À propos du bonheur

par Sowl Mer 10 Fév - 15:02

Salam voici un petit partage d'un post sympathique qui m'est parvenu :

« L'idée de bonheur a été réduite à la notion de plaisir et cette dernière l'a été au simple fait de jouir momentanément ; et par-dessus tout, cela est devenu un acte de consommation : on consomme de tous les produits imaginables, on consomme les autres, et on consomme même Dieu. Or, comment le bonheur pourrait-il être si restreint ? Ainsi, le bonheur, comme l'amour, font partie des notions mal comprises, voire complètement ignorées par la majorité de nos contemporains.
Loin d'être une chose qu'on acquiert et encore moins qu'on puisse acheter, le bonheur est un état et une station spirituelle. Cet état constitue la faculté de voir toutes choses comme étant bonnes et survenant au moment parfait ; à la bonne-heure. L'équation est simple : Puisque tout vient de Dieu et que de Dieu ne vient que du bien alors tout ce qui nous vient ne peut être que du bien... En effet, seule notre perception partielle et relative peut nous amener à penser qu'une chose est mal ou « moins bien », mais il n’en est rien, en réalité tout est parfait.

Dans les termes même, le mot « bonheur » porte en lui ce qu'il est : la « bonne heure ». Donc tout ce qui arrive est bon et survient au moment parfait... C'est vrai qu'il peut être difficile de l'accepter dans l'agitation de la vie, c’est pourtant une certitude à adopter et qui peut se vérifier si on se remémore des situations passées au sujet desquelles on peut se dire « Heureusement que j’étais à ce moment-là, à cet endroit-là ». Le bonheur est maintenant, dans l’instant, il est toujours actuel et présent … remarquons d’ailleurs que « maintenant » et « instant » se terminent par « ant », la terminaison qui marque un participe-présent.

De la même manière que nous venons de voir qu'en langue française, le bonheur se trouve dans le « maintenant » ; dans la langue arabe, deux termes se prêtent parfaitement à l'explication du bonheur et de la paix, les termes « hanâ » et « sakîna ».

Le terme al-hanâ signifie Ia tranquillité, la sérénité, la paix. Découlant de la même racine il y a le terme « hunâ » qui signifie « ici, là ». La racine Ha Wa Na donne aussi les termes évoquant les notions de « lenteur », « de légèreté », d'«aisance » et de « mépriser ».
Les conclusions que l’on peut tirer sont assez claires, le bonheur, la paix et la sérénité ne sont pas ailleurs, mais elle se trouvent là où nous sommes (ici, là, hunâ), dans ce que nous sommes une fois débarrassés et délestés de ce qui nous encombre, tant extérieurement, qu'intérieurement, en méprisant et en tranchant avec l'inutile et le non-essentiel que constitue la lourdeur des projections mentales dans l'espace et le temps. On pourrait dire que « Al-hanâ hunâ » (la sérénité est dans l'ici) et que le bonheur est à la bonne heure, donc maintenant. Ce bonheur n’est rien d’autre que ce cadeau offert de toute éternité, d'où l'appellation « présent » pour parler d'un cadeau, d'une offrande, d'une Grâce.

Nous parlions de « sakîna », terme éminemment intéressant dont la racine « Sa Ka Na » donne également de multiples sens qui peuvent sembler tout à fait éloignés les uns des autres. En effet, de la racine « SA KA NA » dérivent, entre autre, les mots « sakana » (lieu d'habitation) », « miskîn » (pauvre), « sukûn » (silence) ou encore « sikîn » (couteau).
La sakîna, la Grande Paix, est cette plénitude qui descend dans le cœur de l'être centré (al-mu'mîn, en terme coranique). Cette Grande Paix est obtenue qu'après avoir su trancher au couteau (sikîn) avec les différentes attaches extérieures oblitérant le chemin vers le centre et en se prémunissant, al-wiqaya (racine arabe « Wa Qa Ya », qui donne « Taqwa » qui est communément traduit par « piété »).

Une fois au centre, nu et pauvre (miskîn) la grande Paix est là, ici et maintenant et elle devient notre lieu d'habitation (sakana) ; la réciproque est également vraie, c'est-à-dire que ne peut être considéré comme « chez soi » qu'un lieu où l'on se sent en paix.
On peut rappeler, dans l'histoire du prophète Joseph, ces femmes qui se coupèrent la main au couteau (sikîn) en voyant la beauté de Joseph, pour avoir la paix, elles tranchent avec la tentation. (Coran, 12/31).
Enfin, cette action de trancher avec ce qui nous empêchent d'accéder au centre permet d'obtenir le silence intérieur (sukûn), caractéristique de la grande Paix (Sakina).

Dans l'ordre des principes, une autre « équation » est essentielle et elle concerne proprement la conception traditionnelle du bonheur, qui est opposée à la conception moderne d'origine occidentale. Au lieu de se défaire des fausses attaches, au contraire, le monde moderne en crée des plus artificielles qui soient qu'il nomme « besoin ». En effet, l'être humain a des besoins, et pour lui, l'assouvissement des besoins constitue une part du bonheur car un besoin non-assouvi décentre. Ipso facto, lorsque l'être humain remplit un besoin, il est recentré. Une fois cela dit, il est évident de comprendre que plus un individu a des besoins, plus il a des possibilités de décentrage et donc d'être malheureux.

D'où l'absurdité de la conception moderne de la multiplication des besoins... mais cela est complètement cohérent dans l'optique d'une société de consommation avec un appétit sans borne. A contrario, la conception traditionnelle est plutôt axée sur la réduction voire la suppression des besoins dans la mesure du possible.

Pour conclure, le bonheur est un état de l'être centré. Il est dans le domaine de l'unité donc il ne peut pas ressentir d'antagonisme puisque ce Un est le Tout. Cette unité ne peut s'atteindre que par le détachement et l'indigence foncière (al faqru) ; mentalité aux antipodes du dogme moderne de la consommation et de la multiplication des besoins à assouvir. Ce bonheur n'est pas à chercher ailleurs dans les différentes directions de l'espace ou du temps, mais il est présent ici et maintenant, d'où l'importance de ce connaître « en vérité » comme le disait Abû Hamîd al-Ghazali dans « L'alchimie du bonheur ».

-D'une Rive à l'Autre.

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« Cependant, plaçons-nous pour un instant au point de vue de ceux qui mettent leur idéal dans le « bien-être » matériel, et qui, à ce titre, se réjouissent de toutes les améliorations apportées à l’existence par le « progrès » moderne ; sont-ils bien sûrs de n’être pas dupes ? Est-il vrai que les hommes soient plus heureux aujourd’hui qu’autrefois, parce qu’ils disposent de moyens de communication plus rapides ou d’autres choses de ce genre, parce qu’ils ont une vie plus agitée et plus compliquée ? Il nous semble que c’est tout le contraire : le déséquilibre ne peut être la condition d’un véritable bonheur ; d’ailleurs, plus un homme a de besoins, plus il risque de manquer de quelque chose, et par conséquent d’être malheureux ; la civilisation moderne vise à multiplier les besoins artificiels, et, comme nous le disions déjà plus haut, elle créera toujours plus de besoins qu’elle n’en pourra satisfaire, car, une fois qu’on s’est engagé dans cette voie, il est bien difficile de s’y arrêter, et il n’y a même aucune raison de s’arrêter à un point déterminé. Les hommes ne pouvaient éprouver aucune souffrance d’être privés de choses qui n’existaient pas et auxquelles ils n’avaient jamais songé ; maintenant, au contraire, ils souffrent forcément si ces choses leur font défaut, puisqu’ils se sont habitués à les regarder comme nécessaires, et que, en fait, elles leur sont vraiment devenues nécessaires. Aussi s’efforcent-ils, par tous les moyens, d’acquérir ce qui peut leur procurer toutes les satisfactions matérielles, les seules qu’ils soient capables d’apprécier : il ne s’agit que de « gagner de l’argent », parce que c’est là ce qui permet d’obtenir ces choses, et plus on en a, plus on veut en avoir encore, parce qu’on se découvre sans cesse des besoins nouveaux ; et cette passion devient l’unique but de toute la vie. »

René Guénon, La Crise du Monde Moderne.