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Initiation et réalisation spirituelle

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Message par Ligeia Jeu 23 Jan - 9:41

INITIATION ET RÉALISATION SPIRITUELLE

« D’autre part, il y en a qui, au fond, ne s’intéressent que très médiocrement aux doctrines, mais qui, ayant constaté le succès qu’ont ces choses dans un milieu assez étendu, trouvent bon de profiter de cette « mode » et en ont fait une véritable entreprise commerciale ; ceux-là sont d’ailleurs beaucoup plus « éclectiques » que les premiers, et ils répandent indistinctement tout ce qui leur paraît être de nature à satisfaire les goûts d’une certaine « clientèle », ce qui est évidemment leur principale préoccupation, même quand ils croient devoir afficher quelques prétentions à la "spiritualité". Bien entendu, nous ne voulons citer aucun nom, mais nous pensons que beaucoup de nos lecteurs pourront facilement trouver eux-mêmes quelques exemples de l’un et de l’autre cas. »

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Chapitre I - CONTRE LA VULGARISATION

La sottise d’un grand nombre et même de la majorité des hommes, à notre époque surtout, et de plus en plus à mesure que se généralise et s’accentue la déchéance intellectuelle caractéristique de l’ultime période cyclique, est peut-être la chose la plus difficile à supporter qu’il y ait en ce monde.
Il faut y joindre à cet égard l’ignorance, ou plus précisément une certaine sorte d’ignorance qui lui est d’ailleurs étroitement liée, celle qui n’est aucunement consciente d’elle-même, qui se permet d’affirmer d’autant plus audacieusement qu’elle sait et comprend moins, et qui est par là même, chez celui qui en est affligé, un mal irrémédiable (1). Sottise et ignorance peuvent en somme être réunies sous le nom commun d’incompréhension ; mais il doit être bien  entendu que supporter cette incompréhension n’implique aucunement qu’on doive lui faire des concessions quelconques, ni même s’abstenir de redresser les erreurs auxquelles elle donne naissance et de faire tout ce qu’il est possible pour les empêcher de se répandre, ce qui du reste est bien souvent aussi une tâche fort déplaisante, surtout lorsqu’on se trouve obligé, en présence de l’obstination de certains, de répéter à maintes reprises des choses qu’il devrait normalement suffire d’avoir dites une fois pour toutes.

1 Dans la tradition islamique, c’est à supporter la sottise et l’ignorance humaines que consiste haqiqutus-zakâh, la «vérité» de l’aumône, c’est-à-dire son aspect intérieur et le plus réel (haqîqah s’oppose ici à muzâherah, qui est seulement la manifestation extérieure, ou l’accomplissement du précepte pris au sens strictement littéral) ; ceci relève naturellement de la vertu de «patience» (eç-çabr), à laquelle est attachée une importance toute particulière, comme le prouve le fait qu’elle est mentionnée 72 fois dans le Qorân.
Cette obstination à laquelle on se heurte ainsi n’est d’ailleurs pas toujours exempte de mauvaise foi ; et, à vrai dire, la mauvaise foi elle-même implique forcément une étroitesse de vues qui n’est en définitive que la conséquence d’une incompréhension plus ou moins complète, aussi arrive-t-il qu’incompréhension réelle et mauvaise foi, comme sottise et méchanceté, se mêlent d’une telle façon qu’il est parfois bien difficile de déterminer exactement la part de l’une et de l’autre.


En parlant de concessions faites à l’incompréhension, nous pensons notamment à la vulgarisation sous toutes ses formes ; vouloir « mettre à la portée de tout le monde » des vérités quelconques, ou ce que l’on considère tout au moins comme des vérités, quand ce « tout le monde » comprend nécessairement une grande majorité de sots et d’ignorants, peut-il en effet être autre chose que cela en réalité ?
La vulgarisation procède d’ailleurs d’un souci éminemment profane, et, comme toute propagande, elle suppose chez celui même qui s’y livre un certain degré d’incompréhension, relativement moindre sans doute que celui du « grand public » auquel il s’adresse, mais d’autant plus grand que ce qu’il prétend exposer dépasse davantage le niveau mental de celui-ci. C’est pourquoi les inconvénients de la vulgarisation sont le plus limités quand ce qu’elle s’attache à diffuser est également d’un ordre tout profane, comme les conceptions philosophiques et scientifiques modernes, qui, même dans la part de vérité qu’il peut leur arriver de contenir, n’ont assurément rien de profond ni de transcendant.

Ce cas est d’ailleurs le plus fréquent, car c’est là surtout ce qui intéresse le « grand public » par suite de l’éducation qu’il a reçue, et aussi ce qui lui donne le plus facilement l’agréable illusion d’un « savoir » acquis à peu de frais ; le vulgarisateur déforme toujours les choses par simplification, et aussi en affirmant péremptoirement ce que les savants eux-mêmes ne regardent que comme de simples hypothèses, mais, en prenant une telle attitude, il ne fait en somme que  continuer les procédés en usage dans l’enseignement rudimentaire qui est imposé à tous dans le monde moderne, et qui, au fond, n’est aussi rien d’autre que de la vulgarisation, et peut-être la [15] pire de toutes en un sens, car il donne à la mentalité de ceux qui le reçoivent une empreinte « scientiste » dont bien peu sont capables de se défaire par la suite, et que le travail des vulgarisateurs proprement dits ne fait guère qu’entretenir et renforcer encore, ce qui atténue leur responsabilité dans une certaine mesure.

Il y a actuellement une autre sorte de vulgarisation qui, bien que n’atteignant qu’un public plus restreint, nous paraît présenter des dangers plus graves, ne serait-ce que par les confusions qu’elle risque de provoquer volontairement ou involontairement, et qui vise ce qui, par sa nature, devrait être le plus complètement à l’abri de semblables tentatives, nous voulons dire les doctrines traditionnelles et plus particulièrement les doctrines orientales.

À vrai dire, les occultistes et les théosophistes avaient déjà entrepris quelque chose de ce genre, mais ils n’étaient arrivés qu’à produire de grossières contrefaçons ; ce dont il s’agit maintenant revêt des apparences plus sérieuses, nous dirions volontiers plus « respectables », qui peuvent en imposer à bien des gens que n’auraient pas séduits des déformations trop visiblement caricaturales. Il y a d’ailleurs, parmi les vulgarisateurs, une distinction à faire en ce qui concerne leurs intentions, sinon les résultats auxquels ils aboutissent ; naturellement, tous veulent également répandre le plus possible les idées qu’ils exposent, mais ils peuvent y être poussés par des motifs très différents.

D’une part, il y a des propagandistes dont la sincérité n’est certes pas douteuse, mais dont l’attitude même prouve que leur compréhension doctrinale ne saurait aller bien loin ; de plus, même dans les limites de ce qu’ils comprennent, les besoins de la propagande les entraînent forcément à s’accommoder toujours à la mentalité de ceux à qui ils s’adressent, ce qui, surtout quand il s’agit d’un public occidental « moyen », ne peut être qu’au détriment de la vérité ; et le plus curieux est qu’il y a là pour eux une telle nécessité qu’il serait tout à fait injuste de les accuser d’altérer volontairement cette vérité.

D’autre part, il y en a qui, au fond, ne s’intéressent que très médiocrement aux doctrines, mais qui, ayant constaté le succès qu’ont ces choses dans un milieu assez étendu, trouvent bon de profiter de cette « mode » et en ont fait une véritable entreprise commerciale ; ceux-là sont d’ailleurs beaucoup plus « éclectiques » que les premiers, et ils répandent indistinctement tout ce qui leur paraît être de nature à satisfaire les goûts d’une certaine « clientèle », ce qui est évidemment leur principale préoccupation, même quand ils croient devoir afficher quelques prétentions à la « spiritualité ». Bien entendu, nous ne voulons citer aucun nom, mais nous pensons que beaucoup de nos lecteurs pourront facilement trouver eux-mêmes quelques exemples de l’un et de l’autre cas ; et nous ne parlons pas des simples charlatans, comme il s’en rencontre surtout parmi les pseudo-ésotéristes, qui trompent sciemment le public en lui présentant leurs propres inventions sous l’étiquette de doctrines dont ils ignorent à peu près tout, contribuant ainsi à augmenter encore la confusion dans l’esprit de ce malheureux public.

Ce qu’il y a de plus fâcheux dans tout cela, à part les idées fausses ou « simplistes » qui sont répandues par là sur les doctrines traditionnelles, c’est que bien des gens ne savent même pas faire la distinction entre l’œuvre des vulgarisateurs de toute espèce et un exposé fait au contraire en dehors de tout souci de plaire au public ou de se mettre à sa portée ; ils mettent tout sur le même plan, et ils vont jusqu’à attribuer les mêmes intentions à tout, y compris ce qui en est le plus éloigné en réalité. Ici, nous avons affaire à la sottise pure et simple, mais parfois aussi à la mauvaise foi, ou plus probablement à un mélange de l’un et de l’autre ; en effet, pour prendre un exemple qui nous concerne directement, après que nous avons expliqué nettement, chaque fois que l’occasion s’en est présentée, combien et pour quelles raisons nous sommes résolument opposés à toute propagande, aussi bien qu’à toute vulgarisation, puisque nous avons protesté à maintes reprises contre les assertions de certains qui, malgré cela, n’en prétendaient pas moins nous attribuer des intentions propagandistes, quand nous voyons ces mêmes gens ou d’autres qui leur ressemblent répéter indéfiniment la même calomnie, comment serait-il possible d’admettre qu’ils soient réellement de bonne foi ?
Si du moins, à défaut même de toute compréhension, ils avaient tant soit peu d’esprit logique, nous leur demanderions de nous dire quel intérêt nous pourrions bien avoir à chercher à convaincre qui que ce soit de la vérité de telle ou de telle idée, et nous sommes bien sûr qu’ils ne pourraient jamais trouver à cette question la moindre réponse à peu près plausible. En effet, parmi les propagandistes et les vulgarisateurs, les uns sont tels par l’effet d’une sentimentalité déplacée, et les autres parce qu’ils y trouvent un profit matériel ; or il est trop évident, par la façon même dont nous exposons les doctrines, que ni l’un ni l’autre de ces deux motifs n’y entre pour une part si minime qu’elle soit, et que d’ailleurs, à supposer que nous ayons jamais pu nous proposer de faire une propagande quelconque, nous aurions alors adopté nécessairement une attitude tout opposée à celle de rigoureuse intransigeance doctrinale qui a été constamment la nôtre.

Nous ne voulons pas y insister davantage, mais, en constatant de divers côtés, depuis quelque temps, une étrange recrudescence des attaques les plus injustes et les plus injustifiées, il nous a paru nécessaire, au risque de nous attirer le reproche de nous répéter trop souvent, de remettre encore une fois de plus les choses au point.

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Message par Ligeia Mer 29 Jan - 8:23

INITIATION ET RÉALISATION SPIRITUELLE

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Chapitre II : MÉTAPHYSIQUE ET DIALECTIQUE

Nous avons eu dernièrement connaissance d’un article qui nous a paru mériter de retenir quelque peu notre attention, parce que certaines méprises y apparaissent d’autant plus nettement que l’incompréhension y est poussée plus loin (2).
Certes, il est permis de sourire en lisant que ceux qui ont « quelque expérience de la connaissance métaphysique » (parmi lesquels l’auteur se range manifestement, tandis qu’il nous la dénie avec une remarquable audace, comme s’il lui était possible de savoir ce qu’il en est !) ne trouveront dans notre œuvre que des « distinctions conceptuelles singulièrement précises », mais « d’ordre purement dialectique », et « des représentations qui peuvent être préliminairement utiles, mais qui, au point de vue pratique et méthodologique, ne font pas avancer d’un pas au delà du monde des mots vers l’universel ».

2 Massimo Scaligero, Esoterismo moderno : L’opera e il pensiero di René Guénon, dans le premier n° de la nouvelle revue italienne Imperium (mai 1950). – L’expression d’« ésotérisme moderne » elle-même est déjà assez significative, d’abord parce qu’elle constitue une contradiction dans les termes mêmes, et ensuite parce qu’il n’y a trop évidemment rien de « moderne » dans notre œuvre, qui est ou contraire, sous tous les rapports, exactement à l’opposé de l’esprit moderne.

Cependant, nos contemporains sont tellement habitués à s’arrêter aux apparences extérieures qu’il est bien à craindre que beaucoup d’entre eux ne commettent de semblables erreurs : quand on voit qu’ils les commettent effectivement même en ce qui concerne des autorités traditionnelles telles que Shankarâchârya par exemple, il n’y aurait assurément pas lieu de s’étonner que, à plus forte raison, ils fassent de même à notre égard, prenant ainsi l’« écorce » pour le « noyau ».

Quoi qu’il en soit, nous voudrions bien savoir comment l’expression d’une vérité de quelque ordre que ce soit pourrait être faite autrement que par des mots (sauf dans le cas de figurations purement symboliques qui ne sont pas en cause ici) et sous la forme « dialectique », c’est-à-dire en somme discursive, qu’imposent les nécessités mêmes de tout langage humain, et aussi comment un exposé verbal quelconque, écrit ou même oral, pourrait, en vue de ce dont il s’agit, être plus que « préliminairement utile » ; il nous semble pourtant avoir suffisamment insisté sur le caractère essentiellement préparatoire de toute connaissance théorique, qui est évidemment la seule qui puisse être atteinte par l’étude d’un tel exposé, ce qui ne veut d’ailleurs aucunement dire que, à ce titre et dans ces limites, elle ne soit pas rigoureusement indispensable à tous ceux qui voudront ensuite aller plus loin.
Ajoutons tout de suite, pour écarter toute équivoque, que, contrairement à ce qui est dit à propos d’un passage de nos Aperçus sur l’Initiation, nous n’avons jamais entendu exprimer nulle part quoi que ce soit de « notre expérience intérieure », qui ne regarde et ne peut intéresser personne, ni du reste de l’« expérience intérieure » de quiconque, celle-ci étant toujours strictement incommunicable par sa nature même.

L’auteur ne semble guère comprendre, au fond, quel sens a pour nous le terme même de « métaphysique », et encore moins comment nous entendons l’« intellectualité pure », à laquelle il paraît même vouloir dénier tout caractère de « transcendance », ce qui implique la confusion vulgaire de l’intellect avec la raison et n’est pas sans rapport avec l’erreur commise en ce qui concerne le rôle de la « dialectique » dans nos écrits (et nous pourrions aussi bien dire dans tout écrit se rapportant au même domaine).
On ne s’en aperçoit que trop quand il affirme que le « sens ultime de notre œuvre », dont il parle avec une assurance que son incompréhension ne justifie guère, réside  dans « une transparence mentale non reconnue comme telle, et avec des limites encore « humaines », qu’on voit fonctionner lorsque nous prenons cette transparence pour l’initiation effective ».
En présence de pareilles assertions, il nous faut redire une fois de plus, aussi nettement que possible, qu’il n’y a absolument aucune différence entre la connaissance intellectuelle pure et transcendante (qui comme telle n’a, au contraire de la connaissance rationnelle, rien de « mental » ni d’« humain ») ou la connaissance métaphysique effective (et non pas simplement théorique) et la réalisation initiatique, non plus d’ailleurs qu’entre l’intellectualité pure et la véritable spiritualité.

On s’explique dès lors pourquoi l’auteur a cru devoir parler, et même avec insistance, de notre « pensée », c’est-à-dire de quelque chose qui en toute rigueur devrait être tenu pour inexistant, ou du moins ne compter pour rien quand il s’agit de notre œuvre, puisque ce n’est pas du tout cela que nous avons mis dans celle-ci, qui est exclusivement un exposé de données traditionnelles dans lequel l’expression seule est de nous ; au surplus, ces données elles-mêmes ne sont aucunement le produit d’une « pensée » quelconque, en raison même de leur caractère traditionnel, qui implique essentiellement une origine supra-individuelle et « non humaine ».

Où son erreur à cet égard apparaît peut-être le plus clairement, c’est quand il prétend que nous avons « rejoint mentalement » l’idée de l’Infini, ce qui est du reste une impossibilité ; à vrai dire, nous ne l’avons même « rejointe » ni mentalement ni d’aucune autre façon, car cette idée (et encore ce mot ne peut-il être employé en pareil cas qu’à la condition de la débarrasser de l’acception uniquement « psychologique » que lui ont donnée les modernes) ne peut réellement être saisie que d’une façon directe par une intuition immédiate qui appartient, redisons-le encore, au domaine de l’intellectualité pure ; tout le reste n’est que moyens destinés à préparer à cette intuition ceux qui en sont capables, et il doit être bien entendu que, tant qu’ils n’en seront qu’à « penser » à travers ces moyens, ils n’auront encore obtenu aucun résultat effectif, pas plus que celui qui raisonne ou réfléchit sur ce qu’on est convenu d’appeler communément les « preuves de l’existence de Dieu » n’est parvenu à une connaissance effective de la Divinité.

Ce qu’il faut bien qu’on sache, c’est que les « concepts » en eux-mêmes et surtout les « abstractions » ne nous intéressent pas le moins du monde (et, quand ici nous disons « nous », il va de soi que cela s’applique aussi bien à tous ceux qui, comme nous-même, entendent se placer à un point de vue strictement et intégralement traditionnel), et que nous abandonnons bien volontiers toutes ces élaborations mentales aux philosophes et autres « penseurs » (3).
Seulement, quand on se trouve obligé d’exposer des choses qui sont en réalité d’un tout autre ordre, et surtout dans une langue occidentale, nous ne voyons vraiment pas comment on pourrait se dispenser d’employer des mots dont la plupart, dans leur usage courant, n’expriment en fait que de simples concepts, puisqu’on n’en a pas d’autres à sa disposition (4) ; si certains sont incapables de comprendre la transposition qu’il faut effectuer en pareil cas pour pénétrer le « sens ultime », nous n’y pouvons malheureusement rien.
Quant à vouloir découvrir dans notre œuvre des marques de la « limite de notre propre connaissance », cela ne vaut même pas que nous nous y arrêtions, car, outre que ce n’est pas de « nous » qu’il s’agit, notre exposé étant rigoureusement impersonnel par là-même qu’il se réfère entièrement à des vérités d’ordre traditionnel (et, si nous n’avons pas toujours réussi à rendre ce caractère parfaitement évident, cela ne saurait être imputé qu’aux difficultés de l’expression) (5) cela nous rappelle un peu trop le cas de ceux qui s’imaginent qu’on ne connaît pas ou qu’on ne comprend pas tout ce dont on s’est abstenu volontairement de parler !

3 Pour nous, le type même du « penseur » au sens propre de ce mot est Descartes ; celui qui n’est rien de plus ne peut en effet aboutir qu’au « rationalisme », puisqu’il est incapable de dépasser l’exercice des facultés purement individuelles et humaines, et que par conséquent il ignore nécessairement tout ce que celles-ci ne permettent pas d’atteindre, ce qui revient à dire qu’il ne peut être qu’« agnostique » à l’égard de tout ce qui appartient au domaine métaphysique et transcendant.
4 Il faut seulement faire exception pour les mots qui ont appartenu tout d’abord à une terminologie traditionnelle, et auxquels il suffit naturellement de restituer leur sens premier.
5 Disons à ce propos que nous avons toujours regretté que les habitudes de l’époque actuelle ne nous aient pas permis de faire paraître nos ouvrages sous le couvert du plus strict anonymat, ce qui eût tout au moins évité à certains d’écrire beaucoup de sottises, et à nous-même d’avoir trop souvent la peine de les relever et de les rectifier.


Pour ce qui est de la « dialectique ésotériste », cette expression ne peut avoir un sens acceptable que si l’on entend par là une dialectique mise au service de l’ésotérisme, comme moyen extérieur employé pour en communiquer ce qui est susceptible d’être exprimé verbalement, et toujours sous la réserve qu’une telle expression est forcément inadéquate, et surtout dans l’ordre métaphysique pur, par là même qu’elle est formulée en termes « humains ».

La dialectique n’est en somme rien d’autre que la mise en œuvre ou l’application pratique de la logique (6) ; or il va de soi que, dès lors qu’on veut dire quelque chose, on ne peut pas faire autrement que de se conformer aux lois de la logique, ce qui ne veut certes pas dire qu’on croit que, en elles-mêmes, les vérités qu’on exprime sont sous la dépendance de ces lois, pas plus que le fait qu’un dessinateur est obligé de tracer l’image d’un objet à trois dimensions sur une surface qui n’en a que deux ne prouve qu’il ignore l’existence de la troisième.
La logique domine réellement tout ce qui n’est que du ressort de la raison, et, comme son nom même l’indique, c’est là son domaine propre ; mais, par contre, tout ce qui est d’ordre supra-individuel, donc supra-rationnel, échappe évidemment par là même à ce domaine, et le supérieur ne saurait être soumis à l’inférieur ; à l’égard des vérités de cet ordre, la logique ne peut donc intervenir que d’une façon tout accidentelle, et en tant que leur expression en mode discursif, ou « dialectique » si l’on veut, constitue une sorte de « descente » au niveau individuel, faute de laquelle ces vérités demeureraient totalement incommunicables. (7)

6 Il est bien entendu que nous prenons le mot « dialectique » dans son sens original, celui qu’il avait par exemple pour Platon et pour Aristote, sans avoir aucunement à nous préoccuper des acceptions spéciales qu’on lui donne souvent actuellement, et qui sont toutes dérivées plus ou moins directement de la philosophie de Hegel.
7 Nous n’insisterons pas sur le reproche qui nous est adressé de parler « comme si la transcendance et la réalité soi-disant extérieure étaient séparées l’une de l’autre » ; si l’auteur connaissait notamment ce que nous avons dit de la « réalisation descendante », ou s’il l’avait compris, il aurait sûrement pu s’en dispenser ; cela n’empêche d’ailleurs pas que cette séparation existe bien réellement « dans son ordre », qui est celui de l’existence contingente, et qu’elle ne cesse entièrement que pour celui qui est passé au-delà de cette existence et qui est définitivement affranchi de ses conditions limitatives ; quoi qu’il puisse en penser, il faut toujours savoir situer chaque chose à sa place et à son degré de réalité, et ce ne sont certes pas là des distinctions « d’ordre purement dialectique » !


Par une singulière inconséquence, l’auteur, en même temps qu’il nous reproche, d’ailleurs par incompréhension pure et simple, de nous arrêter au « mental » sans nous en rendre compte, paraît être particulièrement gêné par le fait que nous avons parlé de « renonciation au mental ».
Ce qu’il dit à ce sujet est fort confus, mais, au fond, il semble bien qu’il se refuse à envisager que les limites de l’individualité puissent être dépassées, et que, en fait de réalisation, tout se borne pour lui à une sorte d’« exaltation » de celle-ci, si l’on peut s’exprimer ainsi, puisqu’il prétend que « l’individu, en lui-même, tend à retrouver la source première », ce qui est précisément une impossibilité pour l’individu comme tel, car il ne peut évidemment se dépasser lui-même par ses propres moyens, et, si cette « source première » était d’ordre individuel, elle serait encore quelque chose de bien relatif.

Si l’être qui est un individu humain dans un certain état de manifestation n’était véritablement que cela, il n’y aurait pour lui aucun moyen de sortir des conditions de cet état, et, tant qu’il n’en est pas sorti effectivement, c’est-à-dire tant qu’il n’est encore qu’un individu selon les apparences (et il ne faut pas oublier que, pour sa conscience actuelle, ces apparences se confondent alors avec la réalité même, puisqu’elles sont tout ce qu’il peut en atteindre), tout ce qui est nécessaire pour lui permettre de les dépasser ne peut se présenter à lui que comme « extérieur » (8 ) ; il n’est pas encore arrivé au stade où une distinction comme celle de l’« intérieur » et de l’« extérieur » cesse d’être valable. Toute conception qui tend à nier ces vérités incontestables ne peut être rien d’autre qu’une  manifestation de l’individualisme moderne, quelles que soient les illusions que ceux qui l’admettent peuvent se faire à cet égard (9) ; et, dans le cas dont nous nous occupons présentement, les conclusions auxquelles on en arrive finalement, et qui équivalent en fait à une négation de la tradition et de l’initiation, sous le prétexte de rejeter tout recours à des moyens « extérieurs » de réalisation, ne montrent que trop complètement qu’il en est bien ainsi.

8 Nous croyons à peine utile de rappeler ici que l’initiation prend naturellement l’être tel qu’il est dans son état actuel pour lui donner les moyens de le dépasser ; c’est pourquoi ces moyens apparaissent tout d’abord comme « extérieurs ».
9 Il y a actuellement bien des gens qui se croient sincèrement « antimodernes », et qui pourtant n’en sont pas moins profondément affectés par l’influence de l’esprit moderne ; ce n’est d’ailleurs là qu’un des innombrables exemples de la confusion qui règne partout à notre époque.


Ce sont ces conclusions qu’il nous reste encore à examiner maintenant, et ici il est tout au moins un passage qu’il nous faut citer intégralement :

  • « Dans la constitution intérieure de l’homme moderne, il existe une fracture qui lui fait apparaître la tradition comme un corpus doctrinal et rituel extérieur, et non comme un courant de vie supra-humaine dans laquelle il lui soit donné de se plonger pour revivre ; dans l’homme moderne vit l’erreur qui sépare le transcendant du monde des sens, de sorte qu’il perçoit celui-ci comme privé du Divin ; par suite, la réunion, la réintégration ne peut advenir au moyen d’une forme d’initiation qui précède l’époque dans laquelle une telle erreur est devenue un fait accompli ».


Nous sommes tout à fait d’avis, nous aussi, que c’est là en effet une erreur des plus graves, et aussi que cette erreur, qui constitue proprement le point de vue profane, est tellement caractéristique de l’esprit moderne lui-même qu’elle en est véritablement inséparable, si bien que, pour ceux qui sont dominés par cet esprit, il n’y a aucun espoir de s’en délivrer ; il est évident que l’erreur dont il s’agit est, au point de vue initiatique, une « disqualification » insurmontable, et c’est pourquoi l’« homme moderne » est réellement inapte à recevoir une initiation, ou tout au moins à parvenir à l’initiation effective ; mais nous devons ajouter qu’il y a pourtant des exceptions, et cela parce que, malgré tout, il existe encore actuellement, même en Occident, des hommes qui, par leur « constitution intérieure » ne sont pas des « hommes modernes », qui sont capables de comprendre ce qu’est essentiellement la tradition, et qui n’acceptent pas de considérer l’erreur profane comme un « fait accompli » ; c’est à ceux-là que nous avons toujours entendu nous adresser exclusivement.

Mais ce n’est pas tout, et l’auteur tombe ensuite dans une curieuse contradiction, car il paraît vouloir présenter comme un « progrès » ce qu’il avait d’abord reconnu être une erreur ; citons de nouveau ses propres paroles :

  • « Hypnotiser les hommes avec le mirage de la tradition et de l’organisation « orthodoxe » pour transmettre l’initiation, signifie paralyser cette possibilité de libération et de conquête de la liberté qui, pour l’homme actuel, réside proprement dans le fait qu’il a atteint l’ultime échelon de la connaissance, qu’il est devenu conscient jusqu’au point où les Dieux, les oracles, les mythes, les transmissions initiatiques n’agissent plus ».


Voilà assurément une étrange méconnaissance de la situation réelle : jamais l’homme n’a été plus loin qu’actuellement de l’« ultime échelon de la connaissance », à moins qu’on ne veuille l’entendre dans le sens descendant, et, s’il est en effet arrivé à un point où toutes les choses qui viennent d’être énumérées n’agissent plus sur lui, ce n’est pas parce qu’il est monté trop haut, mais au contraire parce qu’il est tombé trop bas, comme le montre du reste le fait que, par contre, leurs multiples contrefaçons plus ou moins grossières agissent fort bien pour achever de le déséquilibrer.

On parle beaucoup d’« autonomie », de « conquête de la liberté » et ainsi de suite, en l’entendant toujours dans un sens purement individualiste, mais on oublie ou plutôt on ignore que la véritable libération n’est possible que par l’affranchissement des limites inhérentes à la condition individuelle ; on ne veut plus entendre parler de transmission initiatique régulière ni d’organisations traditionnelles orthodoxes, mais que penserait-on du cas, tout à fait comparable à celui-là, d’un homme qui, étant sur le point de se noyer, refuserait l’aide que veut lui apporter un sauveteur parce que celui-ci est « extérieur » à lui ?

Qu’on le veuille ou non, la vérité, qui n’a rien à voir avec une « dialectique » quelconque, est que, en dehors du rattachement à une organisation traditionnelle, il n’y a pas d’initiation, et que, sans initiation préalable, aucune réalisation métaphysique n’est possible ; ce ne sont pas là des « mirages » ou des illusions « idéales », ni de vaines spéculations de la pensée », mais des réalités tout à fait positives. Sans doute, notre contradicteur dira encore que tout ce que nous écrivons ne sort pas du « monde des mots » ; cela est d’ailleurs trop évident, par la force même des choses, et l’on peut en dire tout autant de ce qu’il écrit lui-même, mais il y a tout de même une différence essentielle : c’est que, si persuadé qu’il puisse être lui-même du contraire, ses mots, pour qui en comprend le « sens ultime », ne traduisent rien d’autre que l’attitude mentale d’un profane ; et nous le prions de croire que ce n’est nullement là une injure de notre part, mais bien l’expression « technique » d’un état de fait pur et simple.


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Message par Ligeia Ven 31 Jan - 11:54

INITIATION ET RÉALISATION SPIRITUELLE

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Chapitre III : La maladie de l’angoisse

Il est de mode aujourd’hui, dans certains milieux, de parler d’« inquiétude métaphysique », et même d’« angoisse métaphysique » ; ces expressions, évidemment absurdes, sont encore de celles qui trahissent le désordre mental de notre époque ; mais, comme toujours en pareil cas, il peut y avoir intérêt à chercher à préciser ce qu’il y a sous ces erreurs et ce qu’impliquent exactement de tels abus de langage.
Il est bien clair que ceux qui parlent ainsi n’ont pas la moindre notion de ce qu’est véritablement la métaphysique ; mais encore peut-on se demander pourquoi ils veulent transporter, dans l’idée qu’ils se font de ce domaine inconnu d’eux, ces termes d’inquiétude et d’angoisse plutôt que n’importe quels autres qui n’y seraient ni plus ni moins déplacés. Sans doute faut-il en voir la première raison, ou la plus immédiate, dans le fait que ces mots représentent des sentiments qui sont particulièrement caractéristiques de l’époque actuelle ; la prédominance qu’ils y ont acquise est d’ailleurs assez compréhensible, et pourrait même être considérée comme légitime en un certain sens si elle se limitait à l’ordre des contingences, car elle n’est manifestement que trop justifiée par l’état de déséquilibre et d’instabilité de toutes choses, qui va sans cesse en s’aggravant, et qui n’est assurément guère fait pour donner une impression de sécurité à ceux qui vivent dans un monde aussi troublé.

S’il y a dans ces sentiments quelque chose de maladif, c’est que l’état par lequel ils sont causés et entretenus est lui-même anormal et désordonné ; mais tout cela, qui n’est en somme qu’une simple explication de fait, ne rend pas suffisamment compte de l’intrusion de ces mêmes sentiments dans l’ordre intellectuel, ou du moins dans ce qui prétend en tenir lieu chez nos contemporains ; cette intrusion montre que le mal est plus profond en réalité, et qu’il doit y avoir là quelque chose qui se rattache à tout l’ensemble de la déviation mentale du monde moderne.

À cet égard, on peut remarquer tout d’abord que l’inquiétude perpétuelle des modernes n’est pas autre chose qu’une des formes de ce besoin d’agitation que nous avons souvent dénoncé, besoin qui, dans l’ordre mental, se traduit par le goût de la recherche pour elle-même, c’est-à-dire d’une recherche qui, au lieu de trouver son terme dans la connaissance comme elle le devrait normalement, se poursuit indéfiniment et ne conduit véritablement à rien, et qui est d’ailleurs entreprise sans aucune intention de parvenir à une vérité à laquelle tant de nos contemporains ne croient même pas.
Nous accorderons qu’une certaine inquiétude peut avoir sa place légitime au point de départ de toute recherche, comme mobile incitant à cette recherche même, car il va de soi que, si l’homme se trouvait satisfait de son état d’ignorance, il y resterait indéfiniment et ne chercherait aucunement à en sortir ; encore vaudrait-il mieux donner à cette sorte d’inquiétude mentale un autre nom : elle n’est rien d’autre, en réalité, que cette « curiosité » qui, suivant Aristote, est le commencement de la science, et qui, bien entendu, n’a rien de commun avec les besoins purement pratiques auxquels les « empiristes » et les « pragmatistes » voudraient attribuer l’origine de toute connaissance humaine ; mais en tout cas, qu’on l’appelle inquiétude ou curiosité, c’est là quelque chose qui ne saurait plus avoir aucune raison d’être ni subsister en aucune façon dès que la recherche est arrivée à son but, c’est-à-dire dès que la connaissance est atteinte, de quelque ordre de connaissance qu’il s’agisse d’ailleurs ; à plus forte raison doit-elle nécessairement disparaître, d’une façon complète et définitive, quand il s’agit de la connaissance par excellence, qui est celle du domaine métaphysique. On pourrait donc voir, dans l’idée d’une inquiétude sans terme, et par conséquent ne servant pas à tirer l’homme de son ignorance, la marque d’une sorte d’« agnosticisme », qui peut être plus ou moins inconscient dans bien des cas, mais qui n’en est pas pour cela moins réel : parler d’« inquiétude métaphysique » équivaut au fond, qu’on le veuille ou non, soit à nier la connaissance métaphysique elle-même, soit tout au moins à déclarer son impuissance à l’obtenir, ce qui pratiquement ne fait pas grande différence ; et, quand cet « agnosticisme » est vraiment inconscient, il s’accompagne ordinairement d’une illusion qui consiste à prendre pour métaphysique ce qui ne l’est nullement, et ce qui n’est même à aucun degré une connaissance valable, fût-ce dans un ordre relatif, nous voulons dire la « pseudo-métaphysique » des philosophes modernes, qui est effectivement incapable de dissiper la moindre inquiétude, par là même qu’elle n’est pas une véritable connaissance, et qui ne peut, tout au contraire, qu’accroître le désordre intellectuel et la confusion des idées chez ceux qui la prennent au sérieux, et rendre leur ignorance d’autant plus incurable ; en cela comme à tout autre point de vue, la fausse connaissance est certainement bien pire que la pure et simple ignorance naturelle.

Certains, comme nous l’avons dit, ne se bornent pas à parler d’« inquiétude », mais vont même jusqu’à parler d’« angoisse », ce qui est encore plus grave, et exprime une attitude peut-être plus nettement anti-métaphysique encore s’il est possible ; les deux sentiments sont d’ailleurs plus ou moins connexes, en ce qu’ils ont l’un et l’autre leur racine commune dans l’ignorance.
L’angoisse, en effet, n’est qu’une forme extrême et pour ainsi dire « chronique » de la peur ; or l’homme est naturellement porté à éprouver la peur devant ce qu’il ne connaît pas ou ne comprend pas, et cette peur même devient un obstacle qui l’empêche de vaincre son ignorance, car elle l’amène à se détourner de l’objet en présence duquel il l’éprouve et auquel il en attribue la cause, alors qu’en réalité cette cause n’est pourtant qu’en lui-même ; encore cette réaction négative n’est-elle que trop souvent suivie d’une véritable haine à l’égard de l’inconnu, surtout si l’homme a plus ou moins confusément l’impression que cet inconnu est quelque chose qui dépasse ses possibilités actuelles de compréhension.
Si cependant l’ignorance peut être dissipée, la peur s’évanouira aussitôt par là-même, comme dans l’exemple bien connu de la corde prise pour un serpent ; la peur, et par conséquent l’angoisse qui n’en est qu’un cas particulier, est donc incompatible avec la connaissance, et, si elle arrive à un degré tel qu’elle soit vraiment invincible, la connaissance en sera rendue impossible, même en l’absence de tout autre empêchement inhérent à la nature de l’individu ; on pourrait donc parler en ce sens, non pas d’une « angoisse métaphysique », jouant en quelque sorte le rôle d’un véritable « gardien du seuil », suivant l’expression des hermétistes, et interdisant à l’homme l’accès du domaine de la connaissance métaphysique.

Il faut encore expliquer plus complètement comment la peur résulte de l’ignorance, d’autant plus que nous avons eu récemment l’occasion de constater à ce sujet une erreur assez étonnante : nous avons vu l’origine de la peur attribuée à un sentiment d’isolement, et cela dans un exposé se basant sur la doctrine vêdântique, alors que celle-ci enseigne au contraire expressément que la peur est due au sentiment d’une dualité ; et, en effet, si un être était vraiment seul, de quoi pourrait-il avoir peur ?
On dira peut-être qu’il peut avoir peur de quelque chose qui se trouve en lui-même ; mais cela même implique qu’il y a en lui, dans sa condition actuelle, des éléments qui échappent à sa propre compréhension, et par conséquent une multiplicité non unifiée ; le fait qu’il soit isolé ou non n’y change d’ailleurs rien et n’intervient aucunement en pareil cas. D’autre part, on ne peut pas invoquer valablement, en faveur de cette explication par l’isolement, la peur instinctive éprouvée dans l’obscurité par beaucoup de personnes, et notamment par les enfants ; cette peur est due en réalité à l’idée qu’il peut y avoir dans l’obscurité des choses qu’on ne voit pas, donc qu’on ne connaît pas, et qui sont redoutables pour cette raison même ; si au contraire l’obscurité était considérée comme vide de toute présence inconnue, la peur serait sans objet et ne se produirait pas.

Ce qui est vrai, c’est que l’être qui éprouve la peur cherche à s’isoler, mais précisément pour s’y soustraire ; il prend une attitude négative et se « rétracte » comme pour éviter tout contact possible avec ce qu’il redoute, et de là proviennent sans doute la sensation de froid et les autres symptômes physiologiques qui accompagnent habituellement la peur ; mais cette sorte de défense irréfléchie est d’ailleurs inefficace car il est bien évident que, quoi qu’un être fasse, il ne peut s’isoler réellement du milieu dans lequel il est placé par ses conditions mêmes d’existence contingente, et que, tant qu’il se considère comme entouré par un « monde extérieur », il lui est impossible de se mettre entièrement à l’abri des atteintes de celui-ci.
La peur ne peut être causée que par l’existence d’autres êtres, qui, en tant qu’ils sont autres, constituent ce « monde extérieur », ou d’éléments qui, bien qu’incorporés à l’être lui-même, n’en sont pas moins étrangers et « extérieurs » à sa conscience actuelle ; mais l’« autre » comme tel n’existe que par un effet de l’ignorance, puisque toute connaissance implique essentiellement une identification ; on peut donc dire que plus un être connaît, moins il y a pour lui d’« autre » et d’« extérieur », et que, dans la même mesure, la possibilité de la peur, possibilité d’ailleurs toute négative, est abolie pour lui ; et finalement, l’état de « solitude » absolue (kaivalya), qui est au delà de toute contingence, est un état de pure impassibilité. Remarquons incidemment, à ce propos, que l’« ataraxie » stoïcienne ne représente qu’une conception déformée d’un tel état, car elle prétend s’appliquer à un être qui en réalité est encore soumis aux contingences, ce qui est contradictoire ; s’efforcer de traiter les choses extérieures comme indifférentes, autant qu’on le peut dans la condition individuelle, peut constituer une sorte d’exercice préparatoire en vue de la « délivrance », mais rien de plus, car, pour l’être qui est véritablement « délivré », il n’y a pas de choses extérieures ; un tel exercice pourrait en somme être regardé comme un équivalent de ce qui, dans les « épreuves » initiatiques, exprime sous une forme ou sous une autre la nécessité de surmonter tout d’abord la peur pour parvenir à la connaissance, qui par la suite rendra cette peur impossible, puisqu’il n’y aura plus rien alors par quoi l’être puisse être affecté ; et il est évident qu’il faut bien se garder de confondre les préliminaires de l’initiation avec son résultat final.

Une autre remarque qui, bien qu’accessoire, n’est pas sans intérêt, c’est que la sensation de froid et les symptômes extérieurs auxquels nous avons fait allusion tout à l’heure se produisent aussi, même sans que l’être qui les éprouve ait consciemment peur à proprement parler, dans les cas où se manifestent des influences psychiques de l’ordre le plus inférieur, comme par exemple dans les séances spirites et dans les phénomènes de « hantise » ; là encore, il s’agit de la même défense subconsciente et presque « organique », en présence de quelque chose d’hostile et en même temps d’inconnu, du moins pour l’homme ordinaire qui ne connaît effectivement que ce qui est susceptible de tomber sous les sens, c’est-à-dire les seules choses du domaine corporel.

Les « terreurs paniques », qui se produisent sans aucune cause apparente, sont dues aussi à la présence de certaines influences n’appartenant pas à l’ordre sensible ; elles sont d’ailleurs souvent collectives, ce qui va encore à l’encontre de l’explication de la peur par l’isolement ; et il ne s’agit pas nécessairement, dans ce cas, d’influences hostiles ou d’ordre inférieur, car il peut même arriver qu’une influence spirituelle, et non pas seulement une influence psychique, provoque une terreur de cette sorte chez des « profanes » qui la perçoivent vaguement sans rien connaître de sa nature ; l’examen de ces faits, qui n’ont en somme rien d’anormal, quoi qu’en puisse penser l’opinion commune, ne fait que confirmer encore que la peur est bien réellement causée par l’ignorance, et c’est pourquoi nous avons cru bon de les signaler en passant. Pour en revenir au point essentiel, nous pouvons dire maintenant que ceux qui parlent d’« angoisse métaphysique » montrent par là, tout d’abord, leur ignorance totale de la métaphysique ; en outre, leur attitude même rend cette ignorance invincible, d’autant plus que l’angoisse n’est pas un simple sentiment passager de peur, mais une peur devenue en quelque sorte permanente, installée dans le « psychisme » même de l’être, et c’est pourquoi on peut la considérer comme une véritable « maladie » ; tant qu’elle ne peut être surmontée, elle constitue proprement, tout comme d’autres défauts graves d’ordre psychique, une « disqualification » à l’égard de la connaissance métaphysique.

D’autre part, la connaissance est le seul remède définitif contre l’angoisse, aussi bien que contre la peur sous toutes ses formes et contre la simple inquiétude, puisque ces sentiments ne sont que des conséquences ou des produits de l’ignorance, et que par suite la connaissance dès qu’elle est atteinte, les détruit entièrement dans leur racine même et les rend désormais impossibles, tandis que, sans elle, même s’ils sont écartés momentanément, ils peuvent toujours reparaître au gré des circonstances. S’il s’agit de la connaissance par excellence, cet effet se répercutera nécessairement dans tous les domaines inférieurs, et ainsi ces mêmes sentiments disparaîtront aussi à l’égard des choses les plus contingentes ; comment, en effet, pourraient-ils affecter celui qui, voyant toutes choses dans le principe, sait que, quelles que soient les apparences, elles ne sont en définitive que des éléments de l’ordre total ?

Il en est de cela comme de tous les maux dont souffre le monde moderne : le véritable remède ne peut venir que d’en haut, c’est-à-dire d’une restauration de la pure intellectualité ; tant qu’on cherchera à y remédier par en bas, c’est-à-dire en se contentant d’opposer des contingences à d’autres contingences, tout ce qu’on prétendra faire sera vain et inefficace ; mais qui pourra le comprendre pendant qu’il en est encore temps ?

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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Re: Initiation et réalisation spirituelle

Message par Ligeia Jeu 13 Fév - 9:13

Note complémentaire :


  • "Il y aurait beaucoup à dire sur les interdictions formulées dans certaines traditions contre les recensements, sauf dans quelques cas exceptionnels ; si l'on disait que ces opérations et toutes celles de ce qu'on appelle l'« état civil » ont, entre autres inconvénients, celui de contribuer à abréger la durée de la vie humaine (ce qui est d'ailleurs conforme à la marche même du cycle, surtout dans ses dernières périodes), on ne serait sans doute pas cru, et pourtant, dans certains pays, les paysans les plus ignorants savent fort bien, comme un fait d'expérience courante, que si l'on compte trop souvent les animaux, il en meurt beaucoup plus que si l'on s'en abstient ; mais évidemment, aux yeux des modernes soi-disant « éclairés », ce ne peuvent être là que des « superstitions »." RG, "Caïn et Abel".



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Chapitre IV : LA COUTUME CONTRE LA TRADITION

Nous avons dénoncé à diverses reprises l’étrange confusion que les modernes commettent presque constamment entre tradition et coutume ; nos contemporains en effet, donnent volontiers le nom de « tradition » à toute sorte de choses qui ne sont en réalité que de simples coutumes, souvent tout à fait insignifiantes, et parfois d’invention toute récente : ainsi, il suffit que n’importe qui ait institué une fête profane quelconque pour que celle-ci, au bout de quelques années, soit qualifiée de « traditionnelle ».
Cet abus de langage est évidemment dû à l’ignorance des modernes à l’égard de tout ce qui est tradition au vrai sens de ce mot ; mais on peut aussi y discerner une manifestation de cet esprit de « contrefaçon » dont nous avons déjà signalé tant d’autres cas : là où il n’y a plus de tradition, on cherche, consciemment ou inconsciemment, à lui substituer une sorte de parodie, afin de combler pour ainsi dire, au point de vue des apparences extérieures, le vide laissé par cette absence de la tradition ; aussi n’est-il pas suffisant de dire que la coutume est entièrement différente de la tradition, car la vérité est qu’elle lui est même nettement contraire, et qu’elle sert de plus d’une façon à la diffusion et au maintien de l’esprit antitraditionnel.

Ce qu’il faut bien comprendre avant tout, c’est ceci : tout ce qui est d’ordre traditionnel implique essentiellement un élément « supra-humain » ; la coutume, au contraire, est quelque chose de purement humain, soit par dégénérescence, soit dès son origine même. En effet, il faut ici distinguer deux cas : dans le premier, il s’agit de choses qui ont pu avoir autrefois un sens profond, parfois même un caractère proprement rituel, mais qui l’ont entièrement perdu par le fait qu’elles ont cessé d’être intégrées à un ensemble traditionnel, de sorte qu’elles ne sont plus que « lettre morte » et « superstition » au sens étymologique ; personne n’en comprenant plus la raison, elles sont d’ailleurs, par là même, particulièrement aptes à se déformer et à se mélanger à des éléments étrangers, ne provenant que de la fantaisie individuelle ou collective.
Ce cas est, assez généralement, celui des coutumes auxquelles il est impossible d’assigner une origine définie ; le moins qu’on en puisse dire, c’est qu’il témoigne de la perte de l’esprit traditionnel, et en cela il peut sembler plus grave comme symptôme que par les inconvénients qu’il présente en lui-même. Cependant, il n’y en a pas moins là un double danger : d’une part, les hommes en arrivent ainsi à accomplir des actions par simple habitude, c’est-à-dire d’une façon toute machinale et sans raison valable, résultat d’autant plus fâcheux que cette attitude « passive » les prédispose à recevoir toute sorte de « suggestions » sans réagir ; d’autre part, les adversaires de la tradition, assimilant celle-ci à ces actions machinales, ne manquent pas d’en profiter pour la tourner en ridicule, de sorte que cette confusion, qui chez certains n’est pas toujours involontaire, est utilisée pour faire obstacle à toute possibilité de restauration de l’esprit traditionnel.

Le second cas est celui pour lequel on peut parler proprement de « contrefaçon » : les coutumes dont il vient d’être question sont encore, malgré tout, des vestiges de quelque chose qui a eu tout d’abord un caractère traditionnel, et, à ce titre, elles peuvent ne pas paraître encore suffisamment profanes ; on s’attachera donc, à un stade ultérieur, à les remplacer autant que possible par d’autres coutumes, celles-là entièrement inventées, et qui seront acceptées d’autant plus facilement que les hommes sont déjà habitués à faire des choses dépourvues de sens ; c’est là qu’intervient la « suggestion » à laquelle nous faisions allusion tout à l’heure.

Quand un peuple a été détourné de l’accomplissement des rites traditionnels, il est encore possible qu’il sente ce qui lui manque et qu’il éprouve le besoin d’y revenir ; pour l’en empêcher, on lui donnera des « pseudo-rites », et on les lui imposera même s’il y a lieu ; et cette simulation des rites est quelquefois poussée si loin qu’on n’a pas de peine à y reconnaître l’intention formelle et à peine déguisée d’établir une sorte de « contre-tradition ».
Il y a aussi, dans le même ordre, d’autres choses qui, tout en paraissant plus inoffensives, sont en réalité bien loin de l’être entièrement : nous voulons parler de coutumes qui affectent la vie de chaque individu en particulier plutôt que celle de l’ensemble de la collectivité ; leur rôle est encore d’étouffer toute activité rituelle ou traditionnelle, en y substituant la préoccupation, il ne serait pas exagéré de dire même l’obsession, d’une multitude de choses parfaitement insignifiantes, sinon tout à fait absurdes, et dont la « petitesse » même contribue puissamment à la ruine de toute intellectualité.

Ce caractère dissolvant de la coutume peut surtout être constaté directement aujourd’hui dans les pays orientaux, car pour ce qui est de l’Occident, il y a déjà trop longtemps qu’il a dépassé le stade où il était même simplement concevable encore que toutes les actions humaines puissent revêtir un caractère traditionnel ; mais, là où la notion de la « vie ordinaire », entendue dans le sens profane que nous avons expliqué en une autre occasion, ne s’est pas encore généralisée, on peut saisir en quelque sorte sur le fait la façon dont une telle notion arrive à prendre corps, et le rôle qu’y joue la substitution de la coutume à la tradition. Il va de soi qu’il s’agit là d’une mentalité qui, actuellement encore tout au moins, n’est point celle de la plupart des Orientaux, mais seulement de ceux qu’on peut dire indifféremment « modernisés » ou « occidentalisés », les deux mots n’exprimant au fond qu’une seule et même chose : lorsque quelqu’un agit d’une façon qu’il ne peut justifier autrement qu’en déclarant que « c’est la coutume », on peut être sûr qu’on a affaire à un individu détaché de sa tradition et devenu incapable de la comprendre ; non seulement il n’en accomplit plus les rites essentiels, mais, s’il en a gardé quelques « observances » secondaires, c’est uniquement « par coutume » et pour des raisons purement humaines, parmi lesquelles le souci de l’« opinion » tient le plus souvent une place prépondérante ; et, surtout, il ne manque jamais d’observer scrupuleusement une foule de ces coutumes inventées dont nous parlions en dernier lieu, coutumes qui ne se distinguent en rien des niaiseries constituant le vulgaire « savoir-vivre » des Occidentaux modernes, et qui même n’en sont parfois qu’une imitation pure et simple.

Ce qui est peut-être le plus frappant dans ces coutumes toutes profanes, que ce soit en Orient ou en Occident, c’est ce caractère d’incroyable « petitesse » que nous avons déjà mentionné : il semble qu’elles ne visent à rien d’autres qu’à retenir toute l’attention, non seulement sur des choses entièrement extérieures et vidées de toute signification, mais encore sur le détail même de ces choses, dans ce qu’il a de plus banal et de plus étroit, ce qui est évidemment un des meilleurs moyens qui puissent exister pour amener, chez ceux qui s’y soumettent, une véritable atrophie intellectuelle, dont ce qu’on appelle en Occident la mentalité « mondaine » représente l’exemple le plus achevé.

Ceux chez qui les préoccupations de ce genre arrivent à prédominer, même sans atteindre ce degré extrême, sont trop manifestement incapables de concevoir aucune réalité d’ordre profond ; il y a là une incompatibilité tellement évidente qu’il serait inutile d’y insister davantage ; et il est clair aussi que ceux-là se trouvent dès lors enfermés dans le cercle de la « vie ordinaire », qui n’est faite précisément que d’un épais tissu d’apparences extérieures comme celles sur lesquelles ils ont été « dressés » à exercer exclusivement toute leur activité mentale.
Pour eux, le monde, pourrait-on dire, a perdu toute « transparence », car ils n’y voient plus rien qui soit un signe ou une expression de vérités supérieures, et, même si on leur parlait de ce sens intérieur des choses non seulement ils ne comprendraient pas, mais ils commenceraient aussitôt par se demander ce que leurs pareils pourraient bien penser ou dire d’eux si par impossible il leur arrivait d’admettre un tel point de vue, et plus encore d’y conformer leur existence !

C’est en effet la crainte de l’« opinion » qui, plus que toute autre chose, permet à la coutume de s’imposer comme elle le fait et de prendre le caractère d’une véritable obsession : l’homme ne peut jamais agir sans quelque motif, légitime ou illégitime, et lorsque, comme c’est le cas ici, il ne peut exister aucun motif réellement valable, puisqu’il s’agit d’actions qui n’ont véritablement aucune signification, il faut qu’il s’en trouve dans un ordre aussi bassement contingent et aussi dépourvu de toute portée effective que celui auquel appartiennent ces actions elles-mêmes.

On objectera peut-être que, pour que cela soit possible, il faut qu’une opinion se soit déjà formée à  l’égard des coutumes en question ; mais, en fait, il suffit que celles-ci se soient établies dans un milieu très restreint, et ne fût-ce tout d’abord que sous la forme d’une simple « mode », pour que ce facteur puisse entrer en jeu ; de là, les coutumes, s’étant fixées par le fait même qu’on n’ose plus s’abstenir de les observer, pourront ensuite se répandre de proche en proche, et, corrélativement, ce qui n’était d’abord que l’opinion de quelques-uns finira par devenir ce qu’on appelle l’« opinion publique ».
On pourrait dire que le respect de la coutume comme telle n’est au fond rien d’autre que le respect de la sottise humaine, car c’est celle-ci qui, en pareil cas, s’exprime naturellement dans l’opinion ; d’ailleurs, « faire comme tout le monde », suivant l’expression couramment employée à ce sujet, et qui pour certains semble tenir lieu de raison suffisante pour toutes leurs actions, c’est nécessairement s’assimiler au vulgaire et s’appliquer à ne s’en distinguer en aucune façon ; il serait assurément difficile d’imaginer quelque chose de plus bas, et aussi de plus contraire à l’attitude traditionnelle, suivant laquelle chacun doit s’efforcer constamment de s’élever selon toute la mesure de ses possibilités, au lieu de s’abaisser jusqu’à cette sorte de néant intellectuel que traduit une vie absorbée tout entière dans l’observation des coutumes les plus ineptes et dans la crainte puérile d’être jugé défavorablement par les premiers venus, c’est-à-dire en définitive par les sots et les ignorants.

Dans les pays de tradition arabe, on dit que, dans les temps les plus anciens, les hommes n’étaient distingués entre eux que par la connaissance ; ensuite, on prit en considération la naissance et la parenté ; plus tard encore, la richesse en vint à être considérée comme une marque de supériorité ; enfin, dans les derniers temps, on ne juge plus les hommes que d’après les seules apparences extérieures.
Il est facile de se rendre compte que c’est là une description exacte de la prédominance successive, dans l’ordre descendant, de points de vue qui sont respectivement ceux des quatre castes, ou, si l’on préfère, des divisions naturelles auxquelles celles-ci correspondent. Or la coutume appartient incontestablement au domaine des apparences purement extérieures, derrière lesquelles il n’y a rien ; observer la coutume pour tenir compte d’une opinion qui n’estime que de telles apparences, c’est donc là proprement le fait d’un Shûdra.


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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Chap. V : A propos du rattachement initiatique

Message par Ligeia Ven 13 Mar - 15:08

La véritable initiation n’a rien en commun avec de vagues « expérimentations personnelles » et autres ressentis subjectifs et confus :

« Dans tout ce qui se rapporte à l’initiation, il n’y a en réalité rien de vague ni de nébuleux, mais au contraire des choses très précises et très « positives » ; et, en fait, l’initiation est, par sa nature même, proprement incompatible avec le mysticisme « moderne ». (...) Cela signifie surtout que, dans le cas du mysticisme, l’individu se borne à recevoir simplement ce qui se présente à lui, et tel qu’il se présente, sans que lui-même y soit pour rien ; et, disons-le tout de suite, c’est en cela que réside pour lui le danger principal, du fait qu’il est ainsi « ouvert » à toutes les influences, de quelque ordre qu’elles soient, et qu’au surplus, en général et sauf de rares exceptions, il n’a pas la préparation doctrinale qui serait nécessaire pour lui permettre d’établir entre elles une discrimination quelconque. »

(note : l’aspect « positif » dont il est question n’a bien entendu rien à voir avec un quelconque « idéalisme sentimental » ou « positivisme » moderne !)

La seule façon de se prémunir contre ce genre d’illusions c’est de s’appuyer encore et toujours sur les textes sacrés et les écrits traditionnels (Ibn Arabi, René Guénon, Michel Vâlsan, CA Gilis...). Ils sont un support incomparable et indispensable.
Mais là aussi, il s’agit de les accepter dans leur totalité et non pas sous formes fragmentaires selon ce qui nous convient. Celui qui « pioche » au gré de sa fantaisie, acceptant ou écartant selon ses désirs, montre juste qu’il n’a pas saisi la portée exacte des écrits de ceux qu’il considère comme des « auteurs » quelconques, leur associant sans vergogne n’importe quelle autre littérature.

C’est la Vérité qui doit être le but, pas la satisfaction de l’égo...  

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Chapitre V : À PROPOS DU RATTACHEMENT INITIATIQUE

Il est des choses sur lesquelles on est obligé de revenir presque constamment, tellement la plupart de nos contemporains, du moins en Occident, semblent éprouver de difficulté à les comprendre ; et bien souvent, ces choses sont de celles qui, en même temps qu’elles sont en quelque sorte à la base de tout ce qui se rapporte, soit au point de vue traditionnel en général, soit plus spécialement au point de vue ésotérique et initiatique, sont d’un ordre qui devrait normalement être regardé comme plutôt élémentaire.

Telle est, par exemple, la question du rôle et de l’efficacité propre des rites ; et peut-être est-ce, tout au moins en partie, à cause de sa connexion assez étroite avec celle-là que la question de la nécessité du rattachement initiatique paraît être également dans le même cas.
En effet, dès lors qu’on a compris que l’initiation consiste essentiellement dans la transmission d’une certaine influence spirituelle, et que cette transmission ne peut être opérée que par le moyen d’un rite, qui est précisément celui par lequel s’effectue le rattachement à une organisation ayant avant tout pour fonction de conserver et de communiquer l’influence dont il s’agit, il semble bien qu’il ne devrait plus y avoir aucune difficulté à cet égard ; transmission et rattachement ne sont en somme que les deux aspects inverses d’une seule et même chose, suivant qu’on l’envisage en descendant ou en remontant la « chaîne » initiatique.

Cependant, nous avons eu récemment l’occasion de constater que la difficulté existe même pour certains de ceux qui, en fait, possèdent un tel rattachement ; ceci peut paraître plutôt étonnant, mais sans doute faut-il y voir une conséquence de l’amoindrissement « spéculatif » qu’ont subi les organisations auxquelles ils appartiennent, car il est évident que, pour qui s’en tient à ce seul point de vue « spéculatif », les questions de cet ordre, et toutes celles qu’on peut dire proprement « techniques », ne peuvent apparaître que sous une perspective fort indirecte et lointaine, et que, par là même, leur importance fondamentale risque d’être plus ou moins complètement méconnue. On pourrait encore dire qu’un exemple comme celui-là permet de mesurer toute la distance qui sépare l’initiation virtuelle de l’initiation effective ; ce n’est certes pas que la première puisse être regardée comme négligeable, bien au contraire, puisque c’est elle qui est l’initiation proprement dite, c’est-à-dire le « commencement » (initium) indispensable, et qu’elle apporte avec elle la possibilité de tous les développements ultérieurs ; mais il faut bien reconnaître que, dans les conditions présentes plus que jamais, il y a fort loin de cette initiation virtuelle au moindre début de réalisation.

Quoi qu’il en soit, nous pensions nous être déjà suffisamment expliqué sur la nécessité du rattachement initiatique (10) mais, en présence de certaines questions qui nous sont encore posées à ce sujet, nous croyons utile d’essayer d’y ajouter quelques précisions complémentaires.

10 Voir Aperçus sur l’Initiation, notamment ch. V et VIII.

Tout d’abord, nous devons écarter l’objection que certains pourraient être tentés de tirer du fait que le néophyte ne ressent aucunement l’influence spirituelle au moment même où il la reçoit ; à vrai dire, ce cas est d’ailleurs tout à fait comparable à celui de certains rites d’ordre exotérique tels que les rites religieux de l’ordination par exemple, où une influence spirituelle est également transmise et, d’une façon générale tout au moins, n’est pas davantage ressentie, ce qui ne l’empêche pas d’être réellement présente et de conférer dès lors à ceux qui l’ont reçue certaines aptitudes qu’ils ne pourraient avoir sans elle.

Mais, dans l’ordre initiatique, nous devons aller plus loin : il serait en quelque sorte contradictoire que le néophyte soit capable de ressentir l’influence qui lui est transmise, puisqu’il n’est encore, vis-à-vis de celle-ci, et par définition même, que dans un état purement potentiel et « non développé », tandis que la capacité de la ressentir impliquerait déjà forcément, au contraire, un certain degré de développement ou d’actualisation ; et c’est pourquoi nous disions tout à l’heure qu’il faut nécessairement commencer par l’initiation virtuelle.

Seulement, dans le domaine exotérique, il n’y a en somme aucun inconvénient à ce que l’influence reçue ne soit jamais perçue consciemment, même indirectement et dans ses effets, puisqu’il ne s’agit pas là d’obtenir, comme conséquence de la transmission opérée, un développement spirituel effectif ; par contre, il devrait en être tout autrement quand il s’agit de l’initiation, et, par suite du travail intérieur accompli par l’initié, les effets de cette influence devraient être ressentis ultérieurement, ce qui constitue précisément le passage à l’initiation effective, à quelque degré qu’on l’envisage.

C’est là, du moins, ce qui devrait avoir lieu normalement et si l’initiation donnait les résultats qu’on est en droit d’en attendre ; il est vrai qu’en fait, dans la plupart des cas, l’initiation reste toujours virtuelle, ce qui revient à dire que les effets dont nous parlons demeurent indéfiniment à l’état latent ; mais, s’il en est ainsi, ce n’en est pas moins là, au point de vue rigoureusement initiatique, une anomalie qui n’est due qu’à certaines circonstances contingentes (11), comme, d’une part, l’insuffisance des qualifications de l’initié, c’est-à-dire la limitation des possibilités qu’il porte en lui-même et auxquelles rien d’extérieur ne saurait suppléer, et aussi, d’autre part l’état d’imperfection ou de dégénérescence auquel en sont réduites actuellement certaines organisations initiatiques et qui ne leur permet plus de fournir un appui suffisant pour atteindre l’initiation effective, ni même de laisser soupçonner l’existence de celle-ci à ceux qui pourraient y être aptes, bien que ces organisations n’en demeurent pas moins toujours capables de conférer l’initiation virtuelle c’est-à-dire d’assurer, à ceux qui possèdent le minimum de qualifications indispensable, la transmission initiale de l’influence spirituelle.

11 On pourrait d’ailleurs dire, d’une façon générale, que, dans les conditions d’une époque comme la nôtre, c’est presque toujours le cas véritablement normal au point de vue traditionnel qui n’apparaît plus que comme un cas d’exception.

Ajoutons encore incidemment, avant de passer à un autre aspect de la question, que cette transmission, comme d’ailleurs nous l’avons déjà fait remarquer expressément, n’a et ne peut avoir absolument rien de « magique », pour la raison même que c’est d’une influence spirituelle qu’il s’agit essentiellement, tandis que tout ce qui est d’ordre magique concerne exclusivement le maniement des seules influences psychiques.
Même s’il arrive que l’influence spirituelle s’accompagne secondairement de certaines influences psychiques, cela n’y change rien, car ce n’est là en somme qu’une conséquence purement accidentelle, et qui n’est due qu’à la correspondance qui existe forcément toujours entre les différents ordres de réalité ; dans tous les cas, ce n’est pas sur ces influences psychiques ni par leur moyen qu’agit le rite initiatique, qui se révèle uniquement à l’influence spirituelle et ne saurait, précisément en tant qu’il est initiatique, avoir aucune raison d’être en dehors de celle-ci.

Du reste, la même chose est vraie, aussi, dans le domaine exotérique, en ce qui concerne les rites religieux (12) ; quelles que soient les différences qu’il y ait lieu de faire entre les influences spirituelles, soit en elles-mêmes, soit quant aux buts divers en vue desquels elles peuvent être mises en action, c’est bien toujours d’influences spirituelles qu’il s’agit proprement, dans ce cas aussi bien que dans celui des rites initiatiques, et, en définitive, cela suffit pour qu’il ne puisse y avoir là rien de commun avec la magie, qui n’est qu’une science traditionnelle secondaire, d’ordre tout à fait contingent et même très inférieur, et à laquelle, redisons-le encore une fois de plus, tout ce qui relève du domaine spirituel est entièrement étranger.

12 Il va de soi qu’il en est encore de même pour d’autres rites exotériques, dans les traditions autres que celles qui revêtent la forme religieuse ; si nous parlons plus particulièrement ici de rites religieux, c’est parce qu’ils représentent, dans ce domaine, le cas le plus généralement connu en Occident.

Nous pouvons maintenant en venir à ce qui nous paraît être le point le plus important, celui qui touche de plus près au fond même de la question ; sous ce rapport, l’objection qui se présente, pourrait être formulée ainsi : rien ne peut être séparé du Principe, car ce qui le serait n’aurait véritablement aucune existence ni aucune réalité, fût-elle du degré le plus inférieur ; comment peut-on donc parler d’un rattachement qui, quels que soient les intermédiaires par lesquels il s’effectue, ne peut être conçu finalement que comme un rattachement au Principe même, ce qui, à prendre le mot dans sa signification littérale, semble impliquer le rétablissement d’un lien qui aurait été rompu ?

On peut remarquer qu’une question de ce genre est assez semblable à celle-ci, que certains se sont posée également : pourquoi faut-il faire des efforts pour parvenir à la Délivrance, puisque le « Soi » (Âtmâ) est immuable et demeure toujours le même, et qu’il ne saurait aucunement être modifié ou affecté par quoi que ce soit ?

Ceux qui soulèvent de telles questions montrent par là qu’ils s’arrêtent à une vue beaucoup trop exclusivement théorique des choses, ce qui fait qu’ils n’en aperçoivent qu’un seul côté, ou encore qu’ils confondent deux points de vue qui sont cependant nettement distincts, bien que complémentaires l’un de l’autre en un certain sens, le point de vue principiel et celui des êtres manifestés.
Assurément, au point de vue purement métaphysique, on pourrait à la rigueur s’en tenir au seul aspect principiel et négliger en quelque sorte tout le reste ; mais le point de vue proprement initiatique doit au contraire partir des conditions qui sont actuellement celles des êtres manifestés, et plus précisément des individus humains comme tels, conditions dont le but même qu’il se propose est de les amener à s’affranchir ; il doit donc forcément, et c’est même là ce qui le caractérise essentiellement par rapport au point de vue métaphysique pure, prendre en considération ce qu’on peut appeler un état de fait, et relier en quelque façon celui-ci à l’ordre principiel.

Pour écarter toute équivoque sur ce point, nous dirons ceci : dans le Principe, il est évident que rien ne saurait jamais être sujet au changement ; ce n’est donc point le « Soi » qui doit être délivré, puisqu’il n’est jamais conditionné, ni soumis à aucune limitation, mais c’est le « moi » et celui-ci ne peut l’être qu’en dissipant l’illusion qui le fait paraître séparé du « Soi » ; de même, ce n’est pas le lien avec le Principe qu’il s’agit en réalité de rétablir, puisqu’il existe toujours et ne peut pas cesser d’exister (13), mais c’est, pour l’être manifesté, la conscience effective de ce lien qui doit être réalisée ; et, dans les conditions présentes de notre humanité, il n’y a pour cela aucun autre moyen possible que celui qui est fourni par l’initiation.

13 Ce lien, au fond, n’est pas autre chose que le sûtrâtmâ de la tradition hindoue, dont nous avons eu à parler dans d’autres études.

On peut dès lors comprendre que la nécessité du rattachement initiatique est, non pas une nécessité de principe, mais seulement une nécessité de fait, qui ne s’en impose pas moins rigoureusement dans l’état qui est le nôtre et que, par conséquent, nous sommes obligés de prendre pour point de départ.
D’ailleurs, pour les hommes des temps primordiaux, l’initiation aurait été inutile et même inconcevable, puisque le développement spirituel, à tous ses degrés, s’accomplissait chez eux d’une façon toute naturelle et spontanée, en raison de la proximité où ils étaient à l’égard du Principe ; mais, par suite de la « descente » qui s’est effectuée depuis lors, conformément au processus inévitable de toute manifestation cosmique, les conditions de la période cyclique où nous nous trouvons actuellement sont tout autres que celles-là, et c’est pourquoi la restauration des possibilités de l’état primordial est le premier des buts que se propose l’initiation (14).

C’est donc en tenant compte de ces conditions, telles qu’elles sont en fait, que nous devons affirmer la nécessité du rattachement initiatique, et non pas, d’une façon générale et sans aucune restriction, par rapport aux conditions de n’importe quelle époque ou, à plus forte raison encore, de n’importe quel monde.
À cet égard, nous appellerons plus spécialement l’attention sur ce que nous avons déjà dit ailleurs de la possibilité que des êtres vivants naissent d’eux-mêmes et sans parents (15) ; cette « génération spontanée » est en effet une possibilité de principe, et l’on peut fort bien concevoir un monde où il en serait effectivement ainsi ; mais pourtant ce n’est pas une possibilité de fait dans notre monde, ou du moins, plus précisément, dans l’état actuel de celui-ci ; il en est de même pour l’obtention de certains états spirituels, qui d’ailleurs est bien aussi une « naissance » (16), et cette comparaison nous paraît être à la fois la plus exacte et celle qui peut le mieux aider à faire comprendre ce dont il s’agit.

14 Sur l’initiation considérée, en ce qui concerne les « petits mystères », comme permettant d’accomplir la « remontée » du cycle par étapes successives jusqu’à l’état primordial ; cf. Aperçus sur l’Initiation, pp. 257-258.
15 Aperçus sur l’Initiation, p. 30.
16 Il est à peine besoin de rappeler à ce propos tout ce que nous avons dit ailleurs sur l’initiation considérée comme « seconde naissance » ; cette façon de l’envisager est du reste commune à toutes les formes traditionnelles sans exception.


Dans le même ordre d’idées, nous pouvons encore dire ceci : dans l’état présent de notre monde, la terre ne peut pas produire une plante d’elle-même et spontanément, et sans qu’on y ait déposé une graine qui doit nécessairement provenir d’une autre plante préexistante (17) ; il a pourtant bien fallu qu’il en ait été ainsi en un certain temps, sans quoi rien n’aurait jamais pu commencer, mais cette possibilité n’est plus de celles qui sont susceptibles de se manifester actuellement.

Dans les conditions où nous sommes en fait, on ne peut rien récolter sans avoir semé tout d’abord, et cela est tout aussi vrai spirituellement que matériellement ; or le germe qui doit être déposé dans l’être pour rendre possible son développement spirituel ultérieur, c’est précisément l’influence qui, dans un état de virtualité et d’« enveloppement » exactement comparable à celui de la graine (18), lui est communiquée par l’initiation (19).
Nous profiterons de cette occasion pour signaler aussi une méprise dont nous avons relevé quelques exemples en ces derniers temps : certains croient que le rattachement à une organisation initiatique ne constitue en quelque sorte qu’un premier pas « vers l’initiation ».

17 Signalons, sans pouvoir y insister présentement, que ceci n’est pas sans rapport avec le symbolisme du grain de blé dans les mystères d’Éleusis, non plus que, dans la Maçonnerie, avec le mot de passe du grade de Compagnon ; l’application initiatique est d’ailleurs évidemment en relation étroite avec l’idée de « postérité spirituelle ». – Il n’est peut-être pas sans intérêt de noter aussi, à ce propos, que le mot « néophyte » signifie littéralement « nouvelle plante ».
18 Ce n’est pas que l’influence spirituelle, en elle-même, puisse jamais être dans un état de potentialité, mais le néophyte la reçoit en quelque sorte d’une manière proportionnée à son propre état.
19 Nous pourrions même ajouter que, en raison de la correspondance qui existe entre l’ordre cosmique et l’ordre humain, il peut y avoir entre les deux termes de la comparaison que nous venons d’indiquer, non pas une simple similitude, mais une relation beaucoup plus étroite et plus directe, et qui est de nature à la justifier encore plus complètement ; et il est possible d’entrevoir par là que le texte biblique dans lequel l’homme déchu est représenté comme condamné à ne plus rien pouvoir obtenir de la terre sans se livrer à un pénible travail (Genèse, III, 17-19) peut fort bien répondre à une vérité même dans son sens le plus littéral.


Cela ne serait vrai qu’à la condition de bien spécifier que c’est de l’initiation effective qu’il s’agit alors ; mais ceux à qui nous faisons allusion ne font ici aucune distinction entre initiation virtuelle et initiation effective, et peut-être même n’ont-ils aucune idée d’une telle distinction, qui est pourtant de la plus grande importance et qu’on pourrait même dire tout à fait essentielle ; au surplus, il est très possible qu’ils aient été plus ou moins influencés par certaines conceptions de provenance occultiste ou théosophiste sur les « grands initiés » et autres choses de ce genre, qui sont assurément très propres à causer ou à entretenir bien des confusions.

En tout cas, ceux-là oublient manifestement qu’initiation dérive d’initium et que ce mot signifie proprement « entrée » et « commencement » : c’est l’entrée dans une voie qu’il reste à parcourir par la suite, ou encore le commencement d’une nouvelle existence au cours de laquelle seront développées des possibilités d’un autre ordre que celles auxquelles est étroitement bornée la vie de l’homme ordinaire ; et l’initiation, ainsi entendue dans son sens le plus strict et le plus précis, n’est en réalité rien d’autre que la transmission initiale de l’influence spirituelle à l’état de germe, c’est-à-dire, en d’autres termes, le rattachement initiatique lui-même.

Une autre question, qui se rapporte aussi au rattachement initiatique, a encore été soulevée en ces derniers temps ; il faut d’ailleurs dire tout d’abord, pour qu’on en comprenne exactement la portée, qu’elle concerne plus particulièrement les cas où l’initiation est obtenue en dehors des moyens ordinaires et normaux (20).

Il doit être bien entendu, avant tout, que de tels cas ne sont jamais qu’exceptionnels, et qu’ils ne se produisent que quand certaines circonstances rendent la transmission normale impossible, puisque leur raison d’être est précisément de suppléer dans une certaine mesure à cette transmission. Nous disons seulement dans une certaine mesure, parce que, d’une part, une telle chose ne peut se produire que pour des individualités possédant des qualifications qui dépassent beaucoup l’ordinaire et ayant des aspirations assez fortes pour attirer en quelque sorte à elles l’influence spirituelle qu’elles ne peuvent rechercher par leurs propres moyens, et aussi parce que, d’autre part, même pour de telles individualités, il est encore plus rare, l’aide fournie par le contact constant avec une organisation traditionnelle faisant défaut, que les résultats obtenus comme conséquence de cette initiation n’aient pas un caractère plus ou moins fragmentaire et incomplet.

20 C’est à ces cas que se rapporte la note explicative ajoutée à un passage des Pages dédiées à Mercure d’Abdul-Hâdi, n° d’août 1946, des Études Traditionnelles, pp. 318-319, et reproduite en appendice du présent volume, pp. 270-271.

On ne saurait trop insister là-dessus, et encore, malgré cela, il n’est peut-être pas entièrement sans danger de parler de cette possibilité, parce que trop de gens peuvent avoir tendance à s’illusionner à cet égard ; il suffira qu’il survienne dans leur existence un événement quelque peu extraordinaire, ou paraissant tel à leurs propres yeux, mais d’ailleurs d’un genre quelconque, pour qu’ils l’interprètent comme un signe qu’ils ont reçu cette initiation exceptionnelle ; et les Occidentaux actuels, en particulier, ne seront que trop facilement tentés de saisir le moindre prétexte de cette sorte pour se dispenser d’un rattachement régulier ; c’est pourquoi il convient d’insister tout spécialement sur ce que, tant que celui-ci n’est pas impossible à obtenir en fait, il n’y a pas a compter qu’on puisse, en dehors de lui, recevoir une initiation quelconque.

Un autre point très important est celui-ci : même en pareil cas, il s’agit bien toujours du rattachement à une « chaîne » initiatique et de la transmission d’une influence spirituelle, quels qu’en soient d’ailleurs les moyens et les modalités, qui peuvent sans doute différer grandement de ce qu’ils sont dans les cas normaux, et impliquer, par exemple, une action s’exerçant en dehors des conditions ordinaires de temps et de lieu ; mais, de toute façon, il y a nécessairement là un contact réel, ce qui n’a assurément rien de commun avec des « visions » ou des rêveries qui ne relèvent guère que de l’imagination (21).
Dans certains exemples connus, comme celui de Jacob Boehme auquel nous avons déjà fait allusion ailleurs (22), ce contact fut établi par la rencontre d’un personnage mystérieux qui ne reparut plus par la suite ; quel qu’ait pu être celui-ci (23), il s’agit donc là d’un fait parfaitement « positif », et non pas simplement d’un « signe » plus ou moins vague et équivoque, que chacun peut interpréter au gré de ses désirs.

21 Nous rappellerons encore que, dès lors qu’il s’agit de questions d’ordre initiatique, on ne saurait trop se défier de l’imagination ; tout ce qui n’est qu’illusions « psychologiques » ou « subjectives » est absolument sans aucune valeur à cet égard et ne doit y intervenir en aucune façon ni à aucun degré.
22 Aperçus sur l’Initiation, p. 70.
23 Il peut s’agir, bien qu’il n’en soit certes pas forcément toujours ainsi, de l’apparence prise par un « adepte » agissant, comme nous le disions tout à l’heure, en dehors des conditions ordinaires de temps et de lieu, ainsi que pourront aider à le comprendre les quelques considérations que nous avons exposées, sur certaines possibilités de cet ordre, dans les Aperçus sur l’Initiation, ch. XLII.


Seulement, il est bien entendu que l’individu qui a été initié par un tel moyen peut n’avoir pas clairement conscience de la véritable nature de ce qu’il a reçu et de ce à quoi il a été ainsi rattaché, et à plus forte raison être tout à fait incapable de s’expliquer à ce sujet, faute d’une « instruction » lui permettant d’avoir sur tout cela des notions tant soit peu précises ; il peut même se faire qu’il n’ait jamais entendu parler d’initiation, la chose et le mot lui-même étant entièrement inconnus dans le milieu où il vit ; mais cela importe peu au fond et n’affecte évidemment en rien la réalité même de cette initiation, bien qu’on puisse encore se rendre compte par là qu’elle n’est pas sans présenter certains désavantages inévitables par rapport à l’initiation normale (24).

Cela dit, nous pouvons en venir à la question à laquelle nous avons fait allusion, car ces quelques remarques nous permettront d’y répondre plus facilement ; cette question est celle-ci : certains livres dont le contenu est d’ordre initiatique ne peuvent-ils, pour des individualités particulièrement qualifiées et les étudiant avec les dispositions voulues, servir par eux-mêmes de véhicule à la transmission d’une influence spirituelle, de telle sorte que, en pareil cas, leur lecture suffirait, sans qu’il y ait besoin d’aucun contact direct avec une « chaîne » traditionnelle, pour conférer une initiation du genre de celles dont nous venons de parler ?

L’impossibilité d’une initiation par les livres est pourtant encore un point sur lequel nous pensions nous être suffisamment expliqué en diverses occasions, et nous devons avouer que nous n’avions pas prévu que la lecture de livres quels qu’ils soient pourrait être envisagée comme constituant un de ces moyens exceptionnels qui remplacent parfois les moyens ordinaires de l’initiation.

24 Ces désavantages ont, entre autres conséquences, celle de donner souvent à l’initié, et surtout en ce qui concerne la façon dont il s’exprime, une certaine ressemblance extérieure avec les mystiques, qui peut même le faire prendre pour tel par ceux qui ne vont pas au fond des choses, ainsi que cela est arrivé précisément pour Jacob Boehme.

D’ailleurs, même en dehors du cas particulier et plus précis où il s’agit proprement de la transmission d’une influence initiatique, il y a là quelque chose qui serait nettement contraire au fait qu’une transmission orale est partout et toujours considérée comme une condition nécessaire du véritable enseignement traditionnel, si bien que la mise par écrit de cet enseignement ne peut jamais en dispenser (25), et cela parce que sa transmission, pour être réellement valable, implique la communication d’un élément en quelque sorte « vital » auquel les livres ne sauraient servir de véhicule (26).
Mais ce qui est peut-être le plus étonnant, c’est que la question a été posée en connexion avec un passage dans lequel, à propos de l’étude « livresque », nous avions cru justement nous expliquer assez nettement pour éviter toute méprise, en signalant précisément, comme susceptible d’y donner lieu, le cas où il s’agit de « livres dont le contenu est d’ordre initiatique » (27) ; il semble donc qu’il ne sera pas inutile d’y revenir encore et de développer un peu plus complètement ce que nous avions voulu dire.

Il est évident qu’il y a bien des façons différentes de lire un même livre, et que les résultats en sont également différents : si l’on suppose par exemple qu’il s’agit des Écritures sacrées d’une tradition, le profane au sens le plus complet de ce mot, tel que le « critique » moderne, n’y verra que « littérature », et tout ce qu’il pourra en retirer ne sera que cette sorte de connaissance toute verbale qui constitue l’érudition pure et simple, sans qu’il s’y ajoute la moindre compréhension réelle, fût-ce du sens le plus extérieur, puisqu’il ne sait pas et ne se demande même pas si ce qu’il lit est l’expression d’une vérité ; et c’est là le genre de savoir qu’on peut qualifier de « livresque » dans l’acception la plus rigoureuse de ce mot.

25 Le contenu même d’un livre, en tant qu’ensemble de mots et de phrases exprimant certaines idées, n’est donc pas la seule chose qui importe réellement au point de vue traditionnel.
26 On pourrait objecter que, d’après quelques récits se référant surtout à la tradition rosicrucienne, certains livres auraient été chargés d’influences par leurs auteurs eux-mêmes, ce qui est en effet possible pour un livre aussi bien que pour tout autre objet quelconque ; mais, même en admettant la réalité de ce fait, il ne pourrait en tout cas s’agir que d’exemplaires déterminés et ayant été préparés spécialement à cet effet, et, en outre, chacun de ces exemplaires devait être exclusivement destiné à tel disciple à qui il était remis directement, non pas pour tenir lieu d’une initiation que ce disciple avait déjà reçue, mais uniquement pour lui fournir une aide plus efficace lorsque, au cours de son travail personnel, il se servirait du contenu de ce livre comme d’un support de méditation.
27 Aperçus sur l’Initiation, pp. 224-225.


Celui qui est rattaché à la tradition considérée, même s’il n’en connaît que le côté exotérique, verra déjà tout autre chose dans ces Écritures, bien que sa compréhension soit encore bornée au seul sens littéral, et ce qu’il y trouvera aura pour lui une valeur incomparablement plus grande que celle de l’érudition ; il en serait ainsi même au degré le plus bas, nous voulons dire dans le cas de celui qui, par incapacité de comprendre les vérités doctrinales, y chercherait simplement une règle de conduite, ce qui lui permettrait tout au moins de participer à la tradition dans la mesure de ses possibilités.

Le cas de celui qui vise à s’assimiler aussi complètement que possible l’exotérisme de la doctrine, comme le fait par exemple le théologien, se situe à un niveau assurément très supérieur à celui-là ; et pourtant ce n’est toujours que du sens littéral qu’il s’agit alors, et l’existence d’autres sens plus profonds, c’est-à-dire en somme celles de l’ésotérisme, peut n’être même pas soupçonnée.
Au contraire, celui qui a quelque connaissance théorique de l’ésotérisme pourra à l’aide de certains commentaires ou autrement, commencer à percevoir la pluralité des sens contenus dans les textes sacrés, et, par suite, à discerner l’« esprit » caché sous la « lettre » ; sa compréhension est donc d’un ordre bien plus profond et plus élevé que celle à laquelle peut prétendre le plus savant et le plus parfait des exotéristes. L’étude de ces textes pourra alors constituer une partie importante de la préparation doctrinale qui doit normalement précéder toute réalisation ; mais cependant, si celui qui s’y livre ne reçoit par ailleurs aucune initiation, il en restera toujours, quelques dispositions qu’il y apporte, à une connaissance exclusivement théorique, qu’une telle étude, par elle-même, ne permet de dépasser en aucune façon.

Si, au lieu des Écritures sacrées, nous considérions certains écrits d’un caractère proprement initiatique, comme par exemple ceux de Shankarâchârya ou ceux de Mohyiddin ibn Arabi, nous pourrions, sauf sur un point, dire à peu près exactement la même chose : ainsi, tout le profit qu’un orientaliste pourra retirer de leur lecture sera de savoir que tel auteur (et qui pour lui n’est en effet qu’un « auteur » et rien de plus) a dit telle ou telle chose ; et encore, s’il veut traduire cette chose au lieu de se contenter de la répéter textuellement et par un simple effort de mémoire, il y aura les plus grandes chances pour qu’il la déforme, puisqu’il ne s’en est assimilé le sens réel à aucun degré.

La seule différence avec ce que nous avons dit précédemment, c’est qu’ici il n’y a plus lieu de considérer le cas de l’exotériste, puisque ces écrits se rapportent au seul domaine ésotérique et, comme tels, sont entièrement en dehors de sa compétence ; s’il pouvait vraiment les comprendre, il aurait déjà franchi par là même la limite qui sépare l’exotérisme de l’ésotérisme, et alors, en fait, nous nous retrouverions en présence du cas de l’ésotériste « théorique », pour lequel nous ne pourrions que redire, sans y rien changer, tout ce que nous en avons déjà dit.

Il ne nous reste plus maintenant qu’à envisager une dernière différence, mais qui n’est pas la moins importante au point de vue où nous nous plaçons présentement : nous voulons parler de celle qui existe suivant qu’un même livre est lu par cet ésotériste « théorique » dont il vient d’être question, et que nous supposons n’avoir reçu encore aucune initiation, ou par celui qui au contraire possède déjà un rattachement initiatique.

Celui-ci y verra naturellement des choses du même ordre que celui-là, mais peut-être plus complètement, et surtout elles lui apparaîtront en quelque sorte sous un jour différent ; il va de soi, d’ailleurs, que, tant qu’il n’en est qu’à l’initiation virtuelle, il peut ne faire que poursuivre simplement, à un degré plus profond, une préparation doctrinale demeurée incomplète jusque-là ; mais il en va tout autrement dès qu’il entre dans la voie de la réalisation.
Pour lui, le contenu du livre n’est plus alors proprement qu’un support de méditation, au sens qu’on pourrait dire rituel, et exactement au même titre que les symboles de divers ordres qu’il emploie pour aider et soutenir son travail intérieur ; et il serait assurément incompréhensible que des écrits traditionnels, qui sont nécessairement, par leur nature même, symboliques dans l’acception la plus stricte de ce terme, ne puissent jouer aussi un tel rôle.

Au-delà de la « lettre » qui alors a en quelque sorte disparu pour lui, celui-là ne verra véritablement plus que l’« esprit », et ainsi pourront s’ouvrir à lui, aussi bien que lorsqu’il médite en se concentrant sur un mantra ou un yantra rituel, des possibilités tout autres que celles d’une simple compréhension théorique ; mais, s’il en est ainsi, c’est uniquement, redisons-le encore, en vertu de l’initiation qu’il a reçue, et qui constitue la condition nécessaire sans laquelle, quelles que soient d’ailleurs les qualifications d’une individualité, il ne saurait y avoir le moindre commencement de réalisation, ce qui en somme revient tout simplement à dire que toute initiation effective présuppose forcément l’initiation virtuelle.

Nous ajouterons encore que, s’il arrive que celui qui médite sur un écrit d’ordre initiatique entre réellement en contact par là avec une influence émanée de son auteur, ce qui est en effet possible si cet écrit procède de la forme traditionnelle et surtout de la « chaîne » particulière auxquelles il appartient lui-même, cela encore, bien loin de pouvoir tenir lieu d’un rattachement initiatique, ne peut jamais être au contraire qu’une conséquence de celui qu’il possède déjà. Ainsi, de quelque façon qu’on envisage la question, il ne saurait absolument en aucun cas s’agir d’une initiation par les livres, mais seulement, dans certaines conditions, d’un usage initiatique de ceux-ci, ce qui est évidemment tout autre chose ; nous espérons y avoir insisté suffisamment cette fois pour qu’il ne subsiste plus la moindre équivoque à cet égard, et pour qu’on ne puisse plus penser qu’il y ait là quelque chose qui soit susceptible, fût-ce exceptionnellement, de dispenser de la nécessité du rattachement initiatique.


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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Chapitre VI : Influences spirituelles et égrégores

Message par Ligeia Mer 3 Juin - 12:57

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Chapitre VI : Influences spirituelles et « égrégores »

Études Traditionnelles, avril-mai 1947. Repris dans le recueil posthume Initiation et Réalisation spirituelle, chapitre VI.



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Nous avons été quelque peu surpris de lire récemment, dans une note consacrée à nos Aperçus sur l’Initiation, la phrase suivante, présentée de telle façon qu’on pourrait croire qu’elle résume en quelque sorte ce que nous avons dit nous-mêmes dans ce livre :

  • « L’initiation, certes, ne dispense ni de la méditation ni de l’étude, mais elle place l’adepte sur un plan particulier ; elle le met en contact avec l’égrégore d’une organisation initiatique, émané lui-même de l’égrégore suprême d’une initiation universelle, une et multiforme »

.

Nous n’insisterons pas sur l’emploi abusif qui est fait ici du mot « adepte », bien que, après que nous l’avons dénoncé expressément en expliquant la véritable signification de ce mot, il soit permis de s’en étonner ; de l’initiation proprement dite à l’adeptat, majeur ou même mineur, la voie est longue…

Mais ce qui importe le plus, c’est ceci : comme, dans la note dont il s’agit, il n’est pas fait par ailleurs la moindre allusion au rôle des influences spirituelles, il paraît y avoir là une assez grave méprise, que d’autres peuvent du reste avoir commise également, malgré tout le soin que nous avons mis à exposer les choses aussi clairement que possible, car il semble décidément qu’il soit souvent bien difficile de se faire comprendre exactement. Nous pensons donc qu’une mise au point ne sera pas inutile ; ces précisions feront d’ailleurs suite assez naturellement à celles que nous avons données, dans nos derniers articles, en réponse aux diverses questions qui nous ont été posées au sujet du rattachement initiatique.

Tout d’abord, nous devons faire remarquer que nous n’avons jamais employé le mot « égrégore » pour désigner ce qu’on peut appeler proprement une « entité collective » ; et la raison en est que, dans cette acception, c’est là un terme qui n’a rien de traditionnel et qui ne représente qu’une des nombreuses fantaisies du moderne langage occultiste.

Le premier qui l’ait employé ainsi est Éliphas Lévi, et, si nos souvenirs sont exacts, c’est même lui qui, pour justifier ce sens, en a donné une étymologie latine invraisemblable, le faisant dériver de grex, « troupeau », alors que ce mot est purement grec et n’a jamais signifié en réalité autre chose que « veilleur ». On sait d’ailleurs que ce terme se trouve dans le Livre d’Hénoch, où il désigne des entités d’un caractère assez énigmatique, mais qui, en tout cas, semblent bien appartenir au « monde intermédiaire » ; c’est là tout ce qu’elles ont de commun avec les entités collectives auxquelles on a prétendu appliquer le même nom. Celles-ci, en effet, sont d’ordre essentiellement psychique, et c’est d’ailleurs là surtout ce qui fait la gravité de la méprise que nous signalons, car, à cet égard, la phrase que nous avons relevée nous apparaît en somme comme un nouvel exemple de la confusion du psychique et du spirituel.

En fait, nous avons parlé de ces entités collectives, et nous pensions avoir précisé suffisamment leur rôle lorsque, à propos des organisations traditionnelles, religieuses ou autres, qui appartiennent au domaine qui peut être dit exotérique, au sens le plus étendu de ce mot, pour le distinguer du domaine initiatique, nous écrivions ceci : « On peut regarder chaque collectivité comme disposant d’une force d’ordre subtil constituée en quelque façon par les apports de tous ses membres passés et présents, et qui, par conséquent, est d’autant plus considérable et susceptible de produire des effets d’autant plus intenses que la collectivité est plus ancienne et se compose d’un plus grand nombre de membres ; il est d’ailleurs évident que cette considération « quantitative » implique essentiellement qu’il s’agit du domaine individuel, au-delà duquel elle ne saurait plus aucunement intervenir » (1).

Nous rappellerons du reste, à ce propos, que le collectif, dans tout ce qui le constitue, psychiquement aussi bien que corporellement, n’est pas autre chose qu’une simple extension de l’individuel, et que, par conséquent, il n’a absolument rien de transcendant par rapport à celui-ci, contrairement aux influences spirituelles qui sont d’un tout autre ordre ; il ne faut pas, dirons-nous en reprenant les termes habituels du symbolisme géométrique, confondre le sens horizontal avec le sens vertical. Ceci nous amène à répondre incidemment à une autre question qui nous a encore été posée, et qui n’est pas sans rapport avec ce que nous envisageons présentement : ce serait une erreur de considérer comme un état supra-individuel celui qui résulterait de l’identification avec une entité psychique collective quelle qu’elle soit, aussi bien d’ailleurs qu’avec toute autre entité psychique ; la participation à une telle entité collective, à un degré quelconque, peut bien être regardée, si l’on veut, comme constituant une sorte d’« élargissement » de l’individualité, mais rien de plus.
Aussi est-ce uniquement pour obtenir certains avantages d’ordre individuel que les membres d’une collectivité peuvent utiliser la force subtile dont celle-ci dispose, en se conformant aux règles établies à cet effet par la collectivité dont il s’agit ; et, même si, pour l’obtention de ces avantages, il y a en outre intervention d’une influence spirituelle, comme il arrive notamment dans un cas tel que celui des collectivités religieuses, cette influence spirituelle, n’agissant pas alors dans son domaine propre qui est d’ordre supra-individuel, doit être considérée, ainsi que nous l’avons déjà dit également, comme « descendant » dans le domaine individuel et y exerçant son action par le moyen de la force collective dans laquelle elle prend son point d’appui. C’est pourquoi la prière, consciemment ou non, s’adresse de la façon la plus immédiate à l’entité collective, et c’est seulement par l’intermédiaire de celle-ci qu’elle s’adresse aussi à l’influence spirituelle qui agit à travers elle ; les conditions mises à son efficacité par l’organisation religieuse ne sauraient d’ailleurs s’expliquer autrement.

Le cas est tout différent en ce qui concerne les organisations initiatiques, par là même que celles-ci, et celles-ci seules, ont pour but essentiel d’aller au-delà du domaine individuel, et que même ce qui s’y rapporte plus directement à un développement de l’individualité ne constitue en définitive qu’un stade préliminaire pour arriver finalement à dépasser les limitations de celle-ci. Il va de soi que ces organisations comportent aussi, comme toutes les autres, un élément psychique qui peut jouer un rôle effectif à certains égards, par exemple pour établir une « défense » vis-à-vis du monde extérieur et pour protéger les membres d’une telle organisation contre certains dangers venant de celui-ci, car il est évident que ce n’est pas par des moyens d’ordre spirituel que de semblables résultats peuvent être obtenus, mais seulement par des moyens qui sont en quelque sorte au même niveau que ceux dont peut disposer ce monde extérieur ; mais c’est là quelque chose de très secondaire et de purement contingent, qui n’a rien à voir avec l’initiation elle-même.
Celle-ci est entièrement indépendante de l’action d’une force psychique quelconque, puisqu’elle consiste proprement et essentiellement dans la transmission directe d’une influence spirituelle, qui doit produire, d’une manière immédiate ou différée, des effets relevant également de l’ordre spirituel même, et non plus d’un ordre inférieur comme dans le cas dont nous avons parlé précédemment, de sorte que ce n’est plus par l’intermédiaire d’un élément psychique qu’elle doit agir ici.
Aussi n’est-ce pas en tant que simple collectivité qu’il faut envisager une organisation initiatique comme telle, car ce n’est nullement là que se trouve ce qui lui permet de remplir la fonction qui est toute sa raison d’être : la collectivité, n’étant en somme qu’une réunion d’individus, ne peut, par elle-même, rien produire qui soit d’ordre supra-individuel, le supérieur ne pouvant en aucun cas procéder de l’inférieur ; si le rattachement à une organisation initiatique peut avoir des effets de cet ordre, c’est donc uniquement en tant qu’elle est dépositaire de quelque chose qui est lui-même supra-individuel et transcendant par rapport à la collectivité, c’est-à-dire d’une influence spirituelle dont elle doit assurer la conservation et la transmission sans aucune discontinuité.

Le rattachement initiatique ne doit donc pas être conçu comme le rattachement à un « égrégore » ou à une entité psychique collective, car ce n’en est là en tout cas qu’un aspect tout à fait accidentel, et par lequel les organisations initiatiques ne diffèrent en rien des organisations exotériques ; ce qui constitue essentiellement la « chaîne », c’est, redisons-le encore, la transmission ininterrompue de l’influence spirituelle à travers les générations successives (2). De même, le lien entre les différentes formes initiatiques n’est pas une simple filiation d’« égrégores », comme pourrait le faire croire la phrase qui a été le point de départ de ces réflexions ; il résulte en réalité de la présence, dans toutes ces formes, d’une même influence spirituelle, une quant à son essence et quant aux fins en vue desquelles elle agit, sinon quant aux modalités plus ou moins spéciales suivant lesquelles s’exerce son action ; et c’est par là seulement que s’établit, de proche en proche et à des degrés divers, une communication, effective ou virtuelle suivant les cas, avec le centre spirituel suprême.

À ces considérations, nous ajouterons une autre remarque qui a aussi son importance au même point de vue : c’est que, quand une organisation initiatique se trouve dans un état de dégénérescence plus ou moins accentué, bien que l’influence spirituelle y soit toujours présente, son action est nécessairement amoindrie, et alors, par contre, les influences psychiques peuvent agir d’une façon plus apparente et parfois presque indépendante. Le cas extrême à cet égard est celui où, une forme initiatique ayant cessé d’exister comme telle et l’influence spirituelle s’étant entièrement retirée par là même, les influences psychiques subsistent seules à l’état de « résidus » nocifs et même particulièrement dangereux, ainsi que nous l’avons expliqué ailleurs (3). Il est bien entendu que, tant que l’initiation existe réellement, fût-elle réduite à ne pouvoir plus être que purement virtuelle, les choses ne sauraient aller jusque-là ; mais il n’en est pas moins vrai qu’une plus ou moins grande prépondérance prise par les influences psychiques dans une forme initiatique constitue un signe défavorable quant à l’état actuel de celle-ci, et cela montre encore combien ceux qui voudraient rapporter l’initiation elle-même à des influences de cet ordre sont loin de la vérité.

(1) Aperçus sur l’Initiation, ch. XXIV.
(2) En disant ici « générations », nous ne prenons pas seulement ce mot dans son sens extérieur et en quelque sorte « matériel », mais nous entendons surtout faire allusion par là au caractère de « seconde naissance » qui est inhérent à l’initiation.
(3) Le Règne de la quantité et les signes des Temps, ch. XXVII.



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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Chapitre VII : Nécessité de l'exotérisme traditionnel

Message par Ligeia Ven 5 Juin - 11:23

Les différentes traditions religieuses ont été révélées pour communiquer des influences spirituelles (par l'observation des rites notamment) au plus grand nombre, pour assurer le salut et adorer Dieu.
Mais l'ésotérisme traditionnel ne s'adresse qu'à des personnes qualifiées ayant en elles des possibilités que seule une initiation régulière pourra éventuellement transformer en réalisation effective.


  • " ... c’est pourquoi Dieu a dit : « Je suis dans l’opinion que mon serviteur a de Moi », c’est-à-dire : « Je ne me manifeste pas à lui, si ce n’est dans « la forme de sa croyance ». Dieu est absolu ou non limité, autant qu’il Lui plaît de l’être ; mais le Dieu de la croyance religieuse est soumis à des limitations, car Il est le Dieu qui est contenu dans le cœur de Son serviteur »."

Coomaraswamy, « Shri Râmakrishna et la tolérance religieuse »


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Nécessité de l'exotérisme traditionnel


Beaucoup semblent douter de la nécessité, pour qui aspire à l’initiation, de se rattacher tout d’abord à une forme traditionnelle d’ordre exotérique et d’en observer toutes les prescriptions ; c’est d’ailleurs là l’indice d’un état d’esprit qui est propre à l’Occident moderne, et dont les raisons sont sans doute multiples.
Nous n’entreprendrons pas de rechercher quelle part de responsabilité peuvent y avoir les représentants mêmes de l’exotérisme religieux, que leur exclusivisme porte trop souvent à nier plus ou moins expressément tout ce qui dépasse leur domaine ; ce côté de la question n’est pas celui qui nous intéresse ici ; mais ce qui est plus étonnant, c’est que ceux qui se considèrent comme qualifiés pour l’initiation puissent faire preuve d’une incompréhension qui, au fond, est comparable à la leur, quoique s’appliquant d’une façon en quelque sorte inverse.
En effet, il est admissible qu’un exotériste ignore l’ésotérisme, bien qu’assurément cette ignorance n’en justifie pas la négation ; mais, par contre, il ne l’est pas que quiconque a des prétentions à l’ésotérisme veuille ignorer l’exotérisme, ne fût-ce que pratiquement, car le « plus » doit forcément comprendre le « moins ».

Du reste, cette ignorance pratique elle-même, qui consiste à regarder comme inutile ou superflue la participation à une tradition exotérique, ne serait pas possible sans une méconnaissance même théorique de cet aspect de la tradition, et c’est là ce qui la rend encore plus grave, car on peut se demander si quelqu’un chez qui existe une telle méconnaissance, quelles que soient d’ailleurs ses possibilités, est bien réellement prêt à aborder le domaine ésotérique et initiatique, et s’il ne devrait pas plutôt s’appliquer à mieux comprendre la valeur et la portée de l’exotérisme avant de chercher à aller plus loin.

En fait, il y a là manifestement la conséquence d’un affaiblissement de l’esprit traditionnel entendu dans son sens général, et il devrait être évident que c’est cet esprit qu’il faut avant tout restaurer intégralement en soi-même si l’on veut ensuite pénétrer le sens profond de la tradition ; la méconnaissance dont il s’agit est, au fond, du même ordre que celle de l’efficacité propre des rites, si répandue aussi actuellement dans le monde occidental.

Nous voulons bien admettre que l’ambiance profane dans laquelle vivent certains leur rende plus difficile la compréhension de ces choses ; mais c’est précisément contre l’influence de cette ambiance qu’il leur faut réagir sous tous les rapports, jusqu’à ce qu’ils soient parvenus à se rendre compte de l’illégitimité du point de vue profane lui-même ; nous reviendrons là-dessus tout à l’heure.
Nous avons dit que l’état d’esprit que nous dénonçons ici est propre à l’Occident ; en effet, il ne peut pas exister en Orient, d’abord à cause de la persistance de l’esprit traditionnel dont le milieu social tout entier est encore pénétré (31), et aussi pour une autre raison : là où l’exotérisme et l’ésotérisme sont liés directement dans la constitution d’une forme traditionnelle (32), de façon à n’être en quelque sorte que comme les deux faces extérieure et intérieure d’une seule et même chose, il est immédiatement compréhensible pour chacun qu’il faut d’abord adhérer à l’extérieur pour pouvoir ensuite pénétrer à l’intérieur (33) et qu’il ne saurait y avoir d’autre voie que celle-là. Cela peut paraître moins évident dans le cas où, comme il arrive justement dans l’Occident actuel, on se trouve en présence d’organisations initiatiques n’ayant pas de lien avec l’ensemble d’une forme traditionnelle déterminée ; mais alors nous pouvons dire que, par là même, elles sont, en principe tout au moins, compatibles avec tout exotérisme quel qu’il soit, mais que, au point de vue strictement initiatique qui seul nous concerne présentement à l’exclusion de la considération des circonstances contingentes, elles ne le sont pas véritablement avec l’absence d’exotérisme traditionnel.

31 Nous parlons ici de ce milieu pris dans son ensemble, et, par conséquent, nous n’avons pas à tenir compte à cet égard des éléments « modernisés », c’est-à-dire en somme « occidentalisés », qui, si bruyants qu’ils puissent être, ne constituent encore malgré tout qu’une assez faible minorité.
32 Nous prenons, pour la facilité de l’expression, ces deux termes d’exotérisme et d’ésotérisme dans leur acception la plus large, ce qui ne peut avoir ici aucun inconvénient, car il va de soi que, même dans une forme traditionnelle où une telle division n’est pas formellement établie, il y a nécessairement toujours quelque chose qui correspond à l’un et l’autre de ces deux points devue ; dans ce cas, le lien qui existe entre eux est d’ailleurs encore plus évident.
33 On peut dire aussi, suivant un symbolisme assez fréquemment usité, que le « noyau » ne peut pas être atteint autrement qu’à travers l’« écorce ».


Nous dirons d’abord pour exprimer les choses de la façon la plus simple, qu’on ne bâtit pas sur le vide ; or l’existence uniquement profane, dont tout élément traditionnel est exclu, n’est bien réellement à cet égard que vide et néant. Si l’on veut construire un édifice, on doit tout d’abord en établir les fondations ; celles-ci sont la base indispensable sur laquelle s’appuiera tout l’édifice, y compris ses parties les plus élevées et elles le demeureront toujours, même quand il sera achevé.

De même, l’adhésion à un exotérisme est une condition préalable pour parvenir à l’ésotérisme, et, en outre, il ne faudrait pas croire que cet exotérisme puisse être rejeté dès lors que l’initiation a été obtenue, pas plus que les fondations ne peuvent être supprimées lorsque l’édifice est construit. Nous ajouterons que, en réalité, l’exotérisme, bien loin d’être rejeté, doit être « transformé » dans une mesure correspondant au degré atteint par l’initié, puisque celui-ci devient de plus en plus apte à en comprendre les raisons profondes, et que, par suite, ses formules doctrinales et ses rites prennent pour lui une signification beaucoup plus réellement importante que celle qu’elles peuvent avoir pour le simple exotériste, qui en somme est toujours réduit, par définition même, à n’en voir que l’apparence extérieure, c’est-à-dire ce qui compte le moins quant à la « vérité » de la tradition envisagée dans son intégralité.

Ensuite, et ceci nous ramène à une considération à laquelle nous avons déjà fait allusion plus haut, celui qui ne participe à aucun exotérisme traditionnel fait par là même, dans son existence, la part la plus large qui se puisse concevoir au point de vue purement profane, auquel il conformera forcément, dans ces conditions, toute son activité extérieure. C’est là, à un autre niveau et avec des conséquences encore plus étendues, la même erreur que celle que commettent la majorité de ceux des Occidentaux actuels qui se croient encore « religieux », et qui font de la religion une chose entièrement à part, n’ayant avec tout le reste de leur vie aucun contact réel ; une telle erreur est d’ailleurs encore moins excusable pour qui veut se placer au point de vue initiatique que pour qui s’en tient au point de vue exotérique, et, dans tous les cas, on voit sans peine combien cela est loin de répondre à une conception intégralement traditionnelle.
Au fond, tout cela revient à admettre que, en dehors ou à côté du domaine traditionnel, il y a un domaine profane dont l’existence est également valable dans son ordre ; or, comme nous l’avons déjà dit souvent, il n’y a pas en réalité de domaine profane auquel certaines choses appartiendraient par leur nature même ; il y a seulement un point de vue profane, qui n’est que le produit d’une dégénérescence spirituelle de l’humanité, et qui, par conséquent, est entièrement illégitime. En principe, on ne devrait donc faire aucune concession à ce point de vue ; en fait, cela est assurément bien difficile dans le milieu occidental actuel, peut-être même impossible dans certains cas et jusqu’à un certain point, car sauf de trop rares exceptions, chacun s’y trouve obligé, par la seule nécessité des relations sociales, de se soumettre plus ou moins, et tout au moins en apparence, aux conditions de la « vie ordinaire » qui précisément n’est rien d’autre que l’application pratique de ce point de vue profane ; mais, même si de telles concessions sont indispensables pour vivre dans ce milieu, encore faudrait-il qu’elles soient réduites au strict minimum par tous ceux qui la tradition a encore un sens, tandis qu’elles sont au contraire poussées à l’extrême par ceux qui prétendent se passer de tout exotérisme, même si telle n’est pas leur intention et s’ils ne font en cela que subir plus ou moins inconsciemment l’influence du milieu.

De semblables dispositions sont certainement aussi peu favorables que possible à l’initiation, qui relève d’un domaine où normalement les influences extérieures ne devraient pénétrer en aucune façon ; si cependant, par suite des anomalies inhérentes aux conditions de notre époque, ceux qui ont cette attitude peuvent malgré cela recevoir une initiation virtuelle, nous doutons fort que, tant qu’ils y persisteront volontairement, il leur soit possible d’aller plus loin et de passer à l’initiation effective.


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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Chapitre VIII : Salut et Délivrance

Message par Ligeia Mer 10 Juin - 13:21

Toutes les expériences "phénomèniques" et autres illusions ne mèneront jamais à la Délivrance qui ne peut être envisageable que dans le cadre d'une organisation traditionnelle. Il s’agit encore et toujours de bien distinguer ce qui relève du psychisme, du mysticisme, ou véritablement de la connaissance par l’initiation.

Les états psychiques n’ont rien de « supérieur » et restent de l’ordre individuel : la voie mystique aussi légitime soit-elle à son niveau, ne peut pas conduire aux états supra-individuels et ne pourra mener dans le meilleur des cas (ce qui est non négligeable) qu’au salut. C’est une voie exclusivement occidentale et même spécifiquement chrétienne. Elle concerne le domaine religieux, c’est-à-dire l’exotérisme.


  • "Toute religion se propose uniquement d’assurer le « salut » de ses adhérents, ce qui est une finalité relevant encore de l’ordre individuel, et, par définition en quelque sorte, son point de vue ne s’étend pas au delà ; les mystiques eux-mêmes n’envisagent toujours que le « salut » et jamais la « Délivrance », tandis que celle-ci est, au contraire, le but dernier et suprême de toute initiation."


C’est ce type d’incompréhension qui peut aboutir à une déviation réelle par inversion des rapports légitimes.
Car en s’illusionnant de la sorte, l’être favorisera la prise de contact non pas avec le supérieur et les influences spirituelles « mais tout simplement avec la "lumière astrale", nous dirions plutôt avec le monde des "influences errantes", c’est-à-dire en somme avec la partie la plus inférieure du domaine subtil (...). Au lieu de s’appliquer à quelque chose d’ordre purement intellectuel et à l’acquisition d’une connaissance supérieure, comme il le devrait normalement s’il était pris en un sens initiatique légitime, il ne se rapporte qu’à des phénomènes de "clairvoyance" ou à d’autres "pouvoirs" de même catégorie, fort peu intéressants en eux-mêmes, et d’ailleurs surtout négatifs dans ce cas, car il paraît qu’ils servent finalement à rendre celui qui en est affligé accessible aux suggestions émanant de prétendus « Maîtres » inconnus, lesquels, en l’occurrence, ne sont que de sinistres "magiciens noirs". »


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Chapitre VIII : Salut et Délivrance

Nous avons constaté récemment, non sans quelque étonnement, que certains de nos lecteurs éprouvent encore quelque difficulté à bien comprendre la différence essentielle qui existe entre le salut et la Délivrance ; nous nous sommes pourtant expliqué déjà bien des fois sur cette question, qui du reste ne devrait en somme présenter aucune obscurité pour quiconque possède la notion des états multiples de l’être et, avant tout, celle de distinction fondamentale du « moi » et du « Soi » (1).

Il nous faut donc y revenir pour dissiper définitivement toute méprise possible et ne laisser place à aucune objection.

(1) Une autre constatation qui, à vrai dire, est beaucoup moins surprenante pour nous, c’est celle de l’incompréhension obstinée des orientalistes à cet égard comme à tant d’autres ; nous en avons vu en ces derniers temps un exemple assez curieux : dans un compte rendu de L’Homme et son devenir selon le Védânta, l’un d’eux, relevant avec une mauvaise humeur non dissimulée les critiques que nous avons formulées à l’adresse de ses confrères, mentionne comme une chose particulièrement choquante ce que nous avons dit de la confusion constamment commise entre le « salut et la Délivrance », et il paraît indigné que nous ayons reproché à tel indianiste d’avoir « traduit Moksha par salut d’un bout à l’autre de ses ouvrages, sans paraître même se douter de la simple possibilité d’une inexactitude dans cette assimilation » ; évidemment, il est tout à fait inconcevable pour lui que Moksha puisse être autre chose que le salut !
A part cela, ce qui est vraiment amusant, c’est que l’auteur de ce compte rendu « déplore » que nous n’ayons pas adopté la transcription orientaliste, alors que nous en avons indiqué expressément les raisons, et aussi que nous n’ayons pas donné une bibliographie d’ouvrages, orientalistes, comme si ceux-ci devaient être des « autorités » pour nous, et comme si, au point de vue où nous nous plaçons, nous n’avions pas le droit de les ignorer purement et simplement ; de telles remarques donnent la juste mesure de la compréhension de certaines gens.


Dans les conditions présentes de l’humanité terrestre, il est évident que la très grande majorité des hommes ne sont en aucune façon capables de dépasser les limites de la condition individuelle, soit pendant le cours de leur vie, soit en sortant de ce monde par la mort corporelle, qui en elle-même ne saurait rien changer au niveau spirituel où il se trouve au moment où elle survient (1). Dès lors qu’il en est ainsi, l’exotérisme entendu dans son acception la plus large, c’est-à-dire la partie de la tradition qui s’adresse indistinctement à tous, ne peut leur proposer qu’une finalité d’ordre purement individuel, puisque toute autre serait entièrement inaccessible pour la plupart des adhérents de cette tradition, et c’est précisément cette finalité qui constitue le salut. Il va de soi qu’il y a bien loin de là, la réalisation effective d’un état supra individuel, bien qu’encore conditionné, sans même parler de la Délivrance, qui, étant l’obtention de l’état suprême et inconditionné, n’a véritablement plus aucune commune mesure avec un état conditionné quel qu’il soit (2).

(1) Bien des gens paraissent s’imaginer que le seul fait de la mort peut suffire à donner à un homme des qualités intellectuelles ou spirituelles qu’il ne possédait aucunement de son vivant ; c’est là une étrange illusion et nous ne voyons même pas quelles raisons on pourrait invoquer pour lui donner la moindre apparence de justification.
(2) Nous préciserons incidemment que, si nous avons pris l’habitude d’écrire « salut » avec une minuscule et « Délivrance » avec une majuscule, c’est tout comme lorsque nous écrivons « moi » et « Soi », pour marquer nettement que l’un est d’ordre individuel et l’autre d’ordre transcendant ; cette remarque a pour but d’éviter qu’on ne veuille nous attribuer des intentions qui ne sont nullement les nôtres, comme celle de déprécier en quelque façon le salut, alors qu’il s’agit uniquement de le situer aussi exactement que possible à la place qui lui appartient en fait dans la réalité totale.


Nous ajouterons tout de suite que, si le « Paradis est une prison » pour certains comme nous l’avons dit précédemment, c’est justement parce que l’être qui se trouve dans l’état qu’il représente, c’est-à-dire celui qui est parvenu au salut, est encore enfermé, et même pour une durée indéfinie, dans les limitations qui définissent l’individualité humaine ; cette condition ne saurait être en effet qu’un état de « privation » pour ceux qui aspirent à être affranchis de ces limitations et que leur degré de développement spirituel en rend effectivement capables dès leur vie terrestre, bien que, naturellement, les autres, dès lors qu’ils n’ont pas actuellement en eux-mêmes la possibilité d’aller plus loin, ne puissent aucunement ressentir cette « privation » comme telle.

On pourrait alors se poser cette question : même si les êtres qui sont dans cet état ne sont pas conscients de ce qu’il a d’imparfait par rapport aux états supérieurs, cette imperfection n’en existe pas moins en réalité ; quel avantage y-a-t-il donc à les y maintenir ainsi indéfiniment, puisque c’est là le résultat auquel doivent aboutir normalement les observances traditionnelles de l’ordre exotérique ?

La vérité est qu’il y en a un très grand, car, étant fixés par là dans les prolongements de l’état humain tant que cet état même subsistera dans la manifestation, ce qui équivaut à la perpétuité ou à l’indéfinité temporelle, ces êtres ne pourront passer à un état individuel, ce qui sans cela serait nécessairement la seule possibilité ouverte devant eux ; mais encore pourquoi cette continuation de l’état humain est-elle, dans ce cas, une condition plus favorable que ne le serait un passage à un autre état ?
Il faut ici faire intervenir la considération de la position centrale occupée par l’homme dans le degré d’existence auquel il appartient, tandis que tous les autres êtres ne s’y trouvent que dans une situation plus ou moins périphérique, leur supériorité ou leur infériorité spécifique les uns par rapport aux autres résultant directement de leur plus ou moins grand éloignement du centre, en raison duquel ils participent dans une mesure différente, mais toujours d’une façon seulement partielle, aux possibilités qui ne peuvent s’exprimer complètement que dans et par l’homme. Or, quand un être doit passer à un autre état individuel, rien ne garantit qu’il y retrouvera une position centrale, relativement aux possibilités de cet état, comme celle qu’il occupait dans celui-ci en tant qu’homme, et il y a même au contraire une probabilité incomparablement plus grande pour qu’il y rencontre quelqu’une des innombrables conditions périphériques comparables à ce que sont dans notre monde celles des animaux ou même des végétaux ; on peut comprendre immédiatement combien il en serait grandement désavantagé, surtout au point de vue des possibilités de développement spirituel, et cela même si ce nouvel état, envisagé dans son ensemble, constituait, comme il est normal de le supposer, un degré d’existence supérieur au nôtre.

C’est pourquoi certains textes orientaux disent « la naissance humaine est difficile à obtenir », ce qui, bien entendu, s’applique également à ce qui y correspond dans tout autre état individuel ; et c’est aussi la véritable raison pour laquelle les doctrines exotériques présentent comme une éventualité redoutable et même sinistre la « seconde mort », c’est-à-dire la dissolution des éléments psychiques par laquelle l’être, cessant d’appartenir à l’état humain, doit nécessairement et immédiatement prendre naissance dans un autre état. Il en serait tout autrement, et ce serait même en réalité tout le contraire, si cette « seconde mort » donnait accès à un autre état supra-individuel ; mais ceci n’est plus du ressort de l’exotérisme, qui ne peut et ne doit s’occuper que de ce qui se rapporte au cas le plus général, tandis que les cas d’exception sont précisément ce qui fait la raison d’être de l’ésotérisme.

L’homme ordinaire, qui ne peut pas atteindre actuellement un état supra-individuel, pourra du moins, s’il obtient le salut, y parvenir à la fin du cycle humain ; il échappera donc au danger dont nous venons de parler, et ainsi il ne perdra pas le bénéfice de sa naissance humaine mais il le gardera au contraire à titre définitif, car qui dit salut dit par là même conservation et c’est là ce qui importe essentiellement en pareil cas, car c’est en cela, et en cela seulement que le salut peut être considéré comme rapprochant l’être de sa destination ultime, ou comme constituant en un certain sens, et si impropre que soit une telle façon de parler, un acheminement vers la Délivrance.
Il faut d’ailleurs avoir bien soin de ne pas se laisser induire en erreur par certaines similitudes apparentes d’expression, car les mêmes termes peuvent recevoir plusieurs acceptions et être appliqués à des niveaux très différents, suivant qu’il s’agit du domaine exotérique ou du domaine ésotérique. C’est ainsi que, quand les mystiques parlent d’ « union à Dieu », ce qu’ils entendent par là n’est certainement en aucune façon assimilable au Yoga ; et cette remarque est particulièrement importante, parce que certains seraient peut-être tentés de dire : comment pourrait-il y avoir pour un être une finalité plus haute que l’union à Dieu ? Tout dépend du sens dans lequel on prend le mot « union » ; en réalité, les mystiques, comme tous les autres exotéristes, ne sont jamais préoccupés, de rien de plus ni d’autre que du salut, bien que ce qu’ils ont en vue soit, si l’on veut, une modalité supérieure du salut, car il serait inconcevable qu’il n’y ait pas aussi une hiérarchie parmi les êtres « sauvés ».

En tout cas, l’union mystique, laissant subsister l’individualité comme telle, ne peut être qu’une union tout extérieure et relative, et il est bien évident que les mystiques n’ont jamais conçu même la possibilité de l’Identité Suprême ; ils s’arrêtent à la « vision », et toute l’étendue des mondes angéliques les sépare encore de la Délivrance.


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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Re: Initiation et réalisation spirituelle

Message par Ligeia Sam 13 Juin - 10:15

Pour plus de clarté, les commentaires suscités par la publication de certains textes auront désormais une rubrique à part.

J'ai donc déplacé les précédents vers ce fil : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]  Smile
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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Chapitre IX : Point de vue rituel et point de vue moral

Message par Ligeia Mar 23 Juin - 11:35


  • « L’influence de l’élément sentimental porte évidemment atteinte à la pureté intellectuelle de la doctrine, et elle marque en somme, il faut bien le dire, une déchéance par rapport à la pensée métaphysique, déchéance qui, d’ailleurs, là où elle s’est produite principalement et généralement, c’est-à-dire dans le monde occidental, était en quelque sorte inévitable et même nécessaire en un sens, si la doctrine devait être adaptée à la mentalité des hommes à qui elle s’adressait spécialement, et chez qui la sentimentalité prédominait sur l’intelligence, prédominance qui a d’ailleurs atteint son plus haut point dans les temps modernes. Quoi qu’il en soit, il n’en est pas moins vrai que le sentiment n’est que relativité et contingence, et qu’une doctrine qui s’adresse à lui et sur laquelle il réagit ne peut être elle-même que relative et contingente ; et ceci peut s’observer particulièrement à l’égard du besoin de « consolations » auquel répond, pour une large part, le point de vue religieux.
    La vérité, en elle-même, n’a point à être consolante ; si quelqu’un la trouve telle, c’est tant mieux pour lui, certes, mais la consolation qu’il éprouve ne vient pas de la doctrine, elle ne vient que de lui-même et des dispositions particulières de sa propre sentimentalité. Au contraire, une doctrine qui s’adapte aux exigences de l’être sentimental, et qui doit donc se revêtir elle-même d’une forme sentimentale, ne peut plus être dès lors identifiée à la vérité absolue et totale ; l’altération profonde que produit en elle l’entrée d’un principe consolateur est corrélative d’une défaillance intellectuelle de la collectivité humaine à laquelle elle s’adresse.
    D’un autre côté, c’est de là que naît la diversité foncière des dogmes religieux, entraînant leur incompatibilité, car, au lieu que l’intelligence est une, et que la vérité, dans toute la mesure où elle est comprise, ne peut l’être que d’une façon, la sentimentalité est diverse, et la religion qui tend à la satisfaire devra s’efforcer de s’adapter formellement le mieux possible à ses modes multiples, qui sont différents et variables suivant les races et les époques.
    (...)
    On peut dire que le point de vue moral et le point de vue religieux lui-même supposent essentiellement une certaine sentimentalité, qui est en effet développée surtout chez les Occidentaux, au détriment de l’intellectualité. »

RG, Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues.


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Chapitre IX : Point de vue rituel et point de vue moral


Comme nous l’avons fait remarquer en diverses occasions des phénomènes semblables peuvent procéder de causes entièrement différentes ; c’est pourquoi les phénomènes en eux-mêmes, qui ne sont que de simples apparences extérieures, ne peuvent jamais être considérés comme constituant réellement la preuve de la vérité d’une doctrine ou d’une théorie quelconque, contrairement aux illusions que se fait à cet égard l’« expérimentalisme » moderne.

Il en est de même en ce qui concerne les actions humaines, qui d’ailleurs sont aussi des phénomènes d’un certain genre : les mêmes actions, ou, pour parler plus exactement, des actions indiscernables extérieurement les unes des autres, peuvent répondre à des intentions très diverses chez ceux qui les accomplissent ; et même, plus généralement, deux individus peuvent agir d’une façon similaire dans presque toutes les circonstances de leur vie, tout en se plaçant, pour régler leur conduite, à des points de vue qui en réalité n’ont à peu près rien de commun. Naturellement, un observateur superficiel, qui s’en tient à ce qu’il voit et ne va pas plus loin que les apparences, ne pourra pas manquer de s’y laisser tromper, et il interprétera uniformément les actions de tous les hommes en les rapportant à son propre point de vue ; il est facile de comprendre qu’il peut y avoir là une cause de multiples erreurs, par exemple quand il s’agit d’hommes appartenant à des civilisations différentes, ou encore de faits historiques remontant à des époques éloignées.

Un exemple très frappant, et en quelque sorte extrême, est celui que nous donnent ceux de nos contemporains qui prétendent expliquer toute l’histoire de l’humanité en faisant exclusivement appel à des considérations d’ordre « économique », parce que, en fait, celles-ci jouent chez eux un rôle prépondérant, et sans même songer à se demander si vraiment il en a été de même dans tous les temps et dans tous les pays. C’est là un effet de la tendance que nous avons aussi signalée par ailleurs chez les psychologues, à croire que les hommes sont toujours et partout les mêmes ; cette tendance est peut-être naturelle en un certain sens, mais elle n’en est pas moins injustifiée, et nous pensons qu’on ne saurait trop s’en méfier.

Il est une autre erreur du même genre qui risque d’échapper plus facilement que celle que nous venons de citer à beaucoup de gens et même à la grande majorité d’entre eux, parce qu’ils sont trop habitués à envisager les choses de cette façon, et aussi parce qu’elle n’apparaît pas, comme l’illusion « économique », comme liée plus ou moins directement à certaines théories particulières : cette erreur est celle qui consiste à attribuer le point de vue spécifiquement moral à tous les hommes indistinctement, c’est-à-dire, parce que c’est de ce point de vue que les Occidentaux modernes tirent leur propre règle d’action, à traduire en termes de « morale », avec les intentions spéciales qui y sont impliquées, toute règle d’action quelle qu’elle soit, alors même qu’elle appartient aux civilisations les plus différentes de la leur à tous les égards. Ceux qui pensent ainsi semblent incapables de comprendre qu’il y a bien d’autres points de vue que celui-là qui peuvent également fournir de telles règles, et que même, suivant ce que nous disions tout à l’heure, les similitudes extérieures qui peuvent exister dans la conduite des hommes ne prouvent aucunement qu’elle soit toujours régie par le même point de vue : ainsi le précepte de faire ou de ne pas faire telle chose, auquel certains obéissent pour des raisons d’ordre moral, peut être observé pareillement par d’autres pour des raisons toutes différentes. Il ne faudrait d’ailleurs pas conclure de là que, en eux-mêmes et indépendamment de leurs conséquences pratiques, les points de vue dont il s’agit soient tous équivalents, bien loin de là, car ce qu’on pourrait appeler la « qualité » des intentions correspondantes varie à un tel point qu’il n’y a pour ainsi dire aucune commune mesure entre elles ; et il en est plus particulièrement ainsi quand, au point de vue moral, on compare le point de vue rituel qui est celui des civilisations présentant un caractère intégralement traditionnel.

L’action rituelle, ainsi que nous l’avons expliqué ailleurs, est, suivant le sens originel du mot lui-même, celle qui est accomplie « conformément à l’ordre », et qui par conséquent implique, au moins à quelque degré, la conscience effective de cette conformité ; et, là où la tradition n’a subi aucun amoindrissement, toute action, quelle qu’elle soit, a un caractère proprement rituel. Il importe de remarquer que ceci suppose essentiellement la connaissance de la solidarité et de la correspondance qui existent entre l’ordre cosmique lui-même et l’ordre humain ; cette connaissance, avec les applications multiples qui en dérivent, existe en effet dans toutes les traditions, tandis qu’elle est devenue complètement étrangère à la mentalité moderne, qui ne veut voir tout au plus que des « spéculations » fantaisistes dans tout ce qui ne rentre pas dans la conception grossière et étroitement bornée qu’elle se fait de ce qu’elle appelle la « réalité ».

Pour quiconque n’est pas aveuglé par certains préjugés, il est facile de voir quelle distance sépare la conscience de la conformité à l’ordre universel, et de la participation de l’individu à cet ordre en vertu de cette conformité même, de la simple « conscience morale », qui ne requiert aucune compréhension intellectuelle et n’est plus guidée que par des aspirations et des tendances purement sentimentales, et quelle profonde dégénérescence implique, dans la mentalité humaine en général, le passage de l’une à l’autre. Il va sans dire, d’ailleurs, que ce passage ne s’opère pas d’un seul coup, et qu’il peut y avoir bien des degrés intermédiaires, où les deux points de vue correspondants se mélangent dans des proportions diverses ; en fait, dans toute forme traditionnelle, le point de vue rituel subsiste toujours nécessairement, mais il en est, comme c’est le cas des formes proprement religieuses, qui, à côté de lui, font une part plus ou moins grande au point de vue moral, et nous en verrons tout à l’heure la raison. Quoi qu’il en soit, dès qu’on se trouve en présence de ce point de vue moral dans une civilisation, on peut, quelles que soient les apparences sous d’autres rapports, dire que celle-ci n’est déjà plus intégralement traditionnelle : en d’autres termes, l’apparition de ce point de vue peut être considérée comme liée en quelque façon à celle du point de vue profane lui-même.

Ce n’est pas ici le lieu d’examiner les étapes de cette déchéance, aboutissant finalement, dans le monde moderne, à la disparition complète de l’esprit traditionnel, donc à l’envahissement du point de vue profane dans tous les domaines sans exception ; nous ferons seulement remarquer que c’est ce dernier stade que représentent, dans l’ordre de choses qui nous occupe présentement, les morales dites « indépendantes », qui, qu’elles se proclament d’ailleurs « philosophiques » ou « scientifiques », ne sont en réalité que le produit d’une dégénérescence de la morale religieuse, c’est-à-dire à peu près, vis-à-vis de celle-ci, ce que sont les sciences profanes par rapport aux sciences traditionnelles. Il y a naturellement aussi des degrés correspondants dans l’incompréhension des réalités traditionnelles et dans les erreurs d’interprétation auxquelles elles donnent lieu ; à cet égard, le plus bas degré est celui des conceptions modernes qui, ne se contentant même plus de ne voir dans les prescriptions rituelles que de simples règles morales, ce qui était déjà méconnaître entièrement leur raison profonde, vont jusqu’à les attribuer à de vulgaires préoccupations d’hygiène ou de propreté ; il est bien évident en effet que, après cela, l’incompréhension ne saurait guère être poussée plus loin !

Il est une autre question qui, pour nous, est plus importante à envisager actuellement : comment se fait-il que des formes traditionnelles authentiques aient pu, au lieu de s’en tenir au point de vue rituel pur, accorder une place au point de vue moral, comme nous le disions, et même se l’incorporer en quelque sorte comme un de leurs éléments constitutifs ?

Dès lors que, par suite de la marche descendante du cycle historique, la mentalité humaine, dans son ensemble, étant tombée à un niveau inférieur, il était inévitable qu’il en fût ainsi ; en effet, pour diriger efficacement les actions des hommes, il faut forcément recourir à des moyens qui soient appropriés à leur nature, et, quand cette nature est médiocre, les moyens doivent l’être aussi dans une mesure correspondante, car c’est seulement par là que sera sauvé ce qui pourra l’être encore dans de telles conditions.
Lorsque la plus part des hommes ne sont plus capables de comprendre les raisons de l’action rituelle comme telle, il faut, pour qu’ils continuent cependant à agir d’une façon qui demeure encore normale et « régulière », faire appel à des motifs secondaires, moraux ou autres, mais en tout cas d’un ordre beaucoup plus relatif et contingent, et nous pourrions dire plus bas par là même, que ceux qui étaient inhérents au point de vue rituel. Il n’y a là en réalité aucune déviation, mais seulement une adaptation nécessaire ; les formes traditionnelles particulières doivent être adaptées aux circonstances de temps et de lieu qui déterminent la mentalité de ceux à qui elles s’adressent, puisque c’est là ce qui fait la raison même de leur diversité, et cela surtout dans leur partie la plus extérieure, celle qui doit être commune à tous sans exception, et à laquelle se rapporte naturellement tout ce qui est règle d’action.

Quant à ceux qui sont encore capables d’une compréhension d’un autre ordre, il ne tient évidemment qu’à eux d’en effectuer la transposition en se plaçant à un point de vue supérieur et plus profond, ce qui demeure toujours possible tant que tout lien avec les principes n’est pas rompu, c’est-à-dire tant que subsiste le point de vue traditionnel lui-même ; et ainsi ils pourront ne considérer la morale que comme un simple mode extérieur d’expression n’affectant pas l’essence même des choses qui en sont revêtues. C’est ainsi que, par exemple, entre celui qui accomplit certaines actions pour des raisons morales et celui qui les accomplit en vue d’un développement spirituel effectif auquel elles peuvent servir de préparation, la différence est assurément aussi grande que possible ; leur façon d’agir est pourtant la même, mais leurs intentions sont tout autres et ne correspondent aucunement à un même degré de compréhension. Mais c’est seulement quand la morale a perdu tout caractère traditionnel qu’on peut vraiment parler de déviation ; vidée de toute signification réelle, et n’ayant plus en elle rien qui puisse légitimer son existence, cette morale profane n’est à proprement parler qu’un « résidu » sans valeur et une pure et simple superstition.


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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Chapitre X : Sur la "glorification" du travail

Message par Ligeia Ven 26 Juin - 12:06

Voici un article de Guénon qui exprime encore une fois la dégénérescence actuelle démontrée cette fois dans ce qu’on appelle le « monde du travail ».
Nul besoin d’aller chercher ailleurs le mal-être ressenti par certains et la sensation d’être « à l’écart du monde ». Je pense qu’on peut aussi y voir la source des pathologies modernes qui frappent les individus dans ce « monde du travail » tel qu’il nous est imposé actuellement.

Dans l’organisation traditionnelle de la société, chacun étant à sa place et ce, en accord avec sa nature propre, ce genre de maux n’auraient pas lieu d’être.

Articles complémentaires :

Métiers anciens et industrie moderne
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A chacun son métier...
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Chapitre X : Sur la "glorification" du travail


Il est de mode, à notre époque, d’exalter le travail, quel qu’il soit et de quelque façon qu’il soit accompli, comme s’il avait une valeur éminente par lui-même et indépendamment de toute considération d’un autre ordre ; c’est là le sujet d’innombrables déclamations aussi vides que pompeuses, et cela non seulement dans le monde profane, mais même, ce qui est plus grave, dans les organisations initiatiques qui subsistent en Occident (37).
Il est facile de comprendre que cette façon d’envisager les choses se rattache directement au besoin exagéré d’action qui est caractéristique des Occidentaux modernes ; en effet, le travail, du moins quand il est considéré ainsi, n’est évidemment pas autre chose qu’une forme de l’action, et une forme à laquelle, d’autre part, le préjugé « moraliste » engage à attribuer encore plus d’importance qu’à toute autre, parce que c’est celle qui se prête le mieux à être présentée comme constituant un « devoir » pour l’homme et comme contribuant à assurer sa « dignité » (38 ).

37 On sait que la « glorification du travail » est notamment, dans la Maçonnerie, le thème de la dernière partie de l’initiation au grade de Compagnon ; et malheureusement, de nos jours, elle y est généralement comprise de cette façon toute profane, au lieu d’être entendue, comme elle le devrait, dans le sens légitime et réellement traditionnel que nous nous proposons d’indiquer par la suite.
38 Nous dirons tout de suite à ce propos que, entre cette conception moderne du travail et sa conception traditionnelle, il y a toute la différence qui existe d’une façon générale, ainsi que nous l’avons expliqué dernièrement, entre le point de vue moral et le point de vue rituel.


Il s’y ajoute même le plus souvent une intention nettement anti traditionnelle, celle de déprécier la contemplation, qu’on affecte d’assimiler à l’« oisiveté », alors que, tout au contraire, elle est en réalité la plus haute activité concevable, et que d’ailleurs l’action séparée de la contemplation ne peut être qu’aveugle et désordonnée (39).
Tout cela ne s’explique que trop facilement de la part d’hommes qui déclarent, et sans doute sincèrement, que « leur bonheur consiste dans l’action même » (40), nous dirions volontiers dans l’agitation, car, lorsque l’action est prise ainsi pour une fin en elle-même, et quels que soient les prétextes « moralistes » qu’on invoquera pour la justifier, elle n’est véritablement rien de plus que cela.

Contrairement à ce que pensent les modernes, n’importe quel travail, accompli indistinctement par n’importe qui, et uniquement pour le plaisir d’agir ou par nécessité de « gagner sa vie », ne mérite aucunement d’être exalté, et il ne peut même être regardé que comme une chose anormale, opposée à l’ordre qui devrait régir les institutions humaines, à tel point que, dans les conditions de notre époque, il en arrive trop souvent à prendre un caractère qu’on pourrait, sans nulle exagération, qualifier d’« infra-humain ».
Ce que nos contemporains paraissent ignorer complètement, c’est qu’un travail n’est réellement valable que s’il est conforme à la nature même de l’être qui l’accomplit, s’il en résulte d’une façon en quelque sorte spontanée et nécessaire, si bien qu’il n’est pour cette nature que le moyen de se réaliser aussi parfaitement qu’il est possible.

C’est là, en somme, la notion même du swadharma, qui est le véritable fondement de l’institution des castes, et sur laquelle nous avons suffisamment insisté en bien d’autres occasions pour pouvoir nous contenter de la rappeler ici sans nous y étendre davantage.

39 Nous rappellerons ici une des applications de l’apologue de l’aveugle et du paralytique, dans laquelle ils représentent respectivement la vie active et la vie contemplative (cf. Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. V).
40 Nous relevons cette phrase dans un commentaire du rituel maçonnique qui cependant, à bien des égards, n’est certes pas un des plus mauvais, nous voulons dire un des plus affectés par l’« infiltration » de l’esprit profane.


On peut penser ainsi, à ce propos, à ce que dit Aristote de l’accomplissement par chaque être de son « acte propre », par quoi il faut entendre à la fois l’exercice d’une activité conforme à sa nature et, comme conséquence immédiate de cette activité, le passage de la « puissance » à l’« acte » des possibilités qui sont comprises dans cette nature.
En d’autres termes, pour qu’un travail, de quelque genre qu’il puisse être d’ailleurs, soit ce qu’il doit être, il faut avant tout qu’il corresponde chez l’homme à une « vocation », au sens le plus propre de ce mot (41) ; et, quand il en est ainsi, le profit matériel qui peut légitimement en être retiré n’apparaît que comme une fin tout à fait secondaire et contingente, pour ne pas dire même négligeable vis-à-vis d’une autre fin supérieure, qui est le développement et comme l’achèvement « en acte » de la nature même de l’être humain.
Il va de soi que ce que nous venons de dire constitue une des bases essentielles de toute initiation de métier, la « vocation » correspondante étant une des qualifications requises pour une telle initiation, et même, pourrait-on dire, la première et la plus indispensable de toutes (42).

Cependant, il y a encore autre chose sur quoi il convient d’insister, surtout au point de vue initiatique, car c’est là ce qui donne au travail, envisagé suivant sa notion traditionnelle, sa signification la plus profonde et sa portée la plus haute, dépassant la considération de la seule nature humaine pour le rattacher à l’ordre cosmique lui-même, et par là, de la façon la plus directe, aux principes universels.
Pour le comprendre, on peut partir de la définition de l’art comme « l’imitation de la nature dans son mode d’opération » (43), c’est-à-dire de la nature comme cause (Natura naturans), et non pas comme effet (Natura naturata) ; au point de vue traditionnel, en effet, il n’y a aucune distinction à faire entre art et métier, non plus qu’entre artiste et artisan, et c’est là encore un point sur lequel nous avons déjà eu souvent l’occasion de nous expliquer ; tout ce qui est produit « conformément à l’ordre » mérite par là également, et au même titre, d’être regardé comme une œuvre d’art (44).

41 Sur ce point, et aussi sur les autres considérations qui suivront, nous renverrons, pour de plus amples développements, aux nombreuses études qu’A. K. Coomaraswamy a consacrées plus spécialement à ces questions.
42 Certains métiers modernes, et surtout les métiers purement mécaniques, pour lesquels il ne saurait être réellement question de « vocation », et qui par suite ont en eux-mêmes un caractère anormal, ne peuvent valablement donner lieu à aucune initiation.
43 Et non pas dans ses productions, comme se l’imaginent les partisans d’un art dit « réaliste », et qu’il serait plus exact d’appeler « naturaliste ».
44 Il est à peine besoin de rappeler que cette notion traditionnelle de l’art n’a absolument rien de commun avec les théories « esthétiques » des modernes.



Toutes les traditions insistent sur l’analogie qui existe entre les artisans humains et l’Artisan divin, les uns comme l’autre opérant « par un verbe conçu dans l’intellect », ce qui, notons-le en passant, marque aussi nettement que possible le rôle de la contemplation comme condition préalable et nécessaire de la production de toute œuvre d’art ; et c’est là encore une différence essentielle avec la conception profane du travail, qui le réduit à n’être qu’action pure et simple, comme nous le disions plus haut, et qui prétend même l’opposer à la contemplation.
Suivant l’expression des Livres hindous, « nous devons construire comme les Dêvas le firent au commencement » ; ceci, qui s’étend naturellement à l’exercice de tous les métiers dignes de ce nom, implique que le travail a un caractère proprement rituel, comme toutes choses doivent d’ailleurs l’avoir dans une civilisation intégralement traditionnelle ; et non seulement c’est ce caractère rituel qui assure cette « conformité à l’ordre » dont nous parlions tout à l’heure, mais on peut même dire qu’il ne fait véritablement qu’un avec cette conformité même (45).
Dès lors que l’artisan humain imite ainsi dans son domaine particulier l’opération de l’Artisan divin, il participe à l’œuvre même de celui-ci dans une mesure correspondante, et d’une façon d’autant plus effective qu’il est plus conscient de cette opération ; et plus il réalise par son travail les virtualités de sa propre nature, plus il accroît en même temps sa ressemblance avec l’Artisan divin, et plus ses œuvres s’intègrent parfaitement dans l’harmonie du Cosmos.
On voit combien cela est loin des banalités que nos contemporains ont l’habitude d’énoncer en croyant par là faire l’éloge du travail ; celui-ci, quand il est ce qu’il doit être traditionnellement, mais seulement dans ce cas, est en réalité bien au-dessus de tout ce qu’ils sont capables de concevoir.

Aussi pouvons-nous conclure ces quelques indications, qu’il serait facile de développer presque indéfiniment, en disant ceci : la « glorification du travail » répond bien à une vérité, et même à une vérité d’ordre profond ; mais la façon dont les modernes l’entendent d’ordinaire n’est qu’une déformation caricaturale de la notion traditionnelle, allant jusqu’à l’invertir en quelque sorte.
En effet, on ne « glorifie » pas le travail par de vains discours, ce qui n’a même aucun sens plausible ; mais le travail lui-même est « glorifié », c’est-à-dire « transformé », quand, au lieu de n’être qu’une simple activité profane, il constitue une collaboration consciente et effective à la réalisation du plan du « Grand Architecte de l’Univers ».

45 Sur tout ceci, voir A. K. Coomaraswamy, Is Art a Superstition or a Way of Life ? dans le recueil intitulé Why exhibit Works of Art ?


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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Chapitre XI : Le Sacré et le profane

Message par Ligeia Mer 22 Juil - 19:53

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LE SACRÉ ET LE PROFANE


Nous avons souvent expliqué déjà que, dans une civilisation intégralement traditionnelle, toute activité humaine, quelle qu’elle soit, possède un caractère qu’on peut dire sacré, parce que, par définition même, la tradition n’y laisse rien en dehors d’elle ; ses applications s’étendent alors à toutes choses sans exception, de sorte qu’il n’en est aucune qui puisse être considérée comme indifférente ou insignifiante à cet égard, et que, quoi que fasse l’homme, sa participation à la tradition est assurée d’une façon constante par ses actes mêmes.
Dès que certaines choses échappent au point de vue traditionnel ou, ce qui revient au même, sont regardées comme profanes, c’est là le signe manifeste qu’il s’est déjà produit une dégénérescence entraînant un affaiblissement et comme un amoindrissement de la tradition ; et une telle dégénérescence est naturellement liée, dans l’histoire de l’humanité, à la marche descendante du déroulement cyclique. Il peut évidemment y avoir là bien des degrés différents, mais, d’une façon générale, on peut dire qu’actuellement, même dans les civilisations qui ont encore gardé le caractère le plus nettement traditionnel, une certaine part plus ou moins grande est toujours faite au profane, comme une sorte de concession forcée à la mentalité déterminée par les conditions mêmes de l’époque.

Cela ne veut pourtant pas dire qu’une tradition puisse jamais reconnaître le point de vue profane comme légitime, car cela reviendrait en somme à se nier elle-même au moins partiellement, et suivant la mesure de l’extension qu’elle lui accorderait ; à travers toutes ses adaptations successives, elle ne peut que maintenir toujours en droit, sinon en fait, que son propre point de vue vaut réellement pour toutes choses et que son domaine d’application les comprend toutes également.

Il n’y a d’ailleurs que la seule civilisation occidentale moderne qui, parce que son esprit est essentiellement antitraditionnel, prétende affirmer la légitimité du profane comme tel et considère même comme un « progrès » d’y inclure une part de plus en plus grande de l’activité humaine, si bien qu’à la limite, pour l’esprit intégralement moderne, il n’y a plus que du profane, et que tous ses efforts tendent en définitive à la négation ou à l’exclusion du sacré. Les rapports sont ici inversés : une civilisation traditionnelle, même amoindrie, ne peut que tolérer l’existence du point de vue profane comme un mal inévitable, tout en s’efforçant d’en limiter les conséquences le plus possible ; dans la civilisation moderne, au contraire, c’est le sacré qui n’est plus que toléré, parce qu’il n’est pas possible de le faire disparaître entièrement d’un seul coup, et auquel, en attendant la réalisation complète de cet « idéal », on fait une part de plus en plus réduite, en ayant le plus grand soin de l’isoler de tout le reste par une barrière infranchissable.

Le passage de l’une à l’autre de ces deux attitudes opposées implique la persuasion qu’il existe, non plus seulement un point de vue profane, mais un domaine profane, c’est-à-dire qu’il y a des choses qui sont profanes en elles-mêmes et par leur propre nature, au lieu de n’être telles, comme il en est réellement, que par l’effet d’une certaine mentalité. Cette affirmation d’un domaine profane, qui transforme indûment un simple état de fait en un état de droit, est donc, si l’on peut dire, un des postulats fondamentaux de l’esprit antitraditionnel, puisque ce n’est qu’en inculquant tout d’abord cette fausse conception à la généralité des hommes qu’il peut espérer en arriver graduellement à ses fins, c’est-à-dire à la disparition du sacré, ou, en d’autres termes, à l’élimination de la tradition jusque dans ses derniers vestiges. Il n’y a qu’à regarder autour de soi pour se rendre compte à quel point l’esprit moderne a réussi dans cette tâche qu’il s’est assignée, car même les hommes qui s’estiment « religieux », ceux donc chez qui il subsiste encore plus ou moins consciemment quelque chose de l’esprit traditionnel, n’en considèrent pas moins la religion comme une chose occupant parmi les autres une place tout à fait à part, et d’ailleurs à vrai dire bien restreinte, de telle sorte qu’elle n’exerce aucune influence effective sur tout le reste de leur existence, où ils pensent et agissent exactement de la même façon que les plus complètement irréligieux de leurs contemporains.

Le plus grave est que ces hommes ne se comportent pas simplement ainsi parce qu’ils s’y trouvent obligés par la contrainte du milieu dans lequel ils vivent, parce qu’il y a là une situation de fait qu’ils ne peuvent que déplorer et à laquelle ils sont incapables de se soustraire, ce qui serait encore admissible, car on ne peut assurément exiger de chacun qu’il ait le courage nécessaire pour réagir ouvertement contre les tendances dominantes de son époque, ce qui n’est certes pas sans danger sous plus d’un rapport. Bien loin de là, ils sont affectés par l’esprit moderne à un tel point que, tout comme les autres, ils regardent la distinction et même la séparation du sacré et du profane comme parfaitement légitime, et que, dans l’état de choses qui est celui de toutes les civilisations traditionnelles et normales, ils ne voient plus qu’une confusion entre deux domaines différents, confusion qui, suivant eux, a été « dépassée » et avantageusement dissipée par le « progrès » !

Il y a plus encore : une telle attitude, déjà difficilement concevable de la part d’hommes, quels qu’ils soient, qui se disent et se croient sincèrement religieux, n’est même plus seulement le fait des « laïques », chez lesquels on pourrait peut-être, à la rigueur, la mettre sur le compte d’une ignorance la rendant encore excusable jusqu’à un certain point. Il paraît que cette même attitude est maintenant aussi celle d’ecclésiastiques de plus en plus nombreux, qui semblent ne pas comprendre tout ce qu’elle a de contraire à la tradition, et nous disons bien à la tradition d’une façon tout à fait générale, donc à celle dont ils sont les représentants aussi bien qu’à toute autre forme traditionnelle ; et on nous a signalé que certains d’entre eux vont jusqu’à faire aux civilisations orientales un reproche de ce que la vie sociale y est encore pénétrée de spirituel, voyant même là une des principales causes de leur prétendue infériorité par rapport à la civilisation occidentale !

Il y a d’ailleurs lieu de remarquer une étrange contradiction : les ecclésiastiques les plus atteints par les tendances modernes se montrent généralement beaucoup plus préoccupés d’action sociale que  de doctrine ; mais, puisqu’ils acceptent et approuvent même la « laïcisation » de la société, pourquoi interviennent-ils dans ce domaine ?
Ce ne peut être pour essayer, comme il serait légitime et souhaitable, d’y réintroduire quelque peu d’esprit traditionnel, dès lors qu’ils pensent que celui-ci doit rester complètement étranger aux activités de cet ordre ; cette intervention est donc tout à fait incompréhensible, à moins d’admettre qu’il y a dans leur mentalité quelque chose de profondément illogique, ce qui est d’ailleurs incontestablement le cas de beaucoup de nos contemporains.

Quoi qu’il en soit, il y a là un symptôme des plus inquiétants : quand des représentants authentiques d’une tradition en sont arrivés à ce point que leur façon de penser ne diffère plus sensiblement de celle de ses adversaires, on peut se demander quel degré de vitalité a encore cette tradition dans son état actuel ; et, puisque la tradition dont il s’agit est celle du monde occidental, quelles chances de redressement peut-il bien, dans ces conditions, y avoir encore pour celui-ci, du moins tant qu’on s’en tient au domaine exotérique et qu’on n’envisage aucun autre ordre de possibilités ?


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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Chapitre XII : A propos de conversion

Message par Ligeia Lun 17 Aoû - 10:31

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A propos de conversion


Le mot « conversion » peut être pris dans deux sens totalement différents : son sens originel est celui qui le fait correspondre au terme grec metanoia, qui exprime proprement un changement de nous, ou, comme l’a dit A. K. Coomaraswamy, une « métamorphose intellectuelle ».

Cette transformation intérieure, comme l’indique d’autre part l’étymologie même du mot latin (de cum-vertere), implique à la fois un « rassemblement » ou une concentration des puissances de l’être, et une sorte de « retournement » par lequel cet être passe « de la pensée humaine à la compréhension divine ».
La metanoia ou la « conversion » est donc le passage conscient du mental entendu dans son sens ordinaire et individuel, et considéré comme tourné vers les choses sensibles, à ce qui en est la transposition dans un sens supérieur, où il s’identifie à l’hêgemôn de Platon ou à l’antaryâmî de la tradition hindoue.
Il est évident que c’est là une phase nécessaire dans tout processus de développement spirituel ; c’est donc, insistons-y, un fait d’ordre purement intérieur, qui n’a absolument rien de commun avec un changement extérieur et contingent quelconque, relevant simple ment du domaine « moral », comme on a trop souvent tendance à le croire aujourd’hui (et l’on va même, en ce sens, jusqu’à traduire metanoia par « repentir »), ou même du domaine religieux et plus généralement exotérique (46).

Au contraire, le sens vulgaire du mot « conversion », celui qu’il en est arrivé à avoir constamment dans le langage courant, et qui est aussi celui dans lequel nous allons le prendre maintenant après cette explication indispensable pour éviter toute confusion, ce second sens, disons-nous, désigne uniquement le passage extérieur d’une forme traditionnelle à une autre, quelles que soient les raisons par lesquelles il a pu être déterminé, raisons toutes contingentes le plus souvent, parfois même dépourvues de toute importance réelle, et qui en tout cas n’ont rien à voir avec la pure spiritualité.

Bien qu’il puisse sans doute y avoir quelquefois des conversions plus ou moins spontanées, du moins en apparence, elles sont le plus habituellement une conséquence du « prosélytisme » religieux, et il va de soi que toutes les objections qu’on peut formuler contre la valeur de celui-ci s’appliquent également à ses résultats ; en somme, le « convertisseur » et le « converti » font preuve d’une même incompréhension du sens profond de leurs traditions, et leurs attitudes respectives montrent trop manifestement que leur horizon intellectuel est pareillement borné au point de vue de l’exotérisme le plus exclusif (47).

En dehors même de cette raison de principe, nous devons dire que, pour d’autres motifs aussi, nous apprécions assez peu les « convertis » en général, non point qu’on doive a priori mettre en doute leur sincérité (nous ne voulons pas envisager ici le cas, cependant trop fréquent en fait, de ceux qui ne sont mus que par quelque bas intérêt matériel ou sentimental, et qu’on pourrait plutôt appeler des « pseudo-convertis »), mais d’abord parce qu’ils font preuve tout au moins d’une instabilité mentale plutôt fâcheuse, et ensuite parce qu’ils ont presque toujours une tendance à faire montre du « sectarisme » le plus étroit et le plus exagéré, soit par un effet de leur tempérament même, qui pousse certains d’entre eux à passer d’un extrême à un autre avec une déconcertante facilité, soit tout simplement pour détourner les suspicions dont ils craignent d’être l’objet dans leur nouveau milieu. Au fond, on peut dire que les « convertis » sont peu intéressants, du moins pour ceux qui envisagent les choses en dehors de tout parti pris d’exclusivisme exotérique, et qui, par ailleurs, n’ont aucun goût pour l’étude de certaines « curiosités » psychologiques ; et, pour notre part, nous aimons certainement mieux ne pas les voir de trop près.

46 Sur ce sujet, voir A. K. Coomaraswamy, On Being in One’s Right Mind (Review of Religion, n° de novembre 1942).
47 Au fond, il n’y a de conversion réellement légitime en principe que celle qui consiste dans l’adhésion à une tradition, quelle qu’elle soit d’ailleurs, de la part de quelqu’un qui était précédemment dépourvu de toute attache traditionnelle.


Cela dit nettement, il nous faut signaler (et c’est là surtout que nous voulions en venir) qu’on parle parfois de « conversions » fort mal à propos, et dans des cas auxquels ce mot, entendu dans le sens que nous venons de dire comme il l’est toujours en fait, ne saurait s’appliquer en aucune façon.
Nous voulons parler de ceux qui, pour des raisons d’ordre ésotérique ou initiatique, sont amenés à adopter une forme traditionnelle autre que celle à laquelle ils pouvaient être rattachés par leur origine, soit parce que celle-ci ne leur donnait aucune possibilité de cet ordre, soit seulement parce que l’autre leur fournit, même dans son exotérisme, une base mieux appropriée à leur nature, et par conséquent plus favorable pour leur travail spirituel. C’est là, pour quiconque se place au point de vue ésotérique, un droit absolu contre lequel tous les arguments des exotéristes ne peuvent rien, puisqu’il s’agit d’un cas qui, par définition même, est entièrement en dehors de leur compétence.

Contrairement à ce qui a lieu pour une « conversion », il n’y a là rien qui implique l’attribution d’une supériorité en soi à une forme traditionnelle sur une autre, mais uniquement ce qu’on pourrait appeler une raison de convenance spirituelle, qui est tout autre chose qu’une simple « préférence » individuelle, et au regard de laquelle toutes les considérations extérieures sont parfaitement insignifiantes. Il est d’ailleurs bien entendu que celui qui peut légitimement agir ainsi doit, dès lors qu’il est réellement capable de se placer au point de vue ésotérique comme nous l’avons supposé, avoir conscience, tout au moins en vertu d’une connaissance théorique, sinon encore effectivement réalisée, de l’unité essentielle de toutes les traditions ; et cela seul suffit évidemment pour que, en ce qui le concerne, une « conversion » soit une chose entièrement dépourvue de sens et véritablement inconcevable.

Si maintenant on demandait pourquoi il existe de tels cas, nous répondrions que cela est dû surtout aux conditions de l’époque actuelle, dans laquelle, d’une part, certaines traditions sont, en fait, devenues incomplètes « par en haut », c’est-à-dire quant à leur côté ésotérique, que leurs représentants « officiels » en arrivent même parfois à nier plus ou moins formellement, et, d’autre part, il advient trop souvent qu’un être naît dans un milieu qui n’est pas celui qui lui convient réellement et qui peut permettre à ses possibilités de se développer d’une façon normale, surtout dans l’ordre intellectuel et spirituel ; il est assurément regrettable à plus d’un égard qu’il en soit ainsi, mais ce sont là des inconvénients inévitables dans la présente phase du Kali-Yuga.

Outre ce cas de ceux qui « s’établissent » dans une forme traditionnelle parce qu’elle est celle qui met à leur disposition les moyens les plus adéquats pour le travail intérieur qu’ils ont encore à effectuer, il en est un autre dont nous devons dire aussi quelques mots : c’est celui d’hommes qui, parvenus à un haut degré de développement spirituel, peuvent adopter extérieurement telle ou telle forme traditionnelle suivant les circonstances et pour des raisons dont ils sont seuls juges, d’autant plus que ces raisons sont généralement de celles qui échappent forcément à la compréhension des hommes ordinaires.
Ceux-là sont, par l’état spirituel qu’ils ont atteint, au delà de toutes les formes, de sorte qu’il ne s’agit là pour eux que d’apparences extérieures, qui ne sauraient aucunement affecter ou modifier leur réalité intime ; ils ont, non pas seulement compris comme ceux dont nous parlions tout à l’heure, mais pleinement réalisé, dans son principe même, l’unité fondamentale de toutes les traditions.
Il serait donc encore plus absurde de parler ici de « conversions », et pourtant cela n’empêche pas que nous avons vu certains écrire sérieusement que Shrî Râmakrishna, par exemple, s’était « converti » à l’Islam dans telle période de sa vie et au Christianisme dans telle autre ; rien ne saurait être plus ridicule que de semblables assertions, qui donnent une assez triste idée de la mentalité de leurs auteurs. En fait, pour Shrî Râmakrishna, il s’agissait seulement de « vérifier » en quelque sorte, par une expérience directe, la validité des « voies » différentes représentées par ces traditions auxquelles il s’assimila temporairement ; qu’y a-t-il là qui puisse ressembler de près ou de loin à une « conversion » quelconque ?

D’une façon tout à fait générale, nous pouvons dire que quiconque a conscience de l’unité des traditions, que ce soit par une compréhension simplement théorique ou à plus forte raison par une réalisation effective, est nécessairement, par là même, « inconvertissable » à quoi que ce soit ; il est d’ailleurs le seul qui le soit véritablement, les autres pouvant toujours, à cet égard, être plus ou moins à la merci des circonstances contingentes. On ne saurait dénoncer trop énergiquement l’équivoque qui amène certains à parler de « conversions » là où il n’y en a pas trace, car il importe de couper court aux trop nombreuses inepties de ce genre qui sont répandues dans le monde profane, et sous lesquelles, bien souvent, il n’est pas difficile de deviner des intentions nettement hostiles à tout ce qui relève de l’ésotérisme.



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Message par Ligeia Ven 28 Aoû - 12:06

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Chapitre XIII : CÉRÉMONIALISME ET ESTHÉTISME


Nous avons déjà dénoncé l’étrange confusion qui est commise fréquemment, à notre époque, entre les rites et les cérémonies (48 ), et, qui témoigne d’une méconnaissance complète de la véritable nature et des caractères essentiels des rites, nous pourrions même dire de la tradition en général.
En effet, tandis que les rites, comme tout ce qui est d’ordre réellement traditionnel, comportent nécessairement un élément « non humain », les cérémonies, au contraire, sont quelque chose de purement humain et ne peuvent prétendre à rien de plus qu’à des effets strictement limités à ce domaine, et même, pourrait-on dire, à ses aspects les plus extérieurs, car ces effets, en réalité, sont exclusivement « psychologiques » et surtout émotifs.

Aussi pourrait-on voir dans la confusion dont il s’agit un cas particulier ou une conséquence de l’« humanisme », c’est-à-dire de la tendance moderne à tout réduire au niveau humain, tendance qui se manifeste aussi d’autre part par la prétention d’expliquer « psychologiquement » les effets des rites eux mêmes, ce qui supprime d’ailleurs effectivement la différence essentielle existant entre eux et les cérémonies.

48 Voir Aperçus sur l’Initiation, ch. XIX.

Il ne s’agit pas de contester l’utilité relative des cérémonies, en tant que, s’ajoutant accidentellement aux rites, elles rendent ceux-ci, dans une période d’obscuration spirituelle, plus accessibles à la généralité des hommes, qu’elles préparent ainsi en quelque sorte à en recevoir les effets, parce qu’ils ne peuvent plus être atteints immédiatement que par des moyens tout extérieurs comme ceux-là. Encore faut-il, pour que ce rôle d’« adjuvants » soit légitime et même pour qu’il puisse être réellement efficace, que le développement des cérémonies soit maintenu dans certaines limites, au delà desquelles il risque plutôt d’avoir des conséquences tout opposées.
C’est ce qu’on ne voit que trop dans l’état actuel des formes religieuses occidentales où les rites finissent par être véritablement étouffés par les cérémonies ; en pareil cas, non seulement l’accidentel est trop souvent pris pour l’essentiel, ce qui donne naissance à un formalisme excessif et vide de sens, mais l’« épaisseur » même du revêtement cérémoniel, s’il est permis de s’exprimer ainsi, oppose à l’action des influences spirituelles un obstacle qui est loin d’être négligeable ; il y a là un véritable phénomène de « solidification », au sens où nous avons pris ce mot ailleurs (49), qui s’accorde bien avec le caractère général de l’époque moderne.

Cet abus auquel on peut donner le nom de « cérémonialisme » est, à vrai dire, une chose proprement occidentale, et cela est facile à comprendre ; en effet, les cérémonies donnent toujours l’impression de quelque chose d’exceptionnel, et elles en communiquent l’apparence aux rites mêmes auxquels elles viennent se surajouter ; or, moins une civilisation est traditionnelle dans son ensemble, plus s’y accentue la séparation entre la tradition, dans la mesure amoindrie où elle y subsiste encore, et tout le reste, qui est alors considéré comme purement profane et constitue ce qu’on est convenu d’appeler la « vie ordinaire », et sur lequel les éléments traditionnels n’exercent plus aucune influence effective. Il est bien évident que cette séparation n’a jamais été poussée aussi loin qu’elle l’est chez les Occidentaux modernes ; et, en cela, nous voulons naturellement parler de ceux qui ont encore gardé quelque chose de leur tradition, mais qui, en dehors de la part restreinte qu’ils font dans leur vie à la « pratique » religieuse, ne se distinguent des autres en aucune façon.

49 Voir Le Règne de la quantité et les Signes des Temps.

Dans ces conditions, tout ce qui relève de la tradition revêt forcément, par rapport au reste, un caractère d’exception, que souligne précisément le déploiement de cérémonies qui l’entoure ; ainsi, même si l’on admet qu’il y a là quelque chose qui s’explique en partie par le tempérament occidental, et qui correspond à un genre d’émotivité le rendant plus particulièrement sensible aux cérémonies, il n’en est pas moins vrai qu’il y a encore à cela des raisons d’un ordre plus profond, en liaison étroite avec l’extrême affaiblissement de l’esprit traditionnel.

Il est à remarquer aussi, dans le même ordre d’idées, que les Occidentaux, quand ils parlent de choses spirituelles ou qu’ils considèrent comme telles à tort ou à raison (50), se croient toujours obligés de prendre un ton solennel et ennuyeux, comme pour mieux marquer que ces choses n’ont rien de commun avec celles qui font le sujet habituel de leurs entretiens ; quoi qu’ils puissent en penser, cette affectation « cérémonieuse » n’a assurément aucun rapport avec le sérieux et la dignité qu’il convient d’observer dans tout ce qui est d’ordre traditionnel, et qui n’excluent nullement le plus parfait naturel et la plus grande simplicité d’attitude, comme on peut le voir encore aujourd’hui en Orient (51).

50 Nous faisons cette restriction à cause des multiples contrefaçons de la spiritualité qui ont cours parmi nos contemporains ; mais il suffit qu’ils soient persuadés qu’il s’agit de spiritualité ou qu’ils veuillent en persuader les autres pour que la même remarque s’applique dans tous les cas.
51 Cela est particulièrement manifeste dans le cas de l’Islam, qui comporte naturellement beaucoup de rites, mais où l’on ne pourrait pas trouver une seule cérémonie. D’autre part, en Occident même, on peut constater, par ce qui a été conservé des sermons du moyen âge, que les prédicateurs, à cette époque vraiment religieuse, ne dédaignaient aucunement d’employer un ton familier et parfois même humoristique. – Un fait assez significatif est la déviation que l’usage courant a fait subir au sens du mot « pontife » et de ses dérivés, qui, pour l’Occidental ordinaire qui en ignore la valeur symbolique et traditionnelle, en sont arrivés à ne plus représenter d’autre idée que celle du « cérémonialisme » le plus excessif, comme si la fonction essentielle du pontificat était, non pas l’accomplissement de certains rites, mais celui de cérémonies particulièrement pompeuses.


Il est un autre côté de la question, dont nous n’avons rien dit précédemment, et sur lequel il nous paraît nécessaire d’insister aussi quelque peu : nous voulons parler de la connexion qui existe, chez les Occidentaux, entre le « cérémonialisme » et ce qu’on peut appeler l’« esthétisme ».
Par ce dernier mot, nous entendons naturellement la mentalité spéciale qui procède du point de vue « esthétique » ; celui-ci s’applique tout d’abord et plus proprement à l’art, mais il s’étend peu à peu à d’autres domaines et finit par affecter d’une « teinte » particulière la façon qu’ont les hommes d’envisager toutes choses.

On sait que la conception « esthétique » est, comme son nom l’indique d’ailleurs, celle qui prétend tout réduire à une simple question de « sensibilité » ; c’est la conception moderne et profane de l’art, qui, comme A.K. Coomaraswamy l’a montré dans de nombreux écrits, s’oppose à sa conception normale et traditionnelle ; elle élimine de ce à quoi elle s’applique toute intellectualité, on pourrait même dire toute intelligibilité, et le beau, bien loin d’être la « splendeur du vrai » comme on le définissait jadis, s’y réduit à n’être plus que ce qui produit un certain sentiment de plaisir, donc quelque chose de purement « psychologique » et « subjectif ».
Il est dès lors facile de comprendre comment le goût des cérémonies se rattache à cette façon de voir, puisque, précisément, les cérémonies n’ont que des effets de cet ordre « esthétique » et ne sauraient en avoir d’autres ; elles sont, tout comme l’art moderne, quelque chose qu’il n’y a pas lieu de chercher à comprendre et où il n’y a aucun sens plus ou moins profond à pénétrer, mais par quoi il suffit de se laisser « impressionner » d’une façon toute sentimentale. Tout cela n’atteint donc, dans l’être psychique, que la partie la plus superficielle et la plus illusoire de toutes, celle qui varie non seulement d’un individu à un autre, mais aussi chez le même individu suivant ses dispositions du moment ; ce domaine sentimental est bien, sous tous les rapports, le type le plus complet et le plus extrême de ce qu’on pourrait appeler la « subjectivité » à l’état pur (52).

52 Nous n’avons pas à parler ici de certaines formes de l’art moderne, qui peuvent produire des effets de déséquilibre et même de « désagrégation » dont les répercussions sont susceptibles de s’étendre beaucoup plus loin ; il ne s’agit plus alors seulement de l’insignifiance, au sens propre du mot, qui s’attache à tout ce qui est purement profane, mais bien d’une véritable œuvre de « subversion ».

Ce que nous disons du goût des cérémonies proprement dites s’applique aussi, bien entendu, à l’importance excessive et en quelque sorte disproportionnée que certains attribuent à tout ce qui est « décor » extérieur, allant parfois, et cela même dans des choses d’ordre authentiquement traditionnel, jusqu’à vouloir faire de cet accessoire contingent un élément tout à fait indispensable et essentiel, tout comme d’autres s’imaginent que les rites perdraient toute valeur s’ils n’étaient accompagnés de cérémonies plus ou moins « imposantes ».

Il est peut-être encore plus évident ici que c’est bien d’« esthétisme » qu’il s’agit au fond, et, même quand ceux qui s’attachent ainsi au « décor » assurent le faire à cause de la signification qu’ils y reconnaissent, nous ne sommes pas certain qu’ils ne s’illusionnent pas bien souvent en cela, et qu’ils ne soient pas attirés surtout par quelque chose de beaucoup plus extérieur et « subjectif », par une impression « artistique » au sens moderne de ce mot ; le moins qu’on puisse dire, c’est que la confusion de l’accidentel avec l’essentiel, qui subsiste de toute façon, est toujours le signe d’une compréhension fort imparfaite.
Ainsi, par exemple, parmi ceux qui admirent l’art du moyen âge, même lorsqu’ils se persuadent sincèrement que leur admiration n’est pas simplement « esthétique » comme l’était celle des « romantiques », et que le motif principal en est la spiritualité qui s’exprime dans cet art, nous doutons qu’il y en ait beaucoup qui le comprennent véritablement et qui soient capables de faire l’effort nécessaire pour le voir autrement qu’avec des yeux modernes, nous voulons dire pour se placer réellement dans l’état d’esprit de ceux qui ont réalisé cet art et de ceux à qui il était destiné. Chez ceux qui se plaisent à s’entourer d’un « décor » de cette époque, on retrouve presque toujours, à un degré plus ou moins accentué, sinon la mentalité à proprement parler, du moins l’« optique » des architectes qui font du « néo-gothique », ou des peintres modernes qui essaient d’imiter les œuvres des « primitifs ».
Il y a toujours dans ces reconstitutions quelque chose d’artificiel et de « cérémonieux », quelque chose qui « sonne faux », pourrait-on dire, et qui rappelle l’« exposition » ou le « musée » beaucoup plus qu’il n’évoque l’usage réel et normal des œuvres d’art dans une civilisation traditionnelle ; pour tout dire en un mot, on a nettement l’impression que l’« esprit » en est absent (53).

53 Nous signalerons incidemment, dans le même ordre d’idées, le cas des fêtes dites « folkloriques », qui sont si fort à la mode aujourd’hui : ces essais de reconstitution d’anciennes fêtes « populaires », même quand ils s’appuient sur la documentation la plus exacte et l’érudition la plus scrupuleuse, ont inévitablement une allure dérisoire de « mascarade » et de contrefaçon grossière, pouvant faire croire à une intention « parodique » qui pourtant n’existe certainement pas chez leurs organisateurs.

Ce que nous venons de dire au sujet du moyen âge, afin de donner un exemple pris à l’intérieur du monde occidental lui-même, on pourrait le dire aussi, et à plus forte raison, dans les cas où il s’agit d’un « décor » oriental ; il est bien rare, en effet, que celui-ci, même s’il est composé d’éléments authentiques, ne représente pas surtout, en tant qu’« ensemble », l’idée que les Occidentaux se font de l’Orient, et qui n’a que de bien lointains rapports avec ce qu’est réellement l’Orient lui-même (54).

Ceci nous amène à préciser encore un autre point important : c’est que, parmi les multiples manifestations de l’« esthétisme » moderne, il convient de faire une place à part au goût de l’« exotisme », qu’on constate si fréquemment chez nos contemporains, et qui, quels que soient les divers facteurs qui ont pu contribuer à le répandre et qu’il serait trop long d’examiner ici en détail, se ramène encore en définitive à une question de « sensibilité » plus ou moins « artistique », étrangère à toute compréhension vraie, et même malheureusement, chez ceux qui ne font que « suivre » et imiter les autres, à une simple affaire de « mode », comme il en est d’ailleurs aussi dans le cas de l’admiration affectée pour telle ou telle forme d’art, et qui varie d’un moment à l’autre au gré des circonstances.

Le cas de l’« exotisme » nous touche en quelque sorte plus directement que tout autre, parce qu’il est fort à craindre que l’intérêt même que certains manifestent pour les doctrines orientales ne soit dû trop souvent à cette tendance ; quand il en est ainsi, il est évident qu’il ne s’agit que d’une « attitude » purement extérieure et qu’il n’y a pas lieu de prendre au sérieux.

54 Pour prendre un exemple extrême et par là même plus « tangible », les œuvres de la plupart des peintres dits « orientalistes » ne montrent que trop bien ce que peut donner l’« optique » occidentale appliquée aux choses de l’Orient ; il n’est pas douteux qu’ils ont bien pris pour modèles des personnages, des objets et des paysages orientaux, mais, parce qu’ils ne les ont vus que d’une façon tout extérieure, la manière dont il les ont « rendus » vaut à peu près autant que les réalisations des « folkloristes » dont nous parlions tout à l’heure.

Ce qui complique les choses, c’est que cette même tendance peut aussi se mêler parfois, dans une proportion plus ou moins grande, à un intérêt beaucoup plus réel et plus sincère ; ce cas n’est certes pas désespéré comme l’autre, mais ce dont il faut bien se rendre compte alors, c’est qu’on ne pourra jamais parvenir à la véritable compréhension d’une doctrine quelconque que quand l’impression d’« exotisme » qu’elle a pu donner au début aura entièrement disparu.
Cela peut demander un effort préliminaire assez considérable et même pénible pour certains, mais qui est strictement indispensable s’ils veulent obtenir quelque résultat valable des études qu’ils ont entreprises ; si la chose est impossible, ce qui arrive naturellement quelquefois, c’est qu’on a affaire à des Occidentaux qui, du fait de leur constitution psychique spéciale, ne pourront jamais cesser de l’être, et qui, par conséquent, feraient beaucoup mieux de le demeurer entièrement et franchement, et de renoncer à s’occuper de choses dont ils ne peuvent tirer aucun profit réel, car, quoi qu’ils fassent, elles se situeront toujours pour eux dans un « autre monde » sans rapport avec celui auquel ils appartiennent en fait et dont ils sont incapables de sortir.

Nous ajouterons que ces remarques prennent une importance toute particulière dans les cas des Occidentaux d’origine qui, pour une raison ou pour une autre, et surtout pour des raisons d’ordre ésotérique et initiatique, les seules en somme que nous puissions considérer comme véritablement dignes d’intérêt (55), ont pris le parti d’adhérer à une tradition orientale ; en effet, il y a là une véritable question de « qualification » qui se pose pour eux, et qui devrait, en toute rigueur, faire l’objet d’une sorte d’« épreuve » préalable avant d’en venir à une adhésion réelle et effective. En tout cas, et même dans les conditions les plus favorables, il faut que ceux-là soient bien persuadés que, tant qu’ils trouveront le moindre caractère « exotique » à la forme traditionnelle qu’ils auront adoptée, ce sera la preuve la plus incontestable qu’ils ne se sont pas vraiment assimilé cette forme et que, quelles que puissent être les apparences, elle demeure encore pour eux quelque chose d’extérieur à leur être réel et qui ne le modifie que superficiellement ; c’est là en quelque sorte un des premiers obstacles qu’ils rencontrent sur leur voie, et l’expérience oblige à reconnaître que, pour beaucoup, ce n’est peut-être pas le moins difficile à surmonter.

55 Voir à ce sujet le chapitre précédent, À propos de « conversions ».


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Message par Ligeia Lun 7 Sep - 8:15

René Guénon s’y référant dans son texte, il est préférable de lire ces articles avant :

Voie mystique et voie initiatique :
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Erreurs diverses concernant l’initiation :
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"Un malheur inévitable n’en est pas moins un malheur ; et, même si du mal doit sortir un bien, cela n’enlève point au mal son caractère ; nous n’employons d’ailleurs ici, bien entendu, ces termes de « bien » et de « mal » que pour nous faire mieux comprendre, et en dehors de toute intention spécifiquement « morale ».
Les désordres partiels ne peuvent pas ne pas être, parce qu’ils sont des éléments nécessaires de l’ordre total ; mais, malgré cela, une époque de désordre est, en elle-même, quelque chose de comparable à une monstruosité, qui, tout en étant la conséquence de certaines lois naturelles, n’en est pas moins une déviation et une sorte d’erreur, ou à un cataclysme, qui, bien que résultant du cours normal des choses, est tout de même, si on l’envisage isolément, un bouleversement et une anomalie. La civilisation moderne, comme toutes choses, a forcément sa raison d’être, et, si elle est vraiment celle qui termine un cycle, on peut dire qu’elle est ce qu’elle doit être, qu’elle vient en son temps et en son lieu ; mais elle n’en devra pas moins être jugée selon la parole évangélique trop souvent mal comprise : « Il faut qu’il y ait du scandale ; mais malheur à celui par qui le scandale arrive ! »

" Rien ni personne n’est plus à la place où il devrait être normalement ; les hommes ne reconnaissent plus aucune autorité effective dans l’ordre spirituel, aucun pouvoir légitime dans l’ordre temporel ; les « profanes » se permettent de discuter des choses sacrées, d’en contester le caractère et jusqu’à l’existence même ; c’est l’inférieur qui juge le supérieur, l’ignorance qui impose des bornes à la sagesse, l’erreur qui prend le pas sur la vérité, l’humain qui se substitue au divin, la terre qui l’emporte sur le ciel, l’individu qui se fait la mesure de toutes choses et prétend dicter à l’univers des lois tirées tout entières de sa propre raison relative et faillible. « Malheur à vous, guides aveugles », est-il dit dans l’Évangile ; aujourd’hui, on ne voit en effet partout que des aveugles qui conduisent d’autres aveugles, et qui, s’ils ne sont arrêtés à temps, les mèneront fatalement à l’abîme où ils périront avec eux."



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Chapitre XIV : NOUVELLES CONFUSIONSE


Nous avons eu à signaler, il y a quelques années, l’étrange attitude de ceux qui éprouvaient le besoin de confondre délibérément l’ésotérisme avec le mysticisme ou même, pour parler plus exactement, d’exposer les choses de façon à substituer entièrement le mysticisme à l’ésotérisme partout où ils rencontraient celui-ci, et notamment dans les doctrines orientales (56).
Cette confusion avait d’ailleurs pris naissance chez les orientalistes, et elle pouvait, à l’origine, n’être due qu’à leur incompréhension, dont ils ont donné assez d’autres preuves pour qu’il n’y ait pas lieu de trop s’en étonner ; mais où la chose devint plus grave, c’est quand on s’en empara dans certains milieux religieux, avec des intentions visiblement beaucoup plus conscientes et un parti pris qui n’était plus simplement celui de tout faire rentrer bon gré mal gré dans les cadres occidentaux.

56 Voir Aperçus sur l’Initiation, ch. Ier.

Dans ces milieux, en effet, on s’était contenté jusque-là de nier purement et simplement l’existence de tout ésotérisme ce qui était évidemment l’attitude la plus commode, puisqu’elle dispensait d’examiner plus au fond quelque chose que l’on considérait comme particulièrement gênant, et qui l’est effectivement pour ceux qui, comme les exotéristes exclusifs, prétendent qu’il ne doit rien y avoir qui échappe à leur compétence ; mais il semble que, à un certain moment, on se soit rendu compte que cette négation totale et « simpliste » n’était plus possible, et qu’en même temps il était plus habile de dénaturer l’ésotérisme de façon à pouvoir l’« annexer » en quelque sorte, en l’assimilant à quelque chose qui, comme c’est le cas du mysticisme, ne relève en réalité que de l’exotérisme  religieux.
Ainsi, on pouvait encore continuer à ne pas prononcer le mot d’ésotérisme, puisque celui de mysticisme en prenait la place partout et toujours, et la chose elle-même était si bien travestie par là qu’elle paraissait rentrer dans le domaine exotérique, ce qui était sans doute l’essentiel pour les fins qu’on se proposait, et ce qui permettrait à certains de formuler à tort et à travers des « jugements » sur des choses qu’ils n’avaient pas la moindre qualité pour apprécier et qui, par leur véritable nature, étaient, à tous les points de vue, entièrement en dehors de leur « juridiction ».

En ces derniers temps, nous avons remarqué encore un autre changement d’attitude, et nous dirions volontiers un autre changement de tactique, car il va de soi que, en tout cela, il ne s’agit pas seulement d’une attitude qui, si erronée qu’elle soit, pourrait du moins passer pour désintéressée, comme on peut l’admettre dans le cas de la plupart des orientalistes (57) ; et ce qui est assez curieux, c’est que cette nouvelle attitude a commencé à se manifester précisément dans les mêmes milieux que la précédente, ainsi que dans quelques autres qui tiennent d’assez près à ceux-là, à en juger par le fait que nous y voyons figurer en partie les mêmes personnages (58 ).

57 Nous disons la plupart, car il faut évidemment faire exception pour les quelques orientalistes qui se trouvent avoir en même temps des liens plus ou moins étroits avec les milieux religieux dont il est question.
58 Nous avons déjà donné dans nos derniers comptes rendus, à propos d’une publication nouvelle, un exemple très caractéristique de l’attitude dont il s’agit, et nous aurons prochainement l’occasion d’en relever d’autres ; mais il est bien entendu que, pour le moment, nous nous en tenons à des considérations d’ordre plus général, sans entrer dans l’examen particulier et détaillé de certains cas individuels (et nous l’entendons aussi bien des groupements et de leurs organes que des personnes), qui trouvera mieux sa place ailleurs quand il y aura lieu.


Maintenant, on n’hésite plus à parler nettement d’ésotérisme, comme si ce mot avait subitement cessé de faire peur à certains ; qu’a-t-il bien pu se passer pour qu’ils se décident à en arriver là ?

Il serait sans doute assez difficile de le dire exactement, mais il est permis de supposer que, d’une façon ou d’une autre, l’existence de l’ésotérisme est devenue une vérité trop évidente pour qu’on puisse continuer à la passer sous silence ou à soutenir que cet ésotérisme n’est rien d’autre que du mysticisme ; à dire vrai, nous craignons bien d’être nous-même pour quelque chose dans la déconvenue plutôt pénible que cette constatation a dû causer de ce côté, mais c’est ainsi et nous n’y pouvons rien ; il faut bien qu’on en prenne son parti et qu’on tache de s’accommoder de son mieux aux modifications qui surviennent dans les circonstances au milieu desquelles on vit !
C’est d’ailleurs ce qu’on s’est empressé de faire, mais ce n’est pas à dire que nous pensions devoir nous en féliciter outre mesure, car il n’y a guère d’illusions à se faire sur ce que nous pourrions appeler la « qualité » de ce changement ; il ne suffit pas, en effet, qu’on veuille bien reconnaître enfin l’existence de l’ésotérisme comme tel, il faut encore voir comment on le présente et de quelle manière on en parle, et, comme il fallait s’y attendre, c’est là que les choses se gâtent d’une assez singulière façon.

Tout d’abord, bien qu’il ne soit pas toujours facile de savoir ce que certains pensent au fond, parce qu’ils paraissent s’appliquer à ne jamais dissiper entièrement les équivoques qui peuvent s’introduire dans leurs exposés (et nous ne voulons pas leur faire l’injure de croire que ce soit là pure incapacité de leur part), il semble bien qu’ils admettent non seulement l’existence de l’ésotérisme, mais aussi sa validité, tout au moins dans une certaine mesure, et cela surtout sous le couvert du symbolisme ; et, assurément, c’est déjà quelque chose d’assez appréciable que, pour ce qui est du symbolisme, ils ne se contentent plus de la fâcheuse banalité des interprétations exotériques courantes et du plat « moralisme » dont celles-ci s’inspirent le plus habituellement.

Pourtant, nous dirions volontiers que, sous certains rapports, ils vont parfois trop loin, en ce sens que, à des considérations fort justes, il leur arrive d’en mêler d’autres qui ne relèvent que d’un pseudo-symbolisme tout à fait fantaisiste et qu’il est véritablement impossible de prendre au sérieux ; faut-il ne voir là que l’effet d’une certaine inexpérience dans ce domaine où rien ne saurait s’improviser ?
Il est bien possible qu’il y ait quelque chose de cela, mais il peut aussi y avoir autre chose ; on dirait même que ce mélange est fait tout exprès pour déprécier le symbolisme et l’ésotérisme, et cependant nous ne pouvons pas croire que telle soit l’intention de ceux qui écrivent ces choses, car il faudrait alors qu’ils se résignent volontairement à voir ce discrédit rejaillir sur eux-mêmes et sur leurs propres travaux ; mais il est moins sûr que cette intention n’existe en aucune façon chez ceux par qui ils se laissent diriger, car il va de soi que, en pareil cas, tous ne sont pas également conscients des dessous de la « tactique » à laquelle ils apportent leur collaboration.

Quoi qu’il en soit, nous préférons, jusqu’à preuve du contraire, penser qu’il s’agit seulement de « minimiser » cet ésotérisme qu’on ne peut plus nier (c’est en somme ce qu’une expression proverbiale appelle « faire la part du feu »), d’en amoindrir la portée le plus possible, en y introduisant des questions sans importance réelle, voire même tout à fait insignifiantes, des sortes d’« amusettes » pour le public, qui naturellement ne sera que trop disposé à se faire une idée de l’ésotérisme lui-même d’après ces petites choses qui sont, beaucoup plus que tout le reste, à la mesure de ses facultés de compréhension (59).

Ce n’est pourtant pas encore le plus grave, et il y a autre chose qui nous paraît plus inquiétant à certains égards : c’est qu’on mélange inextricablement l’ésotérisme véritable avec ses multiples déformations et contrefaçons contemporaines, occultistes, théosophistes et autres, en tirant indistinctement de l’un et des autres des notions et des références qu’on présente de façon à les mettre pour ainsi dire sur le même plan, et en s’abstenant d’ailleurs de marquer nettement ce qu’on admet et ce qu’on rejette dans tout cela ; n’y a-t-il là qu’ignorance ou manque de discernement ?

59 Nous savons par ailleurs que tel ecclésiastique, qui avait commencé à exposer des vues d’un intérêt incontestable au point de vue du symbolisme, s’est vu ensuite obligé, non pas de les renier, mais de les atténuer en déclarant lui-même qu’il n’y attachait qu’une importance tout à fait secondaire et qu’il les regardait en quelque sorte comme doctrinalement indifférentes ; ce fait paraît bien aller à l’appui de ce que nous disons ici de ce « rapetissement » voulu de l’ésotérisme, qui peut d’ailleurs fort bien s’opérer de plusieurs façons apparemment contraires, en attribuant de l’importance à ce qui n’en a pas et en affaiblissant celle de ce qui en a réellement.

Ce sont là des choses qui peuvent sans doute jouer assez souvent quelque rôle en pareil cas, et que d’ailleurs certains « dirigeants » savent fort bien faire servir aussi à leurs fins ; mais, dans le cas présent, il est malheureusement impossible qu’il n’y ait que cela, car, parmi ceux qui agissent ainsi, nous sommes tout à fait certain qu’il y en a qui sont parfaitement informés de ce qu’il en est réellement ; alors, comment qualifier une telle façon de procéder qui semble calculée expressément pour jeter le trouble et la confusion dans l’esprit de leurs lecteurs ?

Comme du reste il ne s’agit pas là d’un fait isolé, mais d’une tendance générale chez ceux dont nous parlons, il semble bien qu’elle doive répondre à quelque « plan » préconçu ; naturellement, on peut y voir un nouvel exemple du désordre moderne qui s’étend partout de plus en plus, et sans lequel des confusions de ce genre ne pourraient guère se produire et encore moins se répandre ; mais ce n’est pas suffisant comme explication, et, encore une fois, nous devons nous demander quelles intentions plus précises il y a là-dessous.
Il est peut-être encore trop tôt pour les distinguer clairement, et il convient d’attendre quelque peu pour mieux voir dans quel sens ce « mouvement » se développera ; mais ne s’agirait-il pas en premier lieu, en confondant tout ainsi, de rejeter sur l’ésotérisme le plus authentique quelque chose de la suspicion qui s’attache très légitimement à ses contrefaçons ?

Cela pourrait sembler contradictoire avec l’acceptation même de l’ésotérisme, mais nous ne sommes pas très sûr qu’il en soit réellement ainsi, et voici pourquoi : d’abord, du fait même des équivoques auxquelles nous faisions allusion plus haut, cette acceptation n’est en quelque sorte que « de principe » et ne porte actuellement sur rien de bien déterminé ; ensuite, bien qu’on se garde de toute appréciation d’ensemble, on lance de temps à autre quelques insinuations plus ou moins malveillantes et il se trouve qu’elles sont presque toujours dirigées contre le véritable ésotérisme.

Ces remarques amènent à se demander si, en définitive, il ne s’agirait pas tout simplement de préparer la constitution d’un nouveau pseudo-ésotérisme d’un genre quelque peu particulier, destiné à donner une apparence de satisfaction à ceux qui ne se contentent plus de l’exotérisme, tout en les détournant de l’ésotérisme véritable auquel on prétendait l’opposer (60).

60 L’incorporation de certains éléments réellement traditionnels n’empêcherait pas que, en tant que « construction » et dans son ensemble, ce ne soit qu’un pseudo-ésotérisme ; du reste, les occultistes eux-mêmes ont bien procédé ainsi, quoique pour des raisons différentes et d’une façon beaucoup moins consciente.

S’il en était ainsi comme ce pseudo ésotérisme, dont nous avons peut-être déjà quelques échantillons dans les fantaisies et les « amusettes » dont nous avons parlé, est probablement encore assez loin d’être entièrement « au point », il serait compréhensible que, en attendant qu’il le soit, on ait tout intérêt à rester le plus possible dans le vague, quitte à en sortir pour prendre ouvertement l’offensive au moment voulu, et ainsi tout s’expliquerait fort bien.

Il est bien entendu que, jusqu’à nouvel ordre, nous ne pouvons présenter ce que nous venons de dire en dernier lieu que comme une hypothèse, mais tous ceux qui connaissent la mentalité de certaines gens reconnaîtront sûrement qu’elle ne manque pas de vraisemblance ; et en ce qui nous concerne, il nous est revenu de divers côtés, depuis quelque temps déjà, quelques histoires de prétendues initiations qui, si inconsistantes qu’elles soient seraient aussi de nature à la confirmer.

Nous ne voulons pas, pour le moment, en dire plus sur tout cela, mais nous avons tenu à ne pas attendre davantage pour mettre en garde ceux qui, de la meilleure foi du monde, risqueraient de se laisser trop facilement séduire par certaines apparences trompeuses ; et nous serions trop heureux si, comme il arrive parfois, le seul fait d’avoir exposé ces choses suffisait à en arrêter le développement avant qu’elles n’aillent trop loin.
Nous ajouterons encore que, à un niveau beaucoup plus bas que celui dont il s’agit, nous avons observé aussi récemment des confusions qui sont en somme du même genre, et qu’ici du moins l’intention n’est nullement douteuse : il s’agit manifestement de chercher à assimiler l’ésotérisme à ses pires contrefaçons et les représentants des organisations initiatiques traditionnelles aux charlatans des diverses pseudo-initiations ; entre ces ignominies grossières, contre lesquelles on ne saurait protester trop énergiquement, et certaines manœuvres beaucoup plus subtiles, il y a assurément une différence à faire ; mais, au fond, tout cela ne serait-il pas dirigé dans le même sens, et les tentatives les plus habiles et les plus insidieuses ne sont-elles pas aussi les plus dangereuses par là même ?


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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Chapitre XV : sur le prétendu "orgueil intellectuel"

Message par Ligeia Jeu 17 Sep - 9:05

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Chapitre XV : SUR LE PRÉTENDU « ORGUEIL INTELLECTUEL »

Dans le précédent chapitre, à propos de la nouvelle attitude prise vis-à-vis de l’ésotérisme dans certains milieux religieux, nous disions que, dans les exposés se rapportant à cet ordre de choses, on introduit de temps à autre, et comme incidemment, certaines insinuations malveillantes qui, si elles ne répondaient à quelque intention bien définie, s’accorderaient plutôt mal avec l’admission même de l’ésotérisme, cette admission ne fût-elle que « de principe » en quelque sorte.

Parmi ces insinuations, il en est une sur laquelle nous ne croyons pas inutile de revenir plus particulièrement : il s’agit du reproche d’« orgueil intellectuel », qui n’est certes pas nouveau, bien loin de là, mais qui reparaît encore là une fois de plus, et qui, chose singulière, vise toujours de préférence les adhérents des doctrines ésotériques les plus authentiquement traditionnelles ; faut-il en conclure que ceux-ci sont estimés plus gênants que les contrefacteurs de toute catégorie ?
Cela est fort possible en effet, et d’ailleurs, en pareil cas, les contrefacteurs en question doivent sans doute être regardés comme étant plutôt à ménager, puisque, comme nous l’avons signalé, ils servent à créer les plus fâcheuses confusions et sont par là même des auxiliaires, involontaires assurément, mais non moins utiles pour cela, de la « tactique » nouvelle qu’on a cru devoir adopter pour faire face aux circonstances.

L’expression d’« orgueil intellectuel » est manifestement contradictoire en elle-même, car, si les mots ont encore une signification définie (mais nous sommes parfois tentés de douter qu’ils en aient une pour la majorité de nos contemporains), l’orgueil ne peut être que d’ordre purement sentimental.
On pourrait peut-être, en un certain sens, parler d’orgueil en connexion avec la raison, parce que celle-ci appartient au domaine individuel tout aussi bien que le sentiment, de sorte que, entre l’une et l’autre, des réactions réciproques sont toujours possibles ; mais comment pourrait-il en être ainsi dans l’ordre de l’intellectualité pure, qui est essentiellement supra-individuel ? Et, dès lors que c’est d’ésotérisme qu’il s’agit par hypothèse, il est évident que ce n’est pas de la raison qu’il peut être question, mais bien de l’intellect transcendant, soit directement dans le cas d’une véritable réalisation métaphysique et initiatique, soit tout au moins indirectement, mais pourtant très réellement aussi, dans le cas d’une connaissance qui n’est encore que simplement théorique, puisque, de toute façon, il s’agit là d’un ordre de choses que la raison est incapable d’atteindre. C’est d’ailleurs pourquoi les rationalistes sont toujours si acharnés à en nier l’existence ; l’ésotérisme les gêne tout autant que les exotéristes religieux les plus exclusifs, quoique naturellement pour des motifs tout différents ; mais, motifs à part, il y a là en fait une « rencontre » qui est assez curieuse.

Au fond, le reproche dont il s’agit peut paraître inspiré surtout par la manie égalitaire des modernes, qui ne veut souffrir quoi que ce soit qui dépasse le niveau « moyen » ; mais ce qui est plus étonnant, c’est de voir des gens qui se recommandent d’une tradition, fût-ce seulement au point de vue exotérique, partager de semblables préjugés, qui sont l’indice d’une mentalité nettement antitraditionnelle.
Cela prouve assurément qu’ils sont gravement affectés par l’esprit moderne, bien que probablement ils ne s’en rendent pas compte eux-mêmes ; et il y a là encore une de ces contradictions si fréquentes à notre époque, qu’on est bien obligé de constater tout en s’étonnant qu’elles puissent passer généralement inaperçues. Mais où cette contradiction atteint son degré le plus extrême, c’est quand elle se trouve, non plus même chez ceux qui sont résolus à n’admettre rien d’autre que l’exotérisme et qui le déclarent expressément, mais, comme c’est le cas ici, chez ceux qui semblent accepter un certain ésotérisme, quelles qu’en soient d’ailleurs la valeur et l’authenticité, car enfin ils devraient tout au moins sentir que le même reproche pourrait être formulé aussi contre eux par les exotéristes intransigeants.

Faut-il conclure de là que leur prétention à l’ésotérisme n’est en définitive qu’un masque, et qu’elle a surtout pour but de faire rentrer dans la commune mesure du « troupeau » ceux qui pourraient être tentés d’en sortir si l’on n’avisait à trouver un moyen de les détourner du véritable ésotérisme ? S’il eu était ainsi, il faut convenir que tout s’expliquerait assez bien, l’accusation d’« orgueil intellectuel » étant dressée devant eux comme une sorte d’épouvantail, tandis que, en même temps, la présentation d’un pseudo-ésotérisme quelconque donnerait à leurs aspirations une satisfaction illusoire et parfaitement inoffensive ; encore une fois, il faudrait bien mal connaître la mentalité de certains milieux pour se refuser à croire à la vraisemblance d’une telle hypothèse.

Maintenant, nous pouvons, en ce qui concerne le prétendu « orgueil intellectuel », aller plus au fond des choses : ce serait vraiment un singulier orgueil que celui qui aboutit à dénier à l’individualité toute valeur propre, en la faisant apparaître comme rigoureusement nulle au regard du Principe.
En somme, ce reproche procède exactement de la même incompréhension que celui d’égoïsme qui est parfois adressé aussi à l’être qui cherche à atteindre la Délivrance finale : comment pourrait-on parler d’« égoïsme » là où, par définition même, il n’y a plus d’ego ?
Il serait sinon plus juste, du moins plus logique de voir quelque chose d’égoïste dans la préoccupation du « salut » (ce qui, bien entendu, ne voudrait nullement dire qu’elle soit illégitime), ou de trouver la marque d’un certain orgueil dans le désir d’« immortaliser » son individualité au lieu de tendre à la dépasser ; les exotéristes devraient bien y réfléchir, car cela pourrait être de nature à les rendre un peu plus circonspects dans les accusations qu’ils lancent ainsi inconsidérément.

Nous ajouterons encore, à propos de l’être qui parvient à la Délivrance, qu’une réalisation d’ordre universel comme celle-là a des conséquences bien autrement étendues et effectives que le vulgaire « altruisme », qui n’est que le souci des intérêts d’une simple collectivité, et qui par conséquent ne sort en aucune façon de l’ordre individuel ; dans l’ordre supra-individuel où il n’y a plus de « moi », il n’y a pas davantage d’« autrui », parce qu’il s’agit là d’un domaine où tous les êtres sont un, « fondus sans être confondus », suivant l’expression d’Eckhart, et réalisant véritablement ainsi la parole du Christ : « Qu’ils soient un comme le Père et moi nous sommes un. »

Ce qui est vrai de l’orgueil l’est également de l’humilité qui, étant son contraire, se situe exactement au même niveau, et dont le caractère n’est pas moins exclusivement sentimental et individuel ; mais il y a, dans un tout autre ordre, quelque chose qui, spirituellement, est bien autrement valable que cette humilité : c’est la « pauvreté spirituelle » entendue dans son vrai sens, c’est-à-dire la reconnaissance de la dépendance totale de l’être vis-à-vis du Principe ; et qui peut en avoir une conscience plus réelle et plus complète que les véritables ésotéristes ?
Nous irions même volontiers plus loin : à notre époque, qui, en dehors de ceux-ci, en a encore vraiment conscience à quelque degré, et, même pour les adhérents d’un exotérisme traditionnel, sauf peut-être quelques exceptions de plus en plus rares, peut-il y avoir là quelque chose de plus qu’une affirmation toute verbale et extérieure ?

Nous en doutons fort, et la raison profonde en est celle-ci : pour employer les termes de la tradition extrême-orientale, qui sont ici ceux qui permettent d’exprimer le plus facilement ce que nous voulons dire, l’homme pleinement « normal » doit être yin par rapport au Principe, mais au Principe seul, et, en raison de sa situation « centrale », il doit être yang par rapport à toute la manifestation ; au contraire, l’homme déchu prend une attitude par laquelle il tend de plus en plus à se faire yang par rapport au Principe (ou plutôt à s’en donner l’illusion, car il va de soi que c’est là une impossibilité) et yin par rapport à la manifestation ; et c’est de là que sont nés tout à la fois l’orgueil et l’humilité.
Quand la déchéance en arrive à sa dernière phase, l’orgueil aboutit finalement à la négation du Principe, et l’humilité à celle de toute hiérarchie ; de ces deux négations, les exotéristes religieux se refusent évidemment à la première, ils la repoussent même avec une véritable horreur quand elle prend le nom d’« athéisme », mais, par contre, nous avons trop souvent l’impression qu’ils ne sont plus bien éloignés de la seconde (1) !

(1) Nous profiterons de cette occasion pour signaler aussi accessoirement un reproche particulièrement grotesque qui nous a été fait, et qui en somme se rattache encore au même ordre d’idées, nous voulons dire à l’intrusion de la sentimentalité dans un domaine où elle ne saurait légitimement avoir accès : il paraît que nos écrits ont le grave défaut de « manquer de joie » ! Que certaines choses nous causent de la joie ou non, cela ne peut en tout cas dépendre que de nos propres dispositions individuelles, et, en elles-mêmes, ces choses n’y sont assurément pour rien, étant totalement indépendantes de semblables contingences ; cela ne peut ni ne doit donc intéresser personne, et il serait parfaitement ridicule et déplacé d’en introduire quoi que ce soit dans l’exposé de doctrines traditionnelles à l’égard desquelles les individualités, et la nôtre aussi bien que toute autre, ne comptent absolument pour rien.


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Message par Ligeia Mar 22 Sep - 9:58

Les expérimentations personnelles ne valent rien sans la Connaissance directe apportée par l'initiation et les influences spirituelles.
"L'intellect pur" est représenté par la lumière solaire, il ne dépend pas de ressentis personnels, subjectifs et vagues.

Il s’agit de faire la distinction entre « un homme qui connait la lumière par les rayons qui parviennent jusqu’à lui », connaissance qui peut n’être encore que virtuelle et théorique mais relevant déjà du domaine initiatique et de certitudes toutes autres ; et ceux qui ne la connaissent que par reflets, ou par « des ombres projetées (...) comme les prisonniers de la caverne symbolique de Platon ».
Ces derniers restent dans le domaine individuel et leurs « expérimentations » apparaissent comme « quelque chose de passager et même de fugitif, dont l’être sort comme il y est entré, et qu’il peut même ne jamais retrouver, ce qui s’explique par le caractère "phénoménique" de ces états, reçus du dehors, en quelque sorte, au lieu de procéder de "l’intériorité" même de l’être. »


  • « Cela signifie que, dans le cas du mysticisme, l’individu se borne à recevoir simplement ce qui se présente à lui, et tel qu’il se présente, sans que lui-même y soit pour rien ; et, disons-le tout de suite, c’est en cela que réside pour lui le danger principal, du fait qu’il est ainsi « ouvert » à toutes les influences, de quelque ordre qu’elles soient, et qu’au surplus, en général et sauf de rares exceptions, il n’a pas la préparation doctrinale qui serait nécessaire pour lui permettre d’établir entre elles une discrimination quelconque. »


La seule façon de se prémunir contre ce genre d’illusions c’est de s’appuyer encore et toujours sur les textes sacrés et les écrits traditionnels.

Mais là aussi, il s’agit de les accepter dans leur totalité et non pas sous formes fragmentaires selon ce qui nous convient ou ce qu’on veut faire croire.  
A propos du verset coranique « As-tu vu celui qui a pris pour son dieu (ilâh) sa passion ? » (Cor. 25, 43 et Cor. 45, 23), Ibn Arabî enseigne qu’en réalité l’homme « n’a jamais adoré que sa passion »...


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Chapitre XVI : CONTEMPLATION DIRECTE ET CONTEMPLATION PAR REFLET


Nous devons revenir encore une fois sur les différences essentielles qui existent entre la réalisation métaphysique ou initiatique et la réalisation mystique, car, à ce sujet, certains ont posé cette question : si la contemplation comme nous le préciserons encore plus loin, est la plus haute forme de l’activité, et beaucoup plus active en réalité que tout ce qui relève de l’action extérieure, et si, comme on l’admet généralement, il y a aussi contemplation dans les cas des états, mystiques, n’y a-t-il pas là quelque chose d’incompatible avec le caractère de passivité qui est inhérent au mysticisme même ?

De plus, dès lors qu’on peut parler de contemplation à la fois dans l’ordre métaphysique et dans l’ordre mystique, il pourrait sembler que l’un et l’autre coïncident sous ce rapport, au moins dans une certaine mesure ; ou bien, s’il n’en est pas ainsi, y aurait-il donc deux sortes de contemplation ?
Avant tout, il convient de rappeler à cet égard qu’il y a bien des qualités différentes de mysticisme, et que les formes inférieures de celui-ci ne sauraient être en cause ici, car on ne peut pas y parler réellement de contemplation au vrai sens de ce mot. Il faut écarter, à ce point de vue, tout ce qui a le caractère le plus nettement « phénoménique », c’est-à-dire en somme tous les états où se rencontre ce à quoi les théoriciens du mysticisme appliquent des désignations comme celles de « vision sensible » et de « vision imaginaire » (et d’ailleurs l’imagination rentre également dans l’ordre des facultés sensibles prises au sens le plus étendu), états qu’eux-mêmes considèrent aussi comme  inférieurs, et que même, avec juste raison, ils n’envisagent pas sans une certaine méfiance car il est évident que c’est là que l’illusion peut s’introduire avec la plus grande facilité.

Il n’y a de contemplation mystique proprement dite que dans le cas de ce qui est appelé « vision intellectuelle », qui est d’un ordre beaucoup plus « intérieur », et à laquelle n’atteignent que les mystiques qu’on peut dire supérieurs, à tel point qu’il semble que ce soit là en quelque sorte l’aboutissement et comme le but même de leur réalisation ; mais ces mystiques dépassent-ils effectivement par là le domaine individuel ?
C’est en cela que consiste au fond toute la question, car c’est cela seul qui, tout en laissant d’ailleurs subsister en tout cas la différence des moyens caractérisant respectivement les deux voies initiatique et mystique, pourrait justifier, quant à leur but, une certaine assimilation comme celle dont nous venons de parler. Il est bien entendu qu’il ne s’agit aucunement pour nous d’amoindrir la portée des différences qualificatives qui existent dans le mysticisme lui-même ; mais il n’en est pas moins vrai que, même pour ce qu’il y a de plus élevé dans celui-ci, cette assimilation impliquerait une confusion qu’il est nécessaire de dissiper.

Nous dirons nettement qu’il y a bien réellement deux sortes de contemplation, qu’on pourrait appeler une contemplation directe et une contemplation par reflet ; de même en effet qu’on peut regarder directement le soleil ou regarder seulement son reflet dans l’eau, de même aussi on peut contempler, soit les réalités spirituelles telles qu’elles sont en elles-mêmes, soit leur reflet dans le domaine individuel.

On peut bien parler de contemplation dans les deux cas, et même, en un certain sens, ce sont bien les mêmes réalités qui sont contemplées, comme c’est le même soleil qu’on voit directement ou par son reflet ; mais il n’en est pas moins évident qu’il y a là une très grande différence. Il y a même plus que ne pourrait le faire penser à première vue la comparaison que nous venons de donner, car la contemplation directe des réalités spirituelles implique nécessairement qu’on se transporte soi-même en quelque sorte dans leur propre domaine, ce qui suppose un certain degré de réalisation des états supra-individuels, réalisation qui ne peut jamais être qu’essentiellement active ; par contre, la contemplation par reflet implique seulement qu’on « s’ouvre » à ce qui se présentera comme spontanément (et qui pourra aussi ne pas se présenter, puisque c’est là quelque chose qui ne dépend aucunement de la volonté ou de l’initiative du contemplatif) et, c’est pourquoi il n’y a là rien qui soit incompatible avec la passivité mystique.

Naturellement, cela n’empêche pas la contemplation d’être toujours, à un degré ou à un autre, une véritable activité intérieure, et d’ailleurs un état qui serait purement passif ne se conçoit peut-être même pas, puisque la simple sensation elle-même a aussi quelque chose d’actif sous un certain rapport ; en fait, la passivité pure n’appartient qu’à la materia prima et ne saurait se rencontrer nulle part dans la manifestation.
Mais la passivité du mystique consiste proprement en ce qu’il se borne à recevoir ce qui vient à lui, et qui ne peut pas ne pas éveiller en lui une certaine activité intérieure, celle-là même qui constituera précisément sa contemplation ; il est passif parce qu’il ne fait rien pour aller au-devant des réalités qui sont l’objet de cette contemplation, et c’est cela même qui entraîne comme conséquence qu’il ne sort pas de son état individuel.
Il faut donc, pour que ces réalités lui deviennent accessibles en quelque façon, qu’elles descendent pour ainsi dire dans le domaine individuel, ou, si l’on préfère, qu’elles s’y reflètent comme nous le disions tout à l’heure ; cette dernière façon de parler est d’ailleurs la plus exacte, parce qu’elle fait mieux comprendre qu’elles ne sont aucunement affectées par cette « descente » apparente, pas plus que le soleil ne l’est par l’existence de son reflet.

Un autre point particulièrement important, et qui se rattache du reste assez étroitement au précédent, c’est que la contemplation mystique, par là même qu’elle n’est qu’indirecte, n’implique jamais aucune identification, mais au contraire, laisse toujours subsister la dualité entre le sujet et l’objet ; à vrai dire, d’ailleurs, il est en quelque sorte nécessaire qu’il en soit ainsi, car cette dualité fait partie intégrante du point de vue religieux comme tel, et, ainsi que nous avons déjà eu souvent l’occasion de le dire, tout ce qui est mysticisme relève proprement du domaine religieux (62).

Ce qui peut prêter à confusion sur ce point, c’est que les mystiques emploient volontiers le mot « d’union », et que la contemplation dont il s’agit appartient même plus précisément à ce qu’ils nomment « vie unitive » ; mais cette « union » n’a aucunement la même signification que le Yoga ou ses équivalents, de sorte qu’il n’y a là qu’une similitude tout extérieure. Ce n’est pas qu’il soit illégitime d’employer le même mot, car, dans le langage courant lui-même, on parle d’union entre des êtres dans bien des cas divers et où il n’y a évidemment identification entre eux à aucun degré ; il faut seulement avoir toujours le plus grand soin de ne pas confondre des choses différentes sous prétexte qu’un seul mot sert à désigner également les unes et les autres.

Dans le mysticisme, insistons-y encore, il n’est jamais question d’identification avec le Principe, ni même avec tel ou tel de ses aspects « non suprêmes » (ce qui en tout cas dépasserait encore manifestement les possibilités d’ordre individuel) ; et, de plus, l’union qui est considérée comme le terme même de la vie mystique est toujours rapportée à une manifestation principielle envisagée uniquement dans le domaine humain ou par rapport à celui-ci (63).
Il doit être bien entendu, d’autre part, que la contemplation atteinte dans la réalisation initiatique comporte bien des degrés différents, de sorte qu’elle ne va assurément pas toujours jusqu’à une identification ; mais, quand il en est ainsi, elle n’est encore regardée que comme un stade préliminaire, une étape dans le cours de la réalisation, et non point comme le but suprême auquel l’initiation doit conduire finalement (64).

Cela devrait suffire à montrer que les deux voies ne tendent pas réellement à la même fin, puisque l’une d’elles s’arrête à ce qui ne représente pour l’autre qu’une étape secondaire ; et de plus, même à ce degré, il y a une grande différence en ce que, dans l’un des deux cas, c’est un reflet qui est contemplé en quelque sorte en lui-même et pour lui-même, tandis que, dans l’autre, ce reflet n’est pris que comme le point d’aboutissement des rayons dont il faudra suivre la direction pour remonter, à partir de là, jusqu’à la source même de la lumière.

62 Ceci ne veut pas dire qu’il n’y ait pas, dans les écrits anciens appartenant à la tradition chrétienne, certaines choses qui ne pourraient se comprendre autrement que comme l’affirmation plus ou moins explicite d’une identification ; mais les modernes, qui d’ailleurs cherchent généralement à en atténuer le sens, les trouvant gênantes parce qu’elles ne rentrent pas dans leurs propres conceptions, commettent une erreur en les rapportant au mysticisme ; il y avait certainement alors, dans le Christianisme même bien des choses d’un tout autre ordre et dont ils n’ont plus la moindre idée.
63 Le langage même des mystiques est très net à cet égard : il ne s’agit jamais d’union avec le Christ-principe, c’est-à-dire avec le Logos en lui-même, ce qui, même sans aller jusqu’à l’identification, serait déjà au-delà du domaine humain ; il s’agit toujours d’« union avec le Christ Jésus », expression qui se réfère clairement d’une façon exclusive, au seul aspect « individualisé » de l’Avatâra.
64 La différence entre cette contemplation préliminaire et l’identification est celle qui existe entre ce que la tradition islamique désigne respectivement comme aynul-yaqîn et haqqul-yaqîn (voir Aperçus sur l’Initiation, pp. 173- 175).




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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Chapitre XVII

Message par Ligeia Ven 2 Oct - 8:34


  • "Les Orientaux, et plus généralement tous les peuples ayant une civilisation traditionnelle, ont toujours ignoré ce que les Occidentaux modernes décorent du nom de « tolérance », et qui n’est réellement que l’indifférence à la vérité, c’est-à-dire quelque chose qui ne peut se concevoir que là où l’intellectualité est totalement absente ; que les Occidentaux vantent cette « tolérance », comme une vertu, n’est-ce pas là un indice tout à fait frappant du degré d’abaissement où les a amenés le reniement de la tradition ?"



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Chapitre XVII : DOCTRINE ET MÉTHODE


Nous avons souvent insisté déjà sur le fait que, si le but ultime de toute initiation est essentiellement un, il est cependant nécessaire que les voies qui permettent de l’atteindre soient multiples, afin de s’adapter à la diversité des conditions individuelles ; en cela, en effet, il ne faut pas considérer seulement le point d’arrivée, qui est toujours le même, mais aussi le point de départ, qui est différent suivant les individus.
Il va de soi, d’ailleurs, que ces voies multiples tendent à s’unifier à mesure qu’elles se rapprochent du but, et que, même avant d’y parvenir, il y a un point à partir duquel les différences individuelles ne peuvent plus intervenir en aucune façon ; et il n’est pas moins évident que leur multiplicité, qui n’affecte en rien l’unité du but, ne saurait davantage affecter l’unité fondamentale de la doctrine, qui, en réalité, n’est pas autre chose que celle de la vérité même.

Ces notions sont tout à fait courantes dans toutes les civilisations orientales : ainsi, dans les pays de langue arabe, il est passé en expression proverbiale de dire que « chaque sheikh a sa tarîqah », pour dire qu’il y a de nombreuses façons de faire une même chose et d’obtenir un même résultat. À la multiplicité des turuq dans l’initiation islamique correspond exactement, dans la tradition hindoue, celle des voies du Yoga, dont on parle quelquefois comme d’autant de Yogas distincts, bien que cet emploi du pluriel soit tout à fait impropre si le mot était pris dans son sens strict, qui désigne le but lui-même ; il ne se justifie que par l’extension usuelle de la même dénomination aux méthodes ou aux procédés qui sont unis en œuvre pour atteindre ce but ; et, en toute rigueur, il serait plus correct de dire qu’il n’y a qu’un Yoga, mais qu’il y a de multiples mârgas ou voies conduisant à sa réalisation.

Nous avons constaté à cet égard, chez certains Occidentaux, une méprise vraiment singulière : de la constatation de cette multiplicité de voies, ils prétendent conclure à l’inexistence d’une doctrine unique et invariable, voire même de toute doctrine dans le Yoga ; ils confondent ainsi, si invraisemblable que cela puisse paraître, la question de doctrine et la question de méthode, qui sont des choses d’ordre totalement différent. On ne devrait d’ailleurs pas parler, si l’on tient à l’exactitude de l’expression, d’« une doctrine du Yoga », mais de la doctrine traditionnelle hindoue, dont le Yoga représente un des aspects ; et, pour ce qui est des méthodes de réalisation du Yoga, elles ne relèvent que des applications « techniques » auxquelles la doctrine donne lieu, et qui sont traditionnelles, elles aussi, précisément parce qu’elles sont fondées sur la doctrine et ordonnées en vue de celle-ci, ce à quoi elles tendent étant toujours, en définitive, l’obtention de la pure Connaissance.

Il est bien clair que la doctrine, pour être vraiment tout ce qu’elle doit être, doit comporter, dans son unité même, des aspects ou des points de vue (darshanas) divers, et que, sous chacun de ces points de vue, elle doit être susceptible d’applications indéfiniment variées ; pour s’imaginer qu’il peut y avoir là quoique chose de contraire à son unité et à son invariabilité essentielles, il faut, disons le nettement, n’avoir pas la moindre idée de ce qu’est réellement une doctrine traditionnelle. D’ailleurs, d’une façon analogue, la multiplicité indéfinie des choses contingentes n’est-elle pas, elle aussi, comprise tout entière dans l’unité de leur Principe, et sans que l’immutabilité de celui-ci en soit aucunement affectée ?

Il ne suffit pas de constater purement et simplement une erreur ou une méprise comme celle dont il s’agit, et il est plus instructif d’en chercher l’explication ; nous devons donc nous demander à quoi peut bien correspondre, dans la mentalité occidentale, la négation de l’existence d’une chose telle que la doctrine traditionnelle hindoue. Il vaut mieux, en effet, prendre ici cette erreur sous sa forme la plus générale et la plus extrême, car c’est seulement ainsi qu’il est possible d’en découvrir la racine même ; quand elle revêt des formes plus particularisées ou plus atténuées, celles-ci se trouveront dès lors expliquées aussi « a fortiori », et d’ailleurs, à vrai dire, elles ne font guère que dissimuler, quoique d’une façon sans doute inconsciente dans bien des cas, la négation radicale que nous venons d’énoncer.

En effet, nier l’unité et l’invariabilité d’une doctrine, c’est en somme nier ses caractères les plus essentiels et les plus fondamentaux, ceux-là mêmes sans lesquels elle ne mérite plus ce nom ; c’est donc bien encore, même si l’on ne s’en rend pas compte, nier véritablement l’existence même de la doctrine comme telle.

Tout d’abord, en tant qu’elle prétend s’appuyer sur la considération d’une diversité de méthodes, ainsi que nous venons de le dire, cette négation procède manifestement de l’incapacité d’aller au-delà des apparences extérieures et de percevoir l’unité sous leur multiplicité ; sous ce rapport, elle est du même genre que la négation de l’unité foncière et principielle de toute tradition, à cause de l’existence de formes traditionnelles différentes, qui ne sont pourtant en réalité qu’autant d’expressions dont la tradition unique se revêt pour s’adapter à des conditions diverses de temps et de lieu, tout comme les différentes méthodes de réalisation, dans chaque forme traditionnelle, ne sont qu’autant de moyens qu’elle emploie pour se rendre accessible à la diversité des cas individuels.
Cependant, ce n’est encore là que le côté le plus superficiel de la question ; pour aller davantage au fond des choses, il faut remarquer que cette même négation montre aussi que, quand on parle de doctrine comme nous le faisons ici, on rencontre, chez certains, une incompréhension complète de ce dont il s’agit réellement ; en effet, s’ils ne détournaient pas ce mot de son sens normal, ils ne pourraient pas contester qu’il s’applique à un cas comme celui de la tradition hindoue, et que c’est même seulement dans un tel cas, nous voulons dire quand il s’agit d’une doctrine traditionnelle, qu’il a toute la plénitude de sa signification.

Or, si cette incompréhension se produit, c’est parce que la plupart des Occidentaux actuels sont incapables de concevoir une doctrine autrement que sous l’une ou l’autre de deux formes spéciales, de qualité extrêmement inégale d’ailleurs, puisque l’une est d’ordre exclusivement profane, tandis que l’autre possède un caractère vraiment traditionnel, mais qui toutes deux sont spécifiquement occidentales : ces deux formes sont, d’une part, celle d’un système philosophique, et, de l’autre, celle d’un dogme religieux.

Que la vérité traditionnelle ne puisse aucunement s’exprimer sous une forme systématique, c’est là un point que nous avons assez souvent expliqué pour n’avoir pas à y insister de nouveau ; d’ailleurs, l’unité apparente d’un système, qui ne résulte que de ses limitations plus ou moins étroites, n’est proprement qu’une parodie de la véritable unité doctrinale.
Au surplus, toute philosophie n’est rien de plus qu’une construction individuelle, qui, comme telle, ne se rattache à aucun principe transcendant, et qui est par conséquent dépourvue de toute autorité ; elle n’est donc point une doctrine au vrai sens de ce mot, et nous dirions plutôt que c’est une pseudo-doctrine, entendant par là qu’elle a la prétention d’en être une, mais que cette prétention n’est nullement justifiée.
Naturellement, les Occidentaux modernes pensent tout autrement à cet égard, et là, où ils ne retrouvent pas les cadres pseudo-doctrinaux auxquels ils sont habitués, ils sont inévitablement désemparés ; mais, comme ils ne veulent ou ne peuvent pas l’avouer, ils s’efforcent quand même de tout faire rentrer dans ces cadres en le dénaturant, ou bien, s’ils ne peuvent y réussir, ils déclarent tout simplement que ce à quoi ils ont affaire n’est pas une doctrine, par un de ces renversements de l’ordre normal dont ils sont coutumiers.

En outre, comme ils confondent l’intellectuel avec le rationnel, ils confondent aussi une doctrine avec une simple « spéculation » et, comme une doctrine traditionnelle est tout autre chose que cela, ils ne peuvent comprendre ce qu’elle est ; ce n’est certes pas la philosophie qui leur apprendra que la connaissance théorique, étant indirecte et imparfaite, n’a en elle-même qu’une valeur « préparatoire », en ce sens qu’elle fournit une direction qui empêche d’errer dans la réalisation, par laquelle seule peut être obtenue la connaissance effective, dont l’existence et la possibilité même sont quelque chose qu’ils ne soupçonnent même pas : alors, quand nous disons, comme nous le faisions plus haut, que le but à atteindre est la pure Connaissance, comment pourraient-ils savoir ce que nous entendons par là ?

D’autre part, nous avons eu bien soin de préciser, au cours de nos ouvrages, que l’orthodoxie de la doctrine traditionnelle hindoue ne devait aucunement être conçue en mode religieux ; cela implique forcément qu’elle ne saurait exprimer sous une forme dogmatique, celle-ci étant inapplicable en dehors du point de vue de la religion proprement dite.
Seulement, en fait, les Occidentaux ne connaissent généralement pas d’autre forme d’expression des vérités traditionnelles que celle-là ; c’est pourquoi, quand on parle d’orthodoxie doctrinale, ils pensent inévitablement à des formules dogmatiques ; ils savent en effet tout au moins ce qu’est un dogme, ce qui d’ailleurs ne veut certes pas dire qu’ils le comprennent ; mais ils savent sous quelle apparence extérieure il se présente, et c’est à cela que se borne toute l’idée qu’ils ont encore de la tradition.

L’esprit antitraditionnel, qui est celui de l’Occident moderne, entre en fureur à cette seule idée du dogme, parce que c’est ainsi que la tradition lui apparaît, dans l’ignorance où il est de toutes les autres formes qu’elle peut revêtir ; et l’Occident n’en serait jamais arrivé à son état actuel de déchéance et de confusion s’il était demeuré fidèle à son dogme, puisque, pour s’adapter à ses conditions mentales particulières, la tradition devait nécessairement y prendre cet aspect spécial, du moins quant à sa partie exotérique.
Cette dernière restriction est indispensable, car il doit être bien entendu que, dans l’ordre ésotérique et initiatique, il n’a jamais pu être question de dogme, même en Occident ; mais ce sont là des choses dont le souvenir même est trop complètement perdu, pour les Occidentaux modernes, pour qu’ils puissent y trouver des termes de comparaison qui les aideraient à comprendre ce que peuvent être les autres formes traditionnelles.
D’un autre côté, si le dogme n’existe pas partout, c’est que, même dans l’ordre exotérique, il n’aurait pas la même raison d’être qu’en Occident ; il y a des gens qui, pour ne pas « divaguer » au sens étymologique de ce mot, ont besoin d’être tenus strictement en tutelle, tandis qu’il en est d’autres qui n’en ont nullement besoin ; le dogme n’est nécessaire que pour les premiers et non pour les seconds, de même que, pour prendre un autre exemple d’un caractère quelque peu différent, l’interdiction des images n’est nécessaire que pour les peuples qui, par leurs tendances naturelles, sont portés à un certain anthropomorphisme ; et sans doute pourrait-on montrer assez facilement que le dogme est solidaire de la forme spéciale d’organisation traditionnelle que représente la constitution d’une « Église », et qui est, elle aussi, quelque chose de spécifiquement occidental.

Ce n’est pas ici le lieu d’insister davantage sur ces derniers points ; mais, quoi qu’il en soit, nous pouvons dire ceci pour conclure : la doctrine traditionnelle, quand elle est complète, a, par son essence même, des possibilités réellement illimitées ; elle est donc assez vaste pour comprendre dans son orthodoxie tous les aspects de la vérité, mais elle ne saurait pourtant admettre rien d’autre que ceux-ci, et c’est là précisément ce que signifie ce mot d’orthodoxie, qui n’exclut que l’erreur, mais qui l’exclut d’une façon absolue.
Les Orientaux, et plus généralement tous les peuples ayant une civilisation traditionnelle, ont toujours ignoré ce que les Occidentaux modernes décorent du nom de « tolérance », et qui n’est réellement que l’indifférence à la vérité, c’est-à-dire quelque chose qui ne peut se concevoir que là où l’intellectualité est totalement absente ; que les Occidentaux vantent cette « tolérance », comme une vertu, n’est-ce pas là un indice tout à fait frappant du degré d’abaissement où les a amenés le reniement de la tradition ?


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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Chapitre XVIII - Les trois voies

Message par Ligeia Lun 12 Oct - 16:15

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Chapitre XVIII LES TROIS VOIES ET LES FORMES INITIATIQUES



On sait que la tradition hindoue distingue trois « voies » (mârgas) qui sont respectivement celles de Karma, de Bhakti et de Jnânâ ; nous ne reviendrons par sur la définition de ces termes, que nous devons supposer suffisamment connue de nos lecteurs ; mais nous préciserons avant tout que, dès lors qu’il y correspond trois formes de Yoga, cela implique essentiellement que tous ont ou sont susceptibles d’avoir une signification d’ordre proprement initiatique (65).
D’autre part, il faut bien comprendre que toute distinction de ce genre a forcément toujours un certain caractère « schématique » et quelque peu théorique, car, en fait, les « voies » varient indéfiniment pour convenir à la diversité des natures individuelles, et, même dans une classification très générale comme celle-là, il ne peut être question que d’une prédominance d’un des éléments dont il s’agit par rapport aux autres, sans que ceux-ci puissent jamais être entièrement exclus.

65 Nous disons « sont susceptibles d’avoir » parce qu’ils peuvent avoir aussi un sens exotérique, mais il est évident que celui-ci n’est pas en cause lorsqu’il s’agit de Yoga ; naturellement, le sens initiatique en est comme une transposition dans un ordre supérieur.

Il en est ici comme dans le cas des trois gunas : on classe les êtres suivant le guna qui prédomine en eux, mais il va de soi que la nature de tout être manifesté n’en comporte pas moins à la fois tous les gunas, bien qu’en des proportions diverses, car il est impossible qu’il en soit autrement dans tout ce qui procède de Prakriti. Le rapprochement que nous faisons entre ces deux cas est d’ailleurs plus qu’une simple comparaison, et il est d’autant plus justifié qu’il y a réellement une certaine corrélation entre l’un et l’autre : en effet, le Jnâna-mârga est évidemment celui qui convient aux êtres de nature « sattwique », tandis que le Bhakti-mârga et le Karmamârga conviennent à ceux dont la nature est principalement « rajasique », d’ailleurs avec des nuances différentes ; on pourrait peut-être dire, en un certain sens, qu’il y a dans le dernier quelque chose qui est plus proche de tamas que dans l’autre, mais encore ne faudrait-il pas pousser cette considération trop loin, car il est bien clair que les êtres de nature « tamasique » ne sont aucunement qualifiés pour suivre quelque voie initiatique que ce soit.

Quoi qu’il en soit de cette dernière réserve, il n’en est pas moins vrai qu’il existe un rapport entre les caractères respectifs des trois mârgas et les éléments constitutifs de l’être répartis suivant le ternaire « esprit, âme, corps » (66) : la connaissance pure est, en elle-même, d’ordre essentiellement supra-individuel, c’est-à-dire en définitive spirituel, comme l’intellect psychique de Bhakti est évident, tandis que Karma, dans toutes ses modalités, comporte forcément une certaine activité d’ordre corporel, et, quelles que soient les transpositions dont ces termes sont susceptibles, quelque chose de cette nature originelle doit toujours s’y retrouver inévitablement.

66 Ici encore, il ne faudrait rien voir d’exclusif dans une telle correspondance, car toute voie initiatique, pour être réellement valable, implique nécessairement une participation de l’être tout entier.

Ceci confirme pleinement ce que nous disions de la correspondance avec les gunas : la voie « jnânique », dans ces conditions ne peut évidemment convenir qu’aux êtres en lesquels prédomine la tendance ascendante de sattwa, et qui, par là même, sont prédisposés à viser directement à la réalisation des états supérieurs plutôt qu’à s’attarder à un développement détaillé des possibilités individuelles ; les deux autres voies, par contre, font tout d’abord appel à des éléments proprement individuels, fût-ce pour les transformer finalement en quelque chose qui appartient à un ordre supérieur, et ceci est bien conforme à la nature de rajas, qui est la tendance produisant l’expansion de l’être au niveau même de l’individualité, laquelle il ne faut pas l’oublier, est constituée par l’ensemble des éléments psychique et corporel.

D’autre part, il résulte immédiatement de là que la voie « jnânique » se réfère plus particulièrement aux « grands mystères », et les voies « bhaktique » et « karmique » aux « petits mystères » ; en d’autres termes, on voit encore par là que c’est seulement par Jnâna qu’il est possible de parvenir au but final, tandis que Bhakti et Karma ont plutôt un rôle « préparatoire », les voies correspondantes ne conduisant que jusqu’à un certain point, mais rendant possible l’obtention de la Connaissance pour ceux dont la nature n’y serait pas apte directement et sans une telle préparation.

Il est d’ailleurs bien entendu qu’il ne peut y avoir d’initiation effective, même aux premiers stades, sans une part plus ou moins grande de connaissance réelle, alors même que, dans les moyens qu’elle met en œuvre, l’« accent » et mis surtout sur l’un ou l’autre des deux éléments « bhaktique » et « karmique » ; mais ce que nous voulons dire, c’est qu’en tout cas, au delà des limites de l’état individuel, il ne peut plus y avoir qu’une seule et unique voie, qui est nécessairement celle de la Connaissance pure.

Une autre conséquence qu’il nous faut noter encore, c’est que, en raison de la connexion des deux voies « bhaktique » et « karmique » avec l’ordre des possibilités individuelles et avec le domaine des « petits mystères », la distinction entre elles est beaucoup moins nettement tranchée qu’avec la voie « jnânique », ce qui devra naturellement se refléter d’une certaine façon dans les rapports des formes initiatiques correspondantes ; nous aurons du reste à revenir quelque peu sur ce point dans la suite de notre exposé.

Ces considérations nous amènent à envisager encore une autre relation, celle qui existe, d’une façon générale, entre les trois mârgas et les trois castes « deux fois nées » ; il est d’ailleurs facile à comprendre qu’il doive y avoir une telle relation, puisque la distinction des castes n’est pas autre chose en principe qu’une classification des êtres humains suivant leurs natures individuelles, et que c’est précisément par convenance avec la diversité de ces natures qu’il existe une pluralité de voies.

Les Brâhmanes, étant de nature « sattwique », sont particulièrement qualifiés pour le Jnâna-mârga, et il est dit expressément qu’ils doivent tendre aussi directement que possible à la possession des états supérieurs de l’être ; d’ailleurs, leur fonction même dans la société traditionnelle est essentiellement et avant tout une fonction de connaissance.
Les deux autres castes, dont la nature est principalement « rajasique », exercent des fonctions qui, en elles-mêmes, ne dépassent pas le niveau individuel et sont orientées vers l’activité extérieure (67) : celles des Kshatriyas correspondent à ce qu’on peut appeler le « psychisme » de la collectivité, et celles des Vaishyas ont pour objet les diverses nécessités de l’ordre corporel ; il résulte de là, d’après ce que nous avons dit précédemment, que les Kshatriyas doivent être surtout qualifiés pour le Bhakti-mârga et les Vaishyas pour le Karma-mârga, et, en fait, c’est bien là ce qu’on peut constater généralement dans les formes initiatiques qui leur sont respectivement destinées.

Cependant, il y a une remarque importante à faire à ce propos : c’est que, si l’on entend le Karma-mârga dans son sens le plus étendu, il se définit par le swadharma, c’est-à-dire par l’accomplissement par chaque être de la fonction qui est conforme à sa propre nature ; on pourrait alors en envisager une application à toutes les castes, sauf pourtant que ce terme serait manifestement impropre en ce qui concerne les Brahmanes, la fonction de ceux-ci étant en réalité au-delà du domaine de l’action ; mais on pourrait du moins l’appliquer tout à la fois, bien qu’avec des modalités différentes, au cas des Kshatriyas et à celui des Vaishyas, ce qui est un exemple de la difficulté qu’il y a, comme nous le disions plus haut, à séparer d’une façon tout à fait nette ce qui convient aux uns et aux autres, et l’on sait du reste que la Bhagavadgitâ expose un Karma-Yoga qui est plus spécialement à l’usage des Kshatriyas.
Malgré cela, il n’en reste pas moins vrai que, si l’on prend les mots dans leur sens le plus strict, les initiations des Kshatriyas présentent dans leur ensemble un caractère surtout « bhaktique » et celles des Vaishyas un caractère surtout « karmique » ; et ceci s’éclairera encore tout à l’heure par un exemple tiré des formes initiatiques du monde occidental lui-même.

67 Nous disons « en elles-mêmes » parce qu’elles peuvent être transformées par une initiation les prenant pour support.

Il va de soi, en effet, que, quand nous parlons des castes comme nous le faisons ici, en nous référant en premier lieu à la tradition hindoue pour la commodité de notre exposé et parce qu’elle nous fournit à cet égard la terminologie la plus adéquate, ce que nous en disons s’étend également à tout ce qui correspond ailleurs à ces castes, sous une forme ou sous une autre, car les grandes catégories entre lesquelles se partagent les natures individuelles des êtres humains sont toujours et partout les mêmes, par là même que, ramenées à leur principe, elles ne sont qu’une résultante de la prédominance respective des différents gunas, ce qui est évidemment applicable à l’humanité tout entière, en tant que cas particulier d’une loi qui vaut pour tout l’ensemble de la manifestation universelle.

La seule différence notable est dans la proportion plus ou moins grande, suivant les conditions de temps et de lieu, des hommes qui appartiennent à chacune de ces catégories, et qui par conséquent, s’ils sont qualifiés pour recevoir une initiation, seront susceptibles de suivre l’une ou l’autre des voies correspondantes (68 ) ; et, dans les cas les plus extrêmes, il peut arriver que quelqu’une de ces voies cesse pratiquement d’exister dans un milieu donné, le nombre de ceux qui seraient aptes à la suivre étant devenu insuffisant pour permettre le maintien d’une forme initiatique distincte (69).
C’est ce qui est arrivé notamment en Occident, où, tout au moins depuis fort longtemps, les aptitudes à la connaissance ont été constamment beaucoup plus rares et moins développées que la tendance à l’action, ce qui revient à dire que, dans l’ensemble du monde occidental, et même dans ce qui constitue l’« élite » au moins relative rajas l’emporte de beaucoup sur sattwa ; aussi, même déjà au moyen âge, on ne trouve pas d’indices bien nets de l’existence de formes initiatiques proprement « jnâniques », qui auraient dû normalement correspondre à une initiation sacerdotale ; cela est à tel point que même les organisations initiatiques, qui étaient alors en connexion plus spéciale avec certains Ordres religieux n’en avaient pas moins un caractère « bhaktique » fortement accentué, autant qu’il est possible d’en juger d’après le mode d’expression employé le plus habituellement par ceux de leurs membres qui laissèrent des ouvrages écrits.

68 Pour ne pas compliquer inutilement notre exposé, nous ne faisons pas intervenir ici la considération des anomalies qui, à l’époque actuelle et surtout en Occident, résultent du « mélange des castes », de la difficulté toujours croissante de déterminer exactement la véritable nature de chaque homme, et du fait que la plupart ne remplissent plus la fonction qui conviendrait réellement à leur propre nature.
69 Signalons incidemment que ceci peut obliger ceux qui sont encore qualifiés pour cette voie à « se réfugier », s’il est permis de s’exprimer ainsi, dans des organisations pratiquant d’autres formes initiatiques qui primitivement n’étaient pas faites pour eux, inconvénient qui peut d’ailleurs être atténué par une certaine « adaptation » effectuée à l’intérieur de ces organisations mêmes.


Par contre, on trouve à cette époque, d’une part, l’initiation chevaleresque, dont le caractère dominant est évidemment « bhaktique » (70), et, d’autre part, les initiations artisanales, qui étaient « karmiques » au sens le plus strict, puisqu’elles étaient basées essentiellement sur l’exercice effectif d’un métier. Il va de soi que la première était une initiation de Kshatriyas et que les secondes étaient des initiations de Vaishyas, en prenant la désignation des castes suivant la signification générale que nous avons expliquée tout à l’heure ; et nous ajouterons que les liens qui existèrent presque toujours en fait entre ces deux catégories, ainsi que nous avons eu assez souvent l’occasion de le signaler ailleurs, sont une confirmation de ce que nous avons dit plus haut de l’impossibilité de les séparer complètement.
Plus tard, les formes « bhaktiques » elles-mêmes disparurent, et les seules initiations qui subsistent encore actuellement en Occident sont des initiations de métier ou l’ont été à l’origine ; même là où, par suite de certaines circonstances particulières, la pratique du métier n’est plus requise comme une condition nécessaire, ce qui ne peut du reste être regardé que comme un amoindrissement, sinon comme une véritable dégénérescence, cela ne change évidemment rien quant à leur caractère essentiel.

Maintenant, si l’existence exclusive de formes initiatiques qui peuvent être qualifiées de « karmiques » dans l’Occident actuel est un fait incontestable, il faut bien dire que les interprétations auxquelles ce fait a donné lieu ne sont pas toujours exemptes d’équivoques et de confusions, et cela à plus d’un point de vue ; c’est là ce qu’il nous reste encore à examiner pour mettre les choses au point aussi complètement que possible.

70 Il en est de même des initiations telles que celle des Fedeli d’Amore, comme le nom même de celle-ci l’indique expressément, bien que l’élément « jnânique » paraisse cependant y avoir eu un plus grand développement que dans l’initiation chevaleresque, avec laquelle elles avaient d’ailleurs des rapports assez étroits.

Tout d’abord, certains se sont imaginé que, par leur caractère « karmique », les initiations occidentales s’opposent en quelque sorte aux initiations orientales, qui, suivant leur façon de voir, seraient toutes proprement « jnâniques » (71) ; cela est tout à fait inexact, car la vérité est que, en Orient, toutes les catégories de formes initiatiques cœxistent, comme le prouve d’ailleurs suffisamment l’enseignement de la tradition hindoue au sujet des trois mârgas ; si au contraire il n’en existe plus qu’une en Occident, c’est que les possibilités de cet ordre s’y trouvent réduites au minimum. Que la prédominance de plus en plus exclusive de la tendance à l’action extérieure soit une des causes principales de cet état de fait, cela n’est pas douteux ; mais il n’en est pas moins vrai que c’est en dépit de l’aggravation de cette tendance, qu’il subsiste encore aujourd’hui une initiation quelle qu’elle soit, et prétendre le contraire implique une grave méprise sur la signification réelle de la voie « karmique », ainsi que nous le verrons plus précisément tout à l’heure.
De plus, il n’est pas admissible de vouloir faire en quelque sorte une question de principe de ce qui n’est que l’effet d’une simple situation contingente, et d’envisager les choses comme si toute forme initiatique occidentale devait nécessairement être de type « karmique » par là même qu’elle est occidentale ; nous ne croyons pas qu’il y ait besoin d’y insister davantage, car, après tout ce que nous avons déjà dit, il doit être assez clair qu’une telle vue ne saurait répondre à la réalité, qui est d’ailleurs évidemment beaucoup plus complexe qu’elle ne paraît le supposer.

Un autre point très important est celui-ci : le terme de Karma, quand il s’applique à une voie ou à une forme initiatique, doit être entendu avant tout dans son sens technique d’« action rituelle » ; à cet égard, il est facile de voir qu’il y a dans toute initiation un certain côté « karmique », puisqu’elle implique toujours essentiellement l’accomplissement de rites particuliers ; cela correspond d’ailleurs, encore à ce que nous avons dit de l’impossibilité qu’il y a à ce que l’une ou l’autre des trois voies existe à l’état pur.

71 Il est à remarquer que, dans une telle conception, l’existence d’initiations « bhaktiques » est complètement ignorée ou négligée.

En outre, et en dehors des rites proprement dits, toute action, pour être réellement « normale », c’est-à-dire conforme à l’« ordre », doit être « ritualisée », et, comme nous l’avons souvent expliqué, elle l’est effectivement dans une civilisation intégralement traditionnelle ; même dans les cas qu’on pourrait dire « mixtes », c’est-à-dire ceux où une certaine dégénérescence a amené l’introduction du point de vue profane et lui a fait une part plus ou moins large dans l’activité humaine, cela demeure encore vrai tout au moins pour toute action qui est en rapport avec l’initiation, et il en est notamment ainsi pour tout ce qui concerne la pratique du métier dans le cas des initiations artisanales (72).
On voit que cela est aussi loin que possible de l’idée que se font d’une voie « karmique » ceux qui pensent qu’une organisation initiatique, parce qu’elle présente un tel caractère, doit se mêler plus ou moins directement à une action extérieure et toute profane, comme le sont inévitablement en particulier, dans les conditions du monde moderne, les activités « sociales » de tout genre. La raison que ceux-là invoquent à l’appui de leur conception est généralement qu’une telle organisation a le devoir de contribuer au bien-être et à l’amélioration de l’humanité dans son ensemble ; l’intention peut être très louable en elle-même, mais la façon dont ils en envisagent la réalisation, même si on la débarrasse des illusions « progressistes » auxquelles elle est trop souvent associée, n’en est pas moins complètement erronée.
Il n’est certes pas dit qu’une organisation initiatique ne puisse pas se proposer secondairement un but comme celui qu’ils ont en vue, « par surcroît » en quelque sorte, et à la condition de ne jamais le confondre avec ce qui constitue son but propre et essentiel ; mais alors, pour exercer une influence sur le milieu extérieur sans cesser d’être ce qu’elle doit être véritablement, il faudra qu’elle mette en œuvre des moyens tout autres que ceux qu’ils croient sans doute être les seuls possibles, et d’un ordre beaucoup plus « subtil », mais qui n’en sont d’ailleurs que plus efficaces. Prétendre le contraire, c’est au fond, méconnaître totalement la valeur de ce que nous avons parfois appelé une « action de présence » ; et cette méconnaissance est, dans l’ordre initiatique, comparable à ce qu’est, dans l’ordre exotérique et religieux, celle, si répandue aussi à notre époque, du rôle des Ordres contemplatifs ; c’est en somme, dans les deux cas, une conséquence de la même mentalité spécifiquement moderne, pour laquelle tout ce qui n’apparaît pas au-dehors et ne tombe pas sous les sens est comme s’il n’existait pas.

72 On pourrait dire que, dans ce cas, « karmique » est presque synonyme d’« opératif », en entendant naturellement ce dernier mot dans son véritable sens sur lequel nous avons eu souvent l’occasion d’insister.

Pendant que nous sommes sur ce sujet, nous ajouterons encore qu’il y a aussi bien des méprises sur la nature des deux autres voies, et surtout de la voie « bhaktique », car, pour ce qui est de la voie « jnânique », il est tout de même trop difficile de confondre la Connaissance pure, ou même les sciences traditionnelles qui en dépendent et qui relèvent plus proprement du domaine des « petits mystères », avec les spéculations de la philosophie et de la science profanes.
En raison de son caractère plus strictement transcendant, on peut beaucoup plus facilement ignorer entièrement cette voie que la dénaturer par de fausses conceptions ; et même les travestissements en « philosophie », de la part de certains orientalistes, qui ne laissent absolument rien subsister de l’essentiel et réduisent tout à l’ombre vaine des « abstractions », équivalent en fait à l’ignorance pure et simple et sont trop éloignés de la vérité pour pouvoir en imposer à quiconque a la moindre notion des choses initiatiques.
En ce qui concerne Bhakti, le cas est assez différent, et ici les erreurs proviennent surtout d’une confusion du sens initiatique de ce terme avec son sens exotérique, qui d’ailleurs, aux yeux des Occidentaux, prend presque forcément un aspect spécifiquement religieux et plus ou moins « mystique » qu’il ne peut avoir dans les traditions orientales : cela n’a assurément rien de commun avec l’initiation, et, s’il ne s’agissait réellement de rien d’autre, il est évident qu’il ne pourrait pas y avoir de Bhakti-Yoga ; mais ceci nous ramène une fois de plus à la question du mysticisme et de ses différences essentielles avec l’initiation.


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Initiation et réalisation spirituelle  Empty Chapitre XIX : ASCÈSE ET ASCÉTISME

Message par Ligeia Ven 23 Oct - 10:58

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Chapitre XIX : ASCÈSE ET ASCÉTISME


Nous avons constaté en diverses occasions que certains faisaient entre les termes d’« ascétique » et de « mystique » un rapprochement assez peu justifié ; pour dissiper toute confusion à cet égard, il suffit de se rendre compte que le mot « ascèse » désigne proprement un effort méthodique pour atteindre un certain but, et plus particulièrement un but d’ordre spirituel (73), tandis que le mysticisme, en raison de son caractère passif, implique plutôt, comme nous l’avons déjà dit souvent, l’absence de toute méthode définie (74).

73 Il n’est peut-être pas inutile de dire que ce mot « ascèse », qui est d’origine grecque, n’a aucun rapport étymologique avec le latin ascendere, car il en est qui se laissent tromper à cet égard par une similitude purement phonétique et tout accidentelle entre ces deux mots ; d’ailleurs, même si l’ascèse vise à obtenir une « ascension » de l’être vers des états plus ou moins élevés, il est évident que le moyen ne doit en aucun cas être confondu avec le résultat.
74 Cf. Aperçus sur l’Initiation, pp. 12-19.


D’autre part, le mot « ascétique » a pris un sens plus restreint que celui d’« ascèse », car il est appliqué à peu près exclusivement dans le domaine religieux, et c’est peut-être là ce qui explique jusqu’à un certain point la confusion dont nous parlons, car il va de soi que tout ce qui est « mystique », dans l’acceptation actuelle de ce mot, appartient aussi à ce même domaine ; mais il faut bien se garder de croire que, inversement, tout ce qui est d’ordre religieux est par là même plus ou moins étroitement apparenté au mysticisme, ce qui est une étrange erreur commise par certains modernes, et surtout, il est bon de le noter, par ceux qui sont le plus ouvertement hostiles à toute religion.

Il y a un autre mot dérivé d’« ascèse », celui d’« ascétisme », qui se prête peut-être davantage encore aux confusions, parce qu’il a été nettement détourné de son sens primitif, à tel point que, dans le langage courant, il en est arrivé à n’être plus guère qu’un synonyme d’« austérité ». Or, il est évident que la plupart des mystiques se livrent à des austérités, parfois même excessives, bien qu’ils ne soient d’ailleurs pas les seuls, car c’est là un caractère assez général de la « vie religieuse » telle qu’on la conçoit en Occident, en vertu de l’idée très répandue qui attribue à la souffrance, et surtout à la souffrance volontaire, une valeur propre en elle-même ; il est certain aussi que, d’une façon générale, cette idée, qui n’a rien de commun avec le sens originel de l’ascèse et n’en est nullement solidaire, est encore plus particulièrement accentuée chez les mystiques, mais, redisons-le, elle est loin de leur appartenir exclusivement (75).

D’un autre côté, et c’est sans doute là ce qui permet de comprendre que l’ascétisme ait pris communément une telle signification, il est naturel que toute ascèse, ou toute règle de vie visant à un but spirituel, revête aux yeux des « mondains » une apparence d’austérité, même si elle n’implique aucunement l’idée de souffrance, et tout simplement parce qu’elle écarte ou néglige forcément les choses qu’eux-mêmes regardent comme les plus importantes sinon même comme tout à fait essentielles à la vie humaine, et dont la recherche remplit toute leur existence.

Quand on parle d’ascétisme comme on le fait habituellement, cela paraît impliquer encore autre chose : c’est que ce qui ne devait être normalement qu’un simple moyen ayant un caractère préparatoire est trop souvent pris pour une véritable fin ; nous ne croyons rien exagérer en disant que, pour beaucoup d’esprits religieux, l’ascétisme ne tend point à la réalisation effective d’états spirituels, mais a pour unique mobile l’espoir d’un « salut » qui ne sera atteint que dans l’« autre vie ».

75 Cf. Aperçus sur l’Initiation, pp. 177-178.

Nous ne voulons pas y insister outre mesure, mais il semble bien que, en pareil cas, la déviation ne soit plus seulement dans le sens du mot, mais dans la chose même qu’il désigne ; déviation, disons-nous, non pas certes parce qu’il y aurait dans le désir du « salut » quelque chose de plus ou moins illégitime, mais parce qu’une véritable ascèse doit se proposer des résultats plus directs et plus précis. De tels résultats, quel que soit d’ailleurs le degré jusqu’où ils peuvent aller, sont, dans l’ordre exotérique et religieux lui-même, le vrai but de l’« ascétique » ; mais combien sont, de nos jours tout au moins, ceux qui se doutent qu’ils peuvent aussi être atteints par une voie active, donc tout autre que la voie passive des mystiques ?

Quoi qu’il en soit, le sens du mot « ascèse » lui-même, sinon celui de ses dérivés, est suffisamment étendu pour s’appliquer dans tous les ordres et à tous les niveaux : puisqu’il s’agit essentiellement d’un ensemble méthodique d’efforts tendant à un développement spirituel, on peut fort bien parler, non pas seulement d’une ascèse religieuse, mais aussi d’une ascèse initiatique. Il faut seulement avoir soin de remarquer que le but de cette dernière n’est soumis à aucune des restrictions qui limitent nécessairement, et en quelque sorte par définition même, celui de l’ascèse religieuse, puisque le point de vue exotérique auquel celle-ci est liée se rapporte exclusivement à l’état individuel humain (76), tandis que le point de vue initiatique comprend la réalisation des états supra-individuels, jusqu’à l’état suprême et inconditionné inclusivement (77).

De plus, il va de soi que les erreurs ou les déviations concernant l’ascèse qui peuvent se produire dans le domaine religieux, ne sauraient se retrouver dans le domaine initiatique car elles ne tiennent en définitive qu’aux limitations mêmes qui sont inhérentes au point de vue exotérique comme tel ; ce que nous disions tout à l’heure de l’ascétisme, notamment, n’est évidemment explicable que du fait de l’horizon spirituel plus ou moins étroitement borné qui est celui de la généralité des exotéristes exclusifs, et par conséquent des hommes « religieux » au sens le plus ordinaire de ce mot.

76 Il est bien entendu qu’il s’agit ici de l’individualité envisagée dans son intégralité, avec toutes les extensions dont elle est susceptible, sans quoi l’idée religieuse du « salut » elle-même ne pourrait avoir véritablement aucun sens.
77 Nous croyons à peine utile de rappeler que là est précisément la différence essentielle entre le « salut » et la « Délivrance » ; non seulement ces deux buts ne sont pas du même ordre, mais ils n’appartiennent même pas à des ordres qui, bien que différents, seraient encore comparables entre eux, puisqu’il ne saurait y avoir aucune commune mesure entre un état conditionné quelconque et l’état inconditionné.


Le terme d’« ascèse », tel que nous l’entendons ici, est celui qui, dans les langues occidentales, correspond le plus exactement au sanscrit tapas ; il est vrai que celui-ci contient une idée qui n’est pas directement exprimée par l’autre, mais cette idée n’en rentre pas moins strictement dans la notion qu’on peut se faire de l’ascèse. Le sens premier de tapas est en effet celui de « chaleur » ; dans le cas dont il s’agit, cette chaleur est évidemment celle d’un feu intérieur (78 ) qui doit brûler ce que les Kabbalistes appelleraient les « écorces », c’est-à-dire en somme détruire tout ce qui, dans l’être, fait obstacle à une réalisation spirituelle ; c’est donc bien là quelque chose qui caractérise, de la façon la plus générale, toute méthode préparatoire à cette réalisation, méthode qui, à ce point de vue peut être considérée comme constituant une « purification » préalable à l’obtention de tout état spirituel effectif (79).

Si tapas prend souvent le sens d’effort pénible ou douloureux, ce n’est pas qu’il soit attribué une valeur ou une importance spéciale à la souffrance comme telle, ni que celle-ci soit regardée ici comme quelque chose de plus qu’un « accident » ; mais c’est que, par la nature même des choses, le détachement des contingences est forcément toujours pénible pour l’individu, dont l’existence même appartient aussi à l’ordre contingent.

78 Le rapport de ce feu intérieur avec le « soufre » des hermétistes, qui est également conçu comme un principe de nature ignée, est trop évident pour qu’il soit nécessaire de faire plus que de l’indiquer en passant (voir La Grande Triade, ch. XII).
79 On pourra rapprocher ceci de ce que nous avons dit au sujet de la véritable nature des épreuves initiatiques (Aperçus sur l’Initiation, ch. XXV).


Il n’y a là rien qui soit assimilable à une « expiation » ou à une « pénitence », idées qui jouent au contraire un grand rôle dans l’ascétisme entendu au sens vulgaire, et qui ont sans doute leur raison d’être dans un certain aspect du point de vue religieux, mais qui ne sauraient manifestement trouver place dans le domaine initiatique, ni d’ailleurs dans les traditions qui ne sont pas revêtues, d’une forme religieuse (80).

Au fond, on pourrait dire que toute ascèse véritable est essentiellement un « sacrifice », et nous avons eu l’occasion de voir ailleurs que, dans toutes les traditions, le sacrifice, sous quelque forme qu’il se présente, constitue proprement l’acte rituel par excellence, celui dans lequel se résument en quelque sorte tous les autres. Ce qui est ainsi sacrifié graduellement dans l’ascèse (81), ce sont toutes les contingences dont l’être doit parvenir à se dégager comme d’autant de liens ou d’obstacles qui l’empêche de s’élever à un état supérieur (82) ; mais, s’il peut et doit sacrifier ces contingences, c’est en tant qu’elles dépendent de lui et qu’elles font d’une certaine façon partie de lui-même à un titre quelconque (83).
Comme d’ailleurs l’individualité elle-même n’est aussi qu’une contingence, l’ascèse, dans sa signification la plus complète et la plus profonde, n’est en définitive pas autre chose que le sacrifice du « moi » accompli pour réaliser la conscience du « Soi ».

80 Dans les traductions des orientalistes, on rencontre fréquemment les mots « pénitence » et « pénitent », qui ne s’appliquent aucunement à ce dont il s’agit en réalité, tandis que ceux d’« ascèse » et d’« ascète » conviendraient au contraire parfaitement dans la plupart des cas.
81 Nous disons graduellement par là même qu’il s’agit d’un processus méthodique, et d’ailleurs il est facile de comprendre que, sauf peut-être dans quelques cas exceptionnels, le détachement complet ne peut pas s’opérer d’un seul coup.
82 Pour cet être, on peut dire que ces contingences sont alors détruites comme telles, c’est-à-dire en tant que choses manifestées, car elles n’existent véritablement plus pour lui, bien que subsistant sans changement pour les autres êtres ; mais d’ailleurs cette destruction apparente est en réalité une « transformation », car il va de soi que, au point de vue principiel, rien de ce qui est ne saurait jamais être détruit.
83 On peut aussi se souvenir à ce propos du symbolisme de la « porte étroite », qui ne peut être franchie par celui qui, comme les « riches » dont il est question dans l’Évangile, n’a pas su se dépouiller des contingences, ou qui, « ayant voulu sauver son âme (c’est-à-dire le « moi »), la perd » parce qu’il ne peut, dans ces conditions, s’unir effectivement au principe permanent et immuable de son être.



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Message par Ligeia Ven 7 Mai - 8:32

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Chapitre XX GURU ET UPAGURU


Si l’on parle souvent du rôle initiatique du Guru ou du Maître spirituel (ce qui d’ailleurs, bien entendu, ne veut certes pas dire que ceux qui en parlent le comprennent toujours exactement), il est, par contre, une autre notion qu’on passe généralement sous silence : c’est celle de ce que la tradition hindoue désigne par le mot upaguru. Il faut entendre par là tout être, quel qu’il soit, dont la rencontre est pour quelqu’un l’occasion ou le point de départ d’un certain développement spirituel ; et, d’une façon générale, il n’est aucunement nécessaire que cet être lui-même soit conscient du rôle qu’il joue ainsi.
Du reste, si nous parlons ici d’un être, nous pourrions tout aussi bien parler également d’une chose ou même d’une circonstance quelconque qui provoque le même effet ; cela revient en somme à ce que nous avons déjà dit souvent, que n’importe quoi peut, suivant les cas, agir à cet égard comme une « cause occasionnelle » ; il va de soi que celle-ci n’est pas une cause au sens propre de ce mot, et qu’en réalité la cause véritable se trouve dans la nature même de celui sur qui s’exerce cette action, comme le montre le fait que ce qui a un tel effet pour lui peut fort bien n’en avoir aucun pour un autre individu. Ajoutons que les upagurus, ainsi entendus, peuvent naturellement être multiples au cours d’un même développement spirituel, car chacun d’eux n’a qu’un rôle transitoire et ne peut agir efficacement qu’à un certain moment déterminé, en dehors duquel son intervention n’aurait pas plus d’importance que n’en ont la plupart des choses qui se présentent à nous à chaque instant et que nous regardons comme plus ou moins indifférentes.

La désignation de l’upaguru indique qu’il n’a qu’un rôle accessoire et subordonné, qui, au fond, pourrait être considéré comme celui d’un auxiliaire du véritable Guru ; en effet, celui-ci doit savoir utiliser toutes les circonstances favorables au développement de ses disciples, conformément aux possibilités et aux aptitudes particulières de chacun d’eux, et même, s’il est réellement un Maître spirituel au sens complet de ce mot, il peut parfois en provoquer lui-même la manifestation au moment voulu. On pourrait donc dire que, d’une certaine façon, ce ne sont là que des « prolongements » du Guru, au même titre que les instruments et les moyens divers employés par un être pour exercer ou amplifier son action sont autant de prolongements de lui-même ; et, par suite, il est évident que le rôle propre de celui-ci n’est nullement diminué par là, mais que, bien au contraire, il y trouve la possibilité de s’exercer plus complètement et d’une façon mieux adaptée à la nature de chaque disciple, la diversité indéfinie des circonstances contingentes permettant toujours d’y trouver quelque correspondance avec celle des natures individuelles.

Ce que nous venons de dire s’applique au cas que l’on peut considérer comme normal, ou qui du moins devrait l’être en ce qui concerne le processus initiatique, c’est-à-dire à celui qui implique la présence effective d’un Guru humain ; avant de passer à des considérations d’un autre ordre, s’appliquant également aux cas plus ou moins exceptionnels qui peuvent exister en fait en dehors de celui-là, il convient de faire encore une autre remarque.
Lorsque l’initiation proprement dite est conférée par quelqu’un qui ne possède pas les qualités requises pour remplir la fonction d’un Maître spirituel, et qui, par conséquent, agit uniquement comme « transmetteur » de l’influence attachée au rite qu’il accomplit, un tel initiateur peut aussi être assimilé proprement à un upaguru, qui a d’ailleurs comme tel une importance toute particulière et en quelque sorte unique en son genre, puisque c’est son intervention qui détermine réellement la « seconde naissance », et cela même si l’initiation doit demeurer simplement virtuelle.
Ce cas est  aussi le seul où l’upaguru doit forcément avoir conscience de son rôle, au moins à quelque degré ; nous ajoutons cette restriction parce que, quand il s’agit d’organisations initiatiques plus ou moins dégénérées ou amoindries, il peut arriver que l’initiateur soit ignorant de la véritable nature de ce qu’il transmet et n’ait même aucune idée de l’efficacité inhérente aux rites, ce qui, comme nous l’avons expliqué en d’autres occasions, n’empêche aucunement ceux-ci d’être valables dès lors qu’ils sont accomplis régulièrement et dans les conditions voulues. Seulement, il est bien entendu que, faute d’un Guru, l’initiation reçue ainsi risque fort de ne jamais devenir effective, sauf pourtant dans certains cas d’exception dont nous parlerons peut-être une autre fois ; tout ce que nous en dirons pour le moment, c’est que, bien que théoriquement il n’y ait pas là d’impossibilité absolue, la chose est à peu près aussi rare en fait que l’est le rattachement initiatique obtenu en dehors des moyens ordinaires, de sorte qu’il est en somme peu utile de l’envisager quand on veut s’en tenir à ce qui est susceptible de l’application la plus étendue.

Cela dit, nous reviendrons à la considération des upagurus en général, dont il nous reste encore à préciser une signification plus profonde que celle que nous avons indiquée jusqu’ici, car le Guru humain lui-même n’est au fond que la représentation extériorisée et comme « matérialisée » du véritable « Guru intérieur », et sa nécessité est due à ce que l’initié, tant qu’il n’est pas parvenu à un certain degré de développement spirituel, est incapable d’entrer directement en communication consciente avec celui-ci. Qu’il y ait ou non un Guru humain, le Guru intérieur est, lui, toujours présent dans tous les cas, puisqu’il ne fait qu’un avec le « Soi » lui-même ; et, en définitive, c’est à ce point de vue qu’il faut se placer si l’on veut comprendre pleinement les réalités initiatiques ; sous ce rapport, il n’y a d’ailleurs plus d’exceptions comme celles auxquelles nous faisions allusion tout à l’heure, mais seulement des modalités diverses suivant lesquelles s’exerce l’action de ce Guru intérieur.

Comme le Guru humain, mais à un moindre degré et plus « partiellement » si l’on peut s’exprimer ainsi, les upagurus sont ses manifestations ; comme tels, ils sont, pourrait-on dire, les apparences qu’il revêt pour communiquer, dans la mesure du possible, avec l’être qui ne peut encore se mettre en rapport direct avec lui, de sorte que la communication ne peut s’effectuer qu’au moyen de ces « supports » extérieurs. Cela permet de comprendre, par exemple, comment il est dit que le vieillard, le malade, le cadavre et le moine rencontrés successivement par le futur Bouddha étaient des formes prises par les Dêvas qui voulaient le diriger vers l’illumination, ces Dêvas eux-mêmes n’étant ici que des aspects du Guru intérieur ; il ne faut pas nécessairement entendre par là que ce n’aient été que de simples « apparitions », bien que celles-ci soient assurément possibles aussi dans certains cas. La réalité individuelle de l’être qui joue le rôle d’un upaguru n’est point affectée ni détruite par là ; si cependant elle s’efface en quelque sorte devant la réalité d’ordre supérieur dont il est le « support » occasionnel et momentané, c’est seulement pour celui à qui s’adresse spécialement le « message » dont, consciemment ou plus souvent inconsciemment, il est ainsi devenu le porteur.

Pour prévenir toute méprise, nous ajouterons qu’il faudrait bien se garder d’interpréter ce que nous venons de dire en dernier lieu en ce sens que les manifestations du Guru intérieur constitueraient seulement quelque chose de « subjectif » ; ce n’est nullement ainsi que nous l’entendons, et, à notre point de vue, la « subjectivité » n’est que la plus vaine des illusions.
La réalité supérieure dont nous parlons se situe bien au-delà du domaine « psychologique » et du « subjectif » n’a véritablement plus aucun sens ; certains pourront même trouver que cela est trop évident pour qu’il y ait lieu d’y insister, mais nous connaissons trop bien la mentalité qui est celle de la plupart de nos contemporains pour ne pas savoir que de telles précisions sont loin d’être superflues ; n’avons-nous pas vu des gens qui, lorsqu’il est question de « Maître spirituel » vont jusqu’à traduire par « directeur de conscience » ?


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Message par Ligeia Mar 11 Mai - 8:20

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Chapitre XXI :  Vrais et faux instructeurs spirituels


Nous avons souvent insisté sur la distinction qu’il y a lieu de faire entre l’initiation proprement dite, qui est le rattachement pur et simple à une organisation initiatique, impliquant essentiellement la transmission d’une influence spirituelle, et les moyens qui pourront ensuite être mis en œuvre pour contribuer à rendre effective une initiation qui n’était tout d’abord que virtuelle, moyens dont l’efficacité est naturellement subordonnée, dans tous les cas, à la condition indispensable d’un rattachement préalable.
Ces moyens, en tant qu’ils constituent l’aide apportée du dehors au travail intérieur dont doit résulter le développement spirituel de l’être (et il est bien entendu qu’ils ne peuvent jamais suppléer en aucune façon à ce travail même), peuvent être désignés, dans leur ensemble, par le terme d’instruction initiatique, en prenant celui-ci dans son sens le plus étendu, et en ne limitant pas à la communication de certaines données d’ordre doctrinal, mais en y comprenant également tout ce qui, à un titre quelconque, est de nature à guider l’initié dans le travail qu’il accomplit pour parvenir à une réalisation spirituelle à quelque degré que ce soit.

Ce qui est le plus difficile, et surtout à notre époque, ce n’est certes pas d’obtenir un rattachement initiatique, ce qui peut-être n’est même parfois que trop aisé (84) ; mais c’est de trouver un instructeur vraiment qualifié, c’est-à-dire capable de remplir réellement la fonction de guide spirituel, ainsi que nous venons de le dire, en appliquant tous les moyens convenables à ses propres possibilités particulières, en dehors desquelles il est évidemment impossible, même au Maître le plus parfait, d’obtenir aucun résultat effectif. Sans un tel instructeur, comme nous l’avons déjà expliqué précédemment, l’initiation, tout en étant assurément valable en elle-même, dès lors que l’influence spirituelle a été réellement transmise au moyen du rite approprié (85), demeurerait toujours simplement virtuelle, sauf dans de très rares cas d’exception.
Ce qui aggrave encore la difficulté, c’est que ceux qui ont la prétention d’être des guides spirituels, sans être aucunement qualifiés pour jouer ce rôle, n’ont probablement jamais été aussi nombreux que de nos jours ; et le danger qui en résulte est d’autant plus grand que, en fait, ces gens ont généralement des facultés psychiques très puissantes et plus ou moins anormales, ce qui évidemment ne prouve rien au point de vue du développement spirituel et est même d’ordinaire un indice plutôt défavorable à cet égard, mais ce qui n’en est pas moins susceptible de faire illusion et d’en imposer à tous ceux qui sont insuffisamment avertis et qui, par suite, ne savent pas faire les distinctions essentielles. On ne saurait donc trop se tenir en garde contre ces faux instructeurs, qui ne peuvent qu’égarer ceux qui se laissent séduire par eux et qui devront encore s’estimer heureux s’il ne leur arrive rien de plus fâcheux que d’y perdre leur temps ; que d’ailleurs ils ne soient que de simples charlatans, comme il n’y en a que trop actuellement, ou qu’ils s’illusionnent eux-mêmes avant d’illusionner les autres, il va de soi que cela ne change rien aux conséquences, et même en un certain sens, ceux qui sont plus ou moins complètement sincères (car il peut y avoir en cela bien des degrés) n’en sont peut-être encore que plus dangereux par leur inconscience même.

84 Nous voulons faire allusion par là au fait que certaines organisations initiatiques sont devenues beaucoup trop « ouvertes », ce qui d’ailleurs est toujours pour elles une cause de dégénérescence.
85 Nous devons rappeler ici que l’initiateur qui agit comme « transmetteur » de l’influence attachée au rite n’est pas forcément apte à jouer le rôle d’instructeur ; si les deux fonctions sont normalement réunies là où les institutions traditionnelles n’ont subi aucun amoindrissement, elles sont bien loin de l’être toujours en fait dans les conditions actuelles.


Il est à peine besoin d’ajouter que la confusion du psychique et du spirituel, qui est malheureusement si répandue chez nos contemporains et que nous avons dénoncée en maintes occasions, contribue dans une large mesure à rendre possibles les pires méprises à cet égard ; si l’on y joint l’attrait des prétendus « pouvoirs » et le goût des « phénomènes » plus ou moins extraordinaires, qui d’ailleurs s’y associent presque inévitablement, on aura par là une explication assez complète du succès de certains faux instructeurs.

Il est cependant un caractère auquel beaucoup de ceux-ci, sinon tous, peuvent être reconnus assez facilement, et, bien que ce ne soit là en somme qu’une conséquence directe et nécessaire de tout ce que nous avons constamment exposé au sujet de l’initiation, nous ne croyons, pas inutile, en présence des questions qui nous ont été posées en ces derniers temps à propos de divers personnages plus ou moins suspects, de le préciser encore d’une façon plus explicite. Quiconque se présente comme un instructeur spirituel sans se rattacher à une forme traditionnelle déterminée ou sans se conformer aux règles établies par celles-ci ne peut pas avoir véritablement la qualité qu’il s’attribue ; ce peut-être, suivant les cas, un vulgaire imposteur ou un « illusionné » ignorant des conditions réelles de l’initiation ; et dans ce dernier cas plus encore que dans l’autre, il est fort à craindre qu’il ne soit trop souvent, en définitive, rien de plus qu’un instrument au service de quelque chose qu’il ne soupçonne peut-être pas lui-même.
Nous en dirons autant (et d’ailleurs ce caractère se confond forcément jusqu’à un certain point avec le précédent) de quiconque a la prétention de dispenser indistinctement un enseignement de nature initiatique à n’importe qui et même à de simples profanes, en négligeant la nécessité, comme condition première de son efficacité, du rattachement à une organisation régulière, ou encore de quiconque procède suivant des méthodes qui ne sont conformes à celles d’aucune initiation reconnue traditionnellement.

Si l’on savait appliquer ces quelques indications et s’y tenir toujours strictement, les promoteurs de « pseudo-initiations » de quelque forme qu’elles soient revêtues, se trouveraient presque immédiatement démasqués (86) ; il resterait seulement encore le danger pouvant venir de représentants d’initiations déviées, quoique réelles, et qui ont cessé d’être dans la ligne de l’orthodoxie traditionnelle ; mais celui-là est certainement beaucoup moins répandu, du moins dans le monde occidental, et, par conséquent, il est évidemment beaucoup moins urgent de s’en préoccuper dans les circonstances présentes.
Du reste, nous pouvons dire tout au moins que les « instructeurs » se rattachant à de telles initiations ont généralement, en commun avec les autres dont nous venons de parler, l’habitude de manifester leurs « pouvoirs » psychiques à tout propos et sans aucune raison valable (car nous ne pouvons considérer comme telle celle de s’attirer des disciples ou de les retenir par ce moyen, ce qui est le but qu’ils visent le plus ordinairement), et d’attribuer la prépondérance à un développement excessif et plus ou moins désordonné des possibilités de cet ordre, ce qui est toujours au détriment de tout véritable développement spirituel.
D’autre part, pour ce qui est des vrais instructeurs spirituels, le contraste qu’ils présentent avec les faux instructeurs, sous les divers rapports que nous venons d’indiquer, peut, sinon les faire reconnaître avec une entière sûreté (en ce sens que ces conditions, si elles sont nécessaires, peuvent pourtant n’être pas suffisantes), du moins y aider grandement ; mais ici il convient de faire une autre remarque pour dissiper encore quelques idées fausses.

Contrairement à ce que beaucoup paraissent s’imaginer, il n’est pas toujours nécessaire, pour que quelqu’un soit apte à remplir ce rôle dans certaines limites, qu’il soit lui-même parvenu à une réalisation spirituelle complète ; il devrait être bien évident, en effet, qu’il faut beaucoup moins que cela pour être capable de guider valablement un disciple aux premiers stades de sa carrière initiatique.

86 Il ne faut pas oublier, naturellement, de compter aussi au nombre des « pseudo-initiations », ainsi que nous l’avons expliqué en d’autres occasions, toutes celles qui prétendent se baser sur des formes traditionnelles n’ayant plus actuellement aucune existence effective ; mais celles-là du moins sont manifestement reconnaissables à première vue et sans qu’il soit besoin d’examiner les choses de plus près, tandis qu’il peut ne pas en être toujours de même pour les autres.

Bien entendu, lorsque celui-ci aura atteint le point au-delà duquel il ne peut le conduire, l’instructeur qui se trouve dans ce cas, mais qui est néanmoins vraiment digne de ce nom, n’hésitera jamais à lui faire savoir que désormais il ne peut plus rien pour lui, et à l’adresser alors, pour suivre son travail dans les conditions les plus favorables, soit à son propre Maître si la chose est possible, soit à tout autre instructeur qu’il reconnaît comme plus complètement qualifié que lui-même ; et, quand il en est ainsi, il n’y a en somme rien d’étonnant ni même d’anormal à ce que le disciple puisse finalement dépasser le niveau spirituel de son premier instructeur, qui d’ailleurs, s’il est vraiment ce qu’il doit être, ne pourra que se féliciter d’avoir contribué pour sa part, si modeste soit-elle, à le conduire à ce résultat.
Les jalousies et les rivalités individuelles, en effet, ne sauraient avoir aucune place dans le véritable domaine initiatique, tandis que, par contre, elles en tiennent presque toujours une fort grande dans la façon d’agir des faux instructeurs ; et ce sont uniquement ceux-ci que doivent dénoncer et combattre, chaque fois que les circonstances l’exigent, non seulement les Maîtres spirituels authentiques, mais encore tous ceux qui ont à quelque degré conscience de ce qu’est réellement l’initiation.



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Message par Ligeia Mar 18 Mai - 9:36

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Chapitre XXII : SAGESSE INNÉE ET SAGESSE ACQUISE



Confucius enseignait qu’il y a deux sortes de sages, les uns l’étant de naissance, tandis que les autres, dont il était lui-même, ne le sont devenus que par leurs efforts. Il faut se souvenir ici que le « sage » (cheng) tel qu’il l’entend, qui représente le degré le plus élevé de la hiérarchie confucianiste, constitue en même temps, comme nous l’avons déjà expliqué ailleurs (87), le premier échelon de la hiérarchie taoïste, se situant ainsi en quelque sorte au point-limite où se rejoignent les deux domaines exotérique et ésotérique.
Dans ces conditions, on peut se demander si, en parlant du sage de naissance, Confucius a seulement voulu désigner par là l’homme qui possède par nature toutes les qualifications requises pour accéder effectivement et sans autre préparation à la hiérarchie initiatique, et qui, par conséquent, n’a nul besoin de s’efforcer tout d’abord de gravir peu à peu, par des études plus ou moins longues et pénibles, les degrés de la hiérarchie extérieure.

87 La Grande Triade, ch. XVIII.

Cela est très possible en effet et constitue même l’interprétation la plus vraisemblable ; un tel sens est d’ailleurs d’autant plus légitime qu’il implique tout au moins la reconnaissance du fait qu’il y a des êtres qui sont pour ainsi dire destinés, par leurs propres possibilités, à passer immédiatement au-delà de ce domaine exotérique dans lequel Confucius lui-même a toujours entendu se maintenir. D’autre part, cependant, on peut aussi se demander si, en dépassant les limitations inhérentes au point de vue proprement confucianiste, la sagesse innée n’est pas susceptible d’avoir une signification plus étendue et plus profonde, dans laquelle celle que nous venons d’indiquer pourrait du reste rentrer à titre de cas particulier.

Il est facile de comprendre qu’une telle question ait lieu de se poser, car, ainsi que nous avons eu souvent l’occasion de le dire, toute connaissance effective constitue une acquisition permanente, obtenue par l’être une fois pour toutes, et que rien ne peut jamais lui faire perdre. Par suite, si un être qui est parvenu à un certain degré de réalisation dans un état d’existence passe à un autre état, il devra nécessairement y apporter avec lui ce qu’il a ainsi acquis, et qui apparaîtra donc comme « inné » dans ce nouvel état ; il est d’ailleurs bien entendu qu’il ne peut s’agir en cela que d’une réalisation demeurée incomplète, sans quoi le passage à un autre état n’aurait plus aucun sens concevable, et que, dans le cas de l’être qui passe à l’état humain, cas qui est celui qui nous intéresse plus particulièrement ici, cette réalisation n’est pas encore allée jusqu’à l’affranchissement des conditions de l’existence individuelle ; mais elle peut s’étendre depuis les degrés les plus élémentaires jusqu’au point le plus voisin de celui qui, dans l’état humain, correspondra à la perfection de cet état (88 ).
On peut même remarquer que, dans l’état primordial, tous les êtres qui naissaient comme hommes devaient être dans ce dernier cas, puisqu’ils possédaient cette perfection de leur individualité d’une façon naturelle et spontanée, sans avoir aucun effort à faire pour y parvenir, ce qui implique qu’ils étaient sur le point d’atteindre un tel degré avant de naître à l’état humain ; ils étaient donc véritablement des sages de naissance, et cela non pas seulement dans l’acception restreinte où Confucius pouvait l’entendre à son propre point de vue, mais dans toute la plénitude du sens qui peut être donné à cette expression.

88 Nous disons seulement le point le plus voisin, parce que, si la perfection d’un état individuel avait été effectivement atteinte, l’être n’aurait plus à passer par un autre état individuel.

Avant d’aller plus loin, il est bon d’appeler l’attention sur le fait qu’il s’agit ici d’une acquisition obtenue dans des états d’existence autres que l’état humain, ce qui n’a donc et ne peut avoir rien de commun avec une conception « réincarnationniste » quelconque ; du reste, celle-ci, outre les raisons d’ordre métaphysique qui s’y opposent d’une façon absolue dans tous les cas, serait encore plus manifestement absurde dans celui des premiers hommes, et cela suffit pour qu’il soit inutile d’y insister davantage.

Ce qu’il est peut-être plus important de remarquer expressément, parce qu’on pourrait plus facilement s’y méprendre, c’est que, quand nous parlons de l’état humain, il ne faut pas concevoir cette antériorité comme impliquant en réalité et littéralement une succession plus ou moins assimilable à la succession temporaire telle qu’elle existe à l’intérieur de l’état humain lui-même, mais seulement comme exprimant l’enchaînement causal des différents états ; ceux-ci, à vrai-dire, ne peuvent être décrits ainsi comme successifs que d’une façon purement symbolique, mais d’ailleurs il va de soi que, sans recourir à un tel symbolisme conforme aux conditions de notre monde, il serait tout à fait impossible d’exprimer les choses intelligiblement en langage humain.
Cette réserve faite, on peut parler d’un être comme ayant déjà atteint un certain degré de réalisation avant de naître à l’état humain ; il suffit de savoir en quel sens on doit l’entendre pour que cette façon de parler, si inadéquate qu’elle soit en elle-même, ne présente véritablement aucun inconvénient ; et c’est ainsi qu’un tel être possédera de naissance le degré correspondant à cette réalisation dans le monde humain, degré pouvant aller depuis celui du cheng-jen ou sage confucianiste jusqu’à celui du tchen-jen ou « homme véritable ».

Il ne faudrait cependant pas croire que, dans les conditions actuelles du monde terrestre, cette sagesse innée puisse se manifester tout à fait spontanément comme il en était à l’époque primordiale, car il faut évidemment tenir compte des obstacles que le milieu y oppose. L’être dont il s’agit devra donc recourir aux moyens qui existent en fait pour surmonter ces obstacles, ce qui revient à dire qu’il n’est nullement dispensé, comme on pourrait être tenté de le supposer à tort, du rattachement à une « chaîne » initiatique, faute duquel, tant qu’il est dans l’état humain, il resterait simplement ce qu’il était en y entrant, et comme plongé dans une sorte de « sommeil » spirituel ne lui permettant pas d’aller plus loin dans la voie de sa réalisation.
On pourrait encore concevoir, à la rigueur, qu’il manifeste extérieurement, sans avoir besoin de le développer d’une façon graduelle, l’état qui est celui du cheng-jen, parce que celui-ci n’est encore qu’à la limite supérieure du domaine exotérique ; mais, pour tout ce qui est au-delà, l’initiation proprement dite constitue toujours actuellement une condition indispensable, et d’ailleurs suffisante en pareil cas (89).
Cet être pourra alors passer en apparence par les mêmes degrés que l’initié qui est simplement parti de l’état de l’homme ordinaire, mais la réalité sera pourtant bien différente ; en effet, non seulement l’initiation, au lieu de n’être tout d’abord que virtuelle comme elle l’est habituellement sera pour lui immédiatement effective, mais encore il « reconnaîtra » ces degrés, si l’on peut s’exprimer ainsi, comme les ayant déjà en lui, d’une façon qui peut être comparée à la « réminiscence » platonicienne, et qui est même sans doute au fond une des significations de celle-ci.
Ce cas est comparable aussi à ce que serait, dans l’ordre de la connaissance théorique, celui de quelqu’un qui possède déjà intérieurement la conscience de certaines vérités doctrinales, mais qui est incapable de les exprimer parce qu’il n’a pas à sa disposition les termes appropriés, et qui, dès qu’il les entend énoncer, les reconnaît aussitôt et en pénètre entièrement le sens sans avoir aucun travail à faire pour se les assimiler. Il peut même se faire que, lorsqu’il se trouve en présence des rites et des symboles initiatiques, ceux-ci lui apparaissent comme s’il les avait toujours connus, d’une façon en quelque sorte « intemporelle », parce qu’il a effectivement en lui tout ce qui, au-delà et indépendamment des formes particulières, en constitue l’essence même ; et, en fait, cette connaissance n’a bien réellement aucun commencement temporel, puisqu’elle résulte d’une acquisition réalisée en dehors du cours de l’état humain, qui seul est véritablement conditionné par le temps.

89 Le seul cas où cette condition n’existe pas est celui où il s’agit de la réalisation descendante, parce que celle-ci présuppose que la réalisation ascendante a été accomplie jusqu’à son terme ultime ; ce cas est donc évidemment tout autre que celui que nous envisagerons présentement.

Une autre conséquence de ce que nous venons de dire, c’est que, pour parcourir la voie initiatique, un être tel que celui dont nous parlons n’a nul besoin de l’aide d’un Guru extérieur et humain, puisqu’en réalité, l’action du véritable Guru intérieur opère en lui dès le début, rendant évidemment inutile l’intervention de tout « substitut » provisoire, car le rôle du Guru extérieur n’est en définitive pas autre chose que celui-là ; et c’est là, à cet égard, le cas d’exception auquel il nous est déjà arrivé de faire allusion. Seulement, ce qu’il est indispensable de bien comprendre, c’est que précisément ce ne peut être là qu’un cas tout à fait exceptionnel, et qui l’est même naturellement de plus en plus à mesure que l’humanité avance davantage dans la marche descendante de son cycle ; on pourrait en effet y voir comme un dernier vestige de l’état primordial et de ceux qui l’ont suivi antérieurement au Kali-Yuga, vestige d’ailleurs forcément obscurci, puisque l’être qui possède « en droit » dès sa naissance la qualité d’« homme véritable » ou celle qui correspond à un moindre degré de réalisation ne peut plus la développer en fait d’une façon entièrement spontanée et indépendante de toute circonstance contingente. Bien entendu, le rôle des contingences n’en reste pas moins réduit pour lui au minimum, puisqu’il ne s’agit en somme que d’un rattachement initiatique pur et simple, qu’il lui est évidemment toujours possible d’obtenir, d’autant plus qu’il y sera comme invinciblement amené par les « affinités » qui sont un effet de sa nature même.

Mais ce qu’il faut surtout éviter, car c’est là un danger qui est toujours à craindre quand on envisage des exceptions comme celles-là, c’est que certains ne puissent s’imaginer trop facilement qu’un tel cas est le leur, soit parce qu’ils se sentent naturellement portés à rechercher l’initiation, ce qui, le plus souvent, indique seulement qu’ils sont prêts à entrer dans cette voie, et non pas qu’ils l’ont déjà parcouru en partie dans un autre état, soit parce que, avant toute initiation, il leur est arrivé d’avoir quelques « lueurs » plus ou moins vagues, d’ordre probablement plus psychique que spirituel, qui n’ont en somme rien de plus extraordinaire et ne prouvent pas davantage que les « prémonitions » quelconques que peut avoir occasionnellement tout homme dont les facultés sont un peu moins étroitement limitées que ne le sont communément celles de l’humanité actuelle, et qui, par là même, se trouve moins exclusivement enfermé dans la seule modalité corporelle de son individualité, ce qui d’ailleurs, d’une façon générale, n’implique même pas nécessairement qu’il soit vraiment qualifié pour l’initiation.

Tout cela ne représente assurément que des raisons tout à fait insuffisantes pour prétendre pouvoir se passer d’un Maître spirituel et arriver néanmoins sûrement à l’initiation effective, non moins que pour se dispenser de tout effort personnel en vue de ce résultat ; la vérité oblige à dire que c’est là une possibilité qui existe, mais aussi qu’elle ne peut appartenir qu’à une infime minorité, si bien qu’en somme il n’y a pas à en tenir compte pratiquement.
Ceux qui ont réellement cette possibilité en prendront toujours conscience, au moment voulu, d’une façon certaine et indubitable, et c’est là, au fond la seule chose qui importe ; quand aux autres, leurs vaines imaginations, s’ils se laissaient entraîner à y ajouter foi et à se comporter en conséquence, ne pourraient que les conduire aux plus fâcheuses déceptions.


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Message par Ligeia Jeu 27 Mai - 10:49

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Chapitre XXIII : TRAVAIL INITIATIQUE COLLECTIF ET « PRÉSENCE » SPIRITUELLE


Il est des formes initiatiques dans lesquelles, par leur constitution même, le travail collectif tient une place en quelque sorte prépondérante ; nous ne voulons pas dire par là, bien entendu, qu’il puisse jamais se substituer au travail personnel et purement intérieur de chacun ou en dispenser d’une façon quelconque, mais du moins constitue-t-il en pareil cas un élément tout à fait essentiel, tandis qu’ailleurs il peut être très réduit ou même entièrement inexistant.

Le cas dont il s’agit est notamment celui des initiations qui subsistent actuellement en Occident ; et sans doute en est-il plus généralement de même, à un degré plus ou moins accentué, dans toutes les initiations de métier, où qu’elles se rencontrent, car il y a là quelque chose qui paraît être inhérent à leur nature même. À ceci se rapporte par exemple un fait tel que celui auquel nous avons fait allusion dans une récente étude en ce qui concerne la Maçonnerie (90), d’une « communication » ne pouvant être effectuée que par le concours de trois personnes, de telle sorte qu’aucune d’elles ne possède à elle seule le pouvoir nécessaire à cet effet ; nous pouvons citer également, dans le même ordre d’idées, la condition de la présence d’un certain nombre minimum d’assistants, sept par exemple, pour qu’une initiation puisse avoir lieu valablement, tandis qu’il est d’autres initiations où la transmission, ainsi que cela se rencontre fréquemment dans l’Inde en particulier, s’opère simplement d’un maître à un disciple sans le concours de personne d’autre.

90 Voir Parole perdue et mots substitués, dans le nº de décembre 1948 de la revue Études Traditionnelles.

Il va de soi qu’une telle différence de modalités doit entraîner des conséquences également différentes dans tout l’ensemble du Travail initiatique ultérieur ; et, parmi ces conséquences, il nous paraît surtout intéressant d’examiner de plus près celle qui se rapporte au rôle du Guru ou de ce qui en tient lieu.

Dans le cas où la transmission initiatique est effectuée par une seule personne, celle-ci assure par là même la fonction du Guru, vis-à-vis de l’initié ; peu importe ici que ses qualifications à cet égard soient plus ou moins complètes et que, comme il arrive souvent en fait, elle ne soit capable de conduire son disciple que jusqu’à tel ou tel stade déterminé ; le principe n’en est pas moins toujours le même : le Guru est là dès le point de départ, et il ne saurait y avoir aucun doute sur son identité.

Dans l’autre cas, au contraire, les choses se présentent d’une façon beaucoup moins simple et moins évidente, et on peut légitimement se demander où est en réalité le Guru ; sans doute, tout « maître » peut toujours, quand il instruit un « apprenti », en tenir la place en un certain sens et dans une certaine mesure, mais ce n’est jamais que d’une façon très relative, et, si même celui qui accomplit la transmission initiatique n’est proprement qu’un upaguru, à plus forte raison en sera-t-il de même de tous les autres ; d’ailleurs, on ne trouve là rien qui ressemble à la relation exclusive du disciple à un Guru unique, qui est une condition indispensable pour qu’on puisse employer ce terme dans son véritable sens.

En fait, il ne semble pas que, dans de telles initiations, il y ait jamais eu à proprement parler des Maîtres spirituels exerçant leur fonction d’une façon continue ; s’il y en a eu, ce qui évidemment ne peut être exclu (91), ce n’est en somme que plus ou moins exceptionnellement, si bien que leur présence n’apparaît pas comme un élément constant et nécessaire dans la constitution spéciale des formes initiatiques dont il s’agit.

91 Il dut nécessairement y en avoir tout au moins à l’origine même de toute forme initiatique déterminée, eux seuls ayant qualité pour réaliser l’« adaptation » requise par sa constitution.

Il faut cependant qu’il y ait malgré tout quelque chose qui en tienne lieu ; c’est pourquoi l’on doit se demander par qui ou par quoi cette fonction est remplie effectivement en pareil cas.

À cette question, on pourrait être tenté de répondre que c’est ici la collectivité elle-même constituée par l’ensemble, de l’organisation initiatique envisagée, qui joue le rôle de Guru ; cette réponse serait en effet suggérée assez naturellement par la remarque que nous avons faite tout d’abord sur l’importance prépondérante qui est alors accordée au travail collectif ; mais pourtant, sans qu’on puisse dire qu’elle soit entièrement fausse, elle est du moins tout à fait insuffisante.
Il faut d’ailleurs bien préciser que, quand nous parlons à cet égard de la collectivité, nous ne l’entendrons pas simplement comme la réunion des individus considérés dans leur seule modalité corporelle, ainsi qu’il pourrait en être s’il s’agissait d’un groupement profane quelconque ; ce que nous avons surtout en vue, c’est l’« entité psychique » collective, à laquelle certains ont donné fort improprement le nom d’« égrégore ».

Nous rappellerons ce que nous avons déjà dit à ce propos (92) : le « collectif » comme tel ne saurait en aucune façon dépasser le domaine individuel, puisqu’il n’est en définitive qu’une résultante des individualités composantes, ni par conséquent aller audelà de l’ordre psychique ; or, tout ce qui n’est que psychique ne peut avoir aucun rapport effectif et direct avec l’initiation puisque celle-ci consiste essentiellement dans la transmission d’une influence spirituelle, destinée à produire des effets d’ordre également spirituel, donc transcendant par rapport à l’individualité, d’où il faut évidemment conclure que tout ce qui peut rendre effective l’action d’abord virtuelle de cette influence doit nécessairement avoir un caractère supraindividuel, et par là même aussi, si l’on peut dire, supra-collectif. Du reste, il est bien entendu que ce n’est pas non plus en tant qu’individu humain que le Guru proprement dit exerce sa fonction, mais en tant qu’il représente quelque [168] chose de supra individuel dont, dans cette fonction, son individualité n’est en réalité que le support ; pour que les deux cas soient comparables, il faut donc que ce qui est ici assimilable au Guru soit, non pas la collectivité elle-même, mais le principe transcendant auquel elle sert de support et qui seul lui confère un caractère initiatique véritable.

92 Voir ch. VI : influences spirituelles et « égrégores ».

Ce dont il s’agit est donc ce qu’on peut appeler, au sens le plus strict du mot, une « présence » spirituelle, agissant dans et par le travail collectif même ; et c’est la nature de cette « présence », que, sans nullement prétendre traiter la question sous tous ses aspects, il nous reste à expliquer un peu plus complètement.

Dans la Kabbale hébraïque, il est dit que, lorsque les sages s’entretiennent des mystères divins, la Shekinah se tient entre eux ; ainsi, même dans une forme initiatique où le travail collectif ne paraît pas être, d’une façon générale, un élément essentiel, une « présence » spirituelle n’en est pas moins affirmée nettement dans le cas où un tel travail a lieu, et l’on pourrait dire que cette « présence » se manifeste en quelque sorte à l’intersection des « lignes de force » allant de l’un à l’autre de ceux qui y participent, comme si sa « descente » était appelée directement par la résultante collective qui se produit en ce point déterminé et qui lui fournit un support approprié. Nous n’insisterons pas davantage sur ce côté peut-être un peu trop « technique » de la question, et nous ajouterons seulement qu’il s’agit là plus spécialement du travail d’initiés qui sont déjà parvenus à un degré avancé de développement spirituel, contrairement à ce qui a lieu dans les organisations où le travail collectif constitue la modalité habituelle et normale dès le début ; mais, bien entendu, cette différence ne change rien au principe même de la « présence » spirituelle.

Ce que nous venons de dire doit, d’autre part, être rapproché de cette parole du Christ : « Lorsque deux ou trois seront réunis en mon nom, je serai au milieu d’eux » ; et ce rapprochement est particulièrement frappant quand on sait quelle relation étroite existe entre le Messie et la Shekinah (93).

93 On prétend parfois qu’il existerait une variante de ce texte, portant seulement « trois » au lieu de « deux ou trois », et certains veulent interpréter ces trois comme étant le corps, l’âme et l’esprit ; il s’agirait donc de la concentration et de l’unification de tous les éléments de l’être dans le travail intérieur, nécessaire pour que s’opère la « descente » de l’influence spirituelle au centre de cet être. Cette interprétation est assurément plausible, et, indépendamment de la question de savoir exactement quel est le texte le plus correct, elle exprime en elle-même une vérité incontestable, mais, en tout cas, elle n’exclut nullement celle qui se rapporte au travail collectif ; seulement, si le nombre de trois était réellement spécifié, il faudrait admettre qu’il représente alors un minimum requis pour l’efficacité de celui-ci, ainsi qu’il en est en fait dans certaines formes initiatiques.

Il est vrai que selon l’interprétation courante, ceci concernerait simplement la prière ; mais, si légitime que soit cette application dans l’ordre exotérique, il n’y a aucune raison pour s’y limiter exclusivement et pour ne pas envisager aussi une autre signification plus profonde, qui par là même sera vraie a fortiori ; ou du moins il ne saurait y avoir à cela d’autre raison que la limitation du point de vue exotérique lui-même, pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas le dépasser. Nous devons aussi appeler tout spécialement l’attention sur l’expression « en mon nom » qui se rencontre d’ailleurs si fréquemment dans l’Évangile, car elle semble n’être plus entendue actuellement qu’en un sens fort amoindri, si même elle ne passe à peu près inaperçue ; presque personne, en effet, ne comprend plus tout ce qu’elle implique traditionnellement en réalité, sous le double rapport doctrinal et rituel.

Nous avons déjà parlé quelque peu de cette dernière question en diverses occasions, et peut-être aurons-nous encore à y revenir ; pour le moment, nous voulons seulement en indiquer ici une conséquence très importante au point de vue où nous nous sommes placés : c’est que, en toute rigueur, le travail d’une organisation initiatique doit toujours s’accomplir « au nom » du principe spirituel dont elle procède et qu’elle est destinée à manifester en quelque sorte dans notre monde (94).
Ce principe peut être plus ou moins « spécialisé », conformément aux modalités qui sont propres à chaque organisation initiatique ; mais, étant de nature purement spirituelle, comme l’exige évidemment le but même de toute initiation, il est toujours, en définitive, l’expression d’un aspect divin, et c’est une émanation directe de celui-ci qui constitue proprement la « présence » inspirant et guidant le travail initiatique collectif, afin que celui-ci puisse produire des résultats effectifs selon la mesure des capacités de chacun de ceux qui y prennent part.

94 Toute formule rituelle autre que celle qui répond à ce que nous disons ici ne peut donc, lorsqu’elle lui est substituée, être considérée que comme en représentant un amoindrissement, dû à une méconnaissance ou à une ignorance plus ou moins complète de ce que le « nom » est véritablement, et impliquant par conséquent une certaine dégénérescence de l’organisation initiatique, puisque cette substitution montre que celle-ci n’est plus pleinement consciente de la nature réelle de la relation qui l’unit à son principe spirituel.


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Message par Ligeia Sam 5 Juin - 9:10

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Chapitre XXIV : SUR LE RÔLE DU GURU



Nous avons eu, en ces derniers temps, l’occasion de constater chez certains, au sujet du rôle du Guru (95) des méprises et des exagérations telles que nous nous voyons obligé de revenir encore sur cette question pour mettre quelque peu les choses au point. Nous serions presque tentés, en présence de certaines affirmations, de regretter d’avoir insisté nous-mêmes sur ce rôle autant que nous l’avons fait en maintes circonstances ; il est vrai que beaucoup ont tendance à en amoindrir l’importance, sinon même à la méconnaître entièrement, et c’est là ce qui justifiait notre insistance ; mais c’est d’erreurs dans le sens opposé à celui-là qu’il s’agit cette fois. Ainsi, il en est qui vont jusqu’à prétendre que nul ne pourra jamais atteindre la Délivrance s’il n’a un Guru, et, naturellement, ils entendent par là un Guru humain ; nous ferons remarquer tout d’abord que ceux-là feraient assurément beaucoup mieux de se préoccuper de choses moins éloignées d’eux que le but ultime de la réalisation spirituelle, et de se contenter d’envisager la question en ce qui concerne les premières étapes de celle-ci, qui sont d’ailleurs, en fait, celles pour lesquelles la présence d’un Guru peut apparaître comme plus particulièrement nécessaire.

95 Bien que ce terme appartienne proprement à la tradition hindoue, nous entendrons ici par là, pour simplifier le langage, un Maître spirituel au sens le plus général, quelle que soit la forme traditionnelle dont il relève.

Il ne faut pas oublier, en effet, que le Guru humain n’est en réalité, comme nous l’avons déjà dit précédemment, qu’une représentation extérieure et comme un « substitut » du véritable Guru intérieur, de sorte que sa nécessité n’est due qu’à ce que l’initié, tant qu’il n’est pas parvenu à un certain degré de développement spirituel, est encore incapable d’entrer directement en communication consciente avec celui-ci. C’est là, en tout cas, ce qui limite aux premiers stades cette nécessité de l’aide d’un Guru humain, et nous disons les premiers stades parce qu’il va de soi que la communication dont il s’agit devient possible pour un être bien avant qu’il ne soit sur le point d’atteindre la Délivrance.

Maintenant, en tenant compte de cette restriction, peut-on considérer cette nécessité comme absolue, ou, en d’autres termes, la présence du Guru humain est-elle, dans tous les cas, rigoureusement indispensable au début de la réalisation, c’est-à-dire, sinon pour conférer une initiation valable, ce qui serait par trop évidemment absurde, du moins pour rendre effective une initiation qui, sans cette condition, demeurerait toujours simplement virtuelle ?
Si important que soit réellement le rôle du Guru, et ce n’est certes pas nous qui songerons à le contester, nous sommes bien obligés de dire qu’une telle assertion est tout à fait fausse, et cela pour plusieurs raisons, dont la première est qu’il y a des cas exceptionnels d’êtres chez lesquels une transmission initiatique pure et simple suffit, sans qu’un Guru ait à intervenir en quoi que ce soit, pour « réveiller » immédiatement des acquisitions spirituelles obtenues dans d’autres états d’existence ; si rares que soient ces cas, ils prouvent tout au moins qu’il ne saurait en aucune façon s’agir d’une nécessité de principe.

Mais il y a autre chose qui est beaucoup plus important à considérer ici, puisqu’il ne s’agit plus en cela de faits exceptionnels dont on pourrait dire avec raison qu’il n’y a pas lieu de tenir compte pratiquement, mais bien des voies parfaitement normales : c’est qu’il existe des formes d’initiation qui, par leur constitution même, n’impliquent aucunement que quelqu’un doive y remplir la fonction d’un Guru au sens propre de ce mot, et ce cas est surtout celui de certaines formes dans lesquelles le travail collectif tient une place prépondérante, le rôle du Guru étant joué alors, non pas par un individu humain, mais par une influence spirituelle  effectivement présente au cours de ce travail (96). Sans doute, il y a là un certain désavantage, en ce sens qu’une telle voie est évidemment moins sûre et plus difficile à suivre que celle où l’initié bénéficie du contrôle constant d’un Maître spirituel ; mais c’est là une toute autre question, et ce qui importe au point de vue où nous nous plaçons présentement, c’est que l’existence même de ces formes initiatiques, qui se proposent nécessairement le même but que les autres, et qui par conséquent doivent mettre à la disposition de leurs adhérents des moyens suffisants pour y parvenir dès lors qu’ils sont pleinement qualifiés, prouve amplement que la présence d’un Guru ne saurait être regardée comme constituant une condition indispensable dans tous les cas.
Il est d’ailleurs bien entendu que, qu’il y ait ou non un Guru humain, le Guru intérieur est toujours présent, puisqu’il ne fait qu’un avec « Soi » lui-même ; que, pour se manifester à ceux qui ne peuvent pas encore en avoir une conscience immédiate, il prenne pour support un être humain ou une influence spirituelle « non incarnée », ce n’est là en somme qu’une différence de modalités qui n’affecte en rien l’essentiel. Nous avons dit tout à l’heure que le rôle du Guru, là où il existe, est surtout important au début de l’initiation effective, et cela peut même paraître tout à fait évident, car il est naturel qu’un initié ait d’autant plus besoin d’être guidé qu’il est moins avancé dans la voie ; cette remarque contient déjà implicitement la réfutation d’une autre erreur que nous avons constatée, et qui consiste à prétendre qu’il ne peut y avoir de véritable Guru que celui qui est déjà parvenu au terme de la réalisation spirituelle, c’est-à-dire à la Délivrance.

96 Il est à remarquer à cet égard que, même dans certaines formes initiatiques où la fonction du Guru existe normalement, elle n’est pourtant pas toujours strictement indispensable en fait : ainsi, dans l’initiation islamique, certaines turuq, surtout dans les conditions actuelles, ne sont plus dirigées par un véritable Sheikh capable de jouer effectivement le rôle d’un Maître spirituel, mais seulement par des Kholafâ qui ne peuvent guère faire plus que de transmettre valablement l’influence initiatique ; il n’en est pas moins vrai que, lorsqu’il en est ainsi, la barakah du Sheikh fondateur de la tariqah peut fort bien, tout au moins pour des individualités particulièrement bien douées, et en vertu de ce simple rattachement à la silsilah, suppléer à l’absence d’un Sheikh présentement vivant, et ce cas devient alors tout à fait comparable à celui que nous venons de rappeler.

S’il en était vraiment ainsi, ce serait plutôt décourageant pour ceux qui cherchent à obtenir l’aide d’un Guru, car il est bien clair que les chances qu’ils auraient d’en rencontrer un seraient alors extrêmement restreintes ; mais, en réalité, pour que quelqu’un puisse jouer efficacement ce rôle de Guru au commencement, il suffit qu’il soit capable de conduire son disciple jusqu’à un certain degré d’initiation effective, ce qui est possible même s’il n’a pas été lui-même plus loin que ce degré (97). C’est pourquoi l’ambition d’un vrai Guru, si l’on peut dire, doit être surtout de mettre son disciple en état de se passer de lui le plus tôt possible, soit en l’adressant, quand il ne peut plus le conduire plus loin, à un autre Guru ayant une compétence plus étendue que la sienne propre (98 ), soit, s’il en est capable, en l’amenant au point où s’établira la communication consciente et directe avec le Guru intérieur ; et, dans ce dernier cas, cela est tout aussi vrai si le Guru humain est véritablement un jivan-mukta que s’il ne possède qu’un moindre degré de réalisation spirituelle. Nous n’en avons pas encore fini avec toutes les conceptions erronées qui ont cours dans certains milieux, et parmi lesquelles il en est une qui nous paraît particulièrement dangereuse ; il est des gens qui s’imaginent qu’ils peuvent se considérer comme rattachés à telle forme traditionnelle par le seul fait que c’est celle à laquelle appartient leur Guru, ou du moins celui qu’ils se croient autorisés à regarder comme tel, et sans qu’ils aient pour cela à rien faire d’autre ni à accomplir quelque rite que ce soit.

97 Cette capacité suppose d’ailleurs, outre le développement spirituel correspondant à la possession de ce degré, certaines qualités spéciales, de même que, parmi ceux qui possèdent les mêmes connaissances dans un ordre quelconque, tous ne sont pas également aptes à les enseigner à d’autres.
98 Il doit être bien entendu que ce changement ne peut jamais s’opérer régulièrement et légitimement qu’avec l’autorisation du premier Guru, et même sur son initiative, car c’est lui seul, et non pas le disciple, qui peut apprécier si son rôle est terminé vis-à-vis de celui-ci, et aussi si tel autre Guru est réellement capable de le mener plus loin qu’il ne le pouvait lui-même.
Ajoutons qu’un tel changement peut aussi avoir parfois une raison toute différente, et être dû seulement à ce que le Guru constate que le disciple, du fait de certaines particularités de sa nature individuelle, peut être guidé plus efficacement par quelqu’un d’autre.


Il devrait être bien évident que ce prétendu rattachement ne saurait aucunement avoir une valeur effective, qu’il n’a même pas la moindre réalité ; il serait vraiment trop facile de se rattacher à une tradition sans autres conditions que celle-là, et on ne peut voir là que l’effet d’une méconnaissance complète de la nécessité de la pratique d’un exotérisme, qui, dans le cas d’une initiation relevant d’une tradition déterminée et non exclusivement ésotérique, ne peut naturellement être que celui de cette même tradition (99). Ceux qui pensent ainsi se croient sans doute déjà passés au-delà de toutes les formes, mais leur erreur n’en est encore que plus grande, car le besoin même qu’ils éprouvent de recourir à un Guru est une preuve suffisante qu’ils n’en sont pas encore là (100) ; que le Guru lui-même y soit parvenu ou non, cela ne change rien en ce qui concerne les disciples et ne les regarde même en aucune façon. Ce qui est le plus étonnant, il faut bien le dire, c’est qu’il puisse se trouver un Guru qui accepte des disciples dans de semblables conditions, et sans avoir préalablement rectifié chez eux cette erreur ; cela seul serait même de nature à causer de sérieux doutes sur la réalité de sa qualité spirituelle.
En effet, tout véritable Maître spirituel doit nécessairement exercer sa fonction en conformité avec une tradition déterminée ; quand il n’en est pas ainsi, c’est là une des marques qui permettent le plus facilement de reconnaître qu’on n’a affaire qu’à un faux Maître spirituel, qui d’ailleurs, dans certains cas, peut très bien n’être pas de mauvaise foi, mais s’illusionner lui-même par ignorance des conditions réelles de l’initiation ; nous nous sommes déjà suffisamment expliqué là-dessus pour qu’il ne soit pas utile d’y insister davantage (101).

Il importe d’ailleurs, car il faut prévoir toutes les objections, de faire une distinction très nette entre ce cas et celui où il peut arriver que, accidentellement en quelque sorte, et en dehors de sa fonction traditionnelle, un Maître spirituel donne non seulement des éclaircissements d’ordre doctrinal, ce qui ne saurait soulever de difficulté, mais aussi certains conseils d’un caractère plus pratique à des personnes n’appartenant pas à sa propre tradition ; il doit être bien entendu qu’il ne peut s’agir alors que de simples conseils, qui, tout comme ceux qui pourraient venir de quelqu’un d’autre, tirent uniquement leur valeur des connaissances que celui qui les donne possède en tant qu’individu humain, et non pas en tant que représentant d’une certaine tradition, et qui ne sauraient aucunement mettre, vis-à-vis de lui, celui qui les reçoit dans la situation d’un disciple au sens initiatique de ce mot.
Cela n’a évidemment rien de commun avec la prétention de conférer une initiation à des gens qui ne remplissent pas les conditions voulues pour la recevoir valablement, conditions parmi lesquelles figure toujours nécessairement le rattachement régulier et effectif à la tradition à laquelle appartient la forme initiatique envisagée, avec toutes les observances rituelles qui y sont impliquées essentiellement ; et il faut dire nettement que, faute de ce rattachement, la relation qui unit les soi-disant disciples à leur Guru n’est elle-même, en tant que lien initiatique, qu’une illusion pure et simple.

99 Nous prenons ici le mot « exotérisme » dans son acception la plus large, pour désigner la partie d’une tradition qui s’adresse à tous indistinctement, et qui constitue la base normale et nécessaire de toute initiation correspondante.
100 Il y a même ici quelque chose de contradictoire, car, s’ils avaient pu réellement arriver à ce point avant d’avoir un Guru, ce serait assurément la meilleure preuve que celui-ci n’est pas indispensable comme ils l’affirment d’autre part.
101 Voir ch. XXI : Vrais et faux instructeurs spirituels.



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