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Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon

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Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon  Empty Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon

Message par Ligeia Lun 26 Oct - 11:50

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Partie 1 :


Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon (1)


« Dis : O Gens du Livre ! Elevez-vous jusqu’à une Parole également valable pour nous et pour vous : que nous n’adorions que Dieu, que nous ne Lui associons rien, que nous ne prenions pas certains d’entre nous comme « seigneurs » en dehors de Dieu … » (Coran, 3, 57).

La mort de René Guénon ayant attiré l’attention publique sur son cas spirituel, beaucoup ont été étonnés d’apprendre à l’occasion qu’il fut musulman. Dans ses livres, rien n’indiquait un tel rattachement traditionnel, et, même, la place qu’il fit à l’Islam dans ses études fut, en comparaison avec celle qu’y trouve l’Hindouisme ou le Taoïsme, assez restreinte, malgré les fréquentes références qu’il fait à la métaphysique et à l’ésotérisme islamiques. C’est ainsi que certains se sont demandés s’il pouvait y avoir un accord entre sa perspective doctrinale et sa position traditionnelle personnelle. D’autres sont allés jusqu’à penser que son enseignement métaphysique et intellectuel ne pourrait être considéré comme compatible avec la doctrine islamique. Il est à peine besoin de relever ce qu’il y a de superficiel ou encore de malveillant dans ce genre d’avis ou de suppositions, mais nous estimons utile de donner ici quelques précisions et de faire quelques mises au point, envisageant que certaines questions peuvent être posées à cet égard, d’une façon plus pertinente, et, comme telles, mériteraient d’être prises en considération.

Il y a ainsi une question quant à l’orthodoxie islamique de l’œuvre de René Guénon, et une autre quant au rapport que peut avoir sa position traditionnelle personnelle avec sa fonction doctrinale générale. Pour la première de ces questions, comme en fait il n’y a eu à notre connaissance aucune critique précise, nous n’avons pas à répondre à une thèse déterminée mais nous tâcherons seulement de montrer dans quelle perspective une telle question se situe. Pour la deuxième, nous porterons à la connaissance des lecteurs quelques éléments documentaires presque inconnus en Occident.

Tout d’abord, il nous faut rappeler ou préciser quelques questions de principe.
La notion d’orthodoxie peut être envisagée principalement à deux degrés : l’un est de l’ordre des idées pures, l’autre de l’ordre de leur adaptation formelle dans l’économie traditionnelle (1). Si les vérités universelles sont en elles-mêmes immuables, par leurs adaptations cycliques aux conditions humaines, elles comportent des formes qui sont solidaires ensuite de certains critères d’orthodoxie contingente. En même temps, la sagesse qui dispose les vérités et les formes doctrinales dans les différents domaines et conditions du monde traditionnel, détermine aussi les degrés de juridiction et les limites de compétence des institutions et des autorités qui doivent en connaître.

(1) Un mode spécial de cette adaptation est celui des rites et des techniques spirituelles ; nous n’avons pas à l’envisager distinctement ici, où nous traitons seulement de l’ordre doctrinal ; c’est du reste dans la doctrine que se trouve le fondement de toutes les institutions et pratiques traditionnelles.

La relative adaptation de la Vérité Universelle ou des vérités immuables dans les différentes formes traditionnelles, varie tout d’abord selon qu’il s’agit de formes de mode intellectuel ou de mode religieux, les premières comme l’Hindouisme, ayant un caractère plus directement métaphysique, les deuxièmes, qui sont celles qu’on appelle les « traditions monothéistes », comportant sur le plan général des modalités conceptuelles dogmatiques et une plus grande participation sentimentale. Les critères de l’orthodoxie d’une façon générale varient dans chacune de ces formes en fonction de leurs définitions spécifiques et particulières. De plus, dans le cadre de certaines formes traditionnelles, et plus spécialement dans les formes religieuses, il y a à faire une distinction entre orthodoxie ésotérique et orthodoxie exotérique : malgré une relation organique existant jusqu’à un certain point entre les deux domaines extérieur et intérieur d’une même forme traditionnelle, les critères applicables à l’un sont naturellement différents de ceux applicables à l’autre.

D’autre part, de même que les critères d’orthodoxie propres à l’exotérisme d’une tradition ne peuvent être appliqués à ce qui appartient à autre forme traditionnelle, de même ceux qui concernent le monde initiatique et ésotérique d’une de ces formes ne peuvent être considérés comme directement applicables aux domaines correspondants d’une autre : il y a en effet pour la voie ésotérique de chacune de celles-ci des modalités particulières, bien que d’un ordre plus intérieur, tant pour la doctrine que pour les méthodes correspondantes, et il serait tout à fait insuffisant de parler d’unité ésotérique des formes traditionnelles sans préciser que cette unité concerne seulement les principes universels, en dehors desquels les adaptations traditionnelles se traduisent par des particularités dans l’ordre initiatique et ésotérique même ; s’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait qu’un seul ésotérisme, et un même domaine initiatique, pour toutes les formes d’exotérismes existants ou possibles.

Une telle identité et universalité n’est réelle que pour l’aspect le plus haut de la métaphysique : c’est en ce sens que les maîtres islamiques disent : « La doctrine de l’Unité est unique » (at-Tawhîdu wâhidun). Or, cette doctrine n’est elle-même identique que quant à son sens, non pas quant à la forme qu’elle reçoit dans l’une ou l’autre tradition ; de plus, dans le cycle d’une même forme traditionnelle l’expression de la même doctrine peut recevoir successivement ou concurremment des formes variées (2). En tout cas, étant donné la relation nécessaire jusqu’à un certain point entre l’enseignement initiatique et la forme exotérique d’une même tradition, relation qui vaut aussi bien d’ailleurs pour la doctrine que pour les formes symboliques et techniques, les particularités dont il est question sont encore plus sensibles quand on compare l’enseignement initiatique dans une tradition de caractère intellectuel à celui d’une tradition de caractère religieux.

Néanmoins, malgré la diversité des conditions que nous venons de rappeler ou de préciser, il n’y a pourtant pas là une multiplicité irréductible. Au contraire, il existe nécessairement un principe d’intelligibilité de l’ensemble correspondant à la sagesse qui dispose cette multiplicité et cette diversité. Mais ce principe ne peut être que métaphysique. Pareillement, le critère suprême d’orthodoxie entre les différents domaines avec leurs particularités ne peut être que du ressort de la métaphysique pure.

(2) Nous allons en voir plus loin un exemple relatif à l’enseignement métaphysique en Islam.


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Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon  Empty Re: Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon

Message par Ligeia Jeu 29 Oct - 8:06

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Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon


Partie 2 :


D’une façon générale, l’œuvre doctrinale de René Guénon se rapporte aux vérités les plus universelles ainsi qu’aux règles symboliques et aux lois cycliques qui régissent leur adaptation traditionnelle. Sous ce rapport, le critère de son orthodoxie se trouve par la nature des choses dans l’intelligence des principes métaphysiques et des conséquences qui en découlent. Ce n’est qu’à titre secondaire que cette orthodoxie pourrait être soumise à une vérification littérale dans les différentes doctrines traditionnelles existantes ; au premier abord, pour un lecteur ordinaire, cette vérification n’est immédiate que là où dans ses ouvrages René Guénon s’est appliqué spécialement à établir lui-même les preuves documentaires à l’appui des points de doctrine qu’il exposait, et sous le rapport de la tradition à laquelle il se référait ainsi ; pour tout le reste, c’est l’intelligence et la recherche personnelle qui sont requises ; il est supposé, en même temps, que cette recherche est basée sur une droite intention, condition qui assure son orientation et son résultat.

Ecrivant dans un temps où les conditions psychologiques et spéculatives n’avaient plus rien de caractéristiquement traditionnel, et exposant des vérités insoupçonnées des contemporains, ses modes de formulation métaphysique ont eu nécessairement un caractère indépendant par rapport aux modes d’expression doctrinale connus, ou pratiqués, en Occident. D’autre part, comme il ne s’est pas attaché exclusivement à l’enseignement d’une seule tradition orientale, mais s’est appuyé opportunément sur tout ce qui était susceptible de servir à l’exposé des idées universelles dont il offrait la synthèse, ce caractère d’indépendance formelle subsiste dans une certaine mesure même par rapport aux modes d’expression doctrinale de l’Orient ; la chose était du reste inévitable par le seul fait que René Guénon écrivait dans une langue de civilisation toute autre que celle par lesquelles sont véhiculées ces doctrines.

Comme on le sait, René Guénon a dû réaliser dans ses études un travail de synthèse à la fois conceptuelle et terminologique - ces deux choses allant nécessairement ensemble - qui apparaît d’ailleurs comme une des réussites les plus merveilleuses de l’enseignement traditionnel. Mais cela même lie son œuvre à des conditions spéciales d’intelligibilité. C’est ainsi que si l’on tentait de traduire ses ouvrages de doctrine générale en n’importe quelle langue de civilisation orientale, la traduction devrait s’accompagner d’un commentaire spécial idéologique et terminologique, variable avec chacune de ces langues.

L’orthodoxie du sens profond des idées ne suffirait pas à elle seule, avec une traduction littérale - si toutefois cela était toujours possible - pour faire reconnaître partout dans ces ouvrages de doctrine générale, à un Oriental non prévenu et qui ne connaîtrait que sa propre forme traditionnelle, le même fond doctrinal que dans celle-ci. La difficulté serait même plus accentuée quand il s’agirait de traduction dans la langue d’une civilisation de forme religieuse, pour la raison que René Guénon a pensé et s’est exprimé dans des modes appartenant à ce qu’on pourrait appeler une « spiritualité sapientiale », modes spécifiquement différents de ceux qui sont régulièrement pratiqués dans les traités de doctrine à base de « religion révélée ».

Les modes spirituels de « sagesse », comme ceux de l’Hindouisme, mettent par exemple au premier plan de la conscience traditionnelle générale les idées d’identité du Soi et du Principe Universel (Brahma), de coïncidence du connaître et de l’être, ainsi que le rôle actif de l’Intellect transcendant dans la réalisation métaphysique, vérités qui dans les traditions de type religieux ont non seulement une circulation ésotérique, mais encore - et c’est là un point auquel il faut accorder une attention particulière - une forme qui est plutôt analogique qu’identique ; l’identité de sens final existe toujours, mais celle de la forme même est rare (3). Or, ce sont ces mêmes idées que René Guénon a promues avec vigueur en mettant en même temps à profit  certaines notions spéculatives de l’aristotélisme, lui-même une des formes sapientiales de l’Occident (4).

Par contre une notion religieuse comme celle du « Dieu personnel », qui est propre à la conception théologique du Principe, ne pouvait intervenir dans sa spéculation purement métaphysique. Il n’en nie pas la légitimité dans une doctrine théologique, car c’est bien là qu’est sa place, à côté des autres notions spécifiquement religieuses comme celles de « création » et de « salut » ; de plus, comme dans une forme traditionnelle religieuse la base exotérique est nécessaire pour la voie initiatique et ésotérique – et René Guénon lui-même a insisté sur ce point – les éléments doctrinaux et rituels de l’exotérisme doivent nécessairement être intégrés et pratiqués sur leur plan. Pour un initié en outre ces éléments peuvent et doivent être transposés dans un sens métaphysique, mais cela ne les dépare alors nullement de leurs vertus positives, car ils y trouvent une portée vraiment universelle.

Ces caractères de l’enseignement de René Guénon sont la conséquence rigoureuse de ce qu’il voulait traiter exclusivement de métaphysique et d’intellectualité pure, et aussi du fait qu’une perspective purement intellectuelle sur les choses spirituelles est plus sûrement accessible que toute autre à la compréhension : du reste, ils s’adresse exclusivement aux seuls intellectuels.

Mais ces avantages d’intelligibilité ne valant que pour une élite, sa synthèse doctrinale ne saurait être portée d’emblée dans une langue de civilisation à base religieuse, où la présence d’un enseignement dogmatique officiel et la foi aux formes particulières de la révélation sont des éléments constitutifs de la tradition. Pour prendre le cas de l’Islam, même si les concepts du péripatétisme arabe, combinés du reste avec ceux du néo-platonisme, ont été dans une certaine mesure utilisés dans l’enseignement des doctrines initiatiques, il n’y a eu là qu’une adaptation contingente et partielle rendue possible et même nécessaire du fait que la Théologie islamique (le Kalâm) elle-même avait adopté pour ses exposés les modes spéculatifs de la philosophie (5).

(3) C’est du reste ce qu’on constate même dans les attaques bouddhistes contre la notion hindoue de Soi à laquelle est substituée alors celle du Vide absolu et universel. Ce qui est « affirmé » ainsi par un mode négatif coïncide parfaitement avec la véritable idée du Soi Absolu et Universel, mais le changement de perspective et de terminologie apportée par le Bouddhisme était une nécessaire réaction contre l’ « idolâtrie » de fait d’un Soi conçu de plus en plus dans ses modes conditionnés.
(4) La métaphysique d’Aristote est limitée à l’ontologie, et de plus elle se présente généralement comme une spéculation philosophique dépourvue de l’application à une réalisation correspondante ; mais René Guénon, dans la mesure où il y a eu recours, l’a intégrée dans une doctrine initiatique complète. Puisque l’occasion se présente, nous devons ajouter que l’aristotélisme semble néanmoins avoir connu quelquefois une telle application, mais qui a dû rester plutôt d’ordre ésotérique. Il faudrait avoir une autre occasion pour pouvoir aborder ce sujet.
(5) À propos possibilités positives de l’intellectualité aristotélicienne, sur un plan plus général de civilisation, nous pourrions dire aussi, que malgré ses limitations, elle a joué un incontestable rôle de langage intellectuel entre les civilisations méditerranéennes.



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Message par Ligeia Jeu 5 Nov - 10:15

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Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon


Partie 3 :

Cependant la spiritualité en général de l’Islam, aussi bien que celle des Ahlu-l-Haqîqa (les gens de la Vérité essentielle) et du Tasawwuf est restée, dans ses conceptions les plus intimes et dans sa terminologie ainsi que dans ses moyens, sur ses bases prophétiques. Il y a à cela des raisons d’homogénéité entre les influences spirituelles d’un côté, et les modes conceptuels ainsi que les moyens techniques de la voie d’un autre côté, raisons qui tiennent de près à ce qui constitue l’excellence propre de la tradition muhammadienne, tant dans l’ordre exotérique que dans l’ordre initiatique (6).

Une présentation éventuelle de l’œuvre de René Guénon dans un milieu traditionnel islamique devrait par conséquent se faire avec une référence compétente aux doctrines ésotériques et métaphysiques de l’Islam, tout en tenant compte de ce qu’il y a d’inévitablement délicat pour une exposition des doctrines ésotériques de l’Islam même devant un public qui ne saurait âtre considéré dans son ensemble capable de comprendre les choses de cet ordre.

A cet égard, il faut remarquer, en outre, que de nos jours que les doctrines du Tasawwuf ont elles-mêmes besoin dans les pays islamiques d’une justification intellectuelle renouvelée et adaptée de façon à répondre aux conditions de la mentalité moderne qui s’est étendue de l’Occident à tous les milieux de culture du monde oriental. En dehors de l’esprit exotériste, il faut donc compter maintenant avec l’esprit anti-traditionnel tout court des progressistes de toutes sortes, et surtout avec la présence d’une génération de savants « orientalistes », d’origine orientales, mais de formation et d’inspiration occidentales et profanes (7). Par un curieux retournement des choses, l’enseignement de René Guénon peut faciliter lui-même beaucoup cette justification, car il contient les moyens spéculatifs et dialectiques qui permettent d’y aboutir dans toutes les conditions de mentalité qui ressemblent à celle de l’Occident contemporain ; ce travail de justification intellectuelle se trouve déjà en essence dans les références doctrinales que l’œuvre de René Guénon fait à l’ésotérisme et à la métaphysique islamiques.

La présentation de l’œuvre de René Guénon dans un milieu de civilisation islamique, ou orientale d’une façon générale, apparaît ainsi comme une occasion propice pour redresser le prestige de l’intellectualité traditionnelle de l’Orient dans son ensemble. Comme dans cette œuvre les doctrines de l’Hindouisme et du Taoïsme sont mises souvent en relation avec celles du tasawwuf aussi bien que de l’ésotérisme judaïque ou chrétien, c’est dans son enseignement que se trouvent aussi le principe et la méthodes de concordance entre les deux types de spiritualités dont nous avons parlé, l’intellectuel et le religieux.

Cela nous amène à donner quelques précisions sur les rapports entre ces deux genres de spiritualité. Les deux coïncident dans leur source suprême et dans leur aspect ultime ; les différences apparaissent dans les modalités dominantes sur les plans inférieurs. Mais, tout révélateur au sens religieux est nécessairement, avant d’être choisi comme support d’une révélation ou d’un message divin, et il le reste toujours après, un Connaissant du Principe selon le mode identifiant de la réalisation métaphysique. La voie initiatique ouverte par lé révélateur, tout en étant en rapport direct avec les modalités de sagesse qui qualifient son type personnel (8 ), présente en même temps certains caractères liés au message reçu pour l’ensemble de la communauté religieuse.

La forme et l’étendue du message prophétique, surtout quand il s’agit de cas prophétiques majeurs, sont telles que le support choisi lui-même reçoit par la foi le message ou le « livre » révélé, qui se rapporte ainsi à tout ce qui n’a pas été réalisé en ampleur par lui-même, et qui lui est confié aussi bien pour lui-même que pour sa communauté. C’est pourquoi Allâh dit à Son Prophète universel : « C’est ainsi que Nous t’avons donné la révélation par un Esprit de Notre commandement, alors que tu ne savais pas ce qu’est le Livre, ni la Foi… » (Cor.42.52).

(6) Nous aurons à revenir en une autre occasion sur ce dernier point, surtout à l’occasion de la présentation de certains écrits du Cheikh al-Akbar Muhy-d-Dîn Ibn Arabî.
(7) Ce qui est bien significatif à cet égard, c’est que, de nos jours, on fait paraître en Orient des traductions des ouvrages de l’orientalisme européen pour instruire les orientaux sur leurs propres doctrines !
(8 ) Car il faut bien dire qu’il y a aussi une certaine diversité quant aux caractères des Sages et à leurs formes doctrinales.


Mais quels que soient les caractères particuliers ou spécifiques d’une spiritualité religieuse, du fait que son axe reste celui de la connaissance et que son principe est purement métaphysique, il est toujours possible de ramener l’ensemble de ses attributs doctrinaux symboliques et techniques, à une conception métaphysique et par cela retrouver l’accord avec les doctrines purement intellectuelles.

C’est ainsi que, dans l’ordre doctrinal, malgré le dualisme apparemment irréductible des idées de « Dieu » et de « création » dans les formes religieuses, il n’est pas concevable que la doctrine de l’identité suprême, valable aussi bien pour la relation du Soi au Principe que pour celle de manifestation universelle au Principe, fasse défaut tout d’abord au fondateur d’une tradition intégrale, et qu’elle ne soit par principe destinée à rester l’essence même de la tradition fondée par lui, malgré les formes qu’elle doive recevoir dès le début ou encore au cours du cycle traditionnel, dans l’enseignement ésotérique même. La conscience de ce fond primordial peut diminuer ou même subir des éclipses, mais c’est qu’alors l’élite même ne participe à sa tradition que d’une façon imparfaite ou incomplète ou qu’il n’y a plus du tout de véritable élite ; c’est pourquoi on peut alors dire que la communauté et ses institutions de fait ne comprennent ou n’acceptent plus l’idée d’Identité Suprême, mais non pas que ce sont les traditions mêmes qui l’excluent.

La tradition islamique est formelle sur le point que tous les Envoyés divins ont apporté essentiellement le même message et que toutes les traditions sont en essence Une, ce qui implique tout d’abord une identité de réalité et de doctrine métaphysique. Pour ce qui est de la forme muhammadienne de la tradition, celle-ci est en tout cas, originellement et essentiellement axée sur la doctrine de l’identité Suprême qui est celle de la Waĥdat al Wujûd. Cette expression appartient au Cheikh al-Akbar qui vivait aux VI°-VII° siècles de l’Islam, mais la chose désignée est purement muhammadienne : ce n’est que le Tawhîd même, dans son acception initiatique, acception que l’histoire traditionnelle antérieure atteste fréquemment, et que ce maître ne faisait que rendre plus explicite et plus sensible pour l’intellectualité contemporaine (9).

(9) D’ailleurs si l’on voulait ne regarder que le sens littéral, on pourrait trouver chez le Cheikh al-Akbar lui-même les formulations tellement différentes de la même doctrine, et c’est même le cas le plus fréquent chez lui, qu’on pourrait considérer comme tout à fait contradictoires avec la notion de Waĥdat al Wujûd. Mais les adversaires exotéristes ou autres qu’il a eus ou qu’il a encore et qui l’accusent de « panthéisme », n’ont jamais l’objectivité de relever le fait, ni l’astuce de le mettre en contradiction avec lui-même ; ils seraient alors peut-être obligés de faire un effort de compréhension, et ils risqueraient ainsi de douter du bien-fondé de leur opinion, soit d’avouer n’y rien comprendre. En fait, ses contradicteurs isolent dans ses écrits des expressions considérées par eux comme compromettantes, et qui ne le sont que par le sens qu’ils veulent y voir.
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Message par Ligeia Lun 9 Nov - 9:13

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Partie 4 :


Cette doctrine (Waĥdat al Wujûd) qui relevait par nature d’un enseignement ésotérique, et dont quelques signes seulement pouvaient transpirer à l'extérieur, affirme l’identité de Soi et d’Allâh ou la Vérité Suprême et Universelle, et en même temps l’identité essentielle de la manifestation avec Son Principe : l’identité du « Soi-même » et du Principe est attestée entre autres par le fameux ĥadîth « celui qui se connaît soi-même connaît son Seigneur » ; d’autre part les notions d’ « acte de création » et de « créature » - les deux incluses dans le terme khalq - sont ramenées à celles d’ « acte de manifestation » (zuhûr) et de « manifestation » (mazhar) qui expriment même plus qu’une simple extériorisation des possibilités principielles, puisque rattachées au nom divin l’Apparaissant (az-Zâhir), elles annoncent la manifestation de l’Être unique lui-même.

Enfin, pour considérer un autre point différentiel important entre les deux types de spiritualité dont nous parlons, constitué par la notion d’Intellect, nous allons voir une situation analogue quoique plus complexe. En Islam, selon la définition prophétique, l’Intellect (al-‘Aql) est chose créée : « la première chose qu’Allâh a créé est l’Intellect » dit un hadîth. Nous ferons ici abstraction de la transposition métaphysique, dont nous parlions de la notion de Khalq et qui résoudrait déjà toute difficulté. Nous prendrons les notions dans leur sens direct : selon ce sens, la fonction sapientiale de l’Intellect en tant que point de coïncidence entre le Principe et l’être, n’est plus possible.
La doctrine régulière en Islam ne considère pas l’Intellect comme une « qualité » ou une « faculté » divine et de ce fait dans le Tașawwuf on évite de parler de ta’aqqul, « intellection », à l’égard de l’Essence Divine, alors que d’une part chez les Hindous Chit, la Conscience Universelle, qui est une qualification d’Ishwarra est aussi celle de l’être résorbé en Lui et qui dans son état ordinaire en possède le reflet dans citta, la pensée individuelle, et d’autre part chez les péripatéticiens l’Intellect pur coïncide avec Dieu (10) et l’intuition intellectuelle connaît le Principe. Chez ces derniers, l’intellection (en grec noesis) est une notion qui convient aussi bien à la Connaissance immuable que « possède » Dieu, qu’à celle que « réalise » l’être causé ou généré lui-même, et par laquelle celui-ci participe au sujet et à l’objet de l’Intellection divine (11).

Quand à la doctrine muhammadienne, elle rétablit à cet égard les choses dans une autre perspective spécifiquement différente : c’est le Cœur qui est la faculté ou l’organe de connaissance intuitive, ce Cœur qui n’a qu’une relation symbolique avec l’organe corporel de même nom, et que le hadith qudsî énonce ainsi : « Mon Ciel et Ma Terre ne peuvent Me contenir, mais le Cœur de Mon serviteur croyant Me contient ». Qu’on le remarque bien, il ne s’agit pas ainsi d’une simple question de terminologie. Tout d’abord le Cœur qui est la réalité centrale de l’être, est par exemple selon les termes de l’école du Sheikh al-Akbar « la réalité essentielle (al-haqîqa) qui réunit d’une part tous les attributs et toutes les fonctions seigneuriales, d’autre part tous les caractères et les états générés, tant spirituels qu’individuels. ».

L’Intellect n’en est qu’une implication. Le cœur peut être dit Intellect en tant qu’il renferme celui-ci, et l’Intellect est Cœur en tant qu’il en fait partie. Voici une précision du Sheikh al-Akbar : « l’Intellect Premier, nous l’appelons Intellect (‘Aql) sous un rapport différent de celui sous lequel nous l’appelons Calame (Qalam), de celui sous lequel nous l’appelons Esprit (Rûh) et de celui sous lequel nous l’appelons Cœur (Qalb) ». Quelquefois, pour mieux marquer la différence, on envisage le Cœur en tant que faculté supérieure à l’Intellect, dépassant le plan de celui-ci : Al-Qalb huwwa-l-quwwatu-llatî warâ’a ţawr al-‘Aql, dit encore le Sheikh al-Akbar qui ajoute : « Ainsi il n’y a de Connaissance de la Vérité Suprême (al-Haqq) provenant de la Vérité même que par le Cœur ; ensuite cette connaissance est reçue par l’Intellect, de la part du Cœur » (12).

(10) Pour donner un exemple des différences de conception ou de perspective qui peuvent exister entre des doctrines religieuses elles-mêmes, on peut remarquer que la doctrine catholique qui a intégré une bonne part de l’aristotélisme n’exclut pas qu’on parle d’Intellect divin ; c’est ainsi que Saint Thomas dit : « Deus…qui omnia Suo Intellectu comprehendit…» (Summa Théol., De Deo, q.I., a.10).
(11) En rapport avec ce que nous disions dans la note précédente, pour Saint Thomas lui-même l’homme peut voir l’Essence Divine par son intelligence : « intellectus hominis elevatur ad adtissimam Dei essentiae visionem (De Prophetia, q.175, a.4).
(12) En vérité quand le cœur est envisagé dans la tradition islamique d’une façon initiatique et technique complète, il est l’objet d’une doctrine très développée selon laquelle il est le contenant d’une hiérarchie de facultés et de degrés de connaissance ; nous n’en faisons ici qu’une simple mention, pour ne pas laisser l’impression d’une simplification définitive, et réserver la question pour un examen spécial.


Mais ce qui est encore caractéristique pour les implications spirituelles de la notion de Cœur, c’est que celui-ci peut être relié d’une façon plus adéquate aux modalités individuelles et sentimentales de l’être religieux, et surtout au mystère et à la fonction totale de la Foi, comme on le constate dans le hadîth que nous citons plus haut (13); cette relation avec la Foi n’est pas spécifiquement possible pour l’Intellect, ni quand celui-ci est en quelque sorte substitué par le Cœur dans sa fonction essentielle et la plus universelle, comme il résulte du dogme islamique, ni quand il est pris dans un sens de faculté de connaissance immédiate des principes universels conférant la certitude, ce qui correspond alors à son acception purement sapientiale (14).

La réalité du Cœur n’est naturellement pas ignorée par les doctrines purement intellectuelles, mais dans celles-ci la perspective dans laquelle elle est envisagée est différente. Parlant du Cœur, centre de la vie et de l’individualité intégrale selon les données hindoues, ce qui lui assigne une position intermédiaire entre l’Intelligence Universelle et l’individu, René Guénon rappelle que « les Grecs eux-mêmes, et Aristote entre-autres, attribuaient le même rôle au cœur, qu’ils en faisaient aussi le siège de l’intelligence » (L’homme et son devenir selon le Vêdanta, chap.III). Pour les changements de position résultant des changements de perspective dont nous parlons, on peut remarquer que dans les doctrines de ce genre les rapports entre le Cœur et l’Intelligence ou l’Intellect sont inversés : le premier est envisagé seulement au degré individuel, ce qui fait que c’est l’Intelligence ou l’Intellect qui reste du domaine supra-individuel ou universel.

Il est incontestable que dans les doctrines sapientiales grecques, la notion du Cœur intervient plutôt à titre secondaire, et presque accidentellement, tant la perspective intellectualiste de ces doctrines ne l’exige pas spécifiquement ; mais ce serait une erreur de n’y voir que la différence de situation contingente et de ne pas remarquer la concordance sous un rapport plus profond, car si le cœur est considéré, dans les doctrines sapientiales, seulement comme centre de l’individualité, en raison même de cette centralité il correspond symboliquement à l’Intellect divin dans ses relations avec l’individu et s’identifie essentiellement à celui-ci.

Nous devons faire remarquer aussi que d’une façon générale cette notion du Cœur apparaît beaucoup moins en relief dans les doctrines chrétiennes elles-mêmes. Nous disons cela surtout par rapport à l’importance qu’elle a, tant dans les textes de la révélation muhammadienne que dans l’enseignement du Tasawwuf, et la différence s’explique par ceci que le Christianisme a emprunté nécessairement pour son extension à la gentilité les formes intellectuelles de la sagesse grecque (15).

(13) Nous devons ajouter que le domaine où intervient la Foi, qui n’est pas la simple « croyance », n’est pas limité à l’exotérisme, mais qu’il s’étend aux modalités ésotériques et initiatiques de la voie spirituelle à un degré éminent, sans que cela entraîne une altération de la qualité intellectuelle ; au contraire, à ces degrés, la Foi joue le rôle d’une force transformante à l’égard des symboles, et opérative à l’égard des idées métaphysiques. Ce que nous venons de dire surprendra peut-être certains intellectuels qui se sont fait des idées un peu sommaires et inadéquates non seulement quand à la valeur profonde de la spiritualité de type révélé, mais, par le fait même, aussi sur l’initiation et l’ésotérisme. Quand à René Guénon lui-même, dans la mesure où il a traité aussi de questions de pratique initiatique, il n’a pas eu à envisager spécialement ce point, mais en tout cas ce qu’il avait dit dans ce domaine non seulement ne l’exclut pas, mais le suppose, car, au fond, ce n’est que la conséquence de ce que nous rappelions plus haut de la transposition nécessaire en mode initiatique des dogmes, des rites et des symboles religieux.
(14) Il faut dire qu’une certaine « foi » est tout de même indispensable même dans les voies sapientiales pour autant qu’elle féconde l’anticipation spéculative sur l’objet de connaissance ; mais naturellement cette notion n’a pas dans ce cas  le caractère ni le rôle d’un mystère au sens religieux ou d’une vertu théologale. Cf. Phédon, 70/a,b. Socrate avait dit que le véritable philosophe qui vit selon l’esprit serait en contradiction avec lui-même s’il n’était heureux de mourir et de voir son âme libérée de son corps. Cébès lui fait remarquer que, jusqu’ici, ce qu’il avait dit ne se présente que comme « un grand et bel espoir (elpis) » ; « il a toutefois certainement besoin d’une « confirmation » (paramythia, qui désigne une preuve supérieure au moyen d’un « mythe », commonitio en latin) et point petite probablement, pour procurer la « foi » (pistis, ou fides d’après la traduction latine d’Henri Aristippe en 1156). – « Tu dis vrai, Cébès », répondit Socrate… qui exposa alors les preuves au sujet de l’existence et de la « pérégrination » de l’âme après la mort corporelle.
(15) Ce qui est très frappant sous ce rapport, c’est de voir comment la notion de foi elle-même est intégrée dans la doctrine de Saint Thomas dans une conception purement sapientiale ; en même temps, on s’aperçoit comment les données aristotéliciennes sont pliées aux nécessités de la doctrine théologique : dans une telle doctrine, l’intellect ne peut être envisagé comme se suffisant à lui-même dans son opération ; la relation de la foi doit subsister avec l’objet de connaissance. Saint Thomas, après avoir rappelé que, d’après Aristote (De Anima, 3, chap.9), « l’intellect spéculatif ne dit rien de ce qu’il faut faire ou ne pas faire », d’où il résulte qu’ « il n’est pas principe d’opération, tandis que la foi est ce principe qui, selon la parole de l’Apôtre, « opère par la charité », conclut que « néanmoins, croire est immédiatement un acte de l’intelligence, parce que l’objet de cet acte, c’est le vrai, lequel appartient en propre à l’intelligence. C’est pourquoi il est nécessaire que la foi, puisqu’elle est le principe propre d’un tel acte, réside dans l’intelligence comme dans son siège ». Ensuite, il précise : « le siège de la foi, c’est l’intellect spéculatif, comme il résulte d’une façon évidente de l’objet même de la foi. Mais parce que la vérité première qui est l’objet de la foi est aussi la fin de tous nos désirs et de toutes nos actions, comme le montre Saint-Augustin, de là vient que la foi est opérante en la charité, tout comme l’intellect spéculatif au dire du Philosophe (De Anima, 3, chap.10), devient pratique par extension ». (Summa, De fide, q.4, a.2 ; tr.R.Bernard).


Ces points de vue différents sur les éléments fondamentaux qui constituent l’être spirituel, et sur leurs rapports avec la Vérité Suprême, sont naturellement en relation avec les modalités caractéristiques que l’on constate ensuite, dans les voies respectives, tant sur le plan de la vie spirituelle d’une façon générale que dans l’ordre des méthodes de réalisation, mais une véritable compréhension des choses permet toujours de retrouver l’accord de base, et de situer les différences constatées, dans l’ordre contingent où elles ont toutes leur raison de se trouver.



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Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon  Empty Re: Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon

Message par Ligeia Ven 13 Nov - 9:35

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Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon


Partie 5 :


Pour conclure cet examen sommaire de points pris en exemples, on se rend compte ainsi qu’il n’y a aucune divergence profonde et irréductible entre les deux types de spiritualité dont nous avons parlé, l’intellectuel et le religieux, et que de plus, c’est la méthode de René Guénon lui-même qui permet d’en retrouver l’accord réel. Ce n’est donc pas là qu’il y aurait une difficulté de constater l’orthodoxie de cet enseignement, tant sous le rapport de la tradition islamique que sous celui de toute autre tradition.

Mais en dehors des conceptions purement intellectuelles qui caractérisent la synthèse doctrinale de René Guénon et qui auraient besoin d’une présentation et d’une justification plus particulière dans un milieu de civilisation islamique, il y en a au moins une autre dont l’importance est capitale dans cette œuvre, et qui ne se trouve professée de façon ouverte ou complète, ni dans les formes traditionnelles de type religieux, ni dans celles de type intellectuel. Il s’agit de l’idée de validité et légitimité simultanées de toutes les formes traditionnelles existantes, ou plutôt de l’idée que, par principe, il peut y avoir en même temps plusieurs formes traditionnelles existantes, ou plutôt l’idée que, par principe, il peut y avoir en même temps plusieurs formes traditionnelles, plus ou moins équivalentes entre elles, car en fait, il peut arriver qu’une tradition, quelle qu’ait été son excellence première, se dégrade au cours du cycle historique au point qu’on ne puisse plus réellement parler de sa validité actuelle ou de son intégrité de fait.

Or, par une sorte de nécessité organique d’affirmation de soi, et par effet de la perception et de la conscience de l’excellence spirituelle qui lui est propre, chaque mentalité traditionnelle d’ensemble relègue les autres traditions sur des positions inférieures, ou les exclut purement ou simplement de tout accès à une vérité profonde et réellement salutaire. Cependant l’idée de légitimité de toutes les formes traditionnelles existantes n’est que la conséquence en mode « spatial », ou l’application en simultanéité, de l’idée d’universalité de la doctrine et d’unité fondamentale des formes traditionnelles ; seulement cette universalité et cette unité, les doctrines valables sur le plan général de chaque communauté traditionnelle les reconnaissent plus volontiers dans leur application en succession temporelle, et d’ailleurs dans des mesures fort variées, car cela permet aux communautés respectives d’exclure ou de diminuer plus facilement les autres formes traditionnelles contemporaines.

Cette propension naturelle s’accentue généralement dans les communautés basées sur une forme religieuse, mais ce n’est pourtant pas dans l’Islam qu’elle atteint sa forme la plus caractéristique. Au contraire même, il y a sous un certain rapport dans la loi islamique plus de possibilités de vision universelle que dans toute autre tradition, et de toutes façons plus que dans les autres lois religieuses. En effet, quel que soit le degré dans lequel la mentalité commune ou la doctrine exotérique professée en fait réalisent cette vision universelle, les fondements de celle-ci se trouvent dans la loi religieuse, dans le texte coranique même. Il n’y a même aucun texte révélé aussi explicitement universaliste que le Coran. Nous ne pourrions traiter ici cette question que dans son ensemble, mais nous citerons quelques textes suffisamment clairs en eux-mêmes :


  • « En vérité ceux qui croient, les Juifs (text. alladhîna hâdû = ceux qui judaïsent), les Chrétiens (an-Nasârâ), les Sabéens (qu’on fait correspondre aux Mandéens), ceux qui croient en Dieu et au Jour Dernier et font le bien, ceux-là ont leur récompense auprès de leur Seigneur. Par conséquent, ils n’auront rien à craindre, et ils ne seront pas affligés. » (Cor.2.62. : « inna-lladhîna âmanû wa-lladhîna hâdû wa-n-naçâra wa-ç-çâbi-îna man âmana bi-Llâhi wa-l-yawmi-l-âkhiri wa-‘amila çâliĥan falahum ajruhum ‘inda rabbihim wa-lâ hum yaĥzanûna »).

    « Pour chacun de vous, Nous avons institué une loi et un chemin » (Cor.5.48 : «likullin ja’alnâ minkum shir’atan wa minhâjan »).

    « Si Allah l’avait voulu, certainement il aurait fait de vous une seule communauté traditionnelle (umma), mais il vous soumet à des « épreuves » selon ce qu’Il vous a apporté. Cherchez à vous devancer les uns les autres pour les bonnes œuvres. Vous retournerez tous à Allâh, et alors Il vous informera  de ce en quoi vous divergez maintenant. » (Cor.5.48 : «wa law shâ-a-Llâhu laja’alakum ummatan wâĥidatan wa lâkin liyabluwakum fî mâ atâkum fa-stabiqû-l-khayrâti ilâ-Llâhi marji’ukum jamî’an fayunabbi-ukum bimâ kuntum fîhi takhtalifûna. »)


Il faut dire aussi que malgré la précision et la clarté de tels textes, l’interprétation exotérique dominante les ramène par principe à une perspective de validité en succession, non pas en simultanéité, du fait que la loi muhammadienne est considérée comme abrogeant les lois antérieures. Toutefois le texte coranique même affirme que la révélation muhammadienne apporte la « confirmation » de ce qui est encore effectivement présent des révélations antérieures :


  • « Et Nous t’avons révélé le Livre par la Vérité, (Livre) qui confirme et préserve ce qui subsiste devant lui en fait d’écriture ». (Cor.5.48 : « Wa anzalnâ ilayka-l-kitâba bi-l-ĥaqqi muçaddiqan llimâ bayna yadayhi mina-l-kitâbi).



Nous ne pouvons entrer ici dans l’examen de tous les points qui soulèvent les questions de l’abrogation et de la confirmation, mais nous tenant aux seuls aspects les plus évident et du caractère général, nous citerons aussi les versets suivant qui attestent la validité des Lois judaïque et évangélique ; celui-ci concernant la Torah : « Mais comment te prendraient-ils (ô Muĥammad) pour leur juge alors qu’ils ont la Torah dans laquelle il y a le jugement (le critère légal) d’Allâh ». (Cor.5.43 : « wa kayfa yuĥakkimûnaka wa ‘indahum at-Tawrâtu fîhâ ĥukmu-Llâhi ».).
Et celui-ci concernant l’Evangile : « Ainsi les Gens de l’Evangile jugent par ce qu’Allâh a révélé en l’Evangile et ceux qui ne jugent pas par ce qu’Allâh a révélé, ceux-là sont les prévaricateurs. » (Cor.5.47 : « wa-l-yaĥkum ahlu-l-injîli bimâ anazala-Llâhu fîhi wa mâ lam yaĥkum bimâ anazala-Llâhu fa-ulâ-ika humu-l-fâssiqûn».).

Ces références nous suffisent ici pour illustrer notre affirmation que la base légale islamique est providentiellement disposée pour une large vision de l’unité et de l’universalité traditionnelles, tant en succession qu’en simultanéité. Sous ce même rapport, il n’y a vraiment que le Christianisme, qui, arrêté dans ses conceptions dogmatiques sur le sens « historique » de l’unicité du Christ, soit exotériquement privé et de la vision en succession et de celle en simultanéité, de cette réalité universelle, au point qu’il ne reconnaît pas même à la tradition judaïque antérieure à la venue du Christ, et dans la lignée de laquelle il se situe pourtant, une économie sotériologique autonome : l’efficacité des formes bibliques dans leur ensemble est liée ainsi, dans l’acception exotérique du dogme religieux chrétien, au critère de l’attente du Christ « historique », et l’actualité du salut suspendue, aussi bien pour le commun que pour les Patriarches et les Prophètes, jusqu’au rachat opéré par le Sauveur. Le Judaïsme même, dont l’exclusivisme est à d’autres égards plus radical que tout autre, reconnaît au moins pour le passé biblique cette réalité traditionnelle dans la lignée des Patriarches et des Prophètes, où il voit l’actualisation continue de la même vérité primordiale conférant toujours la plénitude du salut (16).

(16) Il est toutefois important de relever que, dans les derniers temps, il se dessine dans les études catholiques un effort pour rendre compte de certaines valeurs spirituelles trop évidentes pour pouvoir toujours être niées dans les autres formes traditionnelles, comme l’Hindouisme et l’Islam ; c’est ainsi qu’on élargit la notion d’ « Eglise » dans un sens plus dégagé des contingences, tant spatiales, que temporelles ou formelles, que la grâce salutaire est reconnue comme plus indépendante des conditions historiques et de l’adhésion formelle aux articles dogmatiques et à leurs conséquences canoniques, mais liée néanmoins aux vérités intérieures informelles et universelles des dogmes, et que l’universalité du Christ est conçue comme impliquant la possibilité de son intervention en dehors des modalités éminentes de la forme chrétienne historique. Ce n’est qu’une tendance timide et prudente actuellement, mais elle est particulièrement précieuse par sa signification, surtout quand elle est manifestée par ceux-là mêmes qui s’étaient donnés jusqu’ici le rôle de faire obstacle à toute compréhension réellement universelle des données traditionnelles et à l’accord de principes avec l’Orient traditionnel.


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Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon  Empty Re: Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon

Message par Ligeia Lun 16 Nov - 11:58

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Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon


Partie 6 et fin :


Mais quels que soient à cet égard les privilèges de principe ou de fait de la tradition islamique, il n’est que trop vrai que l’idée de la vérité et de la légitimité des autres formes traditionnelles, religieuses ou non, a plus particulièrement besoin d’être étayée intellectuellement et légalement à l’occasion d’une présentation de l’œuvre de René Guénon dans le milieu islamique. Nous signalons à l’occasion un point qui sera toujours un élément précieux dans un tel travail. La spiritualité islamique dans son ensemble est surtout sensible à la reconnaissance de l’Unicité divine, point qui, pour elle est le fondement et le critère premier de validité de toute forme religieuse. Or, René Guénon n’affirme et n’enseigne l’unité fondamentale des traditions existantes que du fait même qu’il constate que l’essence de toutes les doctrines respectives est celle de l’Unité ou de la Non-Dualité du Principe de Vérité. C’est du reste dans la mesure où cette doctrine suprême est réellement comprise et pratiquée dans une communauté traditionnelle, qu’il reconnaît tout d’abord à la tradition respective sa validité actuelle.

L’enseignement de René Guénon sur la légitimité des autres traditions est vérifié et validé ainsi par les vérités mêmes qui préoccupent la conscience islamique. D’autre part, ayant énoncé la nécessité d’un accord traditionnel entre Orient et Occident, dans l’intérêt de l’humanité dans son ensemble, il a expliqué que cet accord doit porter sur les principes dont tout le reste dépend, et toute son œuvre n’a pas d’autre but que de susciter et de développer en Occident la conscience des vérités universelles dont le Tawhîd est dans l’Islam l’expression la plus apparente. Il n’est que naturel que cet hommage constant et multiple à ce qui est la vérité la plus chère à l’Islam d’une façon générale, profite en même temps à l’autorité doctrinale de celui qui en a été de nos jours l’exposant le plus qualifié.

D’autre part, la thèse de René Guénon sur l’unité fondamentale des formes traditionnelles n’apparaîtra pas comme tout à fait nouvelle en Islam, car il y a quelques précédents précieux, tout d’abord avec le Cheikh al-Akbar dont l’enseignement ne pouvait pourtant pas être aussi explicite que celui de René Guénon en raison des réserves qu’impose tout milieu traditionnel particulier ; il y aura quand même intérêt à s’y reporter.

Ce que nous venons de signaler comme points critiques et solutions à envisager lorsqu’il s’agira de juger de l’orthodoxie islamique de l’enseignement de René Guénon, aussi bien que de son orthodoxie d’une façon générale, ne doit pas faire oublier que ce qui est requis sous ce rapport de tout Oriental ou Occidental qui voudrait en juger, ce sont non seulement des qualités intellectuelles de jugement, mais aussi la connaissance étendue et profonde des doctrines qui doivent être évoquées en l’occurrence. La méthode facile et expéditive des citations tronquées et retranchées de leurs relations conceptuelles d’ensemble, aggravée peut-être encore par des méprises terminologiques ne saurait avoir ici aucune excuse, car René Guénon ne parle pas au nom ni dans les termes d’une théologie ou d’une doctrine particulière dont les références seraient immédiates. De toutes façons, une des choses les plus absurdes serait de demander à des « autorités » exotériques, qu’elles soient d’Orient ou d’Occident, d’apprécier le degré de cette orthodoxie, soit d’une façon générale, soit par rapport à quelque tradition particulière. Ces « autorités », en tant qu’exotériques, et quelles que puissent être leurs prétentions de compétence, sincères ou non, n’ont déjà aucune qualité pour porter un jugement sur les doctrines ésotériques et métaphysiques de leurs propres traditions.

L’histoire est là du reste pour prouver à tout homme intelligent et de bonne foi, que chaque fois que de telles ingérences se sont produites, qu’elles aient été provoquées par de simples imprudences ou par des fautes graves, soit d’un côté soit de l’autre, il en est résulté un amoindrissement de spiritualité et la tradition dans son ensemble a eu à souffrir par la suite (17). Cette situation est plus remarquable en Occident du fait que l’ordre exotérique y est centralisé dans une institution jouissant d’une autorité directe dans toute l’étendue de son monde traditionnel, mais elle a dans une certaine mesure des correspondances dans les civilisations orientales, ou des autorités religieuses ou politiques mal inspirées ont cru quelquefois devoir se mêler de choses qui ne les concernaient point. C’est ainsi qu’en Islam l’œuvre du Cheikh al-Akbar a été parfois l’objet de violentes attaques de la part de théologiens ou juristes pendant que d’autres autorités ont pris sa défense. Dans son cas du moins, les choses n’ont abouti finalement qu’à une certaine gêne dans la circulation de ses ouvrages qui ont néanmoins continué à exprimer l’enseignement par excellence du Tasawwuf ; de nos jours, ses écrits sont édités de plus en plus, et, malgré des hostilités qui ne sauraient jamais disparaître, son œuvre jouit d’une certaine autorité sur le plan général, ce qui constitue aussi un titre de gloire pour l’intellectualité et la spiritualité islamiques.

(17) En Occident, une œuvre métaphysique comme celle de Maître Eckhardt, frappée dans certaines thèses initiatiques par une décision papale, est ainsi restée presque complètement étouffée depuis le désastreux XIV° siècle, et si de nos jours elle est remise en circulation progressivement, ce n’est évidemment par le fait des autorités exotériques, mais par celui de croyants assez tremblants du reste, ou encore d’intellectuels moins soucieux des limites singulièrement réduites de l’ « orthodoxie » exotérique. Le blâme jeté sur l’œuvre d’Eckhardt a eu cependant en outre comme effet immédiat la diminution des possibilités de l’importante école rhénane ; et si l’œuvre de Ruysbroeck n’a fait que frôler le même danger, elle ne doit sa situation qu’à une réserve et une précaution plus grandes quant à ses thèses initiatiques et métaphysiques. En tout cas, de nos jours, il semble bien que les représentants de l’Eglise arrivent à faire preuve d’une plus grande prudence et réserve ; espérons que cela ne s’arrêtera pas en si bon chemin.

Nous venons de mentionner encore le cas du Cheikh al-Akbar qui fut le « revivificateur » par excellence de la voie initiatique et indirectement de la tradition islamique dans son ensemble, au VII° siècle de l’Hégire. Il y a entre l’enseignement de René Guénon et le sien plus qu’une simple concordance naturelle entre des métaphysiciens véritables. Il y a là encore une relation d’ordre plus subtil et plus direct du fait que René Guénon reçut son initiation islamique de la part d’un maître qui lui-même était nourri à l’intellectualité et à l’esprit universel du Cheikh al-Akbar : il s’agit du Cheikh égyptien Elîsh el-Kebîr. C’est le personnage auquel René Guénon dédiait en 1931, son « Symbolisme de la Croix » dans ces termes : « A la mémoire vénérée de Esh-Sheikh Abder-Rahmân Elîsh El-Kebir, El-Alim, El-Malki, El-Maghribi à qui est due la première idée de ce livre. Meçr El-Qâhirah 1329-1349 H » (18 ).

Le cas de ce maître égyptien est d’ailleurs intéressant pour nous à un autre égard, car en dehors de sa qualité initiatique qui était des plus hautes, il en avait une autre qui pouvait entrer en ligne de compte sous le rapport de la question d’orthodoxie islamique de l’œuvre de René Guénon. Voici ce que nous écrivait à un moment l’auteur du « Symbolisme de la Croix » : « Le Cheikh Elîsh était le Cheikh d’une branche shâdhilite, et en même temps, dans l’ordre exotérique, il fut chef du madhab mâleki à El-Azhar ».

Pour ceux qui ne sont pas au courant de la signification de ces termes, nous précisons que les termes « branche shâdhilite » indiquent une branche de l’organisation initiatique (tarîqa) fondée au VII° siècle de l’Hégire par le Cheikh Abû-l-Hasan ash-Shâdhilî, une des plus grandes figures spirituelles de l’Islam, qui fut aussi pôle ésotérique de la tradition ; il s’agit donc là d’une fonction initiatique proprement dite ; quant aux termes « madhab mâleki », ils indiquent une des quatre écoles juridiques sur lesquelles reposent l’ordre exotérique de l’Islam, et qui sont chacune représentée dans l’enseignement de la plus grande Université du monde islamique, El-Azhar, du Caire. De cette façon, le maître de René Guénon réunissait en lui les deux compétences et même les deux autorités requises respectivement pour les domaines ésotérique et exotérique de la tradition. Sous le rapport de l’orthodoxie islamique de son disciple, le fait a sa valeur significative. On remarquera que c’est le maître qui avait eu la première idée d’un livre comme « Le Symbolisme de la Croix » qui, par sa doctrine métaphysique et sa méthode symbolique, est l’ouvrage le plus représentatif de l’idée d’universalité intellectuelle de la tradition dans l’ensemble de l’œuvre de René Guénon.

C’est de lui qu’il s’agit encore dans une note au chapitre III de ce livre, où, à propos de la réalisation dans le Prophète, identique à l’Homme Universel, de la synthèse de tous les états de l’être selon les deux sens de l’ « exaltation » et de l’ « ampleur » auxquels correspondent les deux axes vertical et horizontal de la croix, René Guénon écrit : « Ceci permet de comprendre cette parole qui fut prononcée il y a une vingtaine d’années par un personnage occupant alors dans l’Islam, même au simple point de vue exotérique, un rang fort élevé : « Si les chrétiens ont le signe de la croix, les Musulmans en ont la doctrine » ».
« Nous ajoutons, continue René Guénon, que dans l’ordre ésotérique, le rapport de l’ « Homme Universel » avec le Verbe d’une part, et avec le Prophète d’autre part, ne laisse subsister, quand au fond même de la doctrine, aucune divergence réelle entre le Christianisme et l’Islam, entendus l’un et l’autre dans leur véritable signification ». dans la perspective ouverte ainsi par son maître, on sait que René Guénon avait tenté tout d’abord une revivification doctrinale du symbolisme chrétien par une série d’articles de « Regnabit » (entre les années 1925-1927), et qu’ensuite il avait encore écrit des articles sur l’ésotérisme chrétien dans « Le Voile d’Isis-Etudes Traditionnelles ».

Sous le rapport qui intéresse l’Occident, le Cheikh Elîsh semble avoir eu aussi une certaine connaissance de la situation de la Maçonnerie et de son symbolisme initiatique. C’est ainsi que René Guénon nous écrivait une fois que le Cheikh Elîsh « expliquait à ce propos des lettres du nom d’Allâh par leurs formes respectives, avec la règle, le compas, l’équerre et le triangle ». Ce que disait ainsi le Cheikh Elîsh pourrait avoir un rapport avec l’une des modalités possibles de la revivification initiatique de la Maçonnerie. En tout cas, par la suite, une bonne part des articles de son grand disciple a été consacrée au symbolisme et à la doctrine initiatique maçonnique, et cet important travail apparaîtra de toutes façons comme une contribution de l’intellectualité et de l’universalité de l’Islam, car René Guénon s’appelait alors depuis longtemps Abdl-Wahîd Yahya et était lui-même une autorité islamique.

(18 ) Pour ce point, voir l’article de P.Chacornac : « La vie simple de René Guénon », dans le numéro spécial consacré à René Guénon par les Etudes Traditionnelles, juillet-novembre 1951.

Mais on peut se demander quelle serait l’explication de ses manifestations des représentants de l’initiation islamique, manifestations qui ne sont nullement naturelles eu égard aux règles habituelles. Car si dans la hiérarchie ésotérique la conscience de l’universalité et de la solidarité traditionnelle n’a jamais manqué, son expression ouverte, et plus encore son message public, sont plutôt inconnus avant notre époque. Dans les ouvrages du Cheikh al-Akbar lui-même, qui est l’auteur ésotérique le plus « hardi », le témoignage de l’unité des formes traditionnelles et de leur validité simultanée est malgré tout entouré de beaucoup de précautions et le plus souvent voilé.

Pour comprendre l’attitude du Cheikh Elîsh, le plus simple serait de considérer les conséquences qu’en a tirées le cheikh Abdel-Wahîd Yahya, son disciple d’origine occidentale qui eut le rôle de développer son message intellectuel, message qui était non seulement celui de l’Islam, mais celui de l’esprit traditionnel universel. Ceux qui ont compris l’œuvre de René Guénon savent qu’à travers celle-ci les forces spirituelles de l’Orient ont donné une aide providentielle à l’Occident en vue d’un redressement traditionnel qui intéresse l’humanité dans son ensemble.

Cette aide a ceci de particulier qu’elle s’exprime, tout d’abord, sur le plan relativement extérieur de l’enseignement doctrinal, métaphysique et initiatique, tout en s’adressant à une catégorie restreinte d’intellectuels. Autrefois, dans des conditions traditionnelles plus normales, les relations purement intellectuelles entre Orient et Occident étaient, des deux côtés, l’affaire exclusivement secrète d’organisations initiatiques, dont l’Occident n’était pas alors dépourvu, et, de ce fait, les influences qui pouvaient s’exercer restaient imperceptibles du dehors, et les effets en mode doctrinal, dans la mesure où il en résultait, n’apparaissaient pas sous leur forme orientale, ni ne trahissaient leur origine. Telle a été plus précisément, au Moyen Age, la situation pour les relations entre les Fedeli d’Amore et les initiés du Tasawwuf, dont la preuve sur le plan littéraire n’est apparue que de nos jours quand diverses études sur l’œuvre de Dante y ont découvert d’importantes influences islamiques venant de l’œuvre du Cheikh al-Akbar ou des écrits d’Abû-l-‘Alâ al-Ma’arrî.

Mais la relation entre l’œuvre de René Guénon et sa source « fonctionnelle » islamique, d’après les quelques données que nous venons de faire connaître, ou tout simplement de rappeler, pourra paraître, malgré tout, seulement virtuelle, sinon accidentelle. Et même si, à part cela, les livres et les articles de René Guénon contiennent de fréquentes références aux doctrines islamiques, ces références ne prouvent pas nécessairement une procession islamique du développement général et final de toute son œuvre ; du reste, lui-même ne s’est jamais présenté spécialement au nom de l’Islam, mais au nom de la conscience traditionnelle et initiatique d’une façon universelle. Ce n’est pas nous non plus qui pourront envisager de restreindre ce large privilège de son message (19), et si nous disons qu’il y a une relation autrement sûre entre cette œuvre universelle et l’Islam, c’est, tout d’abord, que, en raison d’une cohérence naturelle entre toutes les forces de la tradition, tout ce qu’on peut trouver du côté islamique comme étant intervenu dans la genèse et le développement du travail de René Guénon ne pouvait que s’accorder avec ce qui était auguré et soutenu en même temps par des forces traditionnelles orientales autres qu’islamiques.

Mais, il y a une autre raison qui permettrait d’envisager ici le rôle de l’Islam d’une façon plus caractérisée : à savoir la proximité naturelle du monde islamique par rapport à l’Occident, et son intérêt plus direct à tout ce qui concerne le sort de celui-ci. De ce fait, les forces spirituelles de l’Islam pouvaient très bien considérer d’une façon plus déterminée l’idée du redressement intellectuel et spirituel du monde occidental. Tel paraît avoir été précisément le sens de la fonction du Cheikh Elîsh en rapport avec celle de René Guénon. C’est pourquoi il est opportun de faire état ici de quelques autres données concernant le cas spirituel du Cheikh Elîsh, données qui montreront que la fonction et l’œuvre de René Guénon s’inscrivent dans une perspective cyclique qu’avait explicitement énoncée son maître. A l’occasion, on saisira encore mieux certaines situations traditionnelles existant soit du côté occidental, soit du côté oriental.

(19) Cf. notre article dans le même numéro spécial des Etudes Traditionnelles : « La fonction de René Guénon et le sort de l’Occident ».


FIN.

Source : http://esprit-universel.over-blog.com/article-michel-valsan-l-islam-et-la-fonction-de-rene-guenon-1-55322470.html

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