ensuite que qui dit « secte » dit nécessairement, par l’étymologie même du mot, scission ou division ; et, effectivement, les « sectes » sont bien des divisions engendrées, au sein d’une religion, par des divergences plus ou moins profondes entre ses membres. Par conséquent, les « sectes » sont forcément multiplicité (4), et leur existence implique un éloignement du principe, dont l’ésotérisme est au contraire, par sa nature même, plus proche que la religion et plus généralement l’exotérisme, même exempts de toute déviation. C’est en effet par l’ésotérisme que s’unifient toutes les doctrines traditionnelles, au-delà des différences, d’ailleurs nécessaires dans leur ordre propre, de leurs formes extérieures ; et, à ce point de vue, non seulement les organisations initiatiques ne sont point des « sectes », mais elles en sont même exactement le contraire.

1 Il en est qui vont si loin en ce sens qu’ils prétendent qu’il n’est d’autre « science sacrée » que la théologie !
2 On pourrait objecter à cela qu’il y a aussi, comme nous le disions plus haut, des « qualifications » requises pour l’ordination sacerdotale ; mais, dans ce cas, il ne s’agit que d’une aptitude à l’exercice de certaines fonctions particulières, tandis que, dans l’autre, les « qualifications » sont nécessaires non pas seulement pour exercer une fonction dans une organisation initiatique, mais bien pour recevoir l’initiation elle-même, ce qui est tout à fait différent.
3 L’organisation initiatique comme telle, par contre, a tout avantage à maintenir son recrutement aussi restreint que possible, car, dans cet ordre, une trop grande extension est, assez généralement, une des causes premières d’une certaine dégénérescence, ainsi que nous l’expliquerons plus loin.
4 Ceci montre la fausseté radicale des conceptions de ceux qui, comme cela se rencontre fréquemment surtout parmi les écrivains « antimaçonniques », parlent de « la Secte », au singulier et avec une majuscule, comme d’une sorte d’ « entité » en laquelle leur imagination incarne tout ce à quoi ils ont voué quelque haine ; le fait que les mots arrivent ainsi à perdre complètement leur sens légitime est d’ailleurs, redisons-le encore à ce propos, une des caractéristiques du désordre mental de notre époque.


En outre, les « sectes », schismes ou hérésies, apparaissent toujours comme dérivées d’une religion donnée, dans laquelle elles ont pris naissance, et dont elles sont pour ainsi dire comme des branches irrégulières. Au contraire, l’ésotérisme ne peut aucunement être dérivé de la religion ; là même où il la prend pour support, en tant que moyen d’expression et de réalisation, il ne fait pas autre chose que de la relier effectivement à son principe, et il représente en réalité, par rapport à elle, la Tradition antérieure à toutes les formes extérieures particulières, religieuses ou autres.

L’intérieur ne peut être produit par l’extérieur, non plus que le centre par la circonférence, ni le supérieur par l’inférieur, non plus que l’esprit par le corps ; les influences qui président aux organisations traditionnelles vont toujours en descendant et ne remontent jamais, pas plus qu’un fleuve ne remonte vers sa source.
Prétendre que l’initiation pourrait être issue de la religion, et à plus forte raison d’une « secte », c’est renverser tous les rapports normaux qui résultent de la nature même des choses (1) ; et l’ésotérisme est véritablement, par rapport à l’exotérisme religieux, ce qu’est l’esprit par rapport au corps, si bien que, lorsqu’une religion a perdu tout point de contact avec l’ésotérisme (2), il n’y reste plus que « lettre morte » et formalisme incompris, car ce qui la vivifiait, c’était la communication effective avec le centre spirituel du monde, et celle-ci ne peut être établie et maintenue consciemment que par l’ésotérisme et par la présence d’une organisation initiatique véritable et régulière.

Maintenant, pour expliquer comment la confusion que nous nous attachons à dissiper a pu se présenter avec assez d’apparence de raison pour se faire accepter d’un assez grand nombre de ceux qui n’envisagent les choses que du dehors, il faut dire ceci : il semble bien que, dans quelques cas, des « sectes » religieuses aient pu prendre naissance du fait de la diffusion inconsidérée de fragments de doctrine ésotérique plus ou moins incomprise ; mais l’ésotérisme en lui-même ne saurait aucunement être rendu responsable de cette sorte de « vulgarisation », ou de « profanation » au sens étymologique du mot, qui est contraire à son essence même, et qui n’a jamais pu se produire qu’aux dépens de la pureté doctrinale.

1 Une erreur similaire, mais encore aggravée, est commise par ceux qui voudraient faire sortir l’initiation de quelque chose de plus extérieur encore, comme une philosophie par exemple ; le monde initiatique exerce son influence « invisible » sur le monde profane, directement ou indirectement, mais par contre, à part le cas anormal d’une grave dégénérescence de certaines organisations, il ne saurait aucunement être influencé par celui-ci.
2 Il faut bien remarquer que, quand nous disons « point de contact », cela implique l’existence d’une limite commune aux deux domaines, et par laquelle s’établit leur communication, mais n’entraîne par là aucune confusion entre eux.


Il a fallu, pour que pareille chose ait lieu, que ceux qui recevaient de tels enseignements les comprissent assez mal, faute de préparation ou peut-être même de « qualification », pour leur attribuer un caractère religieux qui les dénaturait entièrement : et l’erreur ne vient-elle pas toujours, en définitive, d’une incompréhension ou d’une déformation de la vérité ?

Tel fut probablement, pour prendre un exemple dans l’histoire du moyen âge, le cas des Albigeois ; mais, si ceux-ci furent « hérétiques », Dante et les « Fidèles d’Amour », qui se tenaient sur le terrain strictement initiatique, ne l’étaient point (1) ; et cet exemple peut encore aider à faire comprendre la différence capitale qui existe entre les « sectes » et les organisations initiatiques. Ajoutons que, si certaines « sectes » ont pu naître ainsi d’une déviation de l’enseignement initiatique, cela même suppose évidemment la préexistence de celui-ci et son indépendance à l’égard des « sectes » en question ; historiquement aussi bien que logiquement, l’opinion contraire apparaît comme parfaitement insoutenable.

Une question resterait encore à examiner : comment et pourquoi a-t-il pu se produire parfois de telles déviations ? Cela risquerait de nous entraîner fort loin, car il va de soi qu’il faudrait, pour y répondre complètement, examiner de près chaque cas particulier ; ce qu’on peut dire d’une façon générale, c’est que tout d’abord, au point de vue le plus extérieur, il semble à peu près impossible, quelques précautions que l’on prenne, d’empêcher complètement toute divulgation ; et, si les divulgations ne sont en tout cas que partielles et fragmentaires (car elles ne peuvent en somme porter que sur ce qui est relativement le plus accessible), les déformations qui s’ensuivent n’en sont que plus accentuées.

A un autre point de vue plus profond, on pourrait peut-être dire aussi qu’il faut que de telles choses aient lieu dans certaines circonstances, comme moyen d’une action devant s’exercer sur la marche des événements ; les « sectes » ont aussi leur rôle à jouer dans l’histoire de l’humanité, même si ce n’est qu’un rôle inférieur, et il ne faut pas oublier que tout désordre apparent n’est en réalité qu’un élément de l’ordre total du monde. Les querelles du monde extérieur perdent d’ailleurs assurément beaucoup de leur importance quand on les envisage d’un point où sont conciliées toutes les oppositions qui les suscitent, ce qui est le cas dès qu’on se place au point de vue strictement ésotérique et initiatique ; mais, précisément pour cela, ce ne saurait être en aucune façon le rôle des organisations initiatiques de se mêler à ces querelles ou, comme on dit communément, d’y « prendre parti », tandis que les « sectes », au contraire, s’y trouvent engagées inévitablement par leur propre nature, et que là est peut-être même, au fond, ce qui fait toute leur raison d’être.

1 Voir à ce sujet L’Esotérisme de Dante, notamment pp. 3-7 et 27-28


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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre XII : Organisations initiatiques et sociétés secrètes

Message par Ligeia Jeu 30 Juil - 16:37

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Chapitre XII : Organisations initiatiques et sociétés secrètes



Il est, sur la nature des organisations initiatiques, une autre erreur très fréquente, qui devra nous retenir plus longtemps que celle qui consiste à les assimiler aux « sectes » religieuses, car elle se rapporte à un point qui semble particulièrement difficile à comprendre pour la plupart de nos contemporains, mais que nous considérons comme tout à fait essentiel : c’est que de telles organisations diffèrent totalement, par leur nature même, de tout ce que, de nos jours, on appelle « sociétés » ou « associations », celles-ci étant définies par des caractères extérieurs qui peuvent faire entièrement défaut à celles-là, et qui, même s’ils s’y introduisent parfois, leur demeurent toujours accidentels et ne doivent même y être regardés, ainsi que nous l’avons d’ailleurs indiqué déjà dès le début, que comme l’effet d’une sorte de dégénérescence, ou, si l’on veut, de « contamination », en ce sens qu’il s’agit là de l’adoption de formes profanes ou tout au moins exotériques, sans aucun rapport avec le but réel de ces organisations. Il est donc tout à fait erroné d’identifier, comme on le fait communément, « organisations initiatiques » et « sociétés secrètes » ; et, tout d’abord, il est bien évident que les deux expressions ne peuvent aucunement coïncider dans leur application, car, en fait, il y a bien des sortes de sociétés secrètes, dont beaucoup n’ont très certainement rien d’initiatique ; il peut s’en constituer par le fait d’une simple initiative individuelle, et pour un but tout à fait quelconque ; nous aurons d’ailleurs à revenir là-dessus par la suite. D’autre part, et c’est là sans doute la cause principale de l’erreur que nous venons de mentionner, s’il arrive qu’une organisation initiatique prenne accidentellement, comme nous le disions tout à l’heure, la forme d’une société, celle-ci sera forcément secrète, dans l’un au moins des sens que l’on donne à ce mot en pareil cas, et que l’on n’a pas toujours soin de distinguer avec une précision suffisante.

Il faut dire, en effet, qu’on paraît, dans l’usage courant, attacher à cette expression de « sociétés secrètes » plusieurs significations assez différentes les unes des autres, et qui ne semblent pas nécessairement liées entre elles, d’où des divergences d’opinion lorsqu’il s’agit de savoir si cette désignation convient réellement à tel ou tel cas particulier. Certains veulent la restreindre aux associations qui dissimulent leur existence, ou tout au moins le nom de leurs membres ; d’autres l’étendent à celles qui sont simplement « fermées », ou qui ne gardent le secret que sur certaines formes spéciales, rituéliques ou non, adoptées par elles, sur certains moyens de reconnaissance réservés à leurs membres, ou autres choses de ce genre ; et, naturellement, les premiers protesteront quand les seconds qualifieront de secrète une association qui effectivement ne saurait rentrer dans leur propre définition.
Nous disons « protesteront » parce que, trop souvent, les discussions de cette sorte n’ont point un caractère entièrement désintéressé : quand les adversaires plus ou moins ouvertement déclarés d’une association quelconque la disent secrète, à tort ou à raison, ils y mettent manifestement une intention polémique et plus ou moins injurieuse, comme si le secret ne pouvait avoir à leurs yeux que des motifs « inavouables », et même on peut parfois y discerner comme une sorte de menace à peine déguisée, en ce sens qu’il y a là une allusion voulue à l’« illégalité » d’une telle association, car il est à peine besoin de dire que c’est toujours sur le terrain « social », sinon même plus précisément « politique », que se portent de préférence de semblables discussions. Il est fort compréhensible que, dans ces conditions, les membres ou les partisans de l’association en cause s’efforcent d’établir que l’épithète de « secrète » ne saurait réellement lui convenir, et que, pour cette raison, ils ne veuillent accepter que la définition la plus limitée, celle qui, le plus évidemment, ne saurait lui être applicable, On peut d’ailleurs dire, d’une façon tout à fait générale, que la plupart des discussions n’ont d’autre cause qu’un défaut d’entente sur le sens des termes qu’on emploie ; mais, quand des intérêts quelconques sont en jeu, ainsi qu’il arrive ici, derrière cette divergence dans l’emploi des mots, il est très probable que la discussion pourra se poursuivre indéfiniment sans que les adversaires arrivent jamais à se mettre d’accord. En tout cas, les contingences qui interviennent là-dedans sont assurément fort loin du domaine initiatique, le seul qui nous concerne ; si nous avons cru devoir en dire quelques mots ici, c’est uniquement pour déblayer le terrain en quelque sorte, et aussi parce que cela suffirait à montrer que, dans toutes les querelles se rapportant aux sociétés secrètes ou soi-disant telles, ou ce n’est pas d’organisations initiatiques qu’il s’agit, ou tout au moins ce n’est pas le caractère de celles-ci comme telles qui est en cause, ce qui serait d’ailleurs impossible pour d’autres raisons plus profondes que la suite de notre exposé fera mieux comprendre.

Nous plaçant entièrement en dehors de ces discussions, et à un point de vue qui ne peut être que celui d’une connaissance tout à fait désintéressée, nous pouvons dire ceci : une organisation, qu’elle revête ou non les formes particulières, et d’ailleurs tout extérieures, permettant de la définir comme une société, pourra être qualifiée de secrète, au sens le plus large de ce mot, et sans qu’il s’y attache la moindre intention défavorable (1), lorsque cette organisation possédera un secret, de quelque nature qu’il soit, et que d’ailleurs il soit tel par la force même des choses ou seulement en vertu d’une convention plus ou moins artificielle et plus ou moins expresse. Cette définition est, pensons-nous, assez étendue pour qu’on puisse y faire rentrer tous les cas possibles, depuis celui des organisations initiatiques les plus éloignées de toute manifestation extérieure, jusqu’à celui de simples sociétés à but quelconque, politique ou autre, et n’ayant, comme nous le disions plus haut, rien d’initiatique ni même de traditionnel.

1 En fait, l’intention défavorable qu’on y attache communément. procède uniquement de ce trait caractéristique de la mentalité moderne que nous avons défini ailleurs comme la « haine du secret » sous toutes ses formes (Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XII).

C’est donc à l’intérieur du domaine qu’elle embrasse, et en nous basant autant que possible sur ses termes mêmes, que nous devrons faire les distinctions nécessaires, et cela d’une double façon, c’est-à-dire, d’une part, entre les organisations qui sont des sociétés et celles qui ne le sont pas, et, d’autre part, entre celles qui ont un caractère initiatique et celles qui en sont dépourvues, car, du fait de la « contamination » que nous avons signalée, ces deux distinctions ne peuvent pas coïncider exactement ; elles coïncideraient seulement si les contingences historiques n’avaient pas amené, dans certains cas, une intrusion de formes profanes dans des organisations qui, par leur origine et par leur but essentiel, sont cependant de nature incontestablement initiatique.

Sur le premier des deux points que nous venons d’indiquer, il n’y a pas lieu d’insister très longuement, car, en somme, chacun sait assez ce qu’est une « société », c’est-à-dire une association ayant des statuts, des règlements, des réunions à lieu et date fixes, tenant registre de ses membres, possédant des archives, des procès verbaux de ses séances et autres documents écrits, en un mot entourée de tout un appareil extérieur plus ou moins encombrant (1).
Tout cela, nous le répétons, est parfaitement inutile pour une organisation initiatique, qui, en fait de formes extérieures, n’a besoin de rien d’autre qu’un certain ensemble de rites et de symboles, lesquels, de même que l’enseignement qui les accompagne et les explique, doivent régulièrement se transmettre par tradition orale. Nous rappellerons encore à ce propos que, même s’il arrive parfois que ces choses soient mises par écrit, ce ne peut jamais être qu’à titre de simple « aide-mémoire », et que cela ne saurait en aucun cas dispenser de la transmission orale et directe, puisque seule elle permet la communication d’une influence spirituelle, ce qui est la raison d’être fondamentale de toute organisation initiatique ; un profane qui connaîtrait tous les rites pour en avoir lu la description dans des livres ne serait nullement initié pour cela, car il est bien évident que, par là, l’influence spirituelle attachée à ces rites ne lui aurait été transmise en aucune façon.

Une conséquence immédiate de ce que nous venons de dire, c’est qu’une organisation initiatique, tant qu’elle ne prend pas la forme accidentelle d’une société, avec toutes les manifestations extérieures que comporte celle-ci, est en quelque sorte « insaisissable » au monde profane ; et l’on peut comprendre sans peine qu’elle ne laisse aucune trace accessible aux investigations des historiens ordinaires, dont la méthode a pour caractère essentiel de ne s’en référer qu’aux seuls documents écrits, lesquels sont inexistants en pareil cas. Par contre, toute société, si secrète qu’elle puisse être, présente des « dehors » qui sont forcément à la portée des recherches des profanes, et par lesquels il est toujours possible que ceux-ci arrivent à en avoir connaissance dans une certaine mesure, même s’ils sont incapables d’en pénétrer la nature plus profonde. Il va de soi que cette dernière restriction concerne les organisations initiatiques ayant pris une telle forme, ou, dirions-nous volontiers, dégénérées en sociétés du fait des circonstances et du milieu où elles se trouvent situées ; et nous ajouterons que ce phénomène ne s’est jamais produit aussi nettement que dans le monde occidental moderne, où il affecte tout ce qui subsiste encore d’organisations pouvant revendiquer un caractère authentiquement initiatique même si, comme on ne le constate que trop souvent, ce caractère, dans leur état actuel, en arrive à être méconnu ou incompris de la plupart de leurs membres eux-mêmes.

1 Il ne faut pas oublier de mentionner le coté « financier » exigé par le fait de cet appareil même, car on ne sait que trop que la question des « cotisations » prend une importance considérable dans toutes les sociétés, y compris les organisations initiatiques occidentales qui en ont pris la forme extérieure.

Nous ne voulons pas rechercher ici les causes de cette méconnaissance, qui sont diverses et multiples, et qui tiennent en grande partie à la nature spéciale de la mentalité moderne ; nous signalerons seulement que cette forme de sociétés peut bien y être elle-même pour quelque chose, car, l’extérieur y prenant inévitablement une importance disproportionnée avec sa valeur réelle, l’accidentel finit par masquer complètement l’essentiel ; et, de plus, les similitudes apparentes avec les sociétés profanes peuvent aussi occasionner maintes méprises sur la véritable nature de ces organisations.

Nous ne donnerons de ces méprises qu’un seul exemple, qui touche de plus près au fond même de notre sujet : quand il s’agit d’une société profane, on peut en sortir comme on y est entré, et on se retrouve alors purement et simplement ce qu’on était auparavant ; une démission ou une radiation suffit pour que tout lien soit rompu, ce lien étant évidemment de nature tout extérieure et n’impliquant aucune modification profonde de l’être. Au contraire, dès lors qu’on a été admis dans une organisation initiatique, quelle qu’elle soit, on ne peut jamais, par aucun moyen, cesser d’y être rattaché, puisque l’initiation, par là même qu’elle consiste essentiellement dans la transmission d’une influence spirituelle, est nécessairement conférée une fois pour toutes et possède un caractère proprement ineffaçable ; c’est là un fait d’ordre « intérieur » contre lequel nulle formalité administrative ne peut rien. Mais, partout où il y a société, il y a par là même des formalités administratives, il peut y avoir des démissions et des radiations, par lesquelles on cessera, selon les apparences, de faire partie de la société considérée ; et l’on voit tout de suite l’équivoque qui en résultera dans le cas où celle-ci ne représentera en somme que l’« extériorité » d’une organisation initiatique. Il faudrait donc, en toute rigueur, faire alors, sous ce rapport, une distinction entre la société et l’organisation initiatique comme telle ; et, puisque la première n’est, comme nous l’avons dit, qu’une simple forme accidentelle et « surajoutée », dont la seconde, en elle-même et dans tout ce qui en constitue l’essence, demeure entièrement indépendante, l’application de cette distinction présente en réalité beaucoup moins de difficultés qu’il ne pourrait le sembler au premier abord.

Une autre conséquence à laquelle nous sommes logiquement amené par ces considérations est celle-ci : une société, même secrète, peut toujours être en butte à des atteintes venant de l’extérieur, parce qu’il y a dans sa constitution des éléments qui se situent, si l’on peut dire, au même niveau que celles-ci ; elle pourra ainsi, notamment, être dissoute par l’action d’un pouvoir politique. Par contre, l’organisation initiatique, par sa nature même, échappe à de telles contingences, et aucune force extérieure ne peut la supprimer ; en ce sens-là aussi, elle est véritablement « insaisissable ». En effet, puisque la qualité de ses membres ne peut jamais se perdre ni leur être enlevée, elle conserve une existence effective tant qu’un seul d’entre eux demeure vivant, et seule la mort du dernier entraînera sa disparition ; mais cette éventualité même suppose que ses représentants autorisés auront, pour des raisons dont ils sont seuls juges, renoncé à assurer la continuation de la transmission de ce dont ils sont les dépositaires ; et ainsi la seule cause possible de sa suppression, ou plutôt de son extinction, se trouve nécessairement à son intérieur même.

Enfin, toute organisation initiatique est encore « insaisissable » au point de vue de son secret, celui-ci étant tel par nature et non par convention, et ne pouvant par conséquent en aucun cas être pénétré par les profanes, hypothèse qui impliquerait en elle-même une contradiction, car le véritable secret initiatique n’est rien d’autre que l’« incommunicable », et l’initiation seule peut donner accès à sa connaissance. Mais ceci se rapporte plutôt à la seconde des deux distinctions que nous avons indiquées plus haut, celle des organisations initiatiques et des sociétés secrètes qui n’ont aucunement ce caractère ; cette distinction devrait d’ailleurs, semble-t-il, pouvoir se faire très facilement par la différence même du but que se proposent les unes et les autres ; mais, en fait, la question est plus complexe qu’il ne le paraît ainsi tout d’abord. Il y a cependant un cas qui ne peut faire aucun doute : quand on se trouve en présence d’un groupement constitué pour des fins quelconques et dont l’origine est entièrement connue, dont on sait qu’il a été créé de toutes pièces par des individualités dont on peut citer les noms, et qu’il ne possède par conséquent aucun rattachement traditionnel, on peut être dès lors assuré que ce groupement, quelles que soient d’ailleurs ses prétentions, n’a absolument rien d’initiatique. L’existence de formes rituéliques dans certains de ces groupements n’y change rien, car de telles formes, empruntées ou imitées des organisations initiatiques, ne sont alors qu’une simple parodie dépourvue de toute valeur réelle ; et d’autre part, ceci ne s’applique pas seulement à des organisations dont les fins sont uniquement politiques ou plus généralement « sociales », dans l’un quelconque des sens que l’on peut attribuer à ce mot, mais aussi à toutes ces formations modernes que nous avons appelées pseudo-initiatiques, y compris celles qui invoquent un vague rattachement « idéal » à une tradition quelconque.

Par contre, il peut y avoir doute dès qu’on a affaire à une organisation dont l’origine présente quelque chose d’énigmatique et ne saurait être rapportée à des individualités définies ; en effet, même si ses manifestations connues n’ont évidemment aucun caractère initiatique, il se peut néanmoins qu’elle représente une déviation ou une dégénérescence de quelque chose qui était primitivement tel. Cette déviation, qui peut se produire surtout sous l’influence de préoccupations d’ordre social, suppose que l’incompréhension du but premier et essentiel est devenue générale chez les membres de cette organisation ; elle peut d’ailleurs être plus ou moins complète, et ce qui subsiste encore d’organisations initiatiques en. Occident représente en quelque sorte, dans son état actuel, un stade intermédiaire à cet égard. Le cas extrême sera celui où, les formes rituéliques et symboliques étant cependant conservées, personne n’aura plus la moindre conscience de leur véritable caractère initiatique, si bien qu’on ne les interprétera plus qu’en fonction d’une application contingente quelconque ; que celle-ci soit d’ailleurs légitime ou non, là n’est pas la question, la dégénérescence consistant proprement dans le fait qu’on n’envisage rien au delà de cette application et du domaine plus ou moins extérieur auquel elle se rapporte spécialement. Il est bien clair que, en pareil cas, ceux qui ne voient les choses que « du dehors » seront incapables de discerner ce dont il s’agit en réalité et de faire la distinction entre de telles organisations et celles dont nous parlions en premier lieu, d’autant plus que, lorsque celles-là en sont arrivées à n’avoir plus, consciemment du moins, qu’un but similaire à celui pour lequel celles-ci ont été créées artificiellement, il en résulte une sorte d’« affinité » de fait en vertu de laquelle les unes et les autres peuvent se trouver en contact plus ou moins direct, et même finir parfois par s’entremêler de façon plus ou moins inextricable.

Pour mieux faire comprendre ce que nous venons de dire, il convient de s’appuyer sur des cas précis ; aussi citerons-nous l’exemple de deux organisations qui, extérieurement, peuvent paraître assez comparables entre elles, et qui cependant diffèrent nettement par leurs origines, de telle sorte qu’elles rentrent respectivement dans l’une et l’autre des deux catégories que nous venons de distinguer : les Illuminés de Bavière et les Carbonari. En ce qui concerne les premiers, les fondateurs sont connus, et l’on sait de quelle façon ils ont élaboré le « système » de leur propre initiative, en dehors de tout rattachement à quoi que ce soit de préexistant ; on sait aussi par quels états successifs sont passés les grades et les rituels, dont certains ne furent d’ailleurs jamais pratiqués et n’existèrent que sur le papier ; car tout fut mis par écrit dès le début et à mesure que se développaient et se précisaient les idées des fondateurs, et c’est même là ce qui fit échouer leurs plans, lesquels, bien entendu, se rapportaient exclusivement au domaine social et ne le dépassaient sous aucun rapport. Il n’est donc pas douteux qu’il ne s’agit là que de l’œuvre artificielle de quelques individus, et que les formes qu’ils avaient adoptées ne pouvaient constituer qu’un simulacre ou une parodie d’initiation, le rattachement traditionnel faisant défaut tout autant que le but réellement initiatique était étranger à leurs préoccupations.
Si l’on considère au contraire le Carbonarisme, on constate, d’une part, qu’il est impossible de lui assigner une origine « historique » de ce genre, et, d’autre part, que ses rituels présentent nettement le caractère d’une « initiation de métier », apparentée comme telle à la Maçonnerie et au Compagnonnage ; mais, tandis que ceux-ci ont toujours gardé une certaine conscience de leur caractère initiatique, si amoindrie soit-elle par l’intrusion de préoccupations d’ordre contingent, et la part de plus en plus grande qui leur a été faite, il semble bien (quoiqu’on ne puisse jamais être absolument affirmatif à cet égard, un petit nombre de membres, et qui ne sont pas forcément les chefs apparents, pouvant toujours faire exception à l’incompréhension générale sans en rien laisser paraître) (1) que le Carbonarisme ait poussé finalement la dégénérescence à l’extrême, au point de n’être plus rien d’autre en fait que cette simple association de conspirateurs politiques dont on connaît l’action dans l’histoire du XIXème siècle. Les Carbonari se mêlèrent alors à d’autres associations de fondation toute récente et qui n’avaient jamais eu rien d’initiatique, tandis que, d’un autre côté, beaucoup d’entre eux appartenaient en même temps à la Maçonnerie, ce qui peut s’expliquer à la fois par l’affinité des deux organisations et par une certaine dégénérescence de la Maçonnerie elle-même, allant dans le même sens, quoique moins loin, que celle du Carbonarisme.

1 On ne pourrait d’ailleurs pas leur reprocher une telle attitude si l’incompréhension est devenue telle qu’il soit pratiquement impossible de réagir contre elle.

Quant aux Illuminés, leurs rapports avec la Maçonnerie eurent un tout autre caractère : ceux qui y entrèrent ne le firent qu’avec l’intention bien arrêtée d’y acquérir une influence prépondérante et de s’en servir comme d’un instrument pour la réalisation de leurs desseins particuliers, ce qui échoua d’ailleurs comme tout le reste ; et, pour le dire en passant, on voit assez par là combien ceux qui prétendent faire des Illuminés eux-mêmes une organisation « maçonnique » sont loin de la vérité. Ajoutons encore que l’ambiguïté de cette appellation d’« Illuminés » ne doit aucunement faire illusion : elle n’était prise là que dans une acception strictement « rationaliste », et il ne faut pas oublier que, au XVIIIème siècle, les « lumières » avaient en Allemagne une signification à peu près équivalente à celle de la « philosophie » en France ; c’est dire qu’on ne saurait rien concevoir de plus profane et même de plus formellement contraire à tout esprit initiatique ou seulement traditionnel.

Ouvrons encore une parenthèse à propos de cette dernière remarque ; s’il arrive que des idées « philosophiques » et plus ou moins « rationalistes » s’infiltrent dans une organisation initiatique, il ne faut voir là que l’effet d’une erreur individuelle (ou collective) de ses membres, due à leur incapacité de comprendre sa véritable nature, et par conséquent de se garantir de toute « contamination » profane ; cette erreur, bien entendu, n’affecte aucunement le principe même de l’organisation, mais elle est un des symptômes de cette dégénérescence de fait dont nous avons parlé, que celle-ci ait d’ailleurs atteint un degré plus ou moins avancé. Nous en dirons autant du « sentimentalisme » et du « moralisme » sous toutes leurs formes, choses non moins profanes par leur nature même ; le tout est du reste, en général, lié plus ou moins étroitement à une prédominance des préoccupations sociales ; mais c’est surtout quand celles-ci en viennent à prendre une forme spécifiquement « politique », au sens le plus étroit du mot, que la dégénérescence risque de devenir à peu près irrémédiable.
Un des phénomènes les plus étranges en ce genre, c’est la pénétration des idées « démocratiques » dans les organisations initiatiques occidentales (et naturellement, nous pensons surtout ici à la Maçonnerie, ou tout au moins à certaines de ses fractions), sans que leurs membres paraissent s’apercevoir qu’il y a là une contradiction pure et simple, et même sous un double rapport : en effet, par définition même, toute organisation initiatique est en opposition formelle avec la conception « démocratique » et « égalitaire », d’abord par rapport au monde profane, vis-à-vis duquel elle constitue, dans l’acception la plus exacte du terme, une « élite » séparée et fermée, et ensuite en elle-même, par la hiérarchie de grades et de fonctions qu’elle établit nécessairement entre ses propres membres. Ce phénomène n’est d’ailleurs qu’une des manifestations de la déviation de l’esprit occidental moderne qui s’étend ct pénètre partout, même là où elle devrait rencontrer la résistance la plus irréductible ; et ceci, du reste, ne s’applique pas uniquement au point de vue initiatique, mais tout aussi bien au point de vue religieux, c’est-à-dire en somme à tout ce qui possède un caractère véritablement traditionnel.

Ainsi, à côté des organisations demeurées purement initiatiques, il y a celles qui, pour une raison ou pour une autre, ont dégénéré ou dévié plus ou moins complètement, mais qui demeurent pourtant toujours initiatiques dans leur essence profonde, si incomprise que soit celle-ci dans leur état présent. Il y a ensuite celles qui n’en sont que la contrefaçon ou la caricature, c’est-à-dire les organisations pseudo-initiatiques ; et il y a enfin d’autres organisations à caractère également plus ou moins secret, mais qui n’ont aucune prétention de cet ordre, et qui ne se proposent que des buts n’ayant évidemment aucun rapport avec le domaine initiatique ; mais il doit être bien entendu que, quelles que soient les apparences, les organisations pseudo-initiatiques sont en réalité tout aussi profanes que ces dernières, et qu’ainsi les unes et les autres ne forment vraiment qu’un seul groupe, par opposition à celui des organisations initiatiques, pures ou « contaminées » d’influences profanes. Mais, à tout cela, il faut encore ajouter une autre catégorie, celle des organisations qui relèvent de la « contre-initiation », et qui ont certainement, dans le monde actuel, une importance bien plus considérable qu’on ne serait tenté de le supposer communément ; nous nous bornerons ici à les mentionner, sans quoi notre énumération présenterait une grave lacune, et nous signalerons seulement une nouvelle complication qui résulte de leur existence : il arrive dans certains cas qu’elles exercent une influence plus ou moins directe sur des organisations profanes, et spécialement pseudo-initiatiques (1) ; de là une difficulté de plus pour déterminer exactement le caractère réel de telle ou telle organisation ; mais, bien entendu, nous n’avons pas à nous occuper ici de l’examen des cas particuliers, et il nous suffit d’avoir indiqué assez nettement la classification qu’il convient d’établir d’une façon générale.

Pourtant, ce n’est pas tout encore ; il y a des organisations qui, tout en n’ayant en elles-mêmes qu’un but d’ordre contingent, possèdent cependant un véritable rattachement traditionnel, parce qu’elles procèdent d’organisations initiatiques dont elles ne sont en quelque sorte qu’une émanation, et par lesquelles elles sont dirigées « invisiblement », alors même que leurs chefs apparents y sont entièrement étrangers. Ce cas, comme nous l’avons déjà indiqué, se rencontre en particulier dans les organisations secrètes extrême-orientales : constituées uniquement en vue d’un but spécial, celles-là n’ont généralement qu’une existence temporaire, et elles disparaissent sans laisser de traces dès que leur mission est accomplie ; mais elles représentent en réalité le dernier échelon, et le plus extérieur, d’une hiérarchie s’élevant de proche en proche jusqu’aux organisations initiatiques les plus pures et les plus inaccessibles aux regards du monde profane. Il ne s’agit donc plus aucunement ici d’une dégénérescence des organisations initiatiques, mais bien de formations expressément voulues par celles-ci, sans qu’elles-mêmes descendent à ce niveau contingent et se mêlent à l’action qui s’y exerce, et cela pour des fins qui, naturellement, sont bien différentes de tout ce que peut voir ou supposer un observateur superficiel. Nous rappellerons ce que nous avons déjà dit plus haut à ce sujet, que les plus extérieures de ces organisations peuvent se trouver parfois en opposition et même en lutte les unes avec les autres, et avoir néanmoins une direction ou une inspiration commune, cette direction étant au delà du domaine où s’affirme leur opposition et pour lequel seul elle est valable ; et peut-être ceci trouverait-il aussi son application ailleurs qu’en Extrême-Orient, bien qu’une telle hiérarchisation d’organisations superposées ne se rencontre sans doute nulle part d’une façon aussi nette et aussi complète que dans ce qui relève de la tradition taoïste.

1 Cf. Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXVI.

On a là des organisations d’un caractère « mixte » en quelque sorte, dont on ne peut dire qu’elles soient proprement initiatiques, mais non plus qu’elle soient simplement profanes, puisque leur rattachement aux organisations supérieures leur confère une participation, fut-elle indirecte et inconsciente, à une tradition dont l’essence est purement initiatique (1) ; et quelque chose de cette essence se retrouve toujours dans leurs rites et leurs symboles pour ceux qui savent en pénétrer le sens le plus profond.

Toutes les catégories d’organisations que nous avons envisagées n’ont guère en commun que le seul fait d’avoir un secret, quelle qu’en soit d’ailleurs la nature ; et il va de soi que, de l’une à l’autre, celle-ci peut être extrêmement différente : entre le véritable secret initiatique et un dessein politique qu’on tient caché, ou encore la dissimulation de l’existence d’une association ou des noms de ses membres pour des raisons de simple prudence, il n’y a évidemment aucune comparaison possible. Encore ne parlons-nous pas de ces groupements fantaisistes, comme il en existe tant de nos jours et notamment dans les pays anglo-saxons, qui, pour « singer » les organisations initiatiques, adoptent des formes qui ne recouvrent absolument rien, qui sont réellement dépourvues de toute portée et même de toute signification, et sur lesquelles elles prétendent garder un secret qui ne se justifie par aucune raison sérieuse, Ce dernier cas n’a d’intérêt qu’en ce qu’il montre assez clairement la méprise qui se produit couramment, dans l’esprit du public profane, sur la nature du secret initiatique ; on s’imagine en effet que celui-ci porte tout simplement sur les rites, ainsi que sur des mots et des signes employés comme moyens de reconnaissance, ce qui en ferait un secret aussi extérieur et artificiel que n’importe quel autre, un secret qui en somme ne serait tel que par convention. Or, si un tel secret existe en fait dans la plupart des organisations initiatiques, il n’y est pourtant qu’un élément tout à fait secondaire et accidentel, et, à vrai dire, il n’a qu’une valeur de symbole par rapport au véritable secret initiatique, qui, lui, est tel par la nature même des choses, et qui par conséquent ne saurait jamais être trahi en aucune façon, étant d’ordre purement intérieur et, comme nous l’avons déjà dit, résidant proprement dans l’« incommunicable ».

1 Rappelons que le Taoïsme représente uniquement le côté ésotérique de la tradition extrême-orientale, son côté exotérique étant constitué par le Confucianisme.



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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre XIII : Du secret initiatique

Message par Ligeia Mer 12 Aoû - 11:24

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CHAPITRE XIII - DU SECRET INITIATIQUE


Bien que nous venions d’indiquer déjà quelle est la nature essentielle du secret initiatique (1) , nous devons apporter encore plus de précisions à cet égard, afin de le distinguer, sans aucune équivoque possible, de tous les autres genres de secrets plus ou moins extérieurs qu’on rencontre dans les multiples organisations qui, pour cette raison, sont qualifiées de « secrètes » au sens le plus général.

Nous avons dit, en effet, que cette désignation, pour nous, signifie uniquement que de telles organisations possèdent un secret, de quelque nature qu’il soit, et aussi que, suivant le but quelles se proposent, ce secret peut naturellement porter sur les choses les plus diverses et prendre les formes les plus variées ; mais, dans tous les cas, un secret quelconque autre que le secret proprement initiatique a toujours un caractère conventionnel ; nous voulons dire par là qu’il n’est tel qu’en vertu d’une convention plus ou moins expresse, et non par la nature même des choses. Au contraire, le secret initiatique est tel parce qu’il ne peut pas ne pas l’être, puisqu’il consiste exclusivement dans l’« inexprimable », lequel, par suite, est nécessairement aussi l’« incommunicable » ; et ainsi, si les organisations initiatiques sont secrètes, ce caractère n’a ici plus rien d’artificiel et ne résulte d’aucune décision plus ou moins arbitraire de la part de qui que ce soit. Ce point est donc particulièrement important pour bien distinguer, d’une part, les organisations initiatiques de toutes les autres organisations secrètes quelconques, et d’autre part, dans les organisations initiatiques elles-mêmes, ce qui constitue l’essentiel de tout ce qui peut venir s’y adjoindre accidentellement ; aussi devons-nous maintenant nous attacher à en développer quelque peu les conséquences.

La première de ces conséquences, que d’ailleurs nous avons déjà indiquée précédemment, c’est que, alors que tout secret d’ordre extérieur peut toujours être trahi, le secret initiatique seul ne peut jamais l’être en aucune façon, puisque, en lui-même et en quelque sorte par définition, il est inaccessible et insaisissable aux profanes et ne saurait être pénétré par eux, sa connaissance ne pouvant être que la conséquence de l’initiation elle-même. En effet, ce secret est de nature telle que les mots ne peuvent l’exprimer ; c’est pourquoi, comme nous aurons à l’expliquer plus complètement par la suite, l’enseignement initiatique ne peut faire usage que de rites et de symboles, qui suggèrent plutôt qu’ils n’expriment au sens ordinaire de ce mot.

1 Voir aussi Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XII. 67

A proprement parler, ce qui est transmis par l’initiation n’est pas le secret lui-même, puisqu’il est incommunicable, mais l’influence spirituelle qui a les rites pour véhicule, et qui rend possible le travail intérieur au moyen duquel, en prenant les symboles comme base et comme support, chacun atteindra ce secret et le pénétrera plus ou moins complètement, plus ou moins profondément, selon la mesure de ses propres possibilités de compréhension et de réalisation.

Quoi qu’on puisse penser des autres organisations secrètes, on ne peut donc, en tout cas, faire un reproche aux organisations initiatiques d’avoir ce caractère, puisque leur secret n’est pas quelque chose qu’elles cachent volontairement pour des raisons quelconques, légitimes ou non, et toujours plus ou moins sujettes à discussion et à appréciation comme tout ce qui procède du point de vue profane, mais quelque chose qu’il n’est au pouvoir de personne, quand bien même il le voudrait, de dévoiler et de communiquer à autrui. Quant au fait que ces organisations sont « fermées », c’est-àdire qu’elles n’admettent pas tout le monde indistinctement, il s’explique simplement par la première des conditions de l’initiation telles que nous les avons exposées plus haut, c’est-à-dire par la nécessité de posséder certaines « qualifications » particulières, faute desquelles aucun bénéfice réel ne peut être retiré du rattachement à une telle organisation.
De plus, quand celle-ci devient trop « ouverte » et insuffisamment stricte à cet égard, elle court le risque de dégénérer par suite de l’incompréhension de ceux qu’elle admet ainsi inconsidérément, et qui, surtout lorsqu’ils y deviennent le plus grand nombre, ne manquent pas d’y introduire toute sorte de vues profanes et de détourner son activité vers des buts qui n’ont rien de commun avec le domaine initiatique, comme on ne le voit que trop dans ce qui, de nos jours, subsiste encore d’organisations de ce genre dans le monde occidental.

Ainsi, et c’est là une seconde conséquence de ce que nous avons énoncé au début, le secret initiatique en lui-même et le caractère « fermé » des organisations qui le détiennent (ou, pour parler plus exactement, qui détiennent les moyens par lesquels il est possible à ceux qui sont « qualifiés » d’y avoir accès) sont deux choses tout à fait distinctes et qui ne doivent aucunement être confondues. En ce qui concerne le premier, c’est en méconnaître totalement l’essence et la portée que d’invoquer des raisons de « prudence » comme on le fait parfois ; pour le second, par contre, qui tient d’ailleurs à la nature des hommes en général et non à celle de l’organisation initiatique, on peut jusqu’à un certain point parler de « prudence », en ce sens que, par là, cette organisation se défend, non contre des « indiscrétions » impossibles quant à sa nature essentielle, mais contre ce danger de dégénérescence dont nous venons de parler ; encore n’en est-ce pas là la raison première, celle-ci n’étant autre que la parfaite inutilité d’admettre des individualités pour lesquelles l’initiation ne serait jamais que « lettre morte », c’est-à-dire une formalité vide et sans aucun effet réel, parce qu’elles sont en quelque sorte imperméables à l’influence spirituelle.
Quant à la « prudence » vis-à-vis du monde extérieur, ainsi qu’on l’entend le plus souvent, ce ne peut être qu’une considération tout à fait accessoire, encore qu’elle soit assurément légitime en présence d’un milieu plus ou moins consciemment hostile, l’incompréhension profane s’arrêtant rarement à une sorte d’indifférence et ne se changeant que trop facilement en une haine dont les manifestations constituent un danger qui n’a certes rien d’illusoire ; mais ceci ne saurait cependant atteindre l’organisation initiatique elle-même, qui, comme telle, est, ainsi que nous l’avons dit, 68 véritablement « insaisissable ».
Aussi les précautions à cet égard s’imposeront-elles d’autant plus que cette organisation sera déjà plus « extériorisée », donc moins purement initiatique ; il est d’ailleurs évident que ce n’est que dans ce cas qu’elle peut arriver à se trouver en contact direct avec le monde profane, qui, autrement, ne pourrait que l’ignorer purement et simplement. Nous ne parlerons pas ici d’un danger d’un autre ordre, pouvant résulter de l’existence de ce que nous avons appelé la « contre-initiation », et auquel de simples mesures extérieures de « prudence » ne sauraient d’ailleurs obvier ; celles-ci ne valent que contre le monde profane, dont les réactions, nous le répétons, ne sont à redouter qu’en tant que l’organisation a pris une forme extérieure telle que celle d’une « société » ou a été entraînée plus ou moins complètement à une action s’exerçant en dehors du domaine initiatique, toutes choses qui ne sauraient être regardées que comme ayant un caractère simplement accidentel et contingent (1).

Nous arrivons ainsi à dégager encore une autre conséquence de la nature du secret initiatique : il peut arriver en fait, que, outre ce secret qui seul lui est essentiel, une organisation initiatique possède aussi secondairement, et sans perdre aucunement pour cela son caractère propre, d’autres secrets qui ne sont pas du même ordre, mais d’un ordre plus ou moins extérieur et contingent ; et ce sont ces secrets purement accessoires qui, étant forcément les seuls apparents aux yeux de l’observateur du dehors, seront susceptibles de donner lieu à diverses confusions. Ces secrets peuvent provenir de la « contamination » dont nous avons parlé, en entendant par là l’adjonction de buts n’ayant rien d’initiatique, et auxquels peut d’ailleurs être donnée une importance plus ou moins grande, puisque, dans cette sorte de dégénérescence, tous les degrés sont évidemment possibles ; mais il n’en est pas toujours ainsi, et il peut se faire également que de tels secrets se rapportent à des applications contingentes, mais légitimes, de la doctrine initiatique elle-même, applications qu’on juge bon de « réserver » pour des raisons qui peuvent être fort diverses, et qui seraient à déterminer dans chaque cas particulier. Les secrets auxquels nous faisons allusion ici sont, plus spécialement, ceux qui concernent les sciences et les arts traditionnels ; ce qu’on peut dire de la façon la plus générale à cet égard, c’est que, ces sciences et ces arts ne pouvant être vraiment compris en dehors de l’initiation où ils ont leur principe, leur « vulgarisation » ne pourrait avoir que des inconvénients, car elle amènerait inévitablement une déformation ou même une dénaturation, du genre de celle qui a précisément donné naissance aux sciences et aux arts profanes, comme nous l’avons exposé en d’autres occasions.

1 Ce que nous venons de dire ici s’applique au monde profane réduit à lui-même, si l’on peut s’exprimer ainsi ; mais il convient d’ajouter qu’il peut aussi, dans certains cas, servir d’instrument inconscient à une action exercée par les représentants de la « contre-initiation ».

Dans cette même catégorie de secrets accessoires et non essentiels, on doit ranger aussi un autre genre de secret qui existe très généralement dans les organisations initiatiques, et qui est celui qui occasionne le plus communément, chez les profanes, cette méprise sur laquelle nous avons précédemment appelé l’attention : ce secret est celui qui porte, soit sur l’ensemble des rites et des symboles en usage dans une telle organisation, soit, plus particulièrement encore, et aussi d’une manière plus stricte d’ordinaire, sur certains mots et certains signes employés par elle comme « moyens de reconnaissance », pour permettre à ses membres de se distinguer des profanes. Il va de soi que tout secret de cette nature n’a qu’une valeur conventionnelle et toute relative, et que, par là même qu’il concerne des formes extérieures, il peut toujours être découvert ou trahi, ce qui risquera d’ailleurs, tout naturellement, de se produire d’autant plus aisément qu’il s’agira d’une organisation moins rigoureusement « fermée » ; aussi doit-on insister sur ceci, que non seulement ce secret ne peut en aucune façon être confondu avec le véritable secret initiatique, sauf par ceux qui n’ont pas la moindre idée de la nature de celui-ci, mais que même il n’a rien d’essentiel, si bien que sa présence ou son absence ne saurait être invoquée pour définir une organisation comme possédant un caractère initiatique ou comme en étant dépourvue.

En fait, la même chose, ou quelque chose d’équivalent, existe aussi dans la plupart des autres organisations secrètes quelconques, n’ayant rien d’initiatique, bien que les raisons en soient alors différentes : il peut s’agir, soit d’imiter les organisations initiatiques dans leurs apparences les plus extérieures, comme c’est le cas pour les organisations que nous avons qualifiées de pseudo-initiatiques, voire même pour certains groupements fantaisistes qui ne méritent pas même ce nom, soit tout simplement de se garantir autant que possible contre les indiscrétions, au sens le plus vulgaire de ce mot, ainsi qu’il arrive surtout pour les associations à but politique, ce qui se comprend sans la moindre difficulté. D’autre part, l’existence d’un secret de cette sorte n’a, pour les organisations initiatiques, rien de nécessaire ; et même il a dans celles-ci une importance d’autant moins grande qu’elles ont un caractère plus pur et plus élevé, parce qu’elles sont alors d’autant plus dégagées de toutes les formes extérieures et de tout ce qui n’est pas véritablement essentiel. Il arrive donc ceci, qui peut sembler paradoxal à première vue, mais qui est pourtant très logique au fond : l’emploi de « moyens de reconnaissance » par une organisation est une conséquence de son caractère « fermé » ; mais, dans celles qui sont précisément les plus « fermées » de toutes, ces moyens se réduisent jusqu’a disparaître parfois entièrement, parce qu’alors il n’en est plus besoin, leur utilité étant directement liée à un certain degré d’« extériorité » de l’organisation qui y a recours, et atteignant en quelque sorte son maximum quand celle-ci revêt un aspect « semi-profane », dont la forme de « société » est l’exemple le plus typique, parce que c’est alors que ses occasions de contact avec le monde extérieur sont le plus étendues et multiples, et que, par conséquent, il lui importe le plus de se distinguer de celui-ci par des moyens qui soient eux-mêmes d’ordre extérieur.

L’existence d’un tel secret extérieur et secondaire dans les organisations initiatiques les plus répandues se justifie d’ailleurs encore par d’autres raisons ; certains lui attribuent surtout un rôle « pédagogique », s’il est permis de s’exprimer ainsi ; en d’autres termes, la « discipline du secret » constituerait une sorte d’« entraînement » ou d’exercice faisant partie des méthodes propres à ces organisations ; et l’on pourrait y voir en quelque sorte, à cet égard, comme une forme atténuée et restreinte de la « discipline du silence » qui était en usage dans certaines 70 écoles ésotériques anciennes, notamment chez les Pythagoriciens (1).
Ce point de vue est assurément juste, à la condition de n’être pas exclusif ; et il est à remarquer que, sous ce rapport, la valeur du secret est complètement indépendante de celle des choses sur lesquelles il porte ; le secret gardé sur les choses les plus insignifiantes aura, en tant que « discipline », exactement la même efficacité qu’un secret réellement important en lui-même. Ceci devrait être une réponse suffisante aux profanes qui, à ce propos, accusent les organisations initiatiques de « puérilité », faute d’ailleurs de comprendre que les mots ou les signes sur lesquels le secret est imposé ont une valeur symbolique propre ; s’ils sont incapables d’aller jusqu’à des considérations de ce dernier ordre, celle que nous venons d’indiquer est du moins à leur portée et n’exige certes pas un bien grand effort de compréhension.

Mais, il est, en réalité, une raison plus profonde, basée précisément sur ce caractère symbolique que nous venons de mentionner, et qui fait que ce qu’on appelle « moyens de reconnaissance » n’est pas cela seulement, mais aussi, en même temps, quelque chose de plus : ce sont là véritablement des symboles comme tous les autres, dont la signification doit être méditée et approfondie au même titre, et qui font ainsi partie intégrante de l’enseignement initiatique. Il en est d’ailleurs de même de toutes les formes employées par les organisations initiatiques, et, plus généralement encore, de toutes celles qui ont un caractère traditionnel (y compris les formes religieuses) : elles sont toujours, au fond, autre chose que ce qu’elles paraissent au dehors, et c’est même là ce qui les différencie essentiellement des formes profanes, où l’apparence extérieure est tout et ne recouvre aucune réalité d’un autre ordre. A ce point de vue, le secret dont il s’agit est lui-même un symbole, celui du véritable secret initiatique, ce qui est évidemment bien plus qu’un simple moyen « pédagogique » (2) ; mais, bien entendu, ici pas plus qu’ailleurs, le symbole ne doit en aucune façon être confondu avec ce qui est symbolisé, et c’est cette confusion que commet l’ignorance profane, parce qu’elle ne sait pas voir ce qui est derrière l’apparence, et qu’elle ne conçoit même pas qu’il puisse y avoir là quelque chose d’autre que ce qui tombe sous les sens, ce qui équivaut pratiquement à la négation pure et simple de tout symbolisme.


1 Disciplina secreti ou disciplina arcani, disait-on aussi dans l’Eglise chrétienne des premiers siècles, ce que semblent oublier certains ennemis du « secret » ; mais il faut remarquer que, en latin, le mot disciplina a le plus souvent le sens d’« enseignement », qui est d’ailleurs le sens étymologique, et même, par dérivation, ceux de « science » ou de « doctrine », tandis que ce qui est appelé discipline en français n’a qu’une valeur de moyen préparatoire en vue d’un but qui peut être de connaissance comme c’est le cas ici, mais qui peut être aussi d’un tout autre ordre, par exemple simplement « moral » ; c’est même de cette dernière façon que, en fait, on l’entend le plus communément dans le monde profane.
2 On pourrait, si l’on voulait entrer quelque peu dans le détail à cet égard, remarquer par exemple que les « mots sacrés » qui ne doivent jamais être prononcés sont un symbole particulièrement net de l’« ineffable » ou de l’« inexprimable » ; on sait d’ailleurs que quelque chose de semblable se trouve parfois jusque dans l’exotérisme, par exemple pour le Tétragramme dans la tradition judaïque. On pourrait aussi montrer, dans le même ordre d’idées, que certains signes sont en rapport avec la « localisation », dans l’être humain, des « centres » subtils dont l’« éveil » constitue, selon certaines méthodes (notamment les méthodes « tantriques » dans la tradition hindoue), un des moyens d’acquisition de la connaissance initiatique effective.


Enfin, nous indiquerons une dernière considération qui pourrait encore donner lieu à d’autres développements : le secret d’ordre extérieur, dans les organisations initiatiques où il existe, fait proprement partie du rituel, puisque ce qui en est l’objet est communiqué, sous l’obligation correspondante de silence, au cours même de l’initiation à chaque degré ou comme achèvement de celle-ci. Ce secret constitue donc, non seulement un symbole comme nous venons de le dire, mais aussi un véritable rite, avec toute la vertu propre qui est inhérente à celui-ci comme tel ; et du reste, à la vérité, le rite et le symbole sont, dans tous les cas, étroitement liés par leur nature même, ainsi que nous aurons à l’expliquer plus amplement par la suite.



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Message par Ligeia Dim 30 Aoû - 18:10

Note :

Sur la « règle de la lettre B » :

"Certains ordres religieux catholiques n’acceptent pas les boiteux ni ceux qui présentent une déficience physique commençant par la lettre B. Au XVIIIe siècle, ce sont les Francs-maçons qui reprennent cette règle des B (B comme bancal, bâtard, bègue, bigle, boiteux, borgne, bossu, bougre). Les infirmités physiques seraient perturbatrices du psychisme et constitueraient un obstacle à l’initiation"

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CHAPITRE XIV : Des qualifications initiatiques



Il nous faut maintenant revenir aux questions qui se rapportent à la condition première et préalable de l’initiation, c’est-à-dire à ce qui est désigné comme les « qualifications » initiatiques ; à vrai dire, ce sujet est de ceux qu’il n’est guère possible de prétendre traiter d’une façon complète, mais du moins pouvons-nous y apporter quelques éclaircissements.

Tout d’abord, il doit être bien entendu que ces qualifications sont exclusivement du domaine de l’individualité ; en effet, s’il n’y avait à envisager que la personnalité ou le « Soi », il n’y aurait aucune différence à faire à cet égard entre les êtres, et tous seraient également qualifiés, sans qu’il y ait lieu de faire la moindre exception ; mais la question se présente tout autrement par le fait que l’individualité doit nécessairement être prise comme moyen et comme support de la réalisation initiatique ; il faut par conséquent qu’elle possède les aptitudes requises pour jouer ce rôle, et tel n’est pas toujours le cas.
L’individualité n’est ici, si l’on veut, que l’instrument de l’être véritable ; mais, si cet instrument présente certains défauts, il peut être plus ou moins complètement inutilisable, ou même l’être tout à fait pour ce dont il s’agit. Il n’y a d’ailleurs là rien dont on doive s’étonner, si l’on réfléchit seulement que, même dans l’ordre des activités profanes (ou du moins devenues telles dans les conditions de l’époque actuelle), ce qui est possible à l’un ne l’est pas à l’autre, et que, par exemple, l’exercice de tel ou tel métier exige certaines aptitudes spéciales, mentales et corporelles tout à la fois. La différence essentielle est que, dans ce cas, il s’agit d’une activité qui relève tout entière du domaine individuel, qui ne le dépasse en aucune façon ni sous aucun rapport, tandis que, en ce qui concerne l’initiation, le résultat à atteindre est au contraire au delà des limites de l’individualité ; mais, encore une fois, celle-ci n’en doit pas moins être prise comme point de départ, et c’est là une condition à laquelle il est impossible de se soustraire.

On peut encore dire ceci : l’être qui entreprend le travail de réalisation initiatique doit forcément partir d’un certain état de manifestation, celui où il est situé actuellement, et qui comporte tout un ensemble de conditions déterminées : d’une part, les conditions qui sont inhérentes à cet état et qui le définissent d’une façon générale, et, d’autre part, celles qui, dans ce même état, sont particulières à chaque individualité et la différencient de toutes les autres. Il est évident que ce sont ces dernières qui doivent être envisagées en ce qui concerne les qualifications, puisqu’il s’agit là de quelque chose qui, par définition même, n’est pas commun à tous les individus, mais caractérise proprement ceux-là seuls qui appartiennent, virtuellement tout au moins, à l’« élite » entendue dans le sens ou nous avons déjà souvent employé ce mot ailleurs, sens que nous préciserons davantage encore par la suite, afin de montrer comment il se rattache directement à la question même de l’initiation.

Maintenant, il faut bien comprendre que l’individualité doit être prise ici telle qu’elle est en fait, avec tous ses éléments constitutifs, et qu’il peut y avoir des qualifications concernant chacun de ces éléments, y compris l’élément corporel lui-même, qui ne doit aucunement être traité, à ce point de vue, comme quelque chose d’indifférent ou de négligeable. Peut-être n’y aurait-il pas besoin de tant y insister si nous ne nous trouvions en présence de la conception grossièrement simplifiée que les Occidentaux modernes se font de l’être humain : non seulement l’individualité est pour eux l’être tout entier, mais encore cette individualité elle-même est réduite à deux parties supposées complètement séparées l’une de l’autre, l’une étant le corps, et l’autre quelque chose d’assez mal défini, qui est désigné indifféremment par les noms les plus divers et parfois les moins appropriés.

Or, la réalité est tout autre : les éléments multiples de l’individualité, quelle que soit d’ailleurs la façon dont on voudra les classer, ne sont point ainsi isolés les uns des autres, mais forment un ensemble dans lequel il ne saurait y avoir d’hétérogénéité radicale et irréductible ; et tous, le corps aussi bien que les autres, sont, au même titre, des manifestations ou des expressions de l’être dans les diverses modalités du domaine individuel. Entre ces modalités, il y a des correspondances telles que ce qui se passe dans l’une a normalement sa répercussion dans les autres ; il en résulte que, d’une part, l’état du corps peut influer d’une façon favorable ou défavorable sur les autres modalités, et que, d’autre part, l’inverse n’étant pas moins vrai (et même l’étant davantage encore, car la modalité corporelle est celle dont les possibilités sont les plus restreintes), il peut fournir des signes traduisant sensiblement l’état même de celles-ci (1) ; il est clair que ces deux considérations complémentaires ont l’une et l’autre leur importance sous le rapport des qualifications initiatiques. Tout cela serait parfaitement évident si la notion spécifiquement occidentale et moderne de « matière », le dualisme cartésien et les conceptions plus ou moins « mécanistes » n’avaient tellement obscurci ces choses pour la plupart de nos contemporains (2) ; ce sont ces circonstances contingentes qui obligent à s’attarder à des considérations aussi élémentaires, qu’il suffirait autrement d’énoncer en quelques mots, sans avoir à y ajouter la moindre explication.

Il va de soi que la qualification essentielle, celle qui domine toutes les autres, est une question d’« horizon intellectuel » plus ou moins étendu ; mais il peut arriver que les possibilités d’ordre intellectuel, tout en existant virtuellement dans une individualité, soient, du fait des éléments inférieurs de celle-ci (éléments d’ordre psychique et d’ordre corporel tout à la fois), empêchées de se développer, soit temporairement, soit même définitivement.

1 De là la science qui, dans la tradition islamique, est désignée comme ilm-ul-firâsah.
2 Sur toutes ces questions, voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps.


C’est là la première raison de ce qu’on pourrait appeler les qualifications secondaires ; et il y a encore une seconde raison qui résulte immédiatement de ce que nous venons de dire : c’est que, dans ces éléments, qui sont les plus accessibles à l’observation, on peut trouver des marques de certaines limitations intellectuelles ; dans ce dernier cas, les qualifications secondaires deviennent en quelque sorte des équivalents symboliques de la qualification fondamentale elle-même.
Dans le premier cas, au contraire, il peut se faire qu’elles n’aient pas toujours une égale importance : ainsi, il peut y avoir des obstacles s’opposant à toute initiation, même simplement virtuelle, ou seulement à une initiation effective, ou encore au passage à des degrés plus ou moins élevés, ou enfin uniquement à l’exercice de certaines fonctions dans une organisation initiatique (car on peut être apte à recevoir une influence spirituelle sans être pour cela nécessairement apte à la transmettre) ; et il faut ajouter aussi qu’il y a des empêchements spéciaux qui peuvent ne concerner que certaines formes d’initiation.

Sur ce dernier point, il suffit en somme de rappeler que la diversité des modes d’initiation, soit d’une forme traditionnelle à une autre, soit à l’intérieur d’une même forme traditionnelle, a précisément pour but de répondre à celle des aptitudes individuelles ; elle n’aurait évidemment aucune raison d’être si un mode unique pouvait convenir également à tous ceux qui sont, d’une façon générale, qualifiés pour recevoir l’initiation. Puisqu’il n’en est pas ainsi, chaque organisation initiatique devra avoir sa « technique » particulière, et elle ne pourra naturellement admettre que ceux qui seront capables de s’y conformer et d’en retirer un bénéfice effectif, ce qui suppose, quant aux qualifications, l’application de tout un ensemble de règles spéciales, valables seulement pour l’organisation considérée, et n’excluant aucunement, pour ceux qui seront écartés par là, la possibilité de trouver ailleurs une initiation équivalente, pourvu qu’ils possèdent les qualifications générales qui sont strictement indispensables dans tous les cas. Un des exemples les plus nets que l’on puisse donner à cet égard, c’est le fait qu’il existe des formes d’initiation qui sont exclusivement masculines, tandis qu’il en est d’autres où les femmes peuvent être admises au même titre que les hommes (1) ; on peut donc dire qu’il y a là une certaine qualification qui est exigée dans un cas et qui ne l’est pas dans l’autre, et que cette différence tient aux modes particuliers d’initiation dont il s’agit ; nous y reviendrons d’ailleurs par la suite, car nous avons pu constater que ce fait est généralement fort mal compris à notre époque.

Là où il existe une organisation sociale traditionnelle, même dans l’ordre extérieur, chacun, étant à la place qui convient à sa propre nature individuelle, doit par là même pouvoir trouver aussi plus facilement, s’il est qualifié, le mode d’initiation qui correspond à ses possibilités. Ainsi, si l’on envisage à ce point de vue l’organisation des castes, l’initiation des Kshatriyas ne saurait être identique à celle des Brâhmanes (2), et ainsi de suite ; et, d’une façon plus particulière encore, une certaine forme d’initiation peut être liée à l’exercice d’un métier déterminé, ce qui ne peut avoir toute sa valeur effective que si le métier qu’exerce chaque individu est bien celui auquel il est destiné par les aptitudes inhérentes à sa nature même, de telle sorte que ces aptitudes feront en même temps partie intégrante des qualifications spéciales requises pour la forme d’initiation correspondante.

1 Il y eut même aussi, dans l’antiquité, des formes d’initiation exclusivement féminines.
2 Nous reviendrons là-dessus plus loin, à propos de la question de l’initiation sacerdotale et de l’initiation royale.


Au contraire, là ou rien n’est plus organisé suivant des règles traditionnelles et normales, ce qui est le cas du monde occidental moderne, il en résulte une confusion qui s’étend à tous les domaines, et qui entraîne inévitablement des complications et des difficultés multiples quant à la détermination précise des qualifications initiatiques, puisque la place de l’individu dans la société n’a plus alors qu’un rapport très lointain avec sa nature, et que même, bien souvent, ce sont uniquement les côtés les plus extérieurs et les moins importants de celle-ci qui sont pris en considération, c’est-à-dire ceux qui n’ont réellement aucune valeur, même secondaire, au point de vue initiatique.
Une autre cause de difficultés qui s’ajoute encore à celle-là, et qui en est d’ailleurs solidaire dans une certaine mesure, c’est l’oubli des sciences traditionnelles : les données de certaines d’entre elles pouvant fournir le moyen de reconnaître la véritable nature d’un individu, lorsqu’elles viennent à faire défaut, il n’est jamais possible, par d’autres moyens quelconques, d’y suppléer entièrement et avec une parfaite exactitude ; quoi qu’on fasse à cet égard, il y aura toujours une part plus ou moins grande d’« empirisme » qui pourra donner lieu à bien des erreurs. C’est là, du reste, une des principales raisons de la dégénérescence de certaines organisations initiatiques : l’admission d’éléments non qualifiés, que ce soit par ignorance pure et simple des règles qui devraient les éliminer, ou par impossibilité de les appliquer sûrement, est en effet un des facteurs qui contribuent le plus à cette dégénérescence, et peut même, si elle se généralise, amener finalement la ruine complète d’une telle organisation.

Après ces considérations d’ordre général, il nous faudrait, pour préciser davantage la signification réelle qu’il convient d’attribuer aux qualifications secondaires, donner des exemples bien définis des conditions requises pour l’accession à telle ou telle forme initiatique, et en montrer dans chaque cas le sens et la portée véritables ; mais un tel exposé, quand il doit s’adresser à des Occidentaux, est rendu fort difficile par le fait que ceux-ci, même dans le cas le plus favorable, ne connaissent qu’un nombre extrêmement restreint de ces formes initiatiques, et que des références à toutes les autres risqueraient de rester à peu près entièrement incomprises. Encore tout ce qui subsiste en Occident des anciennes organisations de cet ordre est-il fort amoindri à tous égards, comme nous l’avons déjà dit bien des fois, et il est aisé de s’en rendre compte plus spécialement en ce qui concerne la question même dont il s’agit présentement : si certaines qualifications y sont encore exigées, c’est bien plutôt par la force de l’habitude que par une compréhension quelconque de leur raison d’être ; et, dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’étonner s’il arrive parfois que des membres de ces organisations protestent contre le maintien de ces qualifications, où leur ignorance ne voit qu’une sorte de vestige historique, un reste d’un état de choses disparu depuis longtemps, en un mot un « anachronisme » pur et simple.
Cependant, comme on est bien obligé de prendre pour point de départ ce qu’on a le plus immédiatement à sa disposition, cela même peut fournir l’occasion de quelques indications qui, malgré tout, ne sont pas sans intérêt, et qui, bien qu’ayant surtout à nos yeux le caractère de simples « illustrations », n’en sont pas moins susceptibles de donner lieu à des réflexions d’une application plus étendue qu’il ne pourrait le sembler au premier abord.

Il n’y a plus guère dans le monde occidental, comme organisations initiatiques pouvant revendiquer une filiation traditionnelle authentique (condition en dehors de laquelle, rappelons-le encore une fois, il ne saurait être question que de « pseudo-initiation »), que le Compagnonnage et la Maçonnerie, c’est-à-dire des formes initiatiques basées essentiellement sur l’exercice d’un métier, à l’origine tout au moins, et, par conséquent, caractérisées par des méthodes particulières, symboliques et rituelles, en relation directe avec ce métier lui-même (1).
Seulement, il y a ici une distinction à faire : dans le Compagnonnage, la liaison originelle avec le métier s’est toujours maintenue, tandis que, dans la Maçonnerie, elle a disparu en fait ; de là, dans ce dernier cas, le danger d’une méconnaissance plus complète de la nécessité de certaines conditions, pourtant inhérentes à la forme initiatique même dont il s’agit.
En effet, dans l’autre cas, il est évident que tout au moins les conditions voulues pour que le métier puisse être exercé effectivement, et même pour qu’il le soit d’une façon aussi adéquate que possible, ne pourront jamais être perdues de vue, même si l’on n’y envisage rien de plus que cela, c’est-à-dire si l’on ne prend en considération que leur raison extérieure et si l’on oublie leur raison plus profonde et proprement initiatique.
Au contraire, là où cette raison profonde n’est pas moins oubliée et où la raison extérieure elle-même n’existe plus, il est assez naturel en somme (ce qui, bien entendu, ne veut point dire légitime) qu’on en arrivé à penser que le maintien de semblables conditions ne s’impose en aucune façon, et à ne les regarder que comme des restrictions gênantes, voire même injustes (c’est là une considération dont on abuse beaucoup à notre époque, conséquence de l’« égalitarisme » destructeur de la notion de l’« élite »), apportées à un recrutement que la manie du « prosélytisme » et la superstition démocratique du « grand nombre », traits bien caractéristiques de l’esprit occidental moderne, voudraient faire aussi large que possible, ce qui est bien, comme nous l’avons déjà dit, une des causes les plus certaines et les plus irrémédiables de dégénérescence pour une organisation initiatique.

Au fond, ce qu’on oublie en pareil cas, c’est tout simplement ceci : si le rituel initiatique prend pour « support » le métier, de telle sorte qu’il en est pour ainsi dire dérivé par une transposition appropriée (et sans doute faudrait-il, à l’origine, envisager plutôt les choses en sens inverse, car le métier, au point de vue traditionnel, ne représente véritablement qu’une application contingente des principes auxquels l’initiation se rapporte directement), l’accomplissement de ce rituel, pour être réellement et pleinement valable, exigera des conditions parmi lesquelles se retrouveront celles de l’exercice même du métier, la même transposition s’y appliquant également et cela en vertu des correspondances qui existent entre les différentes modalités de l’être ; et, par là, il apparaît clairement que, comme nous l’avons indiqué plus haut, quiconque est qualifié pour l’initiation, d’une façon générale, ne l’est pas par là même indifféremment pour toute forme initiatique quelle qu’elle soit.

1 Nous avons exposé les principes sur lesquels reposent les rapports de l’initiation et du métier dans Le Règne de la Quantité et des Signes des Temps, ch. VIII.

Nous devons ajouter que la méconnaissance de ce point fondamental, entraînant la réduction toute profane des qualifications à de simples règles corporatives, apparaît, du moins en ce qui concerne la Maçonnerie, comme liée assez étroitement à une méprise sur le vrai sens du mot « opératif », méprise sur laquelle nous aurons à nous expliquer par la suite avec les développements voulus, car elle donne lieu a des considérations d’une portée initiatique tout à fait générale.

Ainsi, si l’initiation maçonnique exclut notamment les femmes (ce qui, nous l’avons déjà dit, ne signifie nullement que celles-ci soient inaptes à toute initiation), et aussi les hommes qui sont affectés de certaines infirmités, ce n’est point tout simplement parce que, anciennement, ceux qui y étaient admis devaient être capables de transporter des fardeaux ou de monter sur des échafaudages, comme certains l’assurent avec une déconcertante naïveté ; c’est que, pour ceux qui sont ainsi exclus, l’initiation maçonnique comme telle ne saurait être valable, si bien que les effets en seraient nuls par défaut de qualification.
On peut dire d’abord, à cet égard, que la connexion avec le métier, si elle a cessé d’exister quant à l’exercice extérieur de celui-ci, n’en subsiste pas moins d’une façon plus essentielle, en tant qu’elle demeure nécessairement inscrite dans la forme même de cette initiation ; si elle venait à en être éliminée, ce ne serait plus l’initiation maçonnique, mais quelque autre chose toute différente ; et, comme il serait d’ailleurs impossible de substituer légitimement une autre filiation traditionnelle à celle qui existe en fait, il n’y aurait même plus alors réellement aucune initiation. C’est pourquoi, là où il reste encore tout au moins, à défaut d’une compréhension plus effective, une certaine conscience plus ou moins obscure de la valeur propre des formes rituéliques, on persiste à considérer les conditions dont nous parlons ici comme faisant partie intégrante des landmarks (le terme anglais, dans cette acception « technique », n’a pas d’équivalent exact en français), qui ne peuvent être modifiés en aucune circonstance, et dont la suppression ou la négligence risquerait d’entraîner une véritable nullité initiatique (1).

Maintenant, il y a encore quelque chose de plus : si l’on examine de près la liste des défauts corporels qui sont considérés comme des empêchements à l’initiation, on constatera qu’il en est parmi eux qui ne semblent pas très graves extérieurement, et qui, en tout cas, ne sont pas tels qu’ils puissent s’opposer à ce qu’un homme exerce le métier de constructeur (2).
C’est donc qu’il n’y a là encore qu’une explication partielle, bien qu’exacte dans toute la mesure où elle est applicable, et que, en outre des conditions requises par le métier, l’initiation en exige d’autres qui n’ont plus rien à voir avec celui-ci, mais qui sont uniquement en rapport avec les modalités du travail rituélique, envisagé d’ailleurs non pas seulement dans sa « matérialité », si l’on peut dire, mais surtout comme devant produire des résultats effectifs pour l’être qui l’accomplit.

1 Ces landmarks sont regardés comme existant from time immemorial, c’est-à-dire qu’il est impossible de leur assigner aucune origine historique définie.
2 Ainsi, pour donner un exemple précis en ce genre, on ne voit pas en quoi un bègue pourrait être gêné dans l’exercice de ce métier par son infirmité.


Ceci apparaîtra d’autant plus nettement que, parmi les diverses formulations des landmarks (car, bien que non écrits en principe, ils ont cependant été souvent l’objet d’énumérations plus ou moins détaillées), on se reportera aux plus anciennes, c’est-à-dire à une époque où les choses dont il s’agit étaient encore connues, et même, pour quelques-uns tout au moins, connues d’une façon qui n’était pas simplement théorique ou « spéculative », mais réellement « opérative », dans le vrai sens auquel nous faisions allusion plus haut.
En faisant cet examen, on pourra même s’apercevoir d’une chose qui, assurément, semblerait aujourd’hui tout à fait extraordinaire à certains s’ils étaient capables de s’en rendre compte : c’est que les empêchements à l’initiation, dans la Maçonnerie, coïncident presque entièrement avec ce que sont, dans l’Eglise catholique, les empêchements à l’ordination (1).

Ce dernier point est encore de ceux qui, pour être bien compris, appellent quelque commentaire, cat on pourrait, à première vue, être tenté de supposer qu’il y a là une certaine confusion entre des choses d’ordre différent, d’autant plus que nous avons souvent insisté sur la distinction essentielle qui existe entre les deux domaines initiatique et religieux, et qui, par conséquent, doit se retrouver aussi entre les rites qui se rapportent respectivement à l’un et à l’autre. Cependant, il n’est pas besoin de réfléchir bien longuement pour comprendre qu’il doit y avoir des lois générales conditionnant l’accomplissement des rites, de quelque ordre qu’ils soient, puisqu’il s’agit toujours, en somme, de la mise en œuvre de certaines influences spirituelles, quoique le but en soit naturellement différent suivant les cas.
D’un autre côté, on pourrait aussi objecter que, dans le cas de l’ordination, il s’agit proprement de l’aptitude à remplir certaines fonctions (2), tandis que, pour ce qui est de l’initiation, les qualifications requises pour la recevoir sont distinctes de celles qui peuvent être nécessaires pour exercer en outre une fonction dans une organisation initiatique (fonction concernant principalement la transmission de l’influence spirituelle) ; et il est exact que ce n’est pas à ce point de vue des fonctions qu’il faut se placer pour que la similitude soit véritablement applicable.
Ce qu’il faut considérer, c’est que, dans une organisation religieuse du type de celle du Catholicisme, le prêtre seul accomplit activement les rites, alors que les laïques n’y participent qu’en mode « réceptif »; par contre, l’activité dans l’ordre rituélique constitue toujours, et sans aucune exception, un élément essentiel de toute méthode initiatique, de telle sorte que cette méthode implique nécessairement la possibilité d’exercer une telle activité.
C’est donc, en définitive, cet accomplissement actif des rites qui exige, en dehors de la qualification proprement intellectuelle, certaines qualifications secondaires, variables en partie suivant le caractère spécial que revêtent ces rites dans telle ou telle forme initiatique, mais parmi lesquelles l’absence de certains défauts corporels joue toujours un rôle important, soit en tant que ces défauts font directement obstacle à l’accomplissement des rites, soit en tant qu’ils sont le signe extérieur de défauts correspondants dans les éléments subtils de l’être.

1 Il en est ainsi, en particulier, pour ce qu’on appelait au XVIIIème siècle la « règle de la lettre B », c’est-à-dire pour les empêchements qui sont constitués, de part et d’autre également, par une série d’infirmités et de défauts corporels dont les noms en français, par une coïncidence assez curieuse, commencent tous par cette même lettre B.
2 Ce cas est d’ailleurs, comme nous l’avons fait remarquer précédemment, le seul où des qualifications particulières puissent être exigées dans une organisation traditionnelle d’ordre exotérique.


C’est là surtout la conclusion que nous voulions arriver à dégager de toutes ces considérations ; et, au fond, ce qui paraît ici se rapporter plus spécialement à un cas particulier, celui de l’initiation maçonnique, n’a été pour nous que le moyen le plus commode d’exposer ces choses, qu’il nous reste encore à rendre plus précises à l’aide de quelques exemples déterminés d’empêchements dus à des défauts corporels ou à des défauts psychiques manifestés sensiblement par ceux-ci.

Si nous considérons les infirmités ou les simples défauts corporels en tant que signes extérieurs de certaines imperfections d’ordre psychique, il conviendra de faire une distinction entre les défauts que l’être présente dès sa naissance, ou qui se développent naturellement chez lui, au cours de son existence, comme des conséquences d’une certaine prédisposition, et ceux qui sont simplement le résultat de quelque accident. Il est évident, en effet, que les premiers traduisent quelque chose qui peut être regardé comme plus strictement inhérent à la nature même de l’être, et qui, par conséquent, est plus grave au point de vue où nous nous plaçons, bien que d’ailleurs, rien ne pouvant arriver à un être qui ne corresponde réellement à quelque élément plus ou moins essentiel de sa nature, les infirmités d’origine apparemment accidentelle elles-mêmes ne puissent pas être regardées comme entièrement indifférentes à cet égard.
D’un autre côté, si l’on considère ces mêmes défauts comme obstacles directs à l’accomplissement des rites ou à leur action effective sur l’être, la distinction que nous venons d’indiquer n’a plus à intervenir ; mais il doit être bien entendu que certains défauts qui ne constituent pas de tels obstacles n’en sont pas moins, pour la première raison, des empêchements à l’initiation, et même parfois des empêchements d’un caractère plus absolu, car ils expriment une « déficience » intérieure rendant l’être impropre à toute initiation, tandis qu’il peut y avoir des infirmités faisant seulement obstacle à l’efficacité des méthodes « techniques » particulières à telle ou telle forme initiatique.

Certains pourront s’étonner que nous disions que les infirmités accidentelles ont aussi une correspondance dans la nature même de l’être qui en est atteint; ce n’est pourtant là, en somme, qu’une conséquence directe de ce que sont réellement les rapports de l’être avec l’ambiance dans laquelle il se manifeste : toutes les relations entre les êtres manifestés dans un même monde, ou, ce qui revient au même, toutes leurs actions et réactions réciproques, ne peuvent être réelles que si elles sont l’expression de quelque chose qui appartient à la nature de chacun de ces êtres. En d’autres termes, tout ce qu’un être subit, aussi bien que tout ce qu’il fait, constituant une « modification » de lui-même, doit nécessairement correspondre à quelqu’une des possibilités qui sont dans sa nature, de telle sorte qu’il ne peut rien y avoir qui soit purement accidentel, si l’on entend ce mot au sens d’« extrinsèque » comme on le fait communément.
Toute la différence n’est donc ici qu’une différence de degré : il y a des modifications qui représentent quelque chose de plus important ou de plus profond que d’autres ; il y a donc, en quelque sorte, des valeurs hiérarchiques à observer sous ce rapport parmi les diverses possibilités du domaine individuel ; mais, à rigoureusement parler, rien n’est indifférent ou dépourvu de signification, parce que, au fond, un être ne peut recevoir du dehors que de simples « occasions » pour la réalisation, en mode manifesté, des virtualités qu’il porte tout d’abord en lui-même.

Il peut aussi sembler étrange, à ceux qui s’en tiennent aux apparences, que certaines infirmités peu graves au point de vue extérieur aient été toujours et partout considérées comme un empêchement à l’initiation ; un cas typique de ce genre est celui du bégaiement.
En réalité, il suffit de réfléchir tant soit peu pour se rendre compte que, dans ce cas, on trouve précisément à la fois l’une et l’autre des deux raisons que nous avons mentionnées ; et en effet, tout d’abord, il y a le fait que la « technique » rituelle comporte presque toujours la prononciation de certaines formules verbales, prononciation qui doit naturellement être avant tout correcte pour être valable, ce que le bégaiement ne permet pas à ceux qui en sont affligés.
D’autre part, il y a dans une semblable infirmité le signe manifeste d’une certaine « dérythmie » de l’être, s’il est permis d’employer ce mot ; et d’ailleurs les deux choses sont ici étroitement liées, car l’emploi même des formules auxquelles nous venons de faire allusion n’est proprement qu’une des applications de la « science du rythme » à la méthode initiatique, de sorte que l’incapacité à les prononcer correctement dépend en définitive de la « dérythmie » interne de l’être.

Cette « dérythmie » n’est elle-même qu’un cas particulier de désharmonie ou de déséquilibre dans la constitution de l’individu ; et l’on peut dire, d’une façon générale, que toutes les anomalies corporelles qui sont des marques d’un déséquilibre plus ou moins accentué, si elles ne sont pas forcément toujours des empêchements absolus (car il y a évidemment là bien des degrés à observer), sont tout au moins des indices défavorables chez un candidat à l’initiation. Il peut d’ailleurs se faire que de telles anomalies, qui ne sont pas proprement des infirmités, ne soient pas de nature à s’opposer à l’accomplissement du travail rituélique, mais que cependant, si elles atteignent un degré de gravité indiquant un déséquilibre profond et irrémédiable, elles suffisent à elles seules à disqualifier le candidat, conformément à ce que nous avons déjà expliqué plus haut. Telles sont, par exemple, des dissymétries notables du visage ou des membres ; mais, bien entendu, s’il ne s’agissait que de très légères dissymétries, elles ne pourraient même pas être considérées véritablement comme une anomalie, car, en fait, il n’y a sans doute personne qui présente en tout point une exacte symétrie corporelle. Ceci peut d’ailleurs s’interpréter comme signifiant que, dans l’état actuel de l’humanité tout au moins, aucun individu n’est parfaitement équilibré sous tous les rapports ; et, effectivement, la réalisation du parfait équilibre de l’individualité, impliquant la complète neutralisation de toutes les tendances opposées qui agissent en elle, donc la fixation en son centre même, seul point où ces oppositions cessent de se manifester, équivaut par là même, purement et simplement, à la restauration de l’« état primordial ».
On voit donc qu’il ne faut rien exagérer, et que, s’il y a des individus qui sont qualifiés pour l’initiation, ils le sont malgré un certain état de déséquilibre relatif qui est inévitable, mais que précisément l’initiation pourra et devra atténuer si elle produit un résultat effectif, et même faire disparaître si elle arrive à être poussée jusqu’au degré qui correspond à la perfection des possibilités individuelles, c’est-à-dire, comme nous l’expliquerons encore plus loin, jusqu’au terme des « petits mystères » (1).

Nous devons encore faire remarquer qu’il est certains défauts qui, sans être tels qu’ils s’opposent à une initiation virtuelle, peuvent l’empêcher de devenir effective ; il va de soi, d’ailleurs, que c’est ici surtout qu’il y aura lieu de tenir compte des différences de méthodes qui existent entre les diverses formes initiatiques ; mais, dans tous les cas, il y aura des conditions de cette sorte à considérer dès lors qu’on entendra passer du « spéculatif » à l’« opératif ».
Un des cas les plus généraux, dans cet ordre, sera notamment celui des défauts qui, comme certaines déviations de la colonne vertébrale, nuisent à la circulation normale des courants subtils dans l’organisme ; il est à peine besoin, en effet, de rappeler le rôle important que jouent ces courants dans la plupart des processus de réalisation, à partir de leur début même, et tant que les possibilités individuelles ne sont pas dépassées.
Il convient d’ajouter, pour éviter toute méprise à cet égard, que, si la mise en action de ces courants est accomplie consciemment dans certaines méthodes (2), il en est d’autres où il n’en est pas ainsi, mais où cependant une telle action n’en existe pas moins effectivement et n’en est même pas moins importante en réalité ; l’examen approfondi de certaines particularités rituéliques, de certains « signes de reconnaissance » par exemple (qui sont en même temps tout autre chose quand on les comprend vraiment), pourrait fournir là-dessus des indications très nettes, bien qu’assurément inattendues pour qui n’est pas habitué à considérer les choses à ce point de vue qui est proprement celui de la « technique » initiatique.

Comme il faut nous borner, nous nous contenterons de ces quelques exemples, peu nombreux sans doute, mais choisis à dessein parmi ceux qui correspondent aux cas les plus caractéristiques et les plus instructifs, de façon à faire comprendre le mieux possible ce dont il s’agit véritablement ; il serait en somme peu utile, sinon tout à fait fastidieux, de les multiplier indéfiniment.

Si nous avons tant insisté sur le côté corporel des qualifications initiatiques, c’est qu’il est certainement celui qui risque d’apparaître le moins clairement aux yeux de beaucoup, celui que nos contemporains sont généralement le plus à méconnaître, donc celui sur lequel il y a d’autant plus lieu d’attirer spécialement leur attention.
C’est aussi qu’il y avait là une occasion de montrer encore, avec toute la netteté voulue, combien ce qui concerne l’initiation est loin des simples théories plus on moins vagues que voudraient y voir tant de gens qui, par un effet trop commun de la confusion moderne, ont la prétention de parler de choses dont ils n’ont pas la moindre connaissance réelle, mais qu’ils n’en croient que plus facilement pouvoir « reconstruire » au gré de leur imagination ; et, enfin, il est particulièrement facile de se rendre compte, par des considérations « techniques » de cette sorte, que l’initiation est chose totalement différente du mysticisme et ne saurait véritablement avoir le moindre rapport avec lui.

1 Nous avons signalé ailleurs, à propos des descriptions de l’Antéchrist, et précisément en ce qui concerne les dissymétries corporelles, que certaines disqualifications initiatiques de ce genre peuvent constituer au contraire des qualifications à l’égard de la « contre-initiation » (Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXIX).
2 En particulier dans les méthodes « tantriques » auxquelles nous avons déjà fait allusion dans une note précédente.



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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre XXV : Des épreuves initiatiques

Message par Ligeia Jeu 22 Oct - 18:24

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CHAPITRE XXV : DES ÉPREUVES INITIATIQUES



Nous envisagerons maintenant la question de ce qu’on appelle les « épreuves » initiatiques, qui ne sont en somme qu’un cas particulier des rites de cet ordre, mais un cas assez important pour mériter d’être traité à part, d’autant plus qu’il donne lieu encore à bien des conceptions erronées ; le mot même d’« épreuves », qui est employé en de multiples sens, est peut-être pour quelque chose dans ces équivoques, à moins pourtant que certaines des acceptions qu’il a prises couramment ne proviennent déjà de confusions préalables, ce qui est également fort possible. On ne voit pas très bien, en effet, pourquoi on qualifie communément d’« épreuve » tout événement pénible, ni pourquoi on dit de quelqu’un qui souffre qu’il est « éprouvé » ; il est difficile de voir là autre chose qu’un simple abus de langage, dont il pourrait d’ailleurs n’être pas sans intérêt de rechercher l’origine.

Quoi qu’il en soit, cette idée vulgaire des « épreuves de la vie » existe, même si elle ne répond à rien de nettement défini, et c’est elle surtout qui a donné naissance à de fausses assimilations en ce qui concerne les épreuves initiatiques, à tel point que certains ont été jusqu’à ne voir dans celles-ci qu’une sorte d’image symbolique de celles-là, ce qui, par un étrange renversement des choses, donnerait à supposer que ce sont les faits de la vie humaine extérieure qui ont une valeur effective et qui comptent véritablement au point de vue initiatique lui- même.

Ce serait vraiment trop simple s’il en était ainsi, et alors tous les hommes seraient, sans s’en douter, des candidats à l’initiation ; il suffirait à chacun d’avoir traversé quelques circonstances difficiles, ce qui arrive plus ou moins à tout le monde, pour atteindre cette initiation, dont on serait d’ailleurs bien en peine de dire par qui et au nom de quoi elle serait conférée. Nous pensons en avoir déjà dit assez sur la vraie nature de l’initiation pour n’avoir pas à insister sur l’absurdité de telles conséquences ; la vérité est que la « vie ordinaire », telle qu’on l’entend aujourd’hui, n’a absolument rien à voir avec l’ordre initiatique, puisqu’elle correspond à une conception entièrement profane ; et, si l’on envisageait au contraire la vie humaine suivant une conception traditionnelle et normale, on pourrait dire que c’est elle qui peut être prise comme un symbole, et non pas l’inverse.

Ce dernier point mérite que nous nous y arrêtions un instant : on sait que le symbole doit toujours être d’un ordre inférieur à ce qui est symbolisé (ce qui, rappelons-le en passant, suffit à écarter toutes les interprétations « naturalistes » imaginées par les modernes) ; les réalités du domaine corporel, étant celles de l’ordre le plus bas et le plus étroitement limité, ne sauraient donc être symbolisées par quoi que ce soit, et d’ailleurs elles n’en ont nul besoin, puisqu’elles sont directement et immédiatement saisissables pour tout le monde.
Par contre, tout événement ou phénomène quelconque, si insignifiant qu’il soit, pourra toujours, en raison de la correspondance qui existe entre tous les ordres de réalités, être pris comme symbole d’une réalité d’ordre supérieur, dont il est en quelque sorte une expression sensible, par la même qu’il en est dérivé comme une conséquence l’est de son principe ; et à ce titre, si dépourvu de valeur et d’intérêt qu’il soit en lui-même, il pourra présenter une signification profonde à celui qui est capable de voir au delà des apparences immédiates. Il y a là une transposition dont le résultat n’aura évidemment plus rien de commun avec la « vie ordinaire », ni même avec la vie extérieure de quelque façon qu’on l’envisage, celle-ci ayant simplement fourni le point d’appui permettant, à un être doué d’aptitudes spéciales, de sortir de ses limitations ; et ce point d’appui, nous y insistons, pourra être tout à fait quelconque, tout dépendant ici de la nature propre de l’être qui s’en servira.

Par conséquent, et ceci nous ramène à l’idée commune des « épreuves », il n’y a rien d’impossible à ce que la souffrance soit, dans certains cas particuliers, l’occasion ou le point de départ d’un développement de possibilités latentes, mais exactement comme n’importe quoi d’autre peut l’être dans d’autres cas ; l’occasion, disons-nous, et rien de plus ; et cela ne saurait autoriser à attribuer à la souffrance en elle-même aucune vertu spéciale et privilégiée, en dépit de toutes les déclamations accoutumées sur ce sujet.
Remarquons d’ailleurs que ce rôle tout contingent et accidentel de la souffrance, même ramené ainsi à ses justes proportions, est certainement beaucoup plus restreint dans l’ordre initiatique que dans certaines autres « réalisations » d’un caractère plus extérieur ; c’est surtout chez les mystiques qu’il devient en quelque sorte habituel et paraît acquérir une importance de fait qui peut faire illusion (et, bien entendu, à ces mystiques eux-mêmes tous les premiers), ce qui s’explique sans doute, au moins en partie, par des considérations de nature spécifiquement religieuse (1).
Il faut encore ajouter que la psychologie profane a certainement contribué pour une bonne part à répandre sur tout cela les idées les plus confuses et les plus erronées ; mais en tout cas, qu’il s’agisse de simple psychologie ou de mysticisme, toutes ces choses n’ont absolument rien de commun avec l’initiation.

Cela étant mis au point, il nous faut encore indiquer l’explication d’un fait qui pourrait paraître, aux yeux de certains, susceptible de donner lieu à une objection : bien que les circonstances difficiles ou pénibles soient assurément, comme nous le disions tout à l’heure, communes à la vie de tous les hommes, il arrive assez fréquemment que ceux qui suivent une voie initiatique les voient se multiplier d’une façon inaccoutumée. Ce fait est dû tout simplement à une sorte d’hostilité inconsciente du milieu, à laquelle nous avons déjà eu l’occasion de faire allusion précédemment : il semble que ce monde, nous voulons dire l’ensemble des êtres et des choses mêmes qui constituent le domaine de l’existence individuelle, s’efforce par tous les moyens de retenir celui qui est près de lui échapper ; de telles réactions n’ont en somme rien que de parfaitement normal et compréhensible, et, si déplaisantes qu’elles puissent être, il n’y a certainement pas lieu de s’en étonner.

1 Il y aurait d’ailleurs lieu de se demander si cette exaltation de la souffrance est bien vraiment inhérente à la forme spéciale de la tradition chrétienne, ou si elle ne lui a pas plutôt été « surimposée » en quelque sorte par les tendances naturelles du tempérament occidental.

Il s’agit donc là proprement d’obstacles suscités par des forces adverses, et non point, comme on semble parfois se l’imaginer à tort, d’« épreuves » voulues et imposées par les puissances qui président à l’initiation ; il est nécessaire d’en finir une fois pour toutes avec ces fables, assurément beaucoup plus proches des rêveries occultistes que des réalités initiatiques.

Ce qu’on appelle les épreuves initiatiques est quelque chose de tout différent, et il nous suffira maintenant d’un mot pour couper court définitivement à toute équivoque : ce sont essentiellement des rites, ce que les prétendues « épreuves de la vie » ne sont évidemment en aucune façon ; et elles ne sauraient exister sans ce caractère rituel, ni être remplacées par quoi que ce soit qui ne posséderait pas ce même caractère. On peut voir tout de suite par là que les aspects sur lesquels on insiste généralement le plus sont en réalité tout à fait secondaires : si ces épreuves étaient vraiment destinées, suivant la notion la plus « simpliste », à montrer si un candidat à l’initiation possède les qualités requises, il faut convenir qu’elles seraient fort inefficaces, et l’on comprend que ceux qui s’en tiennent à cette façon de voir soient tentés de les regarder comme sans valeur ; mais, normalement, celui qui est admis à les subir doit déjà avoir été, par d’autres moyens plus adéquats, reconnu « bien et dûment qualifié » ; il faut donc qu’il y ait là tout autre chose.

On dirait alors que ces épreuves constituent un enseignement donné sous forme symbolique, et destiné à être médité ultérieurement ; cela est très vrai, mais on peut en dire autant de n’importe quel autre rite, car tous, comme nous l’avons dit précédemment, ont également un caractère symbolique, donc une signification qu’il appartient à chacun d’approfondir selon la mesure de ses propres capacités. La raison d’être essentielle du rite, c’est, ainsi que nous l’avons expliqué en premier lieu, l’efficacité qui lui est inhérente ; cette efficacité est d’ailleurs, cela va de soi, en étroite relation avec le sens symbolique inclus dans sa forme, mais elle n’en est pas moins indépendante d’une compréhension actuelle de ce sens chez ceux qui prennent part au rite. C’est donc à ce point de vue de l’efficacité directe du rite qu’il convient de se placer avant tout ; le reste, quelle qu’en soit l’importance, ne saurait venir qu’au second rang, et tout ce que nous avons dit jusqu’ici est suffisamment explicite à cet égard pour nous dispenser de nous y attarder davantage.

Pour plus de précision, nous dirons que les épreuves sont des rites préliminaires ou préparatoires à l’initiation proprement dite ; elles en constituent le préambule nécessaire, de telle sorte que l’initiation même est comme leur conclusion ou leur aboutissement immédiat. Il est à remarquer quelles revêtent souvent la forme de « voyages » symboliques ; nous ne faisons d’ailleurs que noter ce point en passant, car nous ne pouvons songer à nous étendre ici sur le symbolisme du voyage en général, et nous dirons seulement que, sous cet aspect, elles se présentent comme une « recherche » (ou mieux une « queste », comme on disait dans le langage du moyen âge) conduisant l’être des « ténèbres » du monde profane à la « lumière » initiatique ; mais encore cette forme, qui se comprend ainsi d’elle-même, n’est-elle en quelque sorte qu’accessoire, si bien appropriée qu’elle soit à ce dont il s’agit.
Au fond, les épreuves sont essentiellement des rites de purification ; et c’est là ce qui donne l’explication véritable de ce mot même d’« épreuves », qui a ici un sens nettement « alchimique », et non point le sens vulgaire qui a donné lieu aux méprises que nous avons signalées.

Maintenant, ce qui importe pour connaître le principe fondamental du rite, c’est de considérer que la purification s’opère par les « éléments », au sens cosmologique de ce terme, et la raison peut en être exprimée très facilement en quelques mots : qui dit élément dit simple, et qui dit simple dit incorruptible. Donc, la purification rituelle aura toujours pour « support » matériel les corps qui symbolisent les éléments et qui en portent les désignations (car il doit être bien entendu que les éléments eux-mêmes ne sont nullement des corps prétendus « simples », ce qui est d’ailleurs une contradiction, mais ce à partir de quoi sont formés tous les corps), ou tout au moins l’un de ces corps ; et ceci s’applique également dans l’ordre traditionnel exotérique, notamment en ce qui concerne les rites religieux, où ce mode de purification est usité non seulement pour les êtres humains, mais aussi pour d’autres être vivants, pour des objets inanimés, et pour des lieux ou des édifices. Si l’eau semble jouer ici un rôle prépondérant par rapport aux autres corps représentatifs des éléments, il faut dire pourtant que ce rôle n’est pas exclusif ; peut-être pourrait-on expliquer cette prépondérance en remarquant que l’eau est en outre, dans toutes les traditions, plus particulièrement le symbole de la « substance universelle ».
Quoi qu’il en soit, il est à peine besoin de dire que les rites dont il s’agit, lustrations, ablutions ou autres (y compris le rite chrétien du baptême, au sujet duquel nous avons déjà indiqué qu’il rentre aussi dans cette catégorie), n’ont, pas plus d’ailleurs que les jeûnes de caractère également rituel ou que l’interdiction de certains aliments, absolument rien à voir avec des prescriptions d’hygiène ou de propreté corporelle, suivant la conception niaise de certains modernes, qui, voulant de parti pris ramener toutes choses à une explication purement humaine, semblent se plaire à choisir toujours l’interprétation la plus grossière qu’il soit possible d’imaginer. Il est vrai que les prétendues explications « psychologiques », si elles sont d’apparence plus subtile, ne valent pas mieux au fond ; toutes négligent pareillement d’envisager la seule chose qui compte en réalité, à savoir que l’action effective des rites n’est pas une « croyance » ni une vue théorique, mais un fait positif.

On peut comprendre maintenant pourquoi, lorsque les épreuves revêtent la forme de « voyages » successifs, ceux-ci sont mis respectivement en rapport avec les différents éléments ; et il nous reste seulement à indiquer en quel sens, au point de vue initiatique, le terme même de « purification » doit être entendu. Il s’agit de ramener l’être à un état de simplicité indifférenciée, comparable, comme nous l’avons dit précédemment, à. celui de la materia prima (entendue naturellement ici en un sens relatif), afin qu’il soit apte à recevoir la vibration du Fiat Lux initiatique ; il faut que l’influence spirituelle dont la transmission va lui donner cette « illumination » première ne rencontre en lui aucun obstacle dû à des « préformations » inharmoniques provenant du monde profane (1) ; et c’est pourquoi il doit être réduit tout d’abord à cet état de materia prima, ce qui, si l’on veut bien y réfléchir un instant, montre assez clairement que le processus initiatique et le « Grand Œuvre » hermétique ne sont en réalité qu’une seule et même chose : la conquête de la Lumière divine qui est l’unique essence de toute spiritualité.

1 La purification est donc aussi, à cet égard, ce qu’on appellerait en langage kabbalistique une « dissolution des écorces » ; en connexion avec ce point, nous avons également signalé ailleurs la signification symbolique du « dépouillement des métaux » (Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXII).


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Aperçus sur l'initiation  Empty Chapitre XXVI : De la mort initiatique

Message par Ligeia Dim 1 Nov - 12:43

Note :

Il semble évident que quand on parle de mort initiatique ou du « Voyage nocturne », il ne s’agit bien évidemment pas d’une quelconque expérience mystique ou pire, d’un « voyage astral » fait au cours d’un rêve.
C’est là faire preuve du littéralisme le plus étroit, mais aussi se montrer inconvenant envers le Prophète en réduisant ce miracle à une expérimentation fort commune ; cela dénote aussi un orgueil inouï chez ceux qui prétendraient avoir vécu la même chose. « Toutes choses paraissent si simples à celui qui ne connaît rien ! »
 

  • « Un Voyage nocturne purement spirituel ne serait pas un événement extraordinaire. Ce serait même un événement anodin que les gens pourraient vivre dans leurs rêves (...). S’il en était ainsi, Dieu n’aurait pas fait de cet épisode un honneur dont il gratifia le Prophète (...).  
    Dieu — Exalté soit-Il — dit : « Quant à la vision que Nous t’avons montrée, Nous ne l’avons faite que pour éprouver les gens », c’est-à-dire pour examiner et tester qui de ces gens ajoutera foi. Or, une telle épreuve n’a de sens que si le voyage est aussi bien corporel que spirituel. En effet, un Voyage nocturne exclusivement spirituel n’appelle pas d’épreuve ni même d’étonnement particuliers. »

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  • « Que certains, qui sont même le plus grand nombre, aient leur horizon borné à une seule forme traditionnelle, ou même à un certain aspect de cette forme, et qu’ils soient par conséquent enfermés dans un point de vue qu’on pourrait dire plus ou moins étroitement « local », c’est là chose parfaitement légitime en soi et d’ailleurs tout à fait inévitable ; mais ce qui, par contre, n’est aucunement acceptable, c’est qu’ils s’imaginent que ce même point de vue, avec toutes les limitations qui lui sont inhérentes, doit être également celui de tous sans exception, y compris ceux qui ont pris conscience de l’unité essentielle de toutes les traditions.

    Contre ceux, quels qu’ils soient, qui font preuve d’une telle incompréhension, nous devons maintenir, de la façon la plus inébranlable, les droits de ceux qui se sont élevés à un niveau supérieur, d’où la perspective est forcément toute différente ; qu’ils s’inclinent devant ce qu’ils sont, actuellement tout au moins, incapables de comprendre eux-mêmes, et qu’ils ne se mêlent en rien de ce qui n’est pas de leur compétence, c’est là, au fond, tout ce que nous leur demandons. Nous reconnaissons d’ailleurs bien volontiers que, en ce qui les concerne, leur point de vue limité n’est pas dépourvu de certains avantages, d’abord parce qu’il leur permet de s’en tenir intellectuellement à quelque chose d’assez simple et de s’en trouver satisfaits, et ensuite parce que du fait de la position toute « locale » dans laquelle ils sont cantonnés, ils ne sont assurément gênants pour personne, ce qui leur évite de soulever contre eux des forces hostiles auxquelles il leur serait probablement bien impossible de résister. » René Guénon, Mélanges.


Article complémentaire :
Guénon : voyages extra-terrestres dans différentes Traditions
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Chapitre XXVI : DE LA MORT INITIATIQUE


Une autre question qui semble aussi peu comprise que celle des épreuves de la plupart de ceux de nos contemporains qui ont la prétention de traiter de ces choses, c’est celle de ce qu’on appelle la « mort initiatique » ; ainsi, il nous est arrivé fréquemment de rencontrer, à ce propos, une expression comme celle de « mort fictive », qui témoigne de la plus complète incompréhension des réalités de cet ordre.

Ceux qui s’expriment ainsi ne voient évidemment que l’extériorité du rite, et n’ont aucune idée des effets qu’il doit produire sur ceux qui sont vraiment qualifiés ; autrement, ils se rendraient compte que cette « mort », bien loin d’être « fictive », est au contraire, en un sens, plus réelle même que la mort entendue au sens ordinaire du mot, car il est évident que le profane qui meurt ne devient pas initié par là même, et la distinction de l’ordre profane (comprenant ici non seulement ce qui est dépourvu du caractère traditionnel, mais aussi tout exotérisme) et de l’ordre initiatique est, à vrai dire, la seule qui dépasse les contingences inhérentes aux états particuliers de l’être et qui ait, par conséquent, une valeur profonde et permanente au point de vue universel.

Nous nous contenterons de rappeler, à cet égard, que toutes les traditions insistent sur la différence essentielle qui existe dans les états posthumes de l’être humain selon qu’il s’agit du profane ou de l’initié ; si les conséquences de la mort, prise dans son acception habituelle, sont ainsi conditionnées par cette distinction, c’est donc que le changement qui donne accès à l’ordre initiatique correspond à un degré supérieur de réalité.
Il est bien entendu que le mot de « mort » doit être pris ici dans son sens le plus général, suivant lequel nous pouvons dire que tout changement d’état, quel qu’il soit, est à la fois une mort et une naissance, selon qu’on l’envisage, d’un côté ou de l’autre : mort par rapport à l’état antécédent, naissance par rapport à l’état conséquent.

L’initiation est généralement décrite comme une « seconde naissance », ce qu’elle est en effet ; mais cette « seconde naissance » implique nécessairement la mort au monde profane et la suit en quelque sorte immédiatement, puisque ce ne sont là, à proprement parler, que les deux faces d’un même changement d’état.
Quant au symbolisme du rite, il sera naturellement basé sur l’analogie qui existe entre tous les changements d’état ; en raison de cette analogie, la mort et la naissance au sens ordinaire symbolisent elles-mêmes la mort et la naissance initiatiques, les images qui leur sont empruntées étant transposées par le rite dans un autre ordre de réalité.

Il y a lieu de remarquer notamment, à ce sujet, que tout changement d’état doit être considéré comme s’accomplissant dans les ténèbres, ce qui donne l’explication du symbolisme de la couleur noire en rapport avec ce dont il s’agit (1) : le candidat à l’initiation doit passer par l’obscurité complète avant d’accéder à la « vraie lumière ».
C’est dans cette phase d’obscurité que s’effectue ce qui est désigné comme la « descente aux Enfers », dont nous avons parlé plus amplement ailleurs (2) : c’est, pourrait-on dire, comme une sorte de « récapitulation » des états antécédents, par laquelle les possibilités se rapportant à l’état profane seront définitivement épuisées, afin que l’être puisse dès lors développer librement les possibilités d’ordre supérieur qu’il porte en lui, et dont la réalisation appartient proprement au domaine initiatique.

D’autre part, puisque des considérations similaires sont applicables à tout changement d’état, et que les degrés ultérieurs et successifs de l’initiation correspondent naturellement aussi à des changements d’état, on peut dire qu’il y aura encore, pour l’accession à chacun d’eux, mort et naissance, bien que la « coupure », s’il est permis de s’exprimer ainsi, soit moins nette et d’une importance moins fondamentale que pour l’initiation première, c’est-à-dire pour le passage de l’ordre profane à l’ordre initiatique.
D’ailleurs, il va de soi que les changements subis par l’être au cours de son développement sont réellement en multitude indéfinie ; les degrés initiatiques conférés rituéliquement, dans quelque forme traditionnelle que ce soit, ne peuvent donc correspondre qu’à une sorte de classification générale des principales étapes à parcourir, et chacun d’eux peut résumer en lui-même tout un ensemble d’étapes secondaires et intermédiaires.

Mais il est, dans ce processus, un point plus particulièrement important, où le symbolisme de la mort doit apparaître de nouveau de la façon la plus explicite ; et ceci demande encore quelques explications.
La « seconde naissance », entendue comme correspondant à l’initiation première, est proprement, comme nous l’avons déjà dit, ce qu’on peut appeler une régénération psychique ; et c’est en effet dans l’ordre psychique, c’est-à-dire dans l’ordre où se situent les modalités subtiles de l’être humain, que doivent s’effectuer les premières phases du développement initiatique ; mais celles-ci ne constituent pas un but en elles-mêmes, et elles ne sont encore que préparatoires par rapport à la réalisation de possibilités d’un ordre plus élevé, nous voulons dire de l’ordre spirituel au vrai sens de ce mot.

Le point de processus initiatique auquel nous venons de faire allusion est donc celui qui marquera le passage de l’ordre psychique à l’ordre spirituel ; et ce passage pourra être regardé plus spécialement comme constituant une « seconde mort » et une « troisième naissance » (3).

1 Cette explication convient également en ce qui concerne les phases du « Grand Œuvre » hermétique, qui, comme nous l’avons déjà indiqué, correspondent strictement à celles de l’initiation.
2 Voir L’Ésotérisme de Dante.
3 Dans le symbolisme maçonnique, ceci correspond à l’initiation au grade de Maître.


Il convient d’ajouter que cette « troisième naissance » sera représentée plutôt comme une « résurrection » que comme une naissance ordinaire, parce qu’il ne s’agit plus ici d’un « commencement » au même sens que lors de l’initiation première ; les possibilités déjà développées, et acquises une fois pour toutes, devront se retrouver après ce passage, mais « transformées », d’une façon analogue à celle dont le « corps glorieux » ou « corps de résurrection » représente la « transformation » des possibilités humaines, au delà des conditions limitatives qui définissent le mode d’existence de l’individualité comme telle.

La question, ainsi ramenée à l’essentiel, est en somme assez simple ; ce qui la complique, ce sont, comme il arrive presque toujours, les confusions que l’on commet en y mêlant des considérations qui se rapportent en réalité à tout autre chose.

C’est ce qui se produit notamment au sujet de la « seconde mort », à laquelle beaucoup prétendent attacher une signification particulièrement fâcheuse, parce qu’ils ne savent pas faire certaines distinctions essentielles entre les divers cas où cette expression peut être employée.

La « seconde mort », d’après ce que nous venons de dire, n’est autre chose que la « mort psychique » ; on peut envisager ce fait comme susceptible de se produire, à plus ou moins longue échéance après la mort corporelle, pour l’homme ordinaire, en dehors de tout processus initiatique ; mais alors cette « seconde mort » ne donnera pas accès au domaine spirituel, et l’être, sortant de l’état humain, passera simplement à un autre état individuel de manifestation.

Il y a là une éventualité redoutable pour le profane, qui a tout avantage à être maintenu dans ce que nous avons appelé les « prolongements » de l’état humain, ce qui est d’ailleurs, dans toutes les traditions, la principale raison d’être des rites funéraires.
Mais il en va tout autrement pour l’initié, puisque celui-ci ne réalise les possibilités mêmes de l’état humain que pour arriver à le dépasser, et qu’il doit nécessairement sortir de cet état, sans d’ailleurs avoir besoin pour cela d’attendre la dissolution de l’apparence corporelle, pour passer aux états supérieurs.

Ajoutons encore, pour n’omettre aucune possibilité, qu’il est un autre aspect défavorable de la « seconde mort », qui se rapporte proprement à la « contre-initiation » ; celle-ci, en effet, imite dans ses phases l’initiation véritable, mais ses résultats sont en quelque sorte au rebours de celle-ci, et, évidemment, elle ne peut en aucun cas conduire au domaine spirituel, puisqu’elle ne fait au contraire qu’en éloigner l’être de plus en plus.

Lorsque l’individu qui suit cette voie arrive à la « mort psychique », il se trouve dans une situation non pas exactement semblable à celle du profane pur et simple, mais bien pire encore, en raison du développement qu’il a donné aux possibilités les plus inférieures de l’ordre subtil ; mais nous n’y insisterons pas davantage, et nous nous contenterons de renvoyer aux quelques allusions que nous y avons déjà faites en d’autres occasions (1), car, à vrai dire, c’est là un cas qui ne peut présenter d’intérêt qu’à un point de vue très spécial, et qui, en tout état de cause, n’a absolument rien à voir avec la véritable initiation.
Le sort des « magiciens noirs », comme on dit communément, ne regarde qu’eux-mêmes, et il serait pour le moins inutile de fournir un aliment aux divagations plus ou moins fantastiques auxquelles ce sujet ne donne lieu que trop souvent déjà ; il ne convient de s’occuper d’eux que pour dénoncer leurs méfaits lorsque les circonstances l’exigent, et pour s’y opposer dans la mesure du possible ; et malheureusement, à une époque comme la nôtre, ces méfaits sont singulièrement plus étendus que ne sauraient l’imaginer ceux qui n’ont pas eu l’occasion de s’en rendre compte directement.

1 Voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXV et XXXVIII.


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Message par Ligeia Mar 24 Nov - 8:37

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CHAPITRE XXVII : NOMS PROFANES ET NOMS INITIATIQUES



En parlant précédemment des divers genres de secrets d’ordre plus ou moins extérieur qui peuvent exister dans certaines organisations, initiatiques ou non, nous avons mentionné entre autres le secret portant sur les noms de leurs membres ; et il peut bien sembler, à première vue, que celui-là soit à ranger parmi les simples mesures de précaution destinées à se garantir contre des dangers pouvant provenir•d’ennemis quelconques, sans qu’il y ait lieu d’y chercher une raison plus profonde.  En fait, il en est assurément ainsi dans bien des cas, et tout au moins dans ceux où l’on a affaire à des organisations secrètes purement profanes ; mais pourtant, quand il s’agit d’organisations initiatiques, il se peut qu’il y ait là autre chose, et que ce secret, comme tout le reste, revête un caractère véritablement symbolique.

Il y a d’autant plus d’intérêt à s’arrêter quelque peu sur ce point, que la curiosité des noms est une des manifestations les plus ordinaires de l’« individualisme » moderne, et que, quand elle prétend s’appliquer aux choses du domaine initiatique, elle témoigne encore d’une grave méconnaissance des réalités de cet ordre, et d’une fâcheuse tendance à vouloir les ramener au niveau des contingences profanes.
L’« historicisme » de nos contemporains n’est satisfait que s’il met des noms propres sur toutes choses, c’est-à-dire s’il les attribue à des individualités humaines déterminées, suivant la conception la plus restreinte qu’on puisse s’en faire, celle qui a cours dans la vie profane et qui ne tient compte que de la seule modalité corporelle. Cependant, le fait que l’origine des organisations initiatiques ne peut jamais être rapportée à de telles individualités devrait déjà donner à réfléchir à cet égard ; et, quand il s’agit de celles de l’ordre le plus profond, leurs membres mêmes ne peuvent être identifiés, non point parce qu’ils se dissimulent, ce qui, quelque soin qu’ils y mettent, ne saurait être toujours efficace, mais parce que, en toute rigueur, ils ne sont pas des « personnages » au sens où le voudraient les historiens, si bien que quiconque croira pouvoir les nommer sera, par là même, inévitablement dans l’erreur (1).

1 Ce cas est notamment, en Occident, celui des véritables Rose-Croix.

Avant d’entrer dans de plus amples explications là-dessus, nous dirons que quelque chose d’analogue se retrouve, toutes proportions gardées, à tous les degrés de l’échelle initiatique, même aux plus élémentaires, de sorte que, si une organisation initiatique est réellement ce qu’elle doit être, la désignation d’un quelconque de ses membres par un nom profane, même si elle est exacte « matériellement », sera toujours entachée de fausseté, à peu près comme le serait la confusion entre un acteur et un personnage dont il joue le rôle et dont on s’obstinerait à lui appliquer le nom dans toutes les circonstances de son existence.

Nous avons déjà insisté sur la conception de l’initiation comme une « seconde naissance » ; c’est précisément par une conséquence logique immédiate de cette conception que, dans de nombreuses organisations, l’initié reçoit un nouveau nom, différent de son nom profane ; et ce n’est pas là une simple formalité, car ce nom doit correspondre à une modalité également différente de son être, celle dont la réalisation est rendue possible par l’action de l’influence spirituelle transmise par l’initiation ; on peut d’ailleurs remarquer que, même au point de vue exotérique, la même pratique existe, avec une raison analogue, dans certains ordres religieux. Nous aurons donc pour le même être deux modalités distinctes, l’une se manifestant dans le monde profane, et l’autre à l’intérieur de l’organisation initiatique (1) ; et, normalement, chacune d’elles doit avoir son propre nom, celui de l’une ne convenant pas à l’autre, puisqu’elles se situent dans deux ordres réellement différents.
On peut aller plus loin : à tout degré d’initiation effective correspond encore une autre modalité de l’être ; celui-ci devrait donc recevoir un nouveau nom pour chacun de ces degrés, et, même si ce nom ne lui est pas donné en fait, il n’en existe pas moins, peut-on dire, comme expression caractéristique de cette modalité, car un nom n’est pas autre chose que cela en réalité.

Maintenant, comme ces modalités sont hiérarchisées dans l’être, il en est de même des noms qui les représentent respectivement ; un nom sera donc d’autant plus vrai qu’il correspondra à une modalité d’ordre plus profond, puisque, par là même, il exprimera quelque chose qui sera plus proche de la véritable essence de l’être. C’est donc, contrairement à l’opinion vulgaire, le nom profane qui, étant attaché à la modalité la plus extérieure et à la manifestation la plus superficielle, est le moins vrai de tous ; et il en est surtout ainsi dans une civilisation qui a perdu tout caractère traditionnel, et où un tel nom n’exprime presque plus rien de la nature de l’être.

Quant à ce qu’on peut appeler le véritable nom de l’être humain, le plus vrai de tous, nom qui est d’ailleurs proprement un « nombre », au sens pythagoricien et kabbalistique de ce mot, c’est celui qui correspond à la modalité centrale de son individualité, c’est-à-dire à sa restauration dans l’« état primordial », car c’est celui-là qui constitue l’expression intégrale de son essence individuelle.

1 La première doit d’ailleurs être regardée comme n’ayant qu’une existence illusoire par rapport à la seconde, non seulement en raison de la différence des degrés de réalité auxquels elles se rapportent respectivement, mais aussi parce que, comme nous l’avons expliqué un peu plus haut, la « seconde naissance » implique nécessairement la « mort » de l’individualité profane, qui ainsi ne peut plus subsister qu’à titre de simple apparence extérieure.

Il résulte de ces considérations qu’un nom initiatique n’a pas à être connu dans le monde profane, puisqu’il représente une modalité de l’être qui ne saurait se manifester dans celui-ci, de sorte que sa connaissance tomberait en quelque sorte dans le vide, ne trouvant rien à quoi elle puisse s’appliquer réellement. Inversement, le nom profane représente une modalité que l’être doit dépouiller lorsqu’il rentre dans le domaine initiatique, et qui n’est plus alors pour lui qu’un simple rôle qu’il joue, à l’extérieur ; ce nom ne saurait donc valoir dans ce domaine, par rapport auquel ce qu’il exprime est en quelque sorte inexistant.
Il va de soi, d’ailleurs, que ces raisons profondes de la distinction et pour ainsi dire de la séparation du nom initiatique et du nom profane, comme désignant des « entités » effectivement différentes, peuvent n’être pas conscientes partout où le changement de nom est pratiqué en fait ; il peut se faire que, par suite d’une dégénérescence de certaines organisations initiatiques, on en arrive à tenter de l’y expliquer par des motifs tout extérieurs, par exemple en le présentant comme une simple mesure de prudence, ce qui, en somme, vaut à peu près les interprétations du rituel et du symbolisme dans un sens moral ou politique, et n’empêche nullement qu’il y ait eu tout autre chose à l’origine.
Par contre, s’il ne s’agit que d’organisations profanes, ces mêmes motifs extérieurs sont bien réellement valables, et il ne saurait y avoir rien de plus, à moins pourtant qu’il n’y ait aussi, dans certains cas, comme nous l’avons déjà dit à propos des rites, le désir d’imiter les usages des organisations initiatiques, mais, naturellement, sans que cela puisse alors répondre à la moindre réalité ; et ceci montre encore une fois que des apparences similaires peuvent, en fait, recouvrir les choses les plus différentes.

Maintenant, tout ce que nous avons dit jusqu’ici de cette multiplicité de noms, représentant autant de modalités de l’être, se rapporte uniquement à des extensions de l’individualité humaine, comprises dans sa réalisation intégrale, c’est-à-dire, initiatiquement, au domaine des « petits mystères », ainsi que nous l’expliquerons par la suite d’une façon plus précise.
Quand l’être passe aux « grands mystères », c’est-à-dire à la réalisation d’états supra-individuels, il passe par là même au delà du nom et de la forme, puisque, comme l’enseigne la doctrine hindoue, ceux-ci (nâma-rûpa) sont les expressions respectives de l’essence et de la substance de l’individualité. Un tel être, véritablement, n’a donc plus de nom, puisque c’est là une limitation dont il est désormais libéré ; il pourra, s’il y a lieu, prendre n’importe quel nom pour se manifester dans le domaine individuel, mais ce nom ne l’affectera en aucune façon et lui sera tout aussi « accidentel » qu’un simple vêtement qu’on peut quitter ou changer à volonté.

C’est là l’explication de ce que nous disions plus haut : quand il s’agit d’organisations de cet ordre, leurs membres n’ont pas de nom, et d’ailleurs elles-mêmes n’en ont pas davantage ; dans ces conditions, qu’y a-t-il encore qui puisse donner prise à la curiosité profane ? Si même celle-ci arrive à découvrir quelques noms, ils n’auront qu’une valeur toute conventionnelle ; et cela peut se produire déjà, bien souvent, pour des organisations d’ordre inférieur à celui-là, dans lesquelles seront employées par exemple des « signatures collectives », représentant, soit ces organisations elles-mêmes dans leur ensemble, soit des fonctions envisagées indépendamment des individualités qui les remplissent. Tout cela, nous le répétons, résulte de la nature même des choses d’ordre initiatique, où les considérations individuelles ne comptent pour rien, et n’a point pour but de dérouter certaines recherches, bien que c’en soit là une conséquence de fait ; mais comment les profanes pourraient-ils y supposer autre chose que des intentions telles qu’eux-mêmes peuvent en avoir ?

De là vient aussi, dans bien des cas, la difficulté ou même l’impossibilité d’identifier les auteurs d’œuvres ayant un certain caractère initiatique (1) : ou elles sont entièrement anonymes, ou, ce qui revient au même, elles n’ont pour signature qu’une marque symbolique ou un nom conventionnel ; il n’y a d’ailleurs aucune raison pour que leurs auteurs aient joué dans le monde profane un rôle apparent quelconque. Quand de telles œuvres portent au contraire le nom d’un individu connu par ailleurs comme ayant vécu effectivement, on n’en est peut-être pas beaucoup plus avancé, car ce n’est pas pour cela qu’on saura exactement à qui ou à quoi l’on a affaire : cet individu peut fort bien n’avoir été qu’un porte-parole, voire un masque ; en pareil cas, son œuvre prétendue pourra impliquer des connaissances qu’il n’aura jamais eues réellement ; il peut n’être qu’un initié d’un degré inférieur, ou même un simple profane qui aura été choisi pour des raisons contingentes quelconques (2), et alors ce n’est évidemment pas l’auteur qui importe, mais uniquement l’organisation qui l’a inspiré.

Du reste, même dans l’ordre profane, on peut s’étonner de l’importance attribuée de nos jours à l’individualité d’un auteur et à tout ce qui y touche de près ou de loin ; la valeur de l’œuvre dépend-elle en quelque façon de ces choses ? D’un autre côté, il est facile de constater que le souci d’attacher son nom à une œuvre quelconque se rencontre d’autant moins dans une civilisation que celle-ci est plus étroitement reliée aux principes traditionnels, dont, en effet, l’« individualisme » sous toutes ses formes est véritablement la négation même. On peut comprendre sans peine que tout cela se tient, et nous ne voulons: pas y insister davantage, d’autant plus que ce sont là des choses sur lesquelles nous nous sommes déjà souvent expliqué ailleurs ; mais il n’était pas inutile de souligner encore, à cette occasion, le rôle de l’esprit antitraditionnel, caractéristique de l’époque moderne, comme cause principale de l’incompréhension des réalités initiatiques et de la tendance à les réduire aux points de vue profanes.

C’est cet esprit qui, sous des noms tels que ceux d’« humanisme » et de « rationalisme », s’efforce constamment, depuis plusieurs siècles, de tout ramener aux proportions de l’individualité humaine vulgaire, nous voulons dire de la portion restreinte qu’en connaissent les profanes, et de nier tout ce qui dépasse ce domaine étroitement borné, donc en particulier tout ce qui relève de l’initiation, à quelque degré que ce soit. Il est à peine besoin de faire remarquer que les considérations que nous venons d’exposer ici se basent essentiellement sur la doctrine métaphysique des états multiples de l’être, dont elles sont une application directe (3) ; comment cette doctrine pourrait-elle être comprise par ceux qui prétendent faire de l’homme individuel, et même de sa seule modalité corporelle, un tout complet et fermé, un être se suffisant à lui-même, au lieu de n’y voir que ce qu’il est en réalité, la manifestation contingente et transitoire d’un être dans un domaine très particulier parmi la multitude indéfinie de ceux dont l’ensemble constitue l’Existence universelle, et auxquels correspondent, pour ce même être, autant de modalités et d’états différents, dont il lui sera possible de prendre conscience précisément en suivant la voie qui lui est ouverte par l’initiation ?

1 Ceci est d’ailleurs susceptible d’une application très générale dans toutes les civilisations traditionnelles, du fait que le caractère initiatique y est attaché aux métiers eux-mêmes, de sorte que toute œuvre d’art (ou ce que les modernes appelleraient ainsi), de quelque genre qu’elle soit, en participe nécessairement dans une certaine mesure. Sur cette question, qui est celle du sens supérieur et traditionnel de l’« anonymat », voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. IX.
2 Par exemple, il semble bien qu’il en ait été ainsi, au moins en partie, pour les romans du Saint Graal ; c’est aussi à une question de ce genre que se rapportent, au fond, toutes les discussions auxquelles a donné lieu la « personnalité » de Shakespeare, bien que, en fait, ceux s’y sont livrés n’aient jamais su porter cette question sur son véritable terrain, de sorte qu’ils n’ont guère fait que l’embrouiller d’une façon à peu près inextricable.
3 Voir, pour l’exposé complet de ce dont il s’agit, notre étude sur Les États multiples de l’être.



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Aperçus sur l'initiation  Empty Re: Aperçus sur l'initiation

Message par Ligeia Jeu 3 Déc - 9:51


« A ce propos, nous devons appeler spécialement l’attention sur le fait que, même si certaines de ces organisations, parmi les plus extérieures, se trouvent parfois être en opposition entre elles, cela ne saurait en rien empêcher l’unité de direction d’exister effectivement, parce que la direction en question est au delà de cette opposition, et non point dans le domaine où celle-ci s’affirme. Il y a là, en somme, quelque chose de comparable aux rôles joués par différents acteurs dans une même pièce de théâtre, et qui, alors même qu’ils s’opposent, n’en concourent pas moins à la marche de l’ensemble ; chaque organisation joue de même le rôle auquel elle est destinée dans un plan qui la dépasse »


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CHAPITRE XXVIII : LE SYMBOLISME DU THÉÂTRE


Nous avons comparé tout à l’heure la confusion d’un être avec sa manifestation extérieure et profane à celle qu’on commettrait en voulant identifier un acteur à un personnage dont il joue le rôle ; pour faire comprendre à quel point cette comparaison est exacte, quelques considérations générales sur le symbolisme du théâtre ne seront pas hors de propos ici, bien qu’elles ne s’appliquent pas d’une façon exclusive à ce qui concerne proprement le domaine initiatique. Bien entendu, ce symbolisme peut être rattaché au caractère premier des arts et des métiers, qui possédaient tous une valeur de cet ordre par le fait qu’ils étaient rattachés à un principe supérieur, dont ils dérivaient à titre d’applications contingentes, et qui ne sont devenus profanes, comme nous l’avons expliqué bien souvent, que par suite de la dégénérescence spirituelle de l’humanité au cours de la marche descendante de son cycle historique.

On peut dire, d’une façon générale, que le théâtre est un symbole de la manifestation, dont il exprime aussi parfaitement que possible le caractère illusoire (1) ; et ce symbolisme peut être envisagé, soit au point de vue de l’acteur, soit à celui du théâtre lui-même. L’acteur est un symbole du « Soi » ou de la personnalité se manifestant par une série indéfinie d’états et de modalités, qui peuvent être considérés comme autant de rôles différents ; et il faut noter l’importance qu’avait l’usage antique du masque pour la parfaite exactitude de ce symbolisme (2).
Sous le masque, en effet, l’acteur demeure lui-même dans tous ses rôles, comme la personnalité est « non-affectée » par toutes ses manifestations ; la suppression du masque, au contraire, oblige l’acteur à modifier sa propre physionomie et semble ainsi altérer en quelque façon son identité essentielle. Cependant, dans tous les cas, l’acteur demeure au fond autre chose que ce qu’il paraît être, de même que la personnalité est autre chose que les multiples états manifestés, qui ne sont que les apparences extérieures et changeantes dont elle se revêt pour réaliser, selon les modes divers qui conviennent à leur nature, les possibilités indéfinies qu’elle contient en elle-même dans la permanente actualité de la non-manifestation.

1 Nous ne disons pas irréel ; il est bien entendu que l’illusion doit être considérée seulement comme une moindre réalité.
2 Il y a d’ailleurs lieu de remarquer que ce masque s’appelait en latin persona ; la personnalité est, littéralement, ce qui se cache sous le masque de l’individualité.


Si nous passons à l’autre point de vue, nous pouvons dire que le théâtre est une image du monde : l’un et l’autre sont proprement une « représentation », car le monde lui-même, n’existant que comme conséquence et expression du Principe, dont il dépend essentiellement en tout ce qu’il est, peut être regardé comme symbolisant à sa façon l’ordre principiel, et ce caractère symbolique lui confère d’ailleurs une valeur supérieure à ce qu’il est en lui-même, puisque c’est par là qu’il participe d’un plus haut degré de réalité (1).
En arabe, le théâtre est désigné par le mot tamthîl, qui, comme tous ceux qui dérivent de la même racine mathl, a proprement les sens de ressemblance, comparaison, image ou figure ; et certains théologiens musulmans emploient l’expression âlam tamthîl, qu’on pourrait traduire par « monde figuré » ou par « monde de représentation », pour désigner tout ce qui, dans les Ecritures sacrées, est décrit en termes symboliques et ne devant pas être pris au sens littéral. Il est remarquable que certains appliquent notamment cette expression à ce qui concerne les anges et les démons, qui effectivement « représentent » les états supérieurs et inférieurs de l’être, et qui d’ailleurs ne peuvent évidemment être décrits que symboliquement par des termes empruntés au monde sensible ; et, par une coïncidence au moins singulière, on sait, d’autre part, le rôle considérable que jouaient précisément ces anges et ces démons dans le théâtre religieux du moyen âge occidental.

Le théâtre, en effet, n’est pas forcément borné à représenter le monde humain, c’est-à-dire un seul état de manifestation ; il peut aussi représenter en même temps les mondes supérieurs et inférieurs. Dans les « mystères » du moyen âge, la scène était, pour cette raison, divisée en plusieurs étages correspondant aux différents mondes, généralement répartis suivant la division ternaire : ciel, terre, enfer ; et l’action se jouant simultanément dans ces différentes divisions représentait bien la simultanéité essentielle des états de l’être. Les modernes, ne comprenant plus rien à ce symbolisme, en sont arrivés à regarder comme une « naïveté », pour ne pas dire comme une maladresse, ce qui avait précisément ici le sens le plus profond; et ce qui est étonnant, c’est la rapidité avec laquelle est venue cette incompréhension, si frappante chez les écrivains du XVIIème siècle ; cette coupure radicale entre la mentalité du moyen âge et celle des temps modernes n’est certes pas une des moindres énigmes de l’histoire.

Puisque nous venons de parler des « mystères », nous ne croyons pas inutile de signaler la singularité-de cette dénomination à double sens : on devrait, en toute rigueur étymologique, écrire « mistères », car ce mot est dérivé du latin ministerium, signifiant « office » ou « fonction », ce qui indique nettement à quel point les représentations théâtrales de cette sorte étaient, à l’origine, considérées comme faisant partie intégrante de la célébration des fêtes religieuses (2).

1 C’est aussi la considération du monde, soit comme rapporté au Principe, soit seulement dans ce qu’il est en lui-même, qui différencie fondamentalement le point de vue des sciences traditionnelles et celui des sciences profanes.
2 C’est également de ministerium, au sens de « fonction », qu’est dérivé d’autre part le mot « métier », ainsi que nous l’avons déjà signalé ailleurs (Le Règne de la Quantité et les Signes des temps, ch. VIII).


Mais ce qui est étrange, c’est que ce nom se soit contracté et abrégé de façon à devenir exactement homonyme de « mystères » ; et à être finalement confondu avec cet autre mot, d’origine grecque et de dérivation toute différente ; est-ce seulement par allusion aux « mystères » de la religion, mis en scène dans les pièces ainsi désignées, que cette assimilation a pu se produire ?
Ceci peut sans doute être une raison assez plausible ; mais d’autre part, si l’on songe que des représentations symboliques analogues avaient lieu dans les « mystères » de l’antiquité, en Grèce et probablement aussi en Egypte (1), on peut être tenté de voir là quelque chose qui remonte beaucoup plus loin, et comme un indice de la continuité d’une certaine tradition ésotérique et initiatique, s’affirmant au dehors, à intervalles plus ou moins éloignés, par des manifestations similaires, avec l’adaptation requise par la diversité des circonstances de temps et de lieux (2).
Nous avons d’ailleurs eu assez souvent, en d’autres occasions, à signaler l’importance, comme procédé du langage symbolique, des assimilations phonétiques entre des mots philologiquement distincts ; il y a là quelque chose qui, à la vérité, n’a rien d’arbitraire, quoi qu’en puissent penser la plupart de nos contemporains, et qui s’apparente assez directement aux modes d’interprétation relevant du nirukta hindou ; mais les secrets de la constitution intime du langage sont si complètement perdus aujourd’hui qu’il est à peine possible d’y faire allusion sans que chacun s’imagine qu’il s’agit de « fausses étymologies », voire même de vulgaires « jeux de mots », et Platon lui-même, qui a parfois eu recours à ce genre d’interprétation, comme nous l’avons noté incidemment à propos des « mythes », ne trouve pas grâce devant la « critique » pseudo-scientifique des esprits bornés par les préjugés modernes.

Pour terminer ces quelques remarques, nous indiquerons encore, dans le symbolisme du théâtre, un autre point de vue, celui qui se rapporte à l’auteur dramatique : les différents personnages, étant des productions mentales de celui-ci, peuvent être regardes comme représentant des modifications secondaires et en quelque sorte des prolongements de lui-même, à peu près de la même façon que les formes subtiles produites dans l’état de rêve (3).

La même considération s’appliquerait d’ailleurs évidemment à la production de toute œuvre d’imagination, de quelque genre qu’elle soit ; mais, dans le cas particulier du théâtre, il y a ceci de spécial que cette production se réalise d’une façon sensible, donnant l’image même de la vie, ainsi que cela a lieu également dans le rêve.
L’auteur a donc, à cet égard, une fonction véritablement « démiurgique », puisqu’il produit un monde qu’il tire tout entier de lui-même ; et il est, en cela, le symbole même de l’Être produisant la manifestation universelle. Dans ce cas aussi bien que dans celui du rêve, l’unité essentielle du producteur des « formes illusoires » n’est pas affectée par cette multiplicité de modifications accidentelles, non plus que l’unité de l’Être n’est affectée par la multiplicité de la manifestation.

1 À ces représentations symboliques, on peut d’ailleurs rattacher directement la « mise en action rituelle des légendes » initiatiques dont nous avons parlé plus haut.
2 L’« extériorisation » en mode religieux, au moyen âge, peut avoir été la conséquence d’une telle adaptation ; elle ne constitue donc pas une objection contre le caractère ésotérique de cette tradition en elle-même.
3 Cf. Les États multiples de l’être, ch. VI.


Ainsi, à quelque point de vue qu’on se place, on retrouve toujours dans le théâtre ce caractère qui est sa raison profonde, si méconnue qu’elle puisse être par ceux qui en ont fait quelque chose de purement profane, et qui est de constituer, par sa nature même, un des plus parfaits symboles de la manifestation universelle.


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Aperçus sur l'initiation  Empty Re: Aperçus sur l'initiation

Message par Ligeia Lun 29 Mar - 7:46

J’insère ici un texte de Guénon qui ne fait pas partie du livre mais qui parle de l'initiation et de la contre-initiation.

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Initiation et contre-initiation (1)



    Nous avons dit, en terminant notre précédent article (2), qu’il existe quelque chose qu’on peut appeler la « contre-initiation », c’est-à-dire quelque chose qui se présente comme une initiation et qui peut en donner l’illusion, mais qui va au rebours de l’initiation véritable. Pourtant, ajoutions-nous, cette désignation appelle quelques réserves ; en effet, si on la prenait au sens strict, elle pourrait faire croire à une sorte de symétrie, ou d’équivalence pour ainsi dire (quoique en sens inverse), qui, sans doute, est bien dans les prétentions de ceux qui se rattachent à ce dont il s’agit, mais qui n’existe pas et ne peut pas exister en réalité. C’est sur ce point qu’il convient d’insister spécialement, car beaucoup, se laissant tromper par les apparences, s’imaginent qu’il y a dans le monde deux organisations opposées se disputant la suprématie, conception erronée qui correspond à celle qui, en langage théologique, met Satan au même niveau que Dieu, et que, à tort ou à raison, on attribue communément aux Manichéens. Cette conception, remarquons-le tout de suite, revient à affirmer une dualité radicalement irréductible, ou en d’autres termes, à nier l’Unité suprême qui est au-delà de toutes les oppositions et de tous les antagonismes ; qu’une telle négation soit le fait des adhérents mêmes de la « contre-initiation », il n’y a pas lieu de s’en étonner ; mais cela montre en même temps que la vérité métaphysique, même dans ses principes les plus élémentaires, leur est totalement étrangère, et par là leur prétention se détruit d’elle-même.

[1] Publié dans le numéro de février 1933 du Voile d’Isis et daté : Mesr, 11 ramadân 1351 H. [Note de l’Éditeur].
[2] Des Centres initiatiques, Le Voile d’Isis, janvier 1933. Cet article qui n’a pas fait l’objet lors de son réemploi d’une refonte trop importante répond au chapitre X des Aperçus sur l’Initiation. [Note de l’Éditeur].


Il importe de remarquer, avant toutes choses, que, dans ses origines mêmes, la « contre-initiation » ne peut pas se présenter comme quelque chose d’indépendant et d’autonome : si elle s’était constituée spontanément, elle ne serait rien qu’une invention humaine, et ainsi ne se distinguerait pas de la « pseudo-initiation » pure et simple. Pour être plus que cela, comme elle l’est en effet, il faut nécessairement que, d’une certaine façon, elle procède de la source unique à laquelle se rattache toute initiation, et, plus généralement, tout ce qui manifeste dans notre monde un élément « non-humain » ; et elle en procède par une dégénérescence allant jusqu’à ce « renversement » qui constitue ce à quoi l’on peut donner proprement le nom de « satanisme ». Il apparaît donc qu’il s’agit là, en fait, d’une initiation déviée et dénaturée, et qui, par là même, n’a plus droit à être qualifiée véritablement d’initiation, puisqu’elle ne conduit plus au but essentiel de celle-ci, et que même elle en éloigne l’être au lieu de l’en rapprocher. Ce n’est donc pas assez de parler ici d’une initiation tronquée et réduite à sa partie inférieure, comme il peut arriver aussi dans certains cas ; l’altération est beaucoup plus profonde ; mais il y a là, d’ailleurs, comme deux stades différents dans un même processus de dégénérescence. Le point de départ est toujours une révolte contre l’autorité légitime, et la prétention à une indépendance qui ne saurait exister, ainsi que nous avons eu l’occasion de l’expliquer ailleurs (1) ; de là résulte immédiatement la perte de tout contact effectif avec un centre spirituel véritable, donc l’impossibilité d’atteindre aux états supra-humains ; et, dans ce qui subsiste encore, la déviation ne peut ensuite qu’aller en s’aggravant, passant par des degrés divers, pour arriver, dans les cas extrêmes, jusqu’à ce « renversement » dont nous venons de parler.

    Une première conséquence de ceci, c’est que la « contre-initiation », quelles que puissent être ses prétentions, n’est véritablement qu’une impasse, puisqu’elle est incapable de conduire l’être au-delà de l’état humain ; et, dans cet état même, du fait du « renversement » qui la caractérise, les modalités qu’elle développe sont celles de l’ordre le plus inférieur. Dans l’ésotérisme islamique, il est dit que celui qui se présente à une certaine « porte », sans y être parvenu par une voie normale et légitime, voit cette porte se fermer devant lui et est obligé de retourner en arrière, non pas cependant comme un simple profane, ce qui est désormais impossible, mais comme sâher (sorcier ou magicien) ; nous ne saurions donner une expression plus nette de ce dont il s’agit.

[1] Voir Autorité spirituelle et pouvoir temporel.

    Une autre conséquence connexe de celle-là, c’est que, le lien avec le centre étant rompu, l’« influence spirituelle » est perdue ; et ceci suffirait pour qu’on ne puisse plus parler réellement d’initiation, puisque celle-ci, comme nous l’avons expliqué précédemment, est essentiellement constituée par la transmission de cette influence. Il y a pourtant encore quelque chose qui se transmet, sans quoi on se trouverait ramené au cas de la « pseudo-initiation », dépourvue de toute efficacité ; mais ce n’est plus qu’une influence d’ordre inférieur, « psychique » et non plus « spirituelle », et qui, abandonnée ainsi à elle-même, sans contrôle d’un élément transcendant, prend en quelque sorte inévitablement un caractère « diabolique » (1). Il est d’ailleurs facile de comprendre que cette influence psychique peut imiter l’influence spirituelle dans ses manifestations extérieures, au point que ceux qui s’arrêtent aux apparences s’y méprendront, puisqu’elle appartient à l’ordre de réalité dans lequel se produisent ces manifestations (et ne dit-on pas proverbialement, dans un sens comparable à celui-là, que « Satan est le singe de Dieu » ?) ; mais elle l’imite, pourrait-on dire, comme les éléments du même ordre évoqués par le nécromancien imitent l’être conscient auquel ils ont appartenu (2). Ce fait, disons-le en passant, est de ceux qui montrent que des phénomènes identiques en eux-mêmes peuvent différer entièrement quant à leurs causes profondes ; et c’est là une des raisons pour lesquelles il convient, au point de vue initiatique, de n’accorder aucune importance aux phénomènes comme tels, car, quels qu’ils soient, ils ne sauraient rien prouver par rapport à la pure spiritualité.

[1] Suivant la doctrine islamique, c’est par la nefs (l’âme) que le Shaytân a prise sur l’homme, tandis que la rûh (l’esprit), dont l’essence est pure lumière, est au-delà de ses atteintes ; c’est d’ailleurs pourquoi la « contre-initiation » ne saurait en aucun cas toucher au domaine métaphysique, qui lui est interdit par son caractère purement spirituel.
[2] Voir à ce propos notre ouvrage sur L’Erreur spirite.


    Cela dit, nous pouvons préciser les limites dans lesquelles la « contre-initiation » est susceptible de s’opposer à l’initiation véritable : il est évident que ces limites sont celles de l’état humain avec ses multiples modalités ; autrement dit, l’opposition ne peut exister que dans le domaine des « petits mystères », tandis que celui des « grands mystères », qui se rapporte aux états supra-humains, est, par sa nature même, au-delà d’une telle opposition, donc entièrement fermé à tout ce qui n’est pas la vraie initiation selon l’orthodoxie traditionnelle (1). Quant aux « petits mystères » eux-mêmes, il y aura, entre l’initiation et la « contre-initiation », cette différence fondamentale : dans l’une, ils ne seront qu’une préparation aux « grands mystères » ; dans l’autre, ils seront forcément pris pour une fin en eux-mêmes, l’accès aux « grands mystères » étant interdit. Il va de soi qu’il pourra y avoir bien d’autres différences d’un caractère plus spécial ; mais nous n’entrerons pas ici dans ces considérations, d’importance très secondaire au point de vue où nous nous plaçons, et qui exigeraient un examen détaillé de toute la variété des formes que peut revêtir la « contre-initiation ».

    Naturellement, il peut se constituer des centres auxquels se rattacheront les organisations qui relèvent de la « contre-initiation » ; mais il s’agira alors de centres uniquement « psychiques », et non point de centres spirituels, bien qu’ils puissent, en raison de ce que nous indiquions plus haut quant à l’action des influences correspondantes, en prendre plus ou moins complètement les apparences extérieures. Il n’y aura d’ailleurs pas lieu de s’étonner si ces centres eux-mêmes, et non pas seulement certaines des organisations qui leur sont subordonnées, peuvent se trouver, dans bien des cas, en lutte les uns avec les autres, car le domaine où ils se situent est celui où toutes les oppositions se donnent libre cours, lorsqu’elles ne sont pas harmonisées et ramenées à l’unité par l’action directe d’un principe d’ordre supérieur.

[1] On nous a reproché de n’avoir pas tenu compte de la distinction des « petits mystères » et des « grands mystères » lorsque nous avons parlé des conditions de l’initiation ; c’est que cette distinction n’avait pas à intervenir alors, puisque nous envisagions l’initiation en général, et que d’ailleurs il n’y a là que différents stades ou degrés d’une seule et même initiation.

De là résulte souvent, en ce qui concerne les manifestations de ces centres ou de ce qui en émane, une impression de confusion et d’incohérence qui n’est pas illusoire ; ils ne s’accordent que négativement, pourrait-on dire, pour la lutte contre les véritables centres spirituels, dans la mesure où ceux-ci se tiennent à un niveau qui permet à une telle lutte de s’engager, c’est-à-dire, suivant ce que nous venons d’expliquer, pour ce qui est du domaine des « petits mystères » exclusivement. Tout ce qui se rapporte aux « grands mystères » est exempt d’une telle opposition, et à plus forte raison le centre spirituel suprême, source et principe de toute initiation, ne saurait-il être atteint ou affecté à aucun degré par une lutte quelconque (et c’est pourquoi il est dit « insaisissable » ou « inaccessible à la violence ») ; ceci nous amène à préciser encore un autre point qui est d’une importance toute particulière.

    Les représentants de la « contre-initiation » ont l’illusion de s’opposer à l’autorité spirituelle suprême, à laquelle rien ne peut s’opposer en réalité, car il est bien évident qu’alors elle ne serait pas suprême : la suprématie n’admet aucune dualité, et une telle supposition est contradictoire en elle-même ; mais leur illusion vient de ce qu’ils ne peuvent en connaître la véritable nature. Nous pouvons aller plus loin : malgré eux et à leur insu, ils sont en réalité subordonnés à cette autorité, de la même façon que, comme nous le disions précédemment, tout est, fût-ce inconsciemment et involontairement, soumis à la Volonté divine, à laquelle rien ne saurait se soustraire. Ils sont donc utilisés, quoique contre leur gré, à la réalisation du plan divin dans le monde humain ; ils y jouent, comme tous les autres êtres, le rôle qui convient à leur propre nature, mais, au lieu d’être conscients de ce rôle comme le sont les véritables initiés, ils en sont dupes eux-mêmes, et d’une façon qui est pire pour eux que la simple ignorance des profanes, puisque, au lieu de les laisser en quelque sorte au même point, elle a pour résultat de les rejeter plus loin du centre principiel. Mais, si l’on envisage les choses, non plus par rapport à ces êtres eux-mêmes, mais par rapport à l’ensemble du monde, on doit dire que, aussi bien que tous les autres, ils sont nécessaires à la place qu’ils occupent, en tant qu’éléments de cet ensemble, et comme instruments « providentiels », dirait-on en langage théologique, de la marche du monde dans son cycle de manifestation ; ils sont donc, en dernier ressort, dominés par l’autorité qui manifeste la Volonté divine en donnant à ce monde sa Loi, et qui les fait servir malgré eux à ses fins, tous les désordres partiels devant nécessairement concourir à l’ordre total (1).

[1] Pour écarter toute équivoque sur ce que nous avons dit précédemment en ce qui concerne l’état des organisations initiatiques et pseudo-initiatiques dans l’Occident actuel, nous tenons à bien préciser que nous n’avons fait en cela qu’énoncer la constatation de faits où nous ne sommes pour rien, sans aucune autre intention ou préoccupation que celle de dire la vérité à cet égard, d’une façon aussi entièrement désintéressée que possible. Chacun est libre d’en tirer telles conséquences qu’il lui conviendra ; quant à nous, nous ne sommes nullement chargé d’amener ou d’enlever des adhérents à quelque organisation que ce soit, nous n’engageons personne à demander l’initiation ici ou là, ni à s’en abstenir, et nous estimons même que cela ne saurait nous regarder en aucune façon.


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Message par Ligeia Dim 25 Avr - 10:49

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Chapitre XXIX : «OPÉRATIF» ET «SPÉCULATIF»


Lorsque nous avons traité la question des qualifications initiatiques, nous avons fait allusion à une certaine méprise très répandue sur le sens du mot « opératif », et aussi, par suite, sur celui du mot « spéculatif » qui en est en quelque sorte l’opposé ; et, comme nous le disions alors, il nous paraît qu’il y a lieu d’insister plus spécialement sur ce sujet, parce qu’il y a un étroit rapport entre cette méprise et la méconnaissance générale de ce que doit être réellement l’initiation.
Historiquement, si l’on peut dire, la question se pose d’une façon plus particulière à propos de la Maçonnerie, puisque c’est là que les termes dont il s’agit sont employés habituellement ; mais il n’est pas difficile de comprendre qu’elle a au fond une portée beaucoup plus étendue, et qu’il y a même là quelque chose qui, suivant des modalités diverses, est susceptible de s’appliquer à toutes les formes initiatiques ; c’est ce qui en fait toute l’importance au point de vue où nous nous plaçons.

Le point de départ de l’erreur que nous signalons consiste en ceci : du fait que la forme de l’initiation maçonnique est liée à un métier, ce qui d’ailleurs, comme nous l’avons indiqué, est fort loin d’être un cas exceptionnel, et que ses symboles et ses rites, en un mot ses méthodes propres, dans tout ce qu’elles ont de « spécifique », prennent essentiellement leur appui dans le métier de constructeur, on en est arrivé à confondre « opératif » avec « corporatif », s’arrêtant ainsi à l’aspect le plus extérieur et le plus superficiel des choses, ainsi qu’il est naturel pour qui n’a aucune idée ni même aucun soupçon de la « réalisation » initiatique.
L’opinion la plus répandue pourrait donc se formuler ainsi : les Maçons « opératifs » étaient exclusivement des hommes de métier ; peu à peu, ils « acceptèrent » parmi eux, à titre honorifique en quelque sorte, des personnes étrangères à l’art de bâtir (179) ; mais, finalement, il arriva que [193] ce second élément devint prédominant, et c’est de là que résulta la transformation de la Maçonnerie « opérative » en Maçonnerie « spéculative », n’ayant plus avec le métier qu’un rapport fictif ou « idéal ». Cette Maçonnerie « spéculative » date, comme on le sait, du début du XVIIIe siècle ; mais certains, constatant la présence de membres non ouvriers dans l’ancienne Maçonnerie « opérative », croient pouvoir en conclure que ceux-là étaient déjà des Maçons « spéculatifs ».
Dans tous les cas, on semble penser, d’une façon à peu près unanime, que le changement qui donna naissance à la Maçonnerie « spéculative » marque une supériorité par rapport à ce dont celle-ci est dérivée, comme si elle représentait un « progrès » dans le sens « intellectuel » et répondait à une conception d’un niveau plus élevé ; et on ne se fait pas faute, à cet égard, d’opposer les « spéculations » de la « pensée » aux occupations de métier, comme si c’était là ce dont il s’agit quand on a affaire à des choses qui relèvent, non pas de l’ordre des activités profanes, mais du domaine initiatique.

179 En fait, ces personnes devaient cependant avoir tout au moins quelque lien indirect avec cet art, ne fût-ce qu’à titre de « protecteurs » (ou patrons au sens anglais de ce mot) : c’est d’une façon analogue que, plus tard, les imprimeurs (dont le rituel était constitué, dans sa partie principale, par la « légende » de Faust) « acceptèrent » tous ceux qui avaient quelque rapport avec l’art du livre, c’est-à-dire non seulement les libraires, mais aussi les auteurs eux-mêmes.

En fait, il n’y avait anciennement d’autre distinction que celle des Maçons « libres », qui étaient les hommes de métier, s’appelant ainsi à cause des franchises qui avaient été accordées par les souverains à leurs corporations, et sans doute aussi (nous devrions peut-être même dire avant tout) parce que la condition d’homme libre de naissance était une des qualifications requises pour être admis à l’initiation (180), et des Maçons « acceptés », qui, eux, n’étaient pas des professionnels, et parmi lesquels une place à part était faite aux ecclésiastiques, qui étaient initiés dans des Loges spéciales (181) pour pouvoir remplir la fonction de « chapelain » dans les Loges ordinaires ; mais les uns et les autres étaient également, bien qu’à des titres différents, des membres d’une seule et même organisation, qui était la Maçonnerie « opérative » ; et comment aurait-il pu en être  autrement, alors qu’aucune Loge n’aurait pu fonctionner normalement sans être pourvue d’un « chapelain », donc sans compter tout au moins un Maçon « accepté » parmi ses membres (182) ?

Il est exact, par ailleurs, que c’est parmi les Maçons « acceptés » et par leur action que s’est formée la Maçonnerie « spéculative » (183) ; et ceci peut en somme s’expliquer assez simplement par le fait que, n’étant pas rattachés directement au métier, et n’ayant pas, par là même, une base aussi solide pour le travail initiatique sous la forme dont il s’agit, ils pouvaient, plus facilement ou plus complètement que d’autres, perdre de vue une partie de ce que comporte l’initiation, et nous dirons même la partie la plus importante, puisque c’est celle qui concerne proprement la « réalisation » (184).

180 On ne peut, sans détourner complètement les mots de leur sens légitime, donner une autre interprétation à l’expression « né libre » (free-born) appliquée au candidat à l’initiation, et qui n’a assurément rien à voir avec l’affranchissement de soi-disant « préjugés » quelconques !
181 Ces Loges étaient dites Lodges of Jakin, et le « chapelain » lui-même était appelé Brother Jakin dans l’ancienne Maçonnerie « opérative ».
182 En réalité, nous devrions même dire qu’elle en comptait obligatoirement deux, l’autre étant un médecin.
183 Ces Maçons n’avaient d’ailleurs pas reçu la totalité des grades « opératifs », et c’est par là que s’explique l’existence, au début de la Maçonnerie « moderne », de certaines lacunes qu’il fallut combler par la suite, ce qui ne put se faire que par l’intervention des survivants de la Maçonnerie « ancienne », beaucoup plus nombreux encore au XVIIIe siècle que ne le croient généralement les historiens.
184 Nous avons déjà marqué cette différence précédemment, à propos de l’état actuel du Compagnonnage et de la Maçonnerie ; les Compagnons appellent volontiers les Maçons « leurs Frères spéculatifs », et, en même temps que cette expression implique la reconnaissance d’une communauté d’origine, il y entre aussi parfois une certaine nuance de dédain qui, à vrai dire, n’est pas entièrement injustifiée, ainsi qu’on pourra le comprendre par les considérations que nous exposons ici.


Encore faut-il ajouter qu’ils étaient peut-être aussi, par leur situation sociale et leurs relations extérieures, plus accessibles à certaines influences du monde profane, politiques, philosophiques ou autres, agissant également dans le même sens, en les « distrayant », dans l’acception propre du mot, du travail initiatique, si même elles n’allaient pas jusqu’à les amener à commettre de fâcheuses confusions entre les deux domaines, ainsi que cela ne s’est vu que trop souvent par la suite.

C’est ici que, tout en étant parti de considérations historiques pour la commodité de notre exposé, nous touchons au fond même de la question : le passage de l’« opératif » au « spéculatif », bien loin de constituer un « progrès » comme le voudraient les modernes qui n’en comprennent pas la signification, est exactement tout le contraire au point de vue initiatique ; il implique, non pas forcément une déviation à proprement parler, mais du moins une dégénérescence au sens d’un amoindrissement ; et, comme nous venons de le dire, cet amoindrissement consiste dans la négligence et l’oubli de tout ce qui est « réalisation », car c’est là ce qui est véritablement « opératif », pour ne plus laisser subsister qu’une vue purement théorique de l’initiation.
Il ne faut pas oublier, en effet, que « spéculation » et « théorie » sont synonymes; et il est bien entendu que le mot « théorie » ne doit pas être pris ici dans son sens originel de « contemplation », mais uniquement dans celui qu’il a toujours dans le langage actuel, et que le mot « spéculation » exprime sans doute plus nettement, puisqu’il donne, par sa dérivation même, l’idée de quelque chose qui n’est qu’un « reflet », comme l’image vue dans un miroir (185), c’est-à-dire une connaissance indirecte, par opposition à la connaissance effective qui est la conséquence immédiate de la « réalisation », ou qui plutôt ne fait qu’un avec celle-ci.

D’un autre côté, le mot « opératif » ne doit pas être considéré exactement comme un équivalent de « pratique », en tant que ce dernier terme se rapporte toujours à l’« action » (ce qui est d’ailleurs strictement conforme à son étymologie), de sorte qu’il ne saurait être employé ici sans équivoque ni impropriété (186) ; en réalité, il s’agit de cet « accomplissement » de l’être qu’est la « réalisation » initiatique, avec tout l’ensemble des moyens de divers ordres qui peuvent être employés en vue de cette fin ; et il n’est pas sans intérêt de remarquer qu’un mot de même origine, celui d’« œuvre », est aussi usité précisément en ce sens dans la terminologie alchimique.

185 Le mot speculum, en latin, signifie en effet « miroir ».
186 Il y a là, en somme, toute la différence qui existe en grec entre les sens respectifs des deux mots praxis et poêsis.


Il est dès lors facile de se rendre compte de ce qui reste dans le cas d’une initiation qui n’est plus que « spéculative » : la transmission initiatique subsiste bien toujours, puisque la « chaîne » traditionnelle n’a pas été interrompue ; mais, au lieu de la possibilité d’une initiation effective toutes les fois que quelque défaut individuel ne vient pas y faire obstacle, on n’a plus qu’une initiation virtuelle, et condamnée à demeurer telle par la force même des choses, puisque la limitation « spéculative » signifie proprement que ce stade ne peut plus être dépassé, tout ce qui va plus loin étant de l’ordre « opératif » par définition même. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que les rites n’aient plus d’effet en pareil cas, car ils demeurent toujours, et même si ceux qui les accomplissent n’en sont plus conscients, le véhicule de l’influence spirituelle ; mais cet effet est pour ainsi dire « différé » quant à son développement « en acte », et il n’est que comme un germe auquel manquent les conditions nécessaires à son éclosion, ces conditions résidant dans le travail « opératif » par lequel seul l’initiation peut être rendue effective.

À ce propos, nous devons encore insister sur le fait qu’une telle dégénérescence d’une organisation initiatique ne change pourtant rien à sa nature essentielle, et que même la continuité de la transmission suffit pour que, si des circonstances plus favorables se présentaient, une restauration soit toujours possible, cette restauration devant alors nécessairement être conçue comme un retour à l’état « opératif ». Seulement, il est évident que plus une organisation est ainsi amoindrie, plus il y a de possibilités de déviations au moins partielles, qui d’ailleurs peuvent naturellement se produire dans bien des sens différents ; et ces déviations, tout en n’ayant qu’un caractère accidentel, rendent une restauration de plus en plus difficile en fait, bien que, malgré tout, elle demeure encore possible en principe. Quoi qu’il en soit, une organisation initiatique possédant une filiation authentique et légitime, quel que soit l’état plus ou moins dégénéré auquel elle se trouve réduite présentement, ne saurait assurément jamais être confondue avec une pseudo-initiation quelconque, qui n’est en somme qu’un pur néant, ni avec la contre-initiation, qui, elle, est bien quelque chose, mais quelque chose d’absolument négatif, allant directement à l’encontre du but que se propose essentiellement toute véritable initiation (187).

D’autre part, l’infériorité du point de vue « spéculatif », telle que nous venons de l’expliquer, montre encore, comme par surcroît, que la « pensée », cultivée pour elle-même, ne saurait en aucun cas être le fait d’une organisation initiatique comme telle ; celle-ci n’est point un groupement où l’on doive « philosopher » ou se livrer à des discussions « académiques », non plus qu’à tout autre genre d’occupation profane (188 ).
La « spéculation » philosophique, quand elle s’introduit ici, est déjà une véritable déviation, tandis que la « spéculation » portant sur le domaine initiatique, si elle est réduite à elle-même au lieu de n’être, comme elle le devrait normalement, qu’une simple préparation au travail « opératif », constitue seulement cet amoindrissement dont nous avons parlé précédemment. Il y a encore là une distinction importante, mais que nous croyons suffisamment claire pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y insister davantage ; en somme, on peut dire qu’il y a déviation, plus ou moins grave suivant les cas, toutes les fois qu’il y a confusion entre le point de vue initiatique et le point de vue profane.

Ceci ne doit pas être perdu de vue lorsqu’on veut apprécier le degré de dégénérescence auquel une organisation initiatique peut être parvenue ; mais, en dehors de toute déviation, on peut toujours, d’une façon très exacte, appliquer les termes « opératif » et « spéculatif », à l’égard d’une forme initiatique quelle qu’elle soit, et même si elle ne prend pas un métier comme « support », en les faisant correspondre respectivement à l’initiation effective et à l’initiation virtuelle.

187 Nous avons eu, à diverses reprises, l’occasion de constater que de telles précisions n’étaient nullement superflues ; aussi devons-nous protester formellement contre toute interprétation tendant, par une confusion volontaire ou involontaire, appliquer à une organisation initiatique quelle qu’elle soit ce qui, dans nos écrits, se rapporte en réalité soit à la pseudo-initiation, soit à la contre-initiation.
188 Nous n’avons jamais pu comprendre ce que voulait dire au juste l’expression de « sociétés de pensée », inventée par certains pour désigner une catégorie de groupements qui parait assez mal définie ;mais ce qu’il y a de sûr, c’est que, même s’il existe réellement quelque chose à quoi cette dénomination puisse convenir, cela ne saurait en tout cas avoir le moindre rapport avec quelque organisation initiatique que ce soit.



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Message par Ligeia Mer 28 Avr - 10:13


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Chapitre XXX : INITIATION EFFECTIVE ET INITIATION VIRTUELLE


Bien que la distinction entre l’initiation effective et l’initiation virtuelle puisse déjà être suffisamment comprise à l’aide des considérations qui précèdent, elle est assez importante pour que nous essayions de la préciser encore un peu plus ; et, à cet égard, nous ferons tout d’abord remarquer que, parmi les conditions de l’initiation que nous avons énoncées au début, le rattachement à une organisation traditionnelle régulière (présupposant naturellement la qualification) suffit pour l’initiation virtuelle, tandis que le travail intérieur qui vient ensuite concerne proprement l’initiation effective, qui est en somme, à tous ses degrés, le développement « en acte » des possibilités auxquelles l’initiation virtuelle donne accès.

Cette initiation virtuelle est donc l’initiation entendue au sens le plus strict de ce mot, c’est-à-dire comme une « entrée » ou un « commencement » ; bien entendu, cela ne veut nullement dire qu’elle puisse être regardée comme quelque chose qui se suffit à soi-même, mais seulement qu’elle est le point de départ nécessaire de tout le reste ; quand on est entré dans une voie, encore faut-il s’efforcer de la suivre, et même, si on le peut, de la suivre jusqu’au bout.

On pourrait tout résumer en ces quelques mots : entrer dans la voie, c’est l’initiation virtuelle ; suivre la voie, c’est l’initiation effective ; mais malheureusement, en fait, beaucoup restent sur le seuil, non pas toujours parce qu’eux-mêmes sont incapables d’aller plus loin, mais aussi, surtout dans les conditions actuelles du monde occidental, par suite de la dégénérescence de certaines organisations qui, devenues uniquement « spéculatives » comme nous venons de l’expliquer, ne peuvent par là même les aider en aucune façon pour le travail « opératif », fût-ce dans ses stades les plus élémentaires, et ne leur fournissent rien qui puisse même leur permettre de soupçonner l’existence d’une « réalisation » quelconque.
Pourtant, même dans ces organisations, on parle bien encore, à chaque instant, de « travail » initiatique, ou du moins de quelque chose que l’on considère comme tel ; mais alors on peut légitimement se poser cette question : en quel sens et dans quelle mesure cela correspond-il encore à quelque réalité ?

Pour répondre à cette question, nous rappellerons que l’initiation est essentiellement une transmission, et nous ajouterons que ceci peut s’entendre en deux sens différents : d’une part, transmission d’une influence spirituelle, et, d’autre part, transmission d’un enseignement traditionnel. C’est la transmission de l’influence spirituelle qui doit être envisagée en premier lieu, non seulement parce qu’elle doit logiquement précéder tout enseignement, ce qui est trop évident dès lors qu’on a compris la nécessité du rattachement traditionnel, mais encore et surtout parce que c’est elle qui constitue essentiellement l’initiation au sens strict, si bien que, s’il ne devait s’agir que d’initiation virtuelle, tout pourrait en somme se borner là, sans qu’il y ait lieu d’y adjoindre ultérieurement un enseignement quelconque. En effet, l’enseignement initiatique, dont nous aurons à préciser par la suite le caractère particulier, ne peut être autre chose qu’une aide extérieure apportée au travail intérieur de réalisation, afin de l’appuyer et de le guider autant qu’il est possible ; c’est là, au fond, son unique raison d’être, et c’est en cela seulement que peut consister le côté extérieur et collectif d’un véritable « travail » initiatique, si l’on entend bien réellement celui-ci dans sa signification légitime et normale.

Maintenant, ce qui rend la question un peu plus complexe, c’est que les deux sortes de transmission que nous venons d’indiquer, tout en étant en effet distinctes en raison de la différence de leur nature même, ne peuvent cependant jamais être entièrement séparées l’une de l’autre ; et ceci demande encore quelques explications, bien que nous ayons déjà en quelque sorte traité ce point implicitement lorsque nous avons parlé des rapports étroits qui unissent le rite et le symbole.

En effet, les rites sont essentiellement, et avant tout, le véhicule de l’influence spirituelle, qui sans eux ne peut être transmise en aucune façon ; mais en même temps, par là même qu’ils ont, dans tous les éléments qui les constituent, un caractère symbolique, ils comportent nécessairement aussi un enseignement en eux-mêmes, puisque, comme nous l’avons dit, les symboles sont précisément le seul langage qui convient réellement à l’expression des vérités de l’ordre initiatique. Inversement, les symboles sont essentiellement un moyen d’enseignement, et non pas seulement d’enseignement extérieur, mais aussi de quelque chose de plus, en tant qu’ils doivent servir surtout de « supports » à la méditation, qui est tout au moins le commencement d’un travail intérieur ; mais ces mêmes symboles, en tant qu’éléments des rites et en raison de leur caractère « non-humain », sont aussi des « supports » de l’influence spirituelle elle-même.
D’ailleurs, si l’on réfléchit que le travail intérieur serait inefficace sans l’action ou, si l’on préfère, sans la collaboration de cette influence spirituelle, on pourra comprendre par là que la méditation sur les symboles prenne elle-même, dans certaines conditions, le caractère d’un véritable rite, et d’un rite qui, cette fois, ne confère plus seulement l’initiation virtuelle, mais permet d’atteindre un degré plus ou moins avancé d’initiation effective.

Par contre, au lieu de se servir des symboles de cette façon, on peut aussi se borner à « spéculer » sur eux, sans se proposer rien de plus ; nous ne voulons certes pas dire par là qu’il soit illégitime d’expliquer les symboles, dans la mesure du possible, et de chercher à développer, par des commentaires appropriés, les différents sens qu’ils contiennent (à la condition, d’ailleurs, de bien se garder en cela de toute « systématisation », qui est incompatible avec l’essence même du symbolisme) ; mais nous voulons dire que cela ne devrait, en tout cas, être regardé que comme une simple préparation à quelque chose d’autre, et c’est justement là ce qui, par définition, échappe forcément au point de vue « spéculatif » comme tel.
Celui-ci ne peut que s’en tenir à une étude extérieure des symboles, qui ne saurait évidemment faire passer ceux qui s’y livrent de l’initiation virtuelle à l’initiation effective ; encore s’arrête-t-elle le plus souvent aux significations les plus superficielles, parce que, pour pénétrer plus avant, il faut déjà un degré de compréhension qui, en réalité, suppose tout autre chose que de la simple « érudition » ; et il faut même s’estimer heureux si elle ne s’égare pas plus ou moins complètement dans des considérations « à côté », comme par exemple lorsqu’on veut surtout trouver dans les symboles un prétexte à « moralisation », ou en tirer de prétendues applications sociales, voire même politiques, qui n’ont certes rien d’initiatique ni même de traditionnel. Dans ce dernier cas, on a déjà franchi la limite où le « travail » de certaines organisations cesse entièrement d’être initiatique, fût-ce d’une façon toute « spéculative », pour tomber purement et simplement dans le point de vue profane ; cette limite est aussi, naturellement, celle qui sépare la simple dégénérescence de la déviation, et il n’est que trop facile de comprendre comment la « spéculation », prise pour une fin en elle-même, se prête fâcheusement à glisser de l’une à l’autre d’une façon presque insensible.

Nous pouvons maintenant conclure sur cette question : tant qu’on ne fait que « spéculer », même en se tenant au point de vue initiatique et sans en dévier d’une façon ou d’une autre, on se trouve en quelque sorte enfermé dans une impasse, car on ne saurait en rien dépasser par là l’initiation virtuelle ; et, d’ailleurs, celle-ci existerait tout aussi bien sans aucune « spéculation », puisqu’elle est la conséquence immédiate de la transmission de l’influence spirituelle. L’effet du rite par lequel cette transmission est opérée est « différé », comme nous le disions plus haut, et reste à l’état latent et « enveloppé » tant qu’on ne passe pas du « spéculatif » à l’« opératif » ; c’est dire que les considérations théoriques n’ont de valeur réelle, en tant que travail proprement initiatique, que si elles sont destinées à préparer la « réalisation » ; et elles en sont, en fait, une préparation nécessaire, mais c’est là ce que le point de vue « spéculatif » lui-même est incapable de reconnaître, et ce dont, par conséquent, il ne peut aucunement donner la conscience à ceux qui y bornent leur horizon.


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Message par Ligeia Mar 4 Mai - 8:35

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Chapitre XXXI : De l’enseignement initiatique


Nous devons encore revenir sur les caractères qui sont propres à l’enseignement initiatique, et par lesquels il se différencie profondément de tout enseignement profane ; Il s’agit ici de ce qu’on peut appeler l’extériorité de cet enseignement, c’est-à-dire des moyens d’expression par lesquels il peut être transmis dans une certaine mesure et jusqu’à un certain point, à titre de préparation au travail purement intérieur par lequel l’initiation, de virtuelle qu’elle était tout d’abord, deviendra plus ou moins complètement effective.

Beaucoup, ne se rendant pas compte de ce que doit être réellement l’enseignement initiatique, n’y voient rien de plus, comme particularité digne de remarque, que l’emploi du symbolisme ; il est d’ailleurs très vrai que celui-ci y joue en effet un rôle essentiel, mais encore faut-il savoir pourquoi il en est ainsi ; or ceux-là, n’envisageant les choses que d’une façon toute superficielle, et s’arrêtant aux apparences et aux formes extérieures, ne comprennent aucunement la raison d’être et même, peut-on dire, la nécessité du symbolisme, que, dans ces conditions, ils ne peuvent trouver qu’étrange et pour le moins inutile.
Ils supposent en effet que la doctrine initiatique n’est guère, au fond, qu’une philosophie comme les autres, un peu différente sans doute par sa méthode, mais en tout cas rien de plus, car leur mentalité est ainsi faite qu’ils sont incapables de concevoir autre chose ; et il est bien certain que, pour les raisons que nous avons exposées plus haut, la philosophie n’a rien à voir avec le symbolisme et s’y oppose même en un certain sens. Ceux qui, malgré cette méprise, consentiront tout de même à reconnaître à l’enseignement d’une telle doctrine quelque valeur à un point de vue ou à un autre, et pour des motifs quelconques, qui n’ont habituellement rien d’initiatique, ceux-là même ne pourront jamais arriver qu’à en faire tout au plus une sorte de prolongement de l’enseignement profane, de complément de l’éducation ordinaire, à l’usage d’une élite relative (189).
Or mieux vaut peut-être encore nier totalement sa valeur, ce qui équivaut en somme à l’ignorer purement et simplement, que de le rabaisser ainsi et, trop souvent, de présenter en son nom et à sa place l’expression de vues particulières quelconques, plus ou moins coordonnées, sur toute sorte de choses qui, en réalité, ne sont initiatiques ni en elles-mêmes, ni par la façon dont elles sont traitées ; c’est là proprement cette déviation du travail « spéculatif » à laquelle nous avons déjà fait allusion.

Il est aussi une autre manière d’envisager l’enseignement initiatique qui n’est guère moins fausse que celle-là, bien qu’apparemment toute contraire : c’est celle qui consiste à vouloir l’opposer à l’enseignement profane, comme s’il se situait en quelque sorte au même niveau, en lui attribuant pour objet une certaine science spéciale, plus ou moins vaguement définie, à chaque instant mise en contradiction et en conflit avec les autres sciences, bien que toujours déclarée supérieure à celles-ci par hypothèse et sans que les raisons en soient jamais nettement dégagées. Cette façon de voir est surtout celle des occultistes et autres pseudo-initiés, qui d’ailleurs, en réalité, sont loin de mépriser l’enseignement profane autant qu’ils veulent bien le dire, car ils lui font même de nombreux emprunts plus ou moins déguisés, et, au surplus, cette attitude d’opposition ne s’accorde guère avec la préoccupation constante qu’ils ont, d’un autre côté, de trouver des points de comparaison entre la doctrine traditionnelle, ou ce qu’ils croient être tel, et les sciences modernes ; il est vrai qu’opposition et comparaison supposent également, au fond, qu’il s’agit de choses du même ordre.

189 Bien entendu, ceux dont il s’agit sont également incapables de concevoir ce qu’est l’élite au seul vrai sens de ce mot, sens qui a aussi une valeur proprement initiatique comme nous l’expliquerons plus loin.

Il y a là une double erreur : d’une part, la confusion de la connaissance initiatique avec l’étude d’une science traditionnelle plus ou moins secondaire (que ce soit la magie ou toute autre chose de ce genre), et, d’autre part, l’ignorance de ce qui fait la différence essentielle entre le point de vue des sciences traditionnelles et celui des sciences profanes ; mais, après tout ce que nous avons déjà dit, il n’y a pas lieu d’insister plus longuement là-dessus.

Maintenant, si l’enseignement initiatique n’est ni le prolongement de l’enseignement profane, comme le voudraient les uns, ni son antithèse, comme le soutiennent les autres, s’il ne constitue ni un système philosophique ni une science spécialisée, c’est qu’il est en réalité d’un ordre totalement différent ; mais il ne faudrait d’ailleurs pas chercher à en donner une définition à proprement parler, ce qui serait encore le déformer inévitablement. Cela, l’emploi constant du symbolisme dans la transmission de cet enseignement peut déjà suffire à le faire entrevoir, dès lors qu’on admet, comme il est simplement logique de le faire sans même aller jusqu’au fond des choses, qu’un mode d’expression tout différent du langage ordinaire doit être fait pour exprimer des idées également autres que celles qu’exprime ce dernier, et des conceptions qui ne se laissent pas traduire intégralement par des mots, pour lesquelles il faut un langage moins borné, plus universel, parce qu’elles sont elles-mêmes d’un ordre plus universel.
Il faut d’ailleurs ajouter que, si les conceptions initiatiques sont essentiellement autres que les conceptions profanes, c’est qu’elles procèdent avant tout d’une autre mentalité que celles-ci (190), dont elles diffèrent moins encore par leur objet que par le point de vue sous lequel elles envisagent cet objet ; et il en est forcément ainsi dès lors que celui-ci ne peut être « spécialisé », ce qui reviendrait à prétendre imposer à la connaissance initiatique une limitation qui est incompatible avec sa nature même.

190 En réalité, le mot « mentalité » est insuffisant à cet égard, comme nous le verrons par la suite, mais il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit présentement que d’un stade préparatoire à la véritable connaissance initiatique, et dans lequel, par conséquent, il n’est pas encore possible de faire directement appel à l’intellect transcendant.

Il est dès lors facile d’admettre que, d’une part, tout ce qui peut être considéré alu point de vue profane peut l’être aussi, mais alors d’une tout autre façon et avec une autre compréhension, du point de vue initiatique (car, comme nous l’avons dit souvent, il n’y a pas en réalité un domaine profane auquel certaines choses appartiendraient par leur nature, mais seulement un point de vue profane, qui n’est au fond qu’une façon illégitime et déviée d’envisager ces choses) (191), tandis que, d’autre part, il y a des choses qui échappent complètement à tout point de vue profane (192) et qui sont exclusivement propres au seul domaine initiatique.

Que le symbolisme, qui est comme la forme sensible de tout enseignement initiatique, soit en effet réellement un langage plus universel que les langages vulgaires, c’est ce que nous avons déjà expliqué précédemment, et il n’est pas permis d’en douter un seul instant si l’on considère seulement que tout symbole est susceptible d’interprétations multiples, non point en contradiction entre elles, mais au contraire se complétant les unes les autres, et toutes également vraies quoique procédant de points de vue différents; et, s’il en est ainsi, c’est que ce symbole est moins l’expression d’une idée nettement définie et délimitée (à la façon des idées « claires et distinctes » de la philosophie cartésienne, supposées entièrement exprimables par des mots) que la représentation synthétique et schématique de tout un ensemble d’idées et de conceptions que chacun pourra saisir selon ses aptitudes intellectuelles propres et dans la mesure où il est préparé à leur compréhension.

191 Ce que nous disons ici pourrait s’appliquer tout aussi bien au point de vue traditionnel en général qu’au point de vue proprement initiatique ; dès lors qu’il s’agit seulement de les distinguer du point de vue profane, il n’y a en somme aucune différence à faire sous ce rapport entre l’un et l’autre.
192 Et même aussi, faut-il ajouter, au point de vue traditionnel exotérique, qui est en somme la façon légitime et normale d’envisager ce qui est déformé par le point de vue profane, de sorte que tous deux se rapportent en quelque sorte à un même domaine, ce qui ne diminue en rien leur différence profonde ; mais, au delà de ce domaine qu’on peut appeler exotérique, puisqu’il est celui qui concerne également et indistinctement tous les hommes, il y a le domaine ésotérique et proprement initiatique, que ne peuvent qu’ignorer entièrement ceux qui se tiennent dans l’ordre exotérique.


Ainsi, le symbole, pour qui parviendra à pénétrer sa signification profonde, pourra faire concevoir incomparablement plus que tout ce qu’il est possible d’exprimer directement ; aussi est-il le seul moyen de transmettre, autant qu’il se peut, tout cet inexprimable qui constitue le domaine propre de l’initiation, ou plutôt, pour parler plus rigoureusement, de déposer les conceptions de cet ordre en germe dans l’intellect de l’initié, qui devra ensuite les faire passer de la puissance à l’acte, les développer et les élaborer par son travail personnel, car nul ne peut rien faire de plus que de l’y préparer en lui traçant, par des formules appropriées, le plan qu’il aura par la suite à réaliser en lui-même pour parvenir à la possession effective de l’initiation qu’il n’a reçue de l’extérieur que virtuellement.

Il ne faut d’ailleurs pas oublier que, si l’initiation symbolique, qui n’est que la base et le support de l’initiation effective, est forcément la seule qui puisse être donnée extérieurement, du moins peut-elle être conservée et transmise même par ceux qui n’en comprennent ni sens ni la portée ; il suffit que les symboles soient maintenus intacts pour qu’ils soient toujours susceptibles d’éveiller, en celui qui en est capable, toutes les conceptions dont ils figurent la synthèse.
C’est en cela, rappelons-le encore, que réside le vrai secret initiatique, qui est inviolable de sa nature et qui se défend de lui-même contre la curiosité des profanes, et dont le secret relatif de certains signes extérieurs n’est qu’une figuration symbolique ; ce secret, chacun pourra le pénétrer plus ou moins selon l’étendue de son horizon intellectuel, mais, alors même qu’il l’aurait pénétré intégralement, il pourra jamais communiquer effectivement à un autre ce qu’il en aura compris lui-même ; tout au plus pourra-t-il aider à parvenir à cette compréhension ceux-là seuls qui y sont actuellement aptes.

Cela n’empêche nullement que les formes sensibles qui sont en usage pour la transmission de l’initiation extérieure et symbolique aient, même en dehors de leur rôle essentiel comme support et véhicule de l’influence spirituelle, leur valeur propre en tant que moyen d’enseignement ; à cet égard, on peut remarquer (et ceci nous ramène à la connexion intime du symbole avec le rite) qu’elles traduisent les symboles fondamentaux en gestes, en prenant ce mot au sens le plus étendu comme nous l’avons déjà fait précédemment, et que, de cette façon, elles font en quelque sorte « vivre » à l’initié l’enseignement qui lui est présenté (193), ce qui est la manière la plus adéquate et la plus généralement applicable de lui en préparer l’assimilation, puisque toutes les manifestations de l’individualité humaine se traduisent nécessairement, dans ses conditions actuelles d’existence, en des modes divers de l’activité vitale. Il ne faudrait d’ailleurs pas prétendre pour cela faire de la vie, comme le voudraient beaucoup de modernes, une sorte de principe absolu ; l’expression d’une idée en mode vital n’est, après tout, qu’un symbole comme les autres, aussi bien que l’est, par exemple, sa traduction en mode spatial, qui constitue un symbole géométrique ou un idéogramme ; mais c’est, pourrait-on dire, un symbole qui, par sa nature particulière, est susceptible de pénétrer plus immédiatement que tout autre à l’intérieur même de l’individualité humaine.

Au fond, si tout processus d’initiation présente en ses différentes phases une correspondance, soit avec la vie humaine individuelle, soit même avec l’ensemble de la vie terrestre, c’est que le développement de la manifestation vitale elle-même, particulière ou générale, « microcosmique » ou « macrocosmique », s’effectue suivant un plan analogue à celui que l’initié doit réaliser en lui-même, pour se réaliser lui-même dans la complète expansion de toutes les puissances de son être. Ce sont toujours et partout des plans correspondant à une même conception synthétique, de sorte qu’ils sont principiellement identiques, et, bien que tous différents et indéfiniment variés dans leur réalisation, ils procèdent d’un « archétype » unique, plan universel tracé par la Volonté suprême qui est désignée symboliquement comme le « Grand Architecte de l’Univers ».

Donc tout être tend, consciemment ou non, à réaliser en lui-même, par les moyens appropriés à sa nature particulière, ce que les formes initiatiques occidentales, s’appuyant sur le symbolisme « constructif », appellent le « plan du Grand Architecte de l’Univers » (194), et à concourir par là, selon la fonction qui lui appartient dans l’ensemble cosmique, à la réalisation totale de ce même plan, laquelle n’est en somme que l’universalisation de sa propre réalisation personnelle.

193 De là ce que nous avons appelé la « mise en action » des « légendes « initiatiques ; on pourra aussi se reporter ici à ce que nous avons dit du symbolisme du théâtre.
194 Ce symbolisme est d’ailleurs loin d’être exclusivement propre aux seules formes occidentales ; le Vishwakarma de la tradition hindoue, en particulier, est exactement la même chose que le « Grand Architecte de l’Univers ».


C’est au point précis de son développement où un être prend réellement conscience de cette finalité que commence pour lui l’initiation effective, qui doit le conduire par degrés, et selon sa voie personnelle, à cette réalisation intégrale qui s’accomplit, non point dans le développement isolé de certaines facultés spéciales, mais dans le développement complet, harmonique et hiérarchique, de toutes les possibilités impliquées dans l’essence de cet être. D’ailleurs, puisque la fin est nécessairement la même pour tout ce qui a même principe, c’est dans les moyens employés pour y parvenir que réside exclusivement ce qui est propre à chaque être, considéré dans les limites de la fonction spéciale qui est déterminée pour lui par sa nature individuelle, et qui, quelle qu’elle soit, doit être regardée comme un élément nécessaire de l’ordre universel et total ; et, par la nature même des choses, cette diversité des voies particulières subsiste tant que le domaine des possibilités individuelles n’est pas effectivement dépassé.

Ainsi, l’instruction initiatique, envisagée dans son universalité, doit comprendre, comme autant d’applications, en variété indéfinie, d’un même principe transcendant, toutes les voies de réalisation qui sont propres, non seulement à chaque catégorie d’êtres, mais aussi à chaque être individuel considéré en particulier ; et, les comprenant toutes ainsi en elle-même, elle les totalise et les synthétise dans l’unité absolue de la Voie universelle (195).
Donc, si les principes de l’initiation sont immuables, ses modalités peuvent et doivent varier de façon à s’adapter aux conditions multiples et relatives de l’existence manifestée, conditions dont la diversité fait que, mathématiquement en quelque sorte, il ne peut pas y avoir deux choses identiques dans tout l’univers, ainsi que nous l’avons déjà expliqué en d’autres occasions (196).

195 Cette Voie universelle est le Tao de la tradition extrême-orientale.
196 Voir notamment Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. VII.


On peut donc dire qu’il est impossible qu’il y ait, pour deux individus différents, deux initiations exactement semblables, même au point de vue extérieur et rituélique, et à plus forte raison au point de vue du travail intérieur de l’initié ; l’unité et l’immutabilité du principe n’exigent nullement une uniformité et une immobilité qui sont d’ailleurs irréalisables en fait, et qui, en réalité, ne représentent que leur reflet « inversé » au plus bas degré de la manifestation ; et la vérité est que l’enseignement initiatique, impliquant une adaptation à la diversité indéfinie des natures individuelles, s’oppose par là à l’uniformité que l’enseignement profane regarde au contraire comme son « idéal ».
Les modifications dont il s’agit se limitent d’ailleurs, bien entendu, à la traduction extérieure de la connaissance initiatique et à son assimilation par telle ou telle individualité, car, dans la mesure où une telle traduction est possible, elle doit forcément tenir compte des relativités et des contingences, tandis que ce qu’elle exprime en est indépendant dans l’universalité de son essence principielle, comprenant toutes les possibilités dans la simultanéité d’une synthèse unique.

L’enseignement initiatique, extérieur et transmissible dans des formes, n’est en réalité et ne peut être, nous l’avons déjà dit et nous y insistons encore, qu’une préparation de l’individu à acquérir la véritable connaissance initiatique par l’effet de son travail personnel. On peut ainsi lui indiquer la voie à suivre, le plan à réaliser, et le disposer à prendre l’attitude mentale et intellectuelle nécessaire pour parvenir à une compréhension effective et non pas simplement théorique ; on peut encore l’assister et le guider en contrôlant son travail d’une façon constante, mais c’est tout, car nul autre, fût-il un « Maître » dans l’acception la plus complète du mot (197), ne peut faire ce travail pour lui.
Ce que l’initié doit forcément acquérir par lui-même, parce que personne ni rien d’extérieur à lui ne peut le lui communiquer, c’est en somme la possession effective du secret initiatique proprement dit ; pour qu’il puisse arriver à réaliser cette possession dans toute son étendue et avec tout ce qu’elle implique, il faut que l’enseignement qui sert en quelque sorte de base et de support à son travail personnel soit constitué de telle façon qu’il s’ouvre sur des possibilités réellement illimitées, et qu’ainsi il lui permette d’étendre indéfiniment ses conceptions, en largeur et en profondeur tout à la fois, au lieu de les enfermer, comme le fait tout point de vue profane, dans les limites plus ou moins étroites d’une théorie systématique ou d’une formule verbale quelconque.

197 Nous entendons par là ce qu’on appelle un Guru dans la tradition hindoue, on un Sheikh dans la tradition islamique, et qui n’a rien de commun avec les idées fantastiques qu’on s’en fait dans certains milieux pseudo-initiatiques occidentaux.


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