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La figure d’Al-Khidr selon René Guénon et Ananda Kentish Coomaraswamy

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La figure d’Al-Khidr selon René Guénon et Ananda Kentish Coomaraswamy Empty Le récit extraordinaire de Al-Khidr (l'homme verdoyant) et de Moïse

Message par Ligeia Ven 10 Juil - 15:50

Coran, Sourate 18 La caverne (Al-Kahf), versets 60-82 :

"60. (Rappelle-toi) quand Moïse dit à son valet: "Je n'arrêterai pas avant d'avoir atteint le confluent des deux mers, dussé-je marcher de longues années".
61. Puis, lorsque tous deux eurent atteint le confluent, ils oublièrent leur poisson qui prit alors librement son chemin dans la mer.
62. Puis, lorsque tous deux eurent dépassé [cet endroit,] il dit son valet: "Apporte-nous notre déjeuner: nous avons rencontré de la fatigue dans notre présent voyage".
63. [Le valet lui] dit: "Quand nous avons pris refuge près du rocher, vois-tu, j'ai oublié le poisson - le Diable seul m'a fait oublier de (te) le rappeler - et il a curieusement pris son chemin dans la mer".
64. [Moïse] dit: "Voilà ce que nous cherchions". Puis, ils retournèrent sur leurs pas, suivant leurs traces.
65. Ils trouvèrent l'un de Nos serviteurs à qui Nous avions donné une grâce, de Notre part, et à qui Nous avions enseigné une science émanant de Nous.
66. Moïse lui dit: "Puis-je suivre, à la condition que tu m'apprennes de ce qu'on t'a appris concernant une bonne direction?".
67. [L'autre] dit: "Vraiment, tu ne pourras jamais être patient avec moi.
68. Comment endurerais-tu sur des choses que tu n'embrasses pas par ta connaissance?".
69. [Moïse] lui dit: "Si Allah veut, tu me trouvera patient; et je ne désobéirai à aucun de tes ordres".
70. "Si tu me suis, dit [l'autre,] ne m'interroge sur rien tant que je ne t'en aurai pas fait mention".
71. Alors les deux partirent. Et après qu'ils furent montés sur un bateau, l'homme y fit une brèche. [Moïse] lui dit: "Est-ce pour noyer ses occupants que tu l'as ébréché? Tu as commis, certes, une chose monstrueuse!".
72. [L'autre] répondit: "N'ai-je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie?".
73. "Ne t'en prend pas à moi, dit [Moïse,] pour un oubli de ma part; et ne m'impose pas de grande difficulté dans mon affaire".
74. Puis ils partirent tous deux; et quand ils eurent rencontré un enfant, [l'homme] le tua. Alors [Moïse] lui dit: "As-tu tué un être innocent, qui n'a tué personne? Tu as commis certes, une chose affreuse!"
75. [L'autre] lui dit: "Ne t'ai-je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie?"
76. "Si, après cela, je t'interroge sur quoi que ce soit, dit [Moïse,] alors ne m'accompagne plus. Tu seras alors excusé de te séparer de moi".
77. Ils partirent donc tous deux; et quand ils furent arrivés à un village habité, ils demandèrent à manger à ses habitants; mais ceux-ci refusèrent de leur donner l'hospitalité. Ensuite, ils y trouvèrent un mur sur le point de s'écrouler. L'homme le redressa. Alors [Moïse] lui dit: "Si tu voulais, tu aurais bien pu réclamer pour cela un salaire".
78. "Ceci [marque] la séparation entre toi et moi, dit [l'homme,] Je vais t'apprendre l'interprétation de ce que tu n'as pu supporter avec patience.
79. Pour ce qui est du bateau, il appartenait à des pauvres gens qui travaillaient en mer. Je voulais donc le rendre défectueux, car il y avait derrière eux un roi qui saisissait de force tout bateau.
80. Quant au garçon, ses père et mère étaient des croyants; nous avons craint qu'il ne leur imposât la rébellion et la mécréance.
81. Nous avons donc voulu que leur Seigneur leur accordât en échange un autre plus pur et plus affectueux.
82. Et quant au mur, il appartenait à deux garçons orphelins de la ville, et il y avait dessous un trésor à eux; et leur père était un homme vertueux. Ton Seigneur a donc voulu que tous deux atteignent leur maturité et qu'ils extraient, [eux- mêmes] leur trésor, par une miséricorde de ton Seigneur. Je ne l'ai d'ailleurs pas fait de mon propre chef. Voilà l'interprétation de ce que tu n'as pas pu endurer avec patience".


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La figure d’Al-Khidr selon René Guénon et Ananda Kentish Coomaraswamy Empty Re: La figure d’Al-Khidr selon René Guénon et Ananda Kentish Coomaraswamy

Message par Ligeia Ven 10 Juil - 16:01

Le Maitre, le disciple et l'enseignement spirituel dans le Coran


(Conférence donné à l'Institut ADAB par Mohammed Jamil CHERIFI Le 21-12-2008)



L’objet de ce second cercle mensuel autour du commentaire métaphysique est l’enseignement initiatique et ses fondements coraniques. Ces derniers constituent une preuve que l’islâm n’est pas seulement une dimension exotérique comme beaucoup veulent le faire croire. Bien entendu le rattachement à une organisation traditionnelle régulière authentique (tarîqah), est non seulement une condition nécessaire à l’initiation mais elle est une ouverture sur un monde autre que celui ou s’exerce la modalité corporelle.
Cette ouverture est considérée comme une « seconde naissance » C’est aussi une « régénération » parce qu’elle nous rétablit dans les prérogatives qui étaient naturelles et normales de l’âge d’or de l’humanité « alors que celle-ci ne s’était pas encore éloignée de la spiritualité originelle pour s’enfoncer de plus en plus dans la matérialité. Cette « seconde naissance » doit nous conduire tout d’abord, comme première étape essentielle de sa réalisation, à la restauration en nous de la « fitrah » ou état primordial qui est la plénitude et la perfection de l’individualité humaine.
Cependant l’enseignement initiatique ne doit être confondu avec la véritable connaissance initiatique qui ne peut-être acquise que par un travail personnel. L’enseignement donné par les maîtres (chouyoukh) n’est qu’une préparation en vue de l’acquisition de la véritable connaissance. Le rôle du maître (cheikh) est d’indiquer la voie à suivre en vue de parvenir à une compréhension effective et non simplement théorique. Il assiste le disciple et le guide d’une façon constante sans plus. Mais pour que l’aspirant puisse arriver à une réalisation il lui faut donc un cheminement.

Cheikh Abdelwahid (René Guénon) précise la distinction entre réalisation effective et réalisation virtuelle, il dit dans un de ses ouvrages : « A cet égard, nous ferons tout d’abord remarquer que, parmi les conditions de l’initiation…le rattachement à une organisation traditionnelle régulière suffit pour une initiation virtuelle, tandis que le travail intérieur qui vient ensuite concerne proprement l’initiation effective, qui est en somme, à tous ses degrés, le développement « en acte » des possibilités auxquelles l’initiation virtuelle donne accès. Cette initiation virtuelle est donc l’initiation entendue au sens le plus strict de ce mot, c’est-à-dire comme une « entrée » ou un « commencement » ; bien entendu, cela ne veut nullement dire qu’elle puisse être regardée comme quelque chose qui se suffit à soi-même, mais seulement le point de départ nécessaire de tout le reste ; quand on est entré dans une voie, encore faut-il s’efforcer de la suivre, et même, si on le peut, de la suivre jusqu’au bout…mais malheureusement, en fait, beaucoup restent sur le seuil, non pas toujours parce qu’eux-mêmes sont incapables d’aller plus loin, mais aussi surtout dans les conditions actuelles du monde occidental, par suite de la dégénérescence de certaines organisations qui, devenues uniquement « spéculatives »…ne peuvent par-là les aider en aucune façon pour le travail opératif nécessaire à une réalisation effective.
D’autre part, il est important de souligner que l’initiation est essentiellement une transmission, c’est à dire, une transmission d’une influence spirituelle et d’un enseignement traditionnel. Quant à la distinction des rites initiatiques et des rites exotériques, c’est que les premiers ne concernent qu’une élite possédant des qualifications particulières, tandis que les seconds sont publics et s’adressent à tous les membres d’une communauté. Si les rites religieux proposent d’assurer le « salut », les rites initiatiques ont en vue la « délivrance »
Enfin, l’initiation, à quelque degré que ce soit, représente pour l’être qui l’a reçue une acquisition permanente, un état que, virtuellement ou effectivement, il a atteint une fois pour toutes et que rien désormais ne saurait lui enlever. (Il s’agit des degrés d’initiation et non des fonctions qui peuvent n’être conférées que temporairement à un « Moqadem » et qui peut devenir inapte par suite à les exercer pour de multiples raisons)
D’autre part, il en est des rites initiatiques comme des rites religieux. C’est-à-dire que certains ont ce caractère définitif et qui ne nécessitent pas de renouvellement.

Une dernière précision, c’est que la qualité initiatique, une fois qu’elle a été reçue, n’est nullement attachée au fait d’être membre actif de telle ou telle organisation ; dès lors que le rattachement à une organisation traditionnelle a été effectué, il ne peut-être rompu par quoi que ce soit, et il subsiste alors même que l’individu n’a plus avec cette organisation aucune relation apparente. Car, en effet, quand il s’agit d’une organisation profane, on peut en sortir comme on y est entré, et on se retrouve alors purement et simplement ce qu’on était auparavant. « Au contraire, dès lors qu’on a été admis dans une organisation initiatique, quelle qu’elle soit, on ne peut jamais, par aucun moyen, cesser d’y être attaché, puisque l’initiation consiste essentiellement dans la transmission d’une influence spirituelle(barakah), et qu’elle est nécessairement conférée une fois pour toutes et possède un caractère proprement ineffaçable » Ensuite qu’il faut considérer la question des qualifications initiatiques qui font partie des conditions de l’initiation. La qualification, par définition même n’est pas quelque chose de commun à tout un chacun, mais caractérise proprement ceux-là seuls qui appartiennent, virtuellement tout au moins, à l’ « élite » en vertu de disposition naturelle. L’Emir Abdelkader parlera de « prédispositions » comme nous le verrons dans les commentaires des versets suivants du chapitre 18, verset 66 : « Puis-je te suivre afin que tu m’enseignes ce que tu as appris par guidance » dit Moïse à ce mystérieux personnage qui s’avérera s’appeler Khidr.

Tout d’abord, il est important de savoir que le disciple ne peut tirer profit de l’enseignement et des états du maître que s’il se conforme totalement à ses directives et en observant ses prescriptions et ses proscriptions. Il doit en outre avoir cette conviction que son maître est excellent et parfait. Ces conditions sont nécessaires et ne peuvent souffrir d’aucune restriction. Certaines personnes, par exemple, pensent que pour atteindre leur réalisation il leur suffit de croire, seulement, que leur maître est parfait tout en négligeant de mettre en exécution ses directives. Cela est une erreur. Considérons le cas de Moïse avec sa stature et méditons un moment sur le fait qu’il n’a pas hésité à rencontrer Khidr, à demander par quel moyen la rencontre pouvait se faire et à endurer l’épreuve de la fatigue comme il est rapporté : « Nous avons enduré beaucoup de fatigue au cours de ce voyage » chap. 18 v. 62 Mais avec tout cela, comme il n’a pas pu observer une seule directive qui est « Ne m’interroge sur rien jusqu’à ce que je t’informe » chap. 18 v. 70 il n’a pas pu tirer bénéfice de l’enseignement de Khidr alors que Moïse savait pertinemment que Khidr était plus savant que lui et cela par information divine. En effet, lorsque Moïse, généralisant et sans préciser de quel type de science, et ignorant que ses prédispositions refuseraient le type de science de Khidr a dit : « Je ne connais personne plus savant que moi » Dieu lui a dit : « Notre serviteur Khidr est plus savant ! » Khidr, dès la rencontre, a saisi que Moise n’avait pas les prédispositions pour recevoir la science et c’est la raison pour laquelle il lui a dit : « Tu ne sauras te montrer patient en ma compagnie » chap. 18 v. 67 Et cela faisait partie de la science de Khidr.

Que l’on constate, maintenant, comment vont se comporter ces deux hommes spirituels et leur comportement éthique l’un vis-à-vis de l’autre.
Moïse formulant une demande de permission dit : « Puis-je te suivre pour que tu m’enseignes ce qui t’a été communiqué par guidance ? » chap. 18 v. 66
Khidr réplique : « Mais si tu me suis, ne m’interroge sur rien aussi longtemps que je ne t’en ferai pas mention » chap. 18 v. 70

Khidr ne s’est pas limité à dire « ne m’interroge sur rien » puis s’est tu. Cela aurait engendré une situation de perplexité chez Moïse. Mais Khidr lui fait promesse de l’informer au sujet de la sagesse de ses actes. Il est rapporté que Khidr avait préparé un millier de faits à l’exemple de ceux qu’a vécu Moïse en sa compagnie. Mais Moïse n’a pas su patienter. Ce qui a fait dire à notre Prophète – Grâces et Salutations unitives sur lui – Nous aurions souhaité que Moïse ait eu cette patience afin que Notre Seigneur Nous informe sur leur histoire.
A la troisième épreuve, Moïse s’est bien rendu compte qu’il en était incapable de pouvoir supporter la science de Khidr, aussi il en demanda la séparation par son questionnement comme il est rapporté dans la Tradition prophétique : le premier questionnement de Moïse a été fait par oubli « nisyânan », le second conditionnel « shartan » et le troisième délibéré « ‘amdan » Et lors de la séparation et après avoir donné les raisons des faits : « Je vais t’informer de l’herméneutique de ce que tu n’as pu endurer avec patience » Chap. 18 v. 79
Nous avons privilégié ce terme à d’autres car il semble mieux rendre le sens du verset. En effet, le mot « herméneutique » à pour acception l’interprétation des phénomènes considérés comme signes.
Après l’avoir informé des raisons de son comportement, Khidr dit à Moïse : « Dieu t’a décerné une science qu’il ne convient pas que je sache et à moi Il m’a donné une science qu’il ne convient pas que tu saches » Khidr voulait dire par-là que Dieu a donné à Moïse la science de la Mission, l’observation des causes lors des événements, la science législative avec ses statuts, la confirmation de ce qui est conforme à la Loi et l’infirmation de ce qui contraire. La politique à observer avec les membres de sa communauté tout en tenant compte de leur degré de compréhension. Tout cela est en rapport avec les faits apparents, autrement dit l’aspect exotérique des choses. Khidr dit que ce genre de science ne lui est d’aucune utilité car elle concerne l’aspect extérieur de la manifestation, pour lui, ce qu’il lui a été recommandé c’est de considérer l’aspect intérieur de cette manifestation et ses causes cachées, en d’autres termes, la dimension ésotérique.

Cette divergence entre les deux personnages ne porte seulement que sur les sciences concernant les aspects de la manifestation et non pas sur la connaissance de l’Essence divine et de Ses Attributs. Car concernant ces derniers, ils ont, tous deux, le même degré de connaissance et de perfection comme il convient à la station de la prophétie et à la station de la haute sainteté qui est celle de la Proximité. Or cette dernière est octroyée dans la hiérarchie des saints aux « afrad » solitaires. Khidr faisait parti d’eux et n’est pas considéré comme prophète.
La leçon a tiré de cet épisode est que le degré de perfection du maître n’est d’aucun profit au disciple si ce dernier ne se conforme pas à ce que le maître recommande de faire ou de ne pas faire. Maintenant pour celui qui se conforme aux directives, la perfection du maître est non seulement utile mais nécessaire à la réalisation du disciple. Toutefois, le maître ne donne au disciple que ce que lui permettent ses prédispositions inhérentes à ce qu’il est et à ses actes. Il est à l’image du médecin fameux qui prescrit au malade des remèdes et dont ce dernier ne se soucie pas de les prendre. Quel est l’utilité de recourir à un médecin fameux si on ne se conforme pas à ce qu’il a prescrit ? Mais le fait de ne pas se conformer est le signe que Dieu ne veut pas que le patient guérisse de sa maladie car lorsque Dieu veut quelque chose il en facilite la réalisation. Cependant ce qui est nécessaire, pour l’aspirant c’est de rechercher le plus parfait et le plus complet des maîtres de façon à ne pas tomber entre les mains de pseudo-maîtres qui seront l’objet de son malheur.


D’autre part, l’émir Abdelkader, en ses Haltes, tire une correspondance intéressante au sujet de Moïse et des événements qu’il a vécus avec Khidr. Il dit que : le fait que Khidr a endommagé l’embarcation est à rapprocher avec l’épisode de la mise à l’eau de Moïse dans son berceau au fil du Nil puisque dans les deux cas il s’agit, en apparence, de la mise en péril de personnes. Quant au meurtre de l’adolescent, il est à rapprocher avec le meurtre de l’Egyptien. Et enfin, la consolidation du mur sans contrepartie est à rapprocher avec le fait que Moïse, lors de sa fuite d’Egypte, arrivant à un point d’eau, a rempli les jarres des filles de Jethro sans demander de contrepartie.
Par suite, Khidr dit à Moïse : « Je n’ai pas agi de mon propre gré » v. 82 Commentant ce verset l’Emir dit dans la Halte 229 ce qui suit : Sache que la manifestation se répartit entre le monde du commandement et celui de la création. Tout élément, aussi infime soit-il, est déterminé et régi par le monde du commandement. La causalité du monde du commandement est le monde créaturel. Or le monde du commandement découle du monde de l’ordre total.

Ibn Arabi dit :
« Tout l’honneur est aux corps en tant que matrice des esprits
Et cela est suffisant comme privilège
Une partie est considérée par son tout.
Aussi, comment la partie peut-être estimée si le tout est déprécié ? »
Et il pose la question suivante : « Est-ce la forme qui est la cause de l’esprit immortel ou bien est-ce l’inverse ?
Dieu Très-Haut, nous dit à propos de la création de Jésus – Paix et Salutations divines sur lui - : « Nous avons insufflé, en elle, de notre esprit » chap. 21 v.91 Il s’agit de la forme de Jésus. ( fîha fait allusion à « as-sura » ) De même, Dieu dit à propos d’Adam – Paix et Salutations divines sur lui - : « Lorsque je l’aurai façonné et que j’aurai insufflé en lui de mon esprit » chap. 15 v. 29 ( Le corps n’est autre que la forme) Même si la préposition arabe « wa » ne signifie pas l’ordonnancement et que cela peut laisser à supposer que la création de la forme ou le façonnement est antérieur à l’insufflement de l’esprit. Pour l’Emir, la création et l’insufflement sont tous deux concomitants de sorte qu’aucun ne peut-être dissocier de l’autre. Cette question a d’ailleurs fait l’objet d’un chapitre dans un des ouvrages du Cheikh Abdelwahid ( René Guénon ) à propos de l’esprit : Est-il dans le corps ou inversement ? Ainsi que dans ses études sur l’hindouisme, à propos de Purusha ( l’Esprit ) et Prakriti ( la Substance ) A ce sujet, encore, nous ne pouvons que relever la similitude des points de vue doctrinaux de l’hindouisme avec l’Islâm.
Même si, dans une Tradition prophétique rapportée, il est fait mention des différents stades du développement de l’être humain, à savoir, ovule fécondé, fœtus, embryon et insufflement de l’esprit, ce que l’on doit comprendre c’est ce que génère l’esprit sur une forme primaire ou sophistiquée. C’est à dire en tant que sensations, mouvements et sustentation.
Au premier stade de la genèse de l’être humain, l’esprit est minéral. Aussi, il a un comportement identique à l’esprit minéral qui consiste à maintenir les éléments et les parties entre elles pour une cohésion du corps solide. A ce stade, on n’observe pas d’autres forces que celles-ci. Puis lorsque le corps commence sa croissance en se sustentant, l’esprit est dit végétatif au même titre que les plantes dans leur phase de développement et de sustentation. Ensuite, lorsque apparaissent les sensations et le mouvement, l’esprit de cette forme est appelé animal comparable à l’esprit animal qui sent, se meut et est frappé par l’imagination. Enfin, lorsque se manifestent les facultés propres à l’homme et qui sont la pensée, le raisonnement et autres facultés de discernement, l’esprit est dit humanoïde.

C’est ainsi que les différentes appellations de l’esprit sont en fonction des facultés manifestées, en plus ou en moins, dans la typologie des créatures. Car l’esprit est un, en lui-même, et ne se dissocie pas, ne se décompose pas, ne se divise pas alors que ses attributs sont multiples. La différente manifestation de l’esprit dans un corps est en fonction de ses prédispositions.
Une forme sans esprit ne peut-être et inversement et cela dans un corps élémentaire, brut, imaginaire ou spirituel.
Al-Hakim Al Tirmidy, un maître du III siècle de l’Hégire, à propos des corps, dit que : « l’esprit ou la forme corporelle est l’expression de l’essence de la hylée et de l’essence de la forme et l’une ne peut exister sans l’autre »
L’esprit ne peut jamais avoir une réalité sans la forme, ni en ce monde, ni dans le mésocosme ( barzakh ) ni dans l’au-delà. S’il n’avait pas ce composé qui le détermine, il n’aurai pas eu d’existence propre.
Maintenant la Volonté divine dans le monde des corps, qui est la manifestation de l’Ordre divin, n’est autre que l’expression de Son Ordre divin Total particularisé dans la gestion de toute chose. Le monde du commandement, englobant le Tout, est un. Dieu nous dit : « A lui revient l’ensemble du Commandement » chap. 11 v. 123 et ailleurs : « Notre Commandement est un » chap.54 v. 50 Le monde des formes est un corps unique englobant l’ensemble des formes et régi par le monde du commandement et l’ensemble ou le tout est sous l’ordonnancement et l’assujettissement de Dieu. Ce Dernier nous dit : « A Lui la création et l’ordre » chap. 7 v. 54 et encore « Il ordonnance le Commandement » chap. 10 v. 3
Tout actant, dans le monde des créatures, agit en fonction de ce qui est en accord avec ses prédispositions suite au commandement du monde de l’ordre. Ces actes aussi peuvent correspondre à des actes d’obéissance ou de désobéissance, bons ou mauvais. Si, par contre, l’actant agit en fonction du Commandement Total globalisant l’ensemble des ordres cela ne peut-être que vérité et obéissance mais cela n’arrive qu’à un prophète ou un héritier. C’est pour cela que Khidr répliqua à Moïse en disant : « Je ne l’ai pas fait de mon propre gré » v. 82
Comme Moïse savait que ce qui relevait du Commandement total ne pouvant être une erreur il a admis les explications de Khidr et s’est résigné !
Ici, il est intéressant de rapporter la remarque de cheikh Abdelwahid à propos de mot « amr »ou commandement : « Le verbe « amar » qui est employé dans le texte biblique, et qu’on traduit habituellement par « dire » a en réalité pour sens principal, en hébreu comme en arabe, celui de « commander » ou « d’ordonner » La parole divine est l’ ordre (amr) par lequel est effectuée la création, c’est à dire la production de la manifestation universelle, soit dans son ensemble, soit dans l’une quelconque de ses modalités. Selon la Tradition islamique également, la première création est celle de la Lumière ( an-noûr) qui est dite « min amri L-lâh » c’est à dire procédant immédiatement de l’ordre ou du commandement divin : et cette création se situe, si l’on peut dire, dans « le monde », c’est-à-dire l’état ou le degré d’existence, qui, pour cette raison, est désigné comme « âlamul-amr » et qui constitue à proprement parler le monde spirituel pur. En effet, la Lumière intelligible est l’essence (dhât) de l’esprit « ar-rûh » et celui-ci, lorsqu’il est envisagé au sens universel, s’identifie à la Lumière elle-même ; c’est pourquoi les expressions « en-nûr al-muhammadi et er-rûh al-mhammadi « sont équivalentes, l’une et l’autre désignant la forme principielle et totale de l’ homme universel qui est « awwalu khalqi L-lah » le premier de la création divine. C’est là le véritable « Cœur du Monde », dont l’expansion produit la manifestation de tous les êtres, tandis que sa contraction les ramène finalement à leur Principe ; et ainsi il est à la fois « le premier et le dernier » (al-awwal wal-akhir) par rapport à la création, comme Allah lui-même est « Le Premier et le Dernier au sens absolu »
« Cœur des cœurs et Esprit des esprits » (qalb-ul-qulûbi wa Rûh-ul-arwâh) c’est en son sein ( c’est-à-dire dans la forme principielle et totale) que se différencie les « esprits » ( c’est-à-dire les corps subtils ou grossiers)
Par suite, dans les versets 100 et 101 du chapitre 18, on a un exposé de ce qu’on doit comprendre par « kufr » état du mécréant et la véritable doctrine concernant le credo.
« Ce jour-là, Nous présenterons la géhenne pour les mécréants ceux dont les yeux étaient dans un voile à Mon souvenir et qui étaient incapables de prêter l’oreille » Chap. 18 v. 100-101

L’Emir, interprétant ce verset, dit que la géhenne est pour chacun à la mesure de son état et de sa station. Géhenne signifie selon l’étymologie « éloignement » Pour certains, la géhenne consistera dans le fait d’être privé de la vision divine ; pour d’autres elle comportera, outre cette privation, le châtiment.
Pour ce qui concerne le terme mécréant ou « kâfirin » ce terme dérivant du verbe « kafara » étymologiquement parlant à pour signification « voiler, occulter, cacher, semer » grammaticalement c’est un verbe trilitère simple et son nom d’agent de forme « kâfirun » a pour sens celui qui voile l’évidence par sa pensée, ses paroles ou ses actes. Or cet état peut-être soit une négation manifeste à l’encontre de tout ce qui révélation divine transmise par les envoyés ou négation subtile chez ceux-là mêmes qui acceptent la révélation. La subtile négation consiste à occulter l’Etre Nécessaire de qui toute chose, sublime ou infime tire sa réalité et en attribuant à ces choses contingentes une réalité et un être distinct de l’Etre Nécessaire.
D’autre part, celui qui voile est voilé. Son cœur et ses yeux sont voilés. Dans le verset « Ceux dont les yeux étaient dans un voile à Mon souvenir et qui étaient incapables de prêter l’oreille » fait allusion à ceux qui ne voient pas leur Seigneur et ne se souviennent pas de Sa Présence dans les choses créées. C’est à dire ceux qui sont incapables de se souvenir de leur Seigneur lors de leur observation des choses créées comme cela a été rapporté au sujet des trois premiers califes.
En effet, sayyidinâ Abu Bakr a dit : « Je n’ai jamais vu une chose sans avoir vu Dieu avant la chose » ; Sayyidinâ Omar a dit: « Je n’ai jamais vu une chose sans avoir vu Dieu avec la chose » et sayyidinâ Othman a dit : « Je n’ai jamais vu une chose sans voir Dieu après la chose »

Dans cette forme subtile de « kufr », dont le Prophète – Grâces et Salutations divines sur lui – nous a mis en garde, les croyants non-réalisés spirituellement sont incapables de voir Dieu dans les formes où Il se manifeste et les déterminations particulières qu’Il s’assigne. L’Emir dans la Halte n° 193, dit que : « C’est en raison de leur attachement exclusif à la transcendance « tanzih » telle que la conçoivent leurs entendements, sans que cette transcendance soit chez eux tempérée par l’immanence « tashbih » dont elle est inséparable dans la Loi sacrée. Ils n’ont pas su que Dieu est infiniment transcendant au-dessus de toute union, fusion ou immanence avec la créature, dans le moment même où Il se manifeste dans les formes sous le rapport de Son nom l’Apparent et est donc perceptible par tous les sens internes ou externes » Comme cela s’est produit pour Moïse lorsqu’il entendit l’Appel venant du buisson et su que c’était la Parole de Dieu.
C’est pourquoi notre Seigneur a recommandé à Son envoyé de prodiguer les meilleurs conseils à sa communauté et de donner à ceux qui cherchent à connaître leur Créateur, une connaissance exempte de perplexité, de doute ou de passion. A savoir une connaissance seule issue de leur Seigneur et de nul autre que Lui. Dieu dit : « Dis que la guidance est celle de Dieu » chap. 3, v. 73. On sait qu’il existe deux types de guidance : Spirituelle ou rationnelle, directe ou indirecte comme il existe deux types de science, infuse « mawhoub » ou livresque « maksoub »
La première guidance, directe ou spirituelle, d’ordre divin est celle qui permet de cheminer sans égarement ni déviation. Elle consiste à ce que les prophètes nous ont enseigné en tant que prescriptions, proscriptions et doctrine agréées ou non par la raison. A partir de là, si le croyant agit conformément à ces fondements, Dieu lui octroiera une science qui lui permettra de comprendre l’acception de ce qui, au départ, n’était qu’une simple observation sans grande signification. Dieu ne nous dit-Il pas « Préservez-vous de votre Seigneur et Il vous enseignera » chap. 2 v. 282 et ailleurs, dans le chap. 18, v 65. « Nous lui avons fait miséricorde et appris une science de Notre part » La personne visée dans ce verset n’est autre que ce compagnon de Moïse qu’est Khidr. Or ce type de science ne peut-être acquis que par voie de dévoilement et théophanie. Mais pour ce qui concerne la connaissance de notre Seigneur qui est la plus haute des connaissances, cette dernière ne peut-être acquise que par voie de révélation, d’où l’intérêt de l’enseignement des prophètes. Nous y reviendrons.
Quant à la seconde, l’indirecte ou rationnelle, elle est d’ordre créaturel. Elle peut-être entachée d’erreurs ou de fourvoiement. Elle peut-être tronquée, déviée et donc être dangereuse.
C’est ainsi que l’opération rationnelle, naturellement limitée, dans sa tentative de définir le Seigneur, affirmera la transcendance dépouillée de toute contingence et dira qu’Il n’est pas ceci ni cela. Or, en matière de foi, ce n’est pas cela qui est exigé de nous. Ce qui nous a été recommandé d’affirmer c’est ce dont les prophètes nous ont enseigné. C’est à dire transcender notre Seigneur de notre connaissance rationnelle. Car notre Seigneur est l’Absolu et échappe à tout jugement, toute définition, toute spéculation, toute représentation, toute comparaison. Ce que la raison estime comme transcendance même n’est en fait que conjoncture. D’ailleurs, dans la transcendance rationnelle, le dépouillement a engendré chez ceux qui ont emprunté cette voie une grande ignorance et n’a fait que les éloigner de la connaissance de leur Seigneur et de Ses manifestations théophaniques en ce monde et de même ils le sauront dans l’au-delà. Ceci dit, le recours à la transcendance est nécessaire quand il s’agit de controverser avec un idolâtre ou un partisan de l’immanence, mais en dehors de cela, c’est une attitude de non-convenance consommée vis-à-vis de notre Seigneur. En effet, Lui-même s’est déjà transcendé, il faut donc se méfier de tout excès et d’ailleurs le fait même d’y penser relève de l’inconvenance. Il ne convient de transcender que ce que lui-même à transcender. Et d’ailleurs si notre Seigneur dans Ses Livres ou à Ses envoyés s’est transcender c’est pour réfuter ceux qui soutiennent des conceptions inadéquates à propos de Sa divinité.
Ce que la raison comprend, concernant les attributs divins, ne relève pas de l’ordre du contingent car ils appartiennent tous à la transcendance et rejettent tout contraire.
La divinité qu’il nous est recommandé d’admettre est celle révélée par ses envoyés et non celle déterminée par nos spéculations qui elles relèvent du domaine du sensible. Le Dieu des envoyés n’est comparable absolument à aucune chose. Il ne ressemble à aucune chose et aucune chose ne Lui ressemble. Il est décrit comme ayant un visage, une main, deux mains, des mains, une droite, un œil, des yeux, qu’Il rit, sourit, se met en colère, hésite, descend, vient, accourt, s’est établi sur le Trône, qu’Il est dans le ciel, sur terre, qu’Il est avec nous où que nous soyons etc. S’Il est décrit par ces attributs c’est que les Arabes à qui s’adressent ce discours connaissent bien cela. Il ne convient pas de dire que les Arabes ignorent ou ne comprennent pas ce dont il s’agit. On dira donc que ces Attributs sont compréhensibles mais inconnus.
L’authentique transcendance c’est celle qui consiste à les lui attribuer et non à les Lui dépouiller. On dira que notre Seigneur accourt, vient, descend mais sans tentative d’interprétation ni anthropomorphisme comme l’a dit l’imâm Malik quand on l’on a interrogé sur le comment de l’établissement sur le Trône, il répondit l’établissement est connu mais le comment est inconnu.
En conséquence, tout ce qui est rapporté en guise d’immanence dans le Coran ou la Tradition relève du degré de Sa Manifestation et détermination dans les apparences en fonction de Son Nom l’Apparent et tout ce qui est rapporté en guise de transcendance relève du degré de Son dépouillement des apparences en vertu de Son Nom le Caché.

Les versets du début du chapitre 18 illustrent ce qui vient d’être souligné concernant la connaissance rationnelle et ses imperfections. Dit nous dit : verset 9 « Estimes-tu vraiment que les gens de la caverne et d’ar-raqîm constituent, entre tous Nos Signes, un prodige étonnant ? Jusqu’au verset 18 : Si tu les avais aperçus, tu te serais détourné d’eux, et le cœur empli de crainte, tu aurais pris la fuite »
En effet, l’aventure de ces jeunes gens, rapportée par les communautés qui nous ont précédés, constituent un fait extraordinaire et un prodige et a fait croire à ceux qui se sont laissés séduire par cet événement que ces jeunes gens occupaient une place enviée auprès de Dieu. C’est alors que Dieu révéla à son Messager l’histoire de ces jeunes gens. Le verset « Estimes-tu vraiment que… » l’Emir Abdelkader commentant ce verset, nous dit que cette interrogation a une valeur négative et a pour signification : Ne considère pas la chose comme ils le font et ne t’étonne pas de leur émerveillement. Ils croient que dans les prodiges et autres signes extraordinaires, signes de Notre Puissance, ce sont là les faveurs les plus distingués qui soient accordées à nos élus.
Dieu apprend à son envoyé que ces jeunes gens avaient la foi en leur Seigneur et qu’Il leur avait accordé la guidance et une fermeté. Par cela Il fait savoir à son Messager que leur foi est le résultat d’une réflexion théorique car ils n’ont pas eu le privilège de la révélation d’un prophète. Or la foi rationnelle n’est qu’égarement comparativement à la foi basée sur une révélation. Jamais la raison ne peut transcender ses propres limites et concevoir que Notre Seigneur s’épiphanise à travers toutes les créatures. En effet, la raison « ‘aql » est un « ‘iqal » entrave. En vertu de sa constitution, elle est soumise à des règles qu’elle ne saurait dépasser. Or la noblesse de la raison consiste à accepter ce qui fut révélé aux prophètes et c’est sous ce seul rapport – qui est le dépassement du mental – que la raison s’affranchit de ses limites.
Dans la suite des versets, on lit « Si tu les avais aperçus, tu te serais détourné d’eux et le cœur empli de crainte, tu aurais pris la fuite » Lorsqu’un prophète est confronté à ce qui contredit la révélation, il s’en détourne, se fâche et s’écarte. Tel fut le cas de Moïse lors de sa rencontre avec Khidr. Dieu avait au préalable informé Moïse de ce que Al Khidr détenait une science supérieure à la sienne et il était certain du bien fondé des actes de Khidr. Pourtant, il ne put se résoudre à s’en séparer qui est une fuite proprement dite. Khidr avait informé Moïse qu’il ne pouvait patienter. Moïse n’ayant pas su patienter, prit nécessairement ses distances.
Dieu fait savoir à Son Messager, dans les gens de la caverne, quel était l’état spirituel de ces derniers. S’il avait été donné au prophète – Grâces et Salutation sur lui – la conception rationnelle qu’avaient les jeunes gens au sujet de leur Seigneur, il se serait écarté d’eux, le cœur rempli de crainte. Ce qui signifie que malgré le prodige dont ces jeunes gens avaient été l’objet, ils n’avaient pas atteint le terme de la voie. Là, il y a la preuve manifeste que les prodiges n’indiquent en rien ni la perfection ni la rectitude ni la proximité d’avec Dieu. Les charismes ne sont pas l’exclusivité de ceux qui font l’objet de la Sollicitude divine. C’est donc en raison de l’imperfection de leur foi que le prophète aurait pris la fuite. La fuite du prophète n’est pas due comme le rapporte certains exégètes à leur apparence effrayante. Car quiconque a fait l’objet de dévoilement est apte à la contemplation dès lors de toutes sortes de créatures extraordinaires. Le prophète – Salutations et Grâces divines sur lui – a vu le plus grand des signes lors de son Ascension nocturne comme sans que cela ne lui ait causé la moindre crainte ou fuite !

Par ces quelques commentaires et remarques, empruntées aux grands maîtres de la spiritualité, nous avons la preuve et la confirmation du fondement de la spiritualité en Islâm, qu’elle nécessite une initiation, un cheminement assidu et qu’elle en est le cœur même de l’Islâm.

M.J. Chérifi

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La figure d’Al-Khidr selon René Guénon et Ananda Kentish Coomaraswamy Empty La figure d’Al-Khidr selon René Guénon et Ananda Kentish Coomaraswamy

Message par Ligeia Dim 27 Sep - 11:40

La figure d’Al-Khidr selon René Guénon et Ananda Kentish Coomaraswamy Khidr-1


"La figure d’Al-Khidr est universelle, bien que selon les cultures et les traditions, son nom varie. En arabe, « Al-Khidr » signifie « Le verdoyant », et la couleur verte lui est généralement associée. Il constitue également le symbole par excellence du cheminement initiatique, et à ce propos, est entouré de nombreux mystères, tout comme son aura.

Le scientifique, artiste, historien et métaphysicien Ananda Kentish Coomaraswamy publia un article à ce sujet, intitulé Khwâjâ Khadir et la Fontaine de vie paru dans les Etudes Traditionnelles (n°224-225, août-septembre 1938, Numéro spécial sur le Soufisme) :  

« Dans l’Inde, le saint et prophète désigné par les noms Khwâjâ Khizr (Khadir), Pir Badar et Râjâ Kidâr (en arabe, Seyidnâ El-Khidr) fait l’objet d’un culte populaire encore existant et qui est commun aux Musulmans et aux Hindous. Son principal sanctuaire est situé sur l’Indus, près de Bakhar ; il y est révéré par des personnes appartenant aux deux traditions ; c’est à peine, cependant, si son culte est moins répandu dans le Bihar et le Bengale. Dans le rituel hindou, on allume des lumières et on offre, près d’une fontaine, de la nourriture à des brâhmanes. Dans le culte musulman comme dans l’hindou, on lance sur un étang ou sur une rivière un petit bateau qui porte une lampe allumée. Dans l’iconographie, Khwâjâ Khizr est représenté comme un homme âgé, ayant l’apparence d’un faqîr, habillé entièrement en vert (1) et accompagné d’un poisson qui lui sert de « véhicule » et avec lequel il se meut sur les eaux.

L’étude de cette iconographie, et aussi celle des légendes hindoues, renseignent, au moins partiellement, sur la nature de Khwâjâ Khizr. Dans la ballade de Niwal Daî, dont l’action est localisée à Safîdam (2) dans le Panjab, l’héroïne est la fille de Vâsuki, le roi des Serpents. Le pândava (3) aryen Râjâ Parikshit a livré bataille à Vâsuki et lui a arraché la promesse qu’il lui donnerait sa fille en mariage, union qui, du point de vue de Vâsuki, est inégale et constitue une mésalliance. Vâsuki est alors atteint de la lèpre, à la suite d’une malédiction prononcée par le prêtre Sîjî (4), dont les vaches avaient été mordues par les Serpents. Pour le guérir, Niwal Daî entreprend d’obtenir l’Eau de Vie (amrita), à la source fermée qu’elle seule peut ouvrir, mais qui se trouve sur les domaines de Râjâ Parikshit (5). Lorsqu’elle atteint la source, qui est recouverte de lourdes pierres, elle déplace celles-ci par l’effet de son pouvoir magique, mais les eaux baissent et sont bientôt hors de portée : en effet, Khwâjâ Khizr, qui est leur maître, ne veut pas les libérer, aussi longtemps que Niwal Daî, que personne encore n’a vue, si ce n’est son père Vâsuki et sa mère, la reine Padmâ, ne consent pas à se montrer à ses regards. Lorsque Niwal Daî se laisse voir, Khwâjâ Khizr « envoie les eaux qui montent en bouillonnant ». Râjâ Parikshit, éveillé par le bruit, part au galop vers la source ; il y trouve Niwal Daî, qui se cache sous sa forme de serpent, et il la contraint de reprendre son aspect humain ; après un long débat près de la source, il la convainc qu’elle est liée par la promesse de son père et, finalement, l’épouse (6).

(1) En conformité avec la signification de son nom, qui est dérivé de akhdar, « vert ».
(2) Safîdam, probablement une corruption de sarpa-damana, « domptage du serpent ». Au sujet de la légende de Niwal Daî, cf. Temple, Legends of the Panjab, I, 414-418 et 419.
(3) Descendant de Pandu, le père ou le grand-père des héros célèbres du Mahâbhârata.
(4) Généralement Sanjâ (dérivé peut-être du sanscrit samjna). Ce prêtre (brâhmana), qui sert Vâsuki, mais agit contre lui, fait penser à Vishwarûpa, qui est appelé le purohita (prêtre familial) des Anges (Taittirîya-samhitâ, II, 5, 1), et à Ushan Kâvya, qui est dit le purohita des Titans (Panchavimsha-brâhmana, VII, 5, 20), mais qui est gagné au parti des Anges et passe de leur côté.
(5) Il est difficile d’admettre comme « correcte » la localisation de la source dans les domaines de Parikshit (elle est, en réalité, à la frontière des deux mondes, dans une forêt également accessible à Vâsuki et à Parikshît), mais nous ferons observer que les eaux ne sont pas seulement protégées par leur épais revêtement de pierre, mais qu’elles sont soumises à la volonté de Khizr, qu’elles ne sont pas des eaux « courantes ». Nombreux sont les équivalents vêdiques de la « lourde pierre » qui empêche d’accéder aux eaux, par exemple dans le Rig-Vêda : apihitâni ashnâ (IV, 28, 5), adrim achyatam (IV, 17, 5), apah adrim (IV, 16, 8 ), dridhram ubdham adrim (IV, 1, 15), paridhim adrim (IV, 16, 8 ) ; lorsque l’obstacle de pierre est brisé, alors « les eaux coulent du rocher fécond » (srinvantv apah… babrihanasya adrêh, Rig-Vêda, V, 41, 12). Cf. Shatapatha-brâhmana, IX, 1, 2, 4, en connexion avec la consécration de l’autel, laquelle commence « à partir du rocher », car c’est du rocher que sourdent les eaux (ashmano hy apah prabhavanti). Dans la ballade, Vâsuki correspond à Ahi (Vritra), qui est frappé par Indra, mais qui « continue à grandir dans une obscurité sans soleil » (Rig-Vêda, V, 22, 6).
(6) Dans le récit ci-dessus résumé, il est facile de reconnaître le conflit des Anges et des Titans (dévas et asuras), d’Indra et d’Ahi-Vitra, thème qui fait partie du « mythe de la création ». L’enlèvement de Niwal Daî est celui de Vâch (la parole) (cf. Rig-Vêda, I, 130, où Indra « enlève la Parole », vâcam mushâyatî) ; Khwâjâ Khizr, le maître des eaux (les « rivières de vie » vêdiques, est Varuna).


La scène près de la fontaine a peut-être formé le thème original d’une composition que l’on rencontre dans un certain nombre de peintures mughal (7) du XVIIe et du XVIIIe siècle, où l’on voit un prince à cheval près d’une source, d’où une dame vient de puiser de l’eau (8 ). La conception d’une dynastie faisant remonter son origine à l’union d’un roi humain et d’une nâginî est très répandue dans l’Inde ; en dernière analyse, elle peut être rapportée à l’enlèvement de Vâch, l’apsarâ ou la Vierge des Eaux, qui est née des puissances de l’obscurité et que le Père créateur n’a pas « vue » avant la transformation de l’obscurité en lumière, in principio ; sous ce rapport, il est à noter que, dans la ballade, Niwal Daî n’a jamais vu le Soleil ou la Lune, et a été tenue cachée dans un tourbillon d’eau (bhaunrî), jusqu’à ce qu’elle en sorte pour mettre à jour la Source au Bout du Monde, dans laquelle sont les Eaux de Vie (9). Elle assume alors une force humaine, ce qui constitue sa « manifestation ». On comprendra, du reste que, exactement comme dans les légendes européennes semblables, où une ondine, ou la fille d’un magicien, épouse un héros humain, tout aussi bien dans les récits ou poèmes hindous récents, le rédacteur peut n’avoir pas toujours saisi le sens profond de son sujet.

(7) Mughal : « mogol ». Il s’agit de l’art, autrefois appelé improprement, « indo-persan » qui a fleuri dans l’Inde à la cour des princes mogols pendant les XVIe et XVIIe et XVIIIe siècles.
(8 ) E. G. Blochet, Peintures hindoues de la Bibliothèque Nationale, Paris, 1926, pl. V et XXIII.
(9) Le monde sous-marin, la demeure de la race des Serpents (ahi nâga), l’ « origine aquatique » (yonim apyam, Rig-Vêda, II, 38, 8 ) de Varuna se trouve « dans les ténèbres de l’Ouest » (apâchinê tamasi, ibid., VI, 6, 4) ; elle n’est pas éclairée par le Soleil est « au-delà du Faucon » (Jaiminîya-brâhmana, III, 268 ) ; mais le resplendissement des Eaux est éternel (ahar ahar yâti aktur apâm, Rig-Vêda, II, 30, 1).


Khwâjâ Khizr apparaît aussi dans un autre conte populaire d’un type très archaïque, l’histoire du prince Mahbûb (10). Le roi de Perse a eu d’une concubine un fils, qui, faute d’enfant légitime, devient l’héritier présomptif. Plus tard, la reine en titre devient enceinte. Le premier prince craint de perdre ses droits, envahit le royaume, tue son père et usurpe le trône. Cependant la reine s’enfuit et est recueillie par un fermier ; elle accouche d’un fils, qui est appelé Mahbûb, le « Bien-Aimé » (du Monde). Ce dernier, ayant grandi, se rend seul à la cour et sort vainqueur de compétitions athlétiques, notamment de celles de tir à l’arc. Le peuple n’est pas sans observer sa ressemblance avec le roi défunt. Lors de son retour, il est instruit par sa mère de son origine et tous deux partent en voyage afin d’échapper aux entreprises de l’usurpateur. La mère et le fils arrivent dans une contrée déserte et là, dans une mosquée près d’une montagne, ils rencontrent un faqîr, qui leur donne une eau et un pain inépuisables et deux objets en bois, dont l’un peut servir de torche, l’autre possédant la propriété de rendre guéable la mer la plus profonde, dans un rayon de quatorze coudée ; dans ce rayon, la profondeur diminue jusqu’à ne plus dépasser une coudée. Mère et fils traversent ainsi l’océan avec de l’eau jusqu’aux genoux et ils rencontrent un courant charriant des rubis.
Ils abordent finalement dans l’Inde, où ils vendent l’un des rubis pour un prix élevé. Ce rubis tombe entre les mains du roi de la contrée, qui apprend d’où il est venu et fait rechercher le héros, lequel dans l’intervalle s’est fait construire un nouveau et grand palais sur le bord de la mer. Mahbûb entreprend de procurer au roi d’autres rubis de la même sorte. Il part seul, allume la torche (preuve qu’il s’apprête à pénétrer dans un monde obscur) et, se servant de la baguette, traverse la mer jusqu’à ce qu’il atteigne le courant aux rubis. Il le remonte jusqu’à sa source, qui est un tourbillon, y saute, descend dans cette obscure cheminée d’eau, touche le fond et découvre que les eaux sortent d’une porte de fer s’ouvrant sur un conduit. Traversant le conduit, il se trouve dans un magnifique jardin, au milieu duquel se trouve un palais. Dans une chambre de ce palais, il voit une tête fraichement coupée, de laquelle tombent des gouttes de sang qui sont recueillis dans un bassin ; ces gouttes sont emportées par le courant, comme rubis, dans le conduit, et ensuite dans le tourbillon et dans la mer. Apparaissent alors douze pérîs (11), qui prennent la tête, apportent le corps décapité, réunissent la première au second et, saisissant des flambeaux allumés, exécutent autour de la couche une danse si rapide que Mahbûb n’en perçoit qu’un cercle de lumière. Alors, se penchant au-dessus du lit, elles se lamentent : « Encore combien de temps, Seigneur, encore combien de temps ?… Quand le soleil de l’espoir se lèvera-t-il sur l’obscurité de notre désespoir ? Lève-toi, ô Roi, lève-toi ! Encore combien de temps vas-tu demeurer dans cette inconscience semblable à la mort (12) ?

(10) Shaikh Chilli, Folk tales of Hindusian, Allahâbad, 1913, p.130 et suivants, avec une peinture moderne de Khwâjâ Khizr, représenté comme un vieillard bénissant Mahbûb (pl. XXXIII). L’histoire du prince Mahbûb est essentiellement la relation de la « Queste du Graal » menée à bonne fin par un héros solaire, le fils d’une mère veuve élevé, loin du monde et dans l’ignorance innocente de son vrai caractère, comme dans le cycle de Parsifal. Mahbûb correspond à l’Agni et Sûrya vêdique. Kassab (l’usurpateur) à Indra.
(11) Apsarâs, vierges du Graal.
(12) Les « femmes qui se lamentent » et l’ « inconscience semblable à la mort » du Roi Pêcheur sont des traits essentiels du mythe du Graal.


Alors, du sol du palais, s’élève la forme du faqîr dont il a été question et qui est maintenant vêtu d’une robe de lumière. Les pérîs s’inclinent devant lui et lui demandent : « Khwâjâ Khizr, l’heure est-elle venue ? » Le faqîr, qui n’est autre en fait que l’immortel Khwâjâ Khizr, explique à Mahbûb que le cadavre qu’il voit est celui de son père, qui a été tué par l’usurpateur Kassâb ; les ancêtres de Mahbûb ont tous été des magi (13) ; tous ont été ensevelis dans le palais sous-marin, mais le père de Mahbûb est resté sans sépulture, car personne n’a accompli pour lui les rites funéraires ; Mahbûb, qui est son fils, devait réparer cette omission. Mahbûb prie donc Allah pour l’âme de son père. Aussitôt la tête se soude au corps et le roi défunt se lève vivant (14). Khizr disparaît, et Mahbûb retourne dans l’Inde avec son père, qui est ainsi réuni à la reine veuve. Lorsque le roi de l’Inde vient chercher les rubis, Mahbûb se pique le doigt et les gouttes de sang, tombant dans une coupe pleine d’eau, deviennent les gemmes demandées ; car, ainsi que Mahbûb le sait maintenant, chaque goutte de sang qui coule dans les veines des rois de Perse est plus précieuse que des rubis. Mahbûb épouse la fille du roi de l’Inde. Une expédition part pour la Perse et détrône l’usurpateur Kassâb ; celui-ci est décapité et sa tête suspendue dans le palais souterrain ; chaque goutte de sang qui en tombe devient un crapaud.

(13) Equivalent au sanscrit mâyin, « magicien », désignation spécialement applicable aux titans et, à titre secondaire, aux anges principaux, particulièrement à Agni. Les « ancêtres » représentent les héros solaires des cycles précédents.
(14) La « Queste du Graal » est achevée.


La vraie nature de Khwâjâ Khizr est déjà clairement indiquée dans les deux récits que nous venons de résumer, ainsi que tous les documents iconographiques. Khizr est chez lui dans les deux mondes, l’obscur et le lumineux, mais par-dessus tout il est le maître de la Rivière de Vie qui coule dans la Terre des Ténèbres ; il est le gardien de l’Eau de Vie et, sous ce rapport, il correspond au Soma et au Gandharva vêdiques et même à Varuna. Ni du point de vue islamique, ni du point de vue de l’Hindouisme post-vêdique, il ne peut évidemment être identifié à proprement parler à une « divinité » ; mais il n’en est pas moins l’expression directe, ou la manifestation, d’une puissance spirituelle élevée. Nous allons trouver ces conclusions générales amplement confirmées par un autre examen des textes islamiques concernant al-Khadir.

Le Qur’ân (sûrah XVIII, 59-81) raconte les efforts faits par Mûsâ (Moïse) pour découvrir le Madjma’ al-Bahraïn ou « réunion des deux mers » expression qui désigne probablement une « place » de l’Extrême-Occident au lieu de rencontre de deux océans ; Mûsâ est guidé par un « serviteur de Dieu », que les commentateurs identifient à al-Khadir, lequel est dit résider sur une île ou sur un tapis vert au milieu de la mer. Ce récit peut être comparé à trois autres appartenant à des traditions plus anciennes : l’épopée de Gilgamesh, les romans d’Alexandre et la légende juive d’Elijah et de Rabbi Joshua ben Levi (15). Dans l’épopée de Gilgamesh, le héros part à la recherche de son immortel « ancêtre » Utnapishtim, qui habite à l’embouchure des rivières (ina pi narati), ce qui n’est pas sans rappeler Varuna dont la demeure est « à la source des rivières », sindhûnâm upodayê (Rig-Vêda, VIII, 41, 2) ; son but est de s’informer de la « plante de vie », prototype du haoma avestique et du soma vêdique (16) et par laquelle l’homme peut-être sauvé de la mort. Dans les romans d’Alexandre, Alexandre part à la recherche de la Fontaine de vie, qu’il découvre par hasard, mais qu’il ne peut plus retrouver ; il est significatif que c’est « dans la Terre des Ténèbres » qu’il la découvre. Le Shâh Nâmeh contient une version de cette légende ; d’après cette version, Alexandre part à la recherche de la Fontaine de Vie, qui se trouve dans la Terre des Ténèbres, plus loin que l’endroit où le Soleil se couche dans les eaux de l’ouest ; Alexandre est guidé par Khizr, mais, lorsqu’ils arrivent à une bifurcation, chacun suit une voie différente et Khizr seul mène la « queste » à bonne fin. Les compagnons d’Alexandre, qui rapportent avec eux des pierres de la Terre des Ténèbres, trouvent à leur retour qu’elles sont des pierres précieuses (17).

La même histoire est racontée avec plus de détails dans l’Iskender Nâmeh de Nizâmî ; là (LXVIII-LXIX), Alexandre apprend d’un homme âgé (probablement Khizr lui-même) que « de tous les pays, le meilleur est la Terre Sombre, où se trouve une eau qui donne la vie » et que la source de cette Rivière de Vie est au nord, sous l’étoile Polaire (18 ). Le long de la route qui conduit à la Terre Sombre, sur chaque terre aride, la pluie tombe et l’herbe pousse : « Tu aurais dit : « La trace de Khizr est marquée par cette route ; en vérité, Khizr lui-même était avec le roi » » (19). Les voyageurs atteignent la limite septentrionale du monde, le soleil cesse de se lever et la Terre des Ténèbres s’étend devant eux. Alexandre fait du prophète Khizr son guide et Khizr, « s’avançant avec verdeur (20) », montre la route et découvre bientôt la fontaine ; il boit de son eau et devient immortel. Il tient son regard fixé surla source, attendant qu’Alexandre le rejoigne ; mais elle cesse d’être visible et khizr lui-même disparaît, comprenant qu’Alexandre échouera dans son entreprise. Nizâmî rapporte une autre version, conforme au « récit des anciens de Rome » ; ici la « queste » est entreprise par Ilyâs (21), accompagné de Khizr. Ils s’assoient un jour près d’une fontaine pour prendre leur repas consistant en un poisson séché. Le poisson tombe dans l’eau et redevient vivant ; ainsi les deux chercheurs savent qu’ils ont trouvé la Fontaine de Vie et ils boivent de son eau. Nizâmî passe à la version qorânique et interprète la fontaine comme une Fontaine de Grâce, la vraie Eau vivante étant la Connaissance de Dieu. Une interprétation semblable de cet ancien symbolisme se trouve dans le Nouveau Testament (Jean, IV). Nizâmî attribue l’échec d’Iskender (Alexandre) à son impatience, alors que, dans le cas de Khizr, « l’Eau de Vie arrive sans avoir été cherchée » ; c’est ce qu’il conclut du fait que l’Eau est révélée indirectement par son effet sur le poisson, alors que Khizr ne se doute pas qu’il l’a déjà trouvée.

(15) Pour les autres récits semblables et références diverses, cf. l’Encyclopedia of Islam, s.v. Idris, al-Khadir et Khwadja Khidr ; Warner, Shah Nama of Firadausi, VI, 74-78 et 159-162 ; Hopkins, « The Fountain of Youth », JAOS, XXVI ; Barnett, « Yama, Gandharva and Glaucus », Bull. Sch. Or.Studies, IV ; Grierson, Bihar Peasant Life, p.40-43 ; Garcin de Tassy, Mémoire sur des particularités de la religion musulmane dans l’Inde ; Wûnsche, Die Sagen von Lebensbaum und Lebenswasser, Leipzig, 1905 ; Friedländer, Die Chadhirlegende und der Alexander Roman, Leipzig, 1913.
(16) Cf. Barnett, loc. cit., p. 708-710.
(17) Cf. Rig-Vêda, VII, 6, 4 et 7, où Agni est dit ramener les Vierges (les rivières de vie), à l’est des « Ténèbres de l’Ouest » (apâchinê tamasî) et rapporter les « trésors de la terre » (budhnya vasûni), « lorsque le Soleil se lève » (uditâ sûryasya).
(18 ) Le royaume d’al-Khadir est connu sous le nom de Yûh, qui est aussi un nom du Soleil ; c’est là qu’al-Khadir règne sur les saints et les anges. Il est situé à l’Extrême-Septentrion ; c’est un « Paradis terrestre », une portion du monde humain qui n’a pas été affecté par la chute d’Adam et la malédiction qui l’a suivie (cf. Nicholson, Studies in Islamic Mysticism, pp.82, 124).
(19) D’après Umârah, Khizr est « vert » parce que la terre devient verte au contact de ses pieds.
(20) Khazra, « verdure » ou « ciel ».
(21) Le Prophète Elie, qui est considéré comme appartenant à la « famille spirituelle » de Khizr.


La découverte de la fontaine par Ilyâs et Khizr forme dans l’art persan le sujet de miniatures illustrant l’Iskendar Nâmeh (22). L’une d’elle, qui orne la fin d’un manuscrit de la fin du XVIe siècle appartenant à M.A. Sakisian, est reproduite en couleurs comme frontispice de son ouvrage La Miniature persane, 1929, et en monochrome dans le Persian Painting de L. Binyon, 1933, pl. LXI a ; ici, deux prophètes sont assis près de la Source dans un paysage verdoyant, on voit deux poissons sur un plat, et un troisième, visiblement vivant, se trouve dans la main de Khizr ; il est clair que ce dernier indique à Ilyâs la signification du miracle. Ilyâs est vêtu de bleu, Khizr porte une robe verte et un manteau brun. Dans une composition du XVIIe siècle qui appartient à la Freer Galery, de Washington, est reproduite dans Ars Islamica, vol. I, 2e partie, p.179, l’arrangement est semblable, mais il n’y a qu’un poisson sur le plat. Une troisième miniature, enfin, remontant à la fin du XVe siècle, se trouve au Museum of Fine Arts de Boston et a été reproduite dans Ars Asiatica, XIII, pl. VII, n°15 ; Ilyâs et al-Khadir apparaissent au premier plan près du fleuve, dans l’obscurité ; Alexandre et sa suite sont au-dessus, comme dans la peinture de la Freer Gallery, où la disposition des ombres et des lumières est cependant inverse. La composition de la Freer Gallery semble être, à cet égard, la plus correcte, car, si la recherche a lieu toute entière sur la Terre des Ténèbres, on peut admettre néanmoins que le voisinnage immédiat de la Fontaine de Vie est illuminé par l’éclat des Eaux. Les Découvreurs de la Source ont tous deux la tête nimbée.

(22) Cf. Iskender Nâme, LXIX, 57 : « la verdure croit plus abondamment près de la fontaine » ibid., 22, la source est décrite comme « une fontaine de lumière », ce qui correspond à Vendidâd, fargad XXI, d’après lequel la lumière et l’eau procèdent d’une source commune : cf. aussi le soma vêdique, qui est à la fois lumière et vie, une plante et un liquide (amrita, l’Eau de Vie, Cf. Barnett, loc. cit. p. 05, note 1).

Dans le Lai d’Alexandre syriaque et dans la version du Qur’ân, le poisson s’enfuit ; et le Qur’ân ajoute qu’il gagne la mer. Ceci peut être mis en rapport avec l’histoire de Manu et du « poisson » (shatapatha-Brâhmana, I, 8, 1) ; le « poisson » (jhasha) est vivant dès le début, mais il est très petit et sa position est précaire, car il tombe dans les mains de Manu pendant que celui-ci se lave, et il lui demande de l’élever. Manu lui fournit l’eau qui est nécessaire ; et, quand le poisson est devenu grand, il le lâche dans la mer ; lorsque le Déluge arrive, le poisson guide l’arche sur les eaux grâce à un câble attaché à sa corne. Une variante remarquable de la légende de Manu se trouve dans le Jaiminîya-brâhmana (III, 193) et le Panchavimsha-brâhmana (XIV, 5, 15) ; cette variante offre une similitude étroite avec les récits de l’Iskender Nâme et du Qur’ân en ce qui concerne la dessiccation du « poisson ». Ici Sharkara, le « marsouin » (shishumâra), refuse de louer Indra ; Parjanya, le dieu de la pluie, le fait échouer sur le rivage et le fait dessécher par le vent du nord (la cause de la dessiccation du poisson est ainsi indiquée). Sharkara compose alors un cantique de louange en l’honneur d’Indra ; Parjanya le rend à l’océan (comme fait Khizr, quoique sans le vouloir, dans le récit qorânique) ; et, grâce au même cantique, Sharkara accède au Ciel, et devient une constellation. On ne peut douter qu’il ne s’agisse ici de la constellation du Capricorne, en sanscrit makara, makarashî. Ainsi makara, jhasha et shishumâra sont synonymes (23) ; et ce Léviathan indien correspond clairement au poisson Kar, « la plus grande des créatures d’Ahuramazda », qui nage dans le Vourukasha, gardant l’arbre de vie Haoma dans l’océan primordial (Bundahish, XVII ; Yasna, XLII, 4, etc.) ; il correspond aussi au poisson-chèvre sumérien, le symbole et parfois le « véhicule » d’Ea, le dieu des Eaux (Langdon, Semitic Mythology, pp.105-106). Dans l’iconographie hindoue récente, le « véhicule » de Khizr est indéniablement un poisson et non le makara, dont la forme rappelle celle du crocodile ; mais ceci ne saurait nous surprendre, car on trouve dans l’iconographie indienne, des exemples prouvant l’équivalence du makara et du poisson ; dans quelques représentations anciennes, par exemple, la rivière-déesse Gangâ est supportée par un makara, mais dans les peintures récentes elle l’est par un poisson (24).

(23) Dans le Baghavad-Gitâ (X, 31, Krishna est appelé « le makara des jhashas (jashânâm makarah) ; le makarah est ainsi regardé comme le plus important des jhashas ou monstres des profondeurs. Le mot makara se rencontre pour la première fois dans la Vajasanêyi-samhitâ, XXIV, 3, 5, shushumâra dans le Rig-Vêda, I, 116, 18. Pour une étude plus complète du makara dans l’iconographie indienne (particulièrement comme véhicule de Varuna et bannière de Kâmadêva), voir mon étude sur les Yakshas, II, 47, et suiv. et les références qui y sont indiquées. Le véhicule du « poisson », signifie, bien entendu, que la divinité considérée, n’est pas soumise aux conditions du mouvement local, dans l’Océan illimité de la possibilité universelle, de même que les ailes indiquent une indépendance analogue et « angélique » dans les mondes manifestés. Nous avons examiné en détail la signification de Sharkara (littéralement : « la pierre »), terme très important par sa relation avec la porte solaire des mondes, dans une étude intitulée Svayamâtrnâ : Janus Coeli, qui doit paraître comme un appendice de la nouvelle revue roumaine Zalmoxis.
(24) Voir aussi, sur cette question, René Guénon, Quelques aspects sur le symbolisme du poisson dans les Etudes Traditionnelles, n° de février 1936.


 Dans la version de la légende d’Alexandre qui est dite le Pseudo-Callisthenes (C), Alexandre est accompagné de son cuisinier Andreas. Après un long voyage dans la Terre des Ténèbres, ils arrivent en un lieu ruisselant d’eau et s’assoient pour prendre leur repas ; Andreas humecte le poisson sec et, voyant qu’il revit, boit de l’eau, mais n’en dit rien à Alexandre. Plus tard Andreas séduit Kalè, la fille d’Alexandre, et lui donne à boire de l’Eau de Vie (dont il a emporté une certaine quantité) ; elle devient ainsi une déesse immortelle et est appelée Nereis, tandis que le cuisinier, jeté dans la mer, devient un Dieu ; tous deux sont ainsi des habitants de l’autre monde. Sans aucun doute, Andreas est ici une déformation de l’Idrîs du Qur’ân (sûrah XIX, 57 et suiv., et sûrah XXI, 85) ; Idrîs est le nom d’un prophète que la tradition musulmane identifie à Enoch et à Hermès et qu’elle considère, de même qu’Ilyâs et aussi saint Georges, comme lié à al-Khadir par une affinité spirituelle étroite. De ce qu’Ibn al-Qiftî rapporte au sujet d’Idrîs dans son Tarîkh al-Hukamâ (environs de l’année 1200), il ressort qu’Idrîs joue le rôle d’un héros solaire et est immortel.

 Quant à la ressemblance qu’il peut y avoir entre al-Khadir et saint Georges, c’est elle sans doute – ainsi que le rôle du premier comme patron des voyageurs – qu’évoque une figure du XIIIe siècle, probablement celle d’al-Khadir, qui est sculptée en relief au-dessus de la porte d’un caravansérail sur la route de Sinjâr à Mosoul ; la tête est nimbée et le personnage enfonce une lance dans la gueule d’un dragon couvert d’écailles (25).

 Une autre figure représentant un homme assis sur un poisson, vraisemblablement un travail hindou, se trouve dans le bastion du fort de Raichur, dans le Dekkan ; il a été signalé qu’autour de la tête de l’homme était une couronne de têtes de serpents de rivière à capuchon et, pour cette raison, la figure a été appelée un « roi des serpents » ; mais ces têtes de serpents à capuchon ne sont pas clairement discernables sur la reproduction qui a été publiée (26). L’art indien de la période médiévale offre de nombreuses représentations de Varuna assis sur un makara (27).

(25) Sarre et Herzfeld, Archäologische Reise im Euphrat und Tigrisgebiet, vol. I, pp. 13 et 37-38, Berlin, 1911.
(26) Annual Report, Archaeological Department, Nizam’s Dominions, 1929-1930(1933), p.17, pl.ii.b.
(27) Voir mon étude sur les Yakshas, II.


Nous mentionnerons rapidement, pour terminer, quelques rapprochements avec des traditions européennes, Khadir correspond à Glaukos, le dieu marin des Grecs (Friedlânder, op. cit., pp. 108 et suiv., 242, 253, etc., Barnett, loc. cit., et le Gandharva vêdique sont dignes de remarque. Dans l’Avesta, Gandharva est désigné comme zairipâshna, « celui qui a des talons verts », ce qui tend à établir un lien entre Gandharva et Khâdir. Il est possible que Gandharva, comme l’a suggéré Barnett, corresponde à Kandarpa, c’est-à-dire à Kâmadêva (le dieu hindou de l’amour) ; sous ce rapport, on peut observer que le trait érotique, qui est commun à Glaukos et à Gandharva-Kâmadêva se retrouve appliqué à Khizr dans la ballade de Niwal Daî, où Khizr refuse de libérer les eaux aussi longtemps qu’iln’a pu voir Niwal Daî ; c’est une condition qui apparait comme naturel, dès lors que nous considérons Khizr comme le Gandharva et Niwal Daî comme l’apsarâ ou la Vierge (yoshâ) des Eaux, et aussi bien si nous assimilons Khizr à Varuna : Le Rig-Véda (VII, 33, 10-11) rapporte en effet que « Mitra-Varuna » ont été séduits par la vue d’Urvashî, ce qui est souligné dans le Sarvânukramanî (I, 166 : urvashîm apsarasam drishtwâ… réto apatat) et aussi par Sâyana (rétash chaskanda), qui suit visiblement ici Nirutka, V, 13.

La même situation est sous-entendue dans Rig-Véda, VII, 87, 6, en ce qui concerne Varuna seul ; là Varuna descend comme une goutte blanche (drapsa) et est appelé « traverseur de l’espace » (rajasah vimânah) et « régent de profondeurs » (gambhîra-shamsah), toutes désignations qui pourraient être appliquées à Khizr. Il reste à observer que, dans l’iconographie chrétienne, la figure du dieu-rivière Jourdain (28 ) qui se rencontre couramment dans les représentations du Baptême de Jésus, offre une certaine ressemblance avec les conceptions de Glaukos et de Khizr. Dans certains cas, le baptême est considéré comme ayant lieu au confluent des deux rivières, Jor et Danus (ce qui rappelle la « réunion des deux mers » du Qur’ân). Parfois sont figurés un dieu masculin de la rivière et une figure féminine représentant la mer ; tous deux sont à cheval sur des dauphins, comme dans l’Inde, de nombreux types de Yakshas nains qui sont à cheval sur des makaras.

En dernière analyse, on peut faire remonter tous ces motifs iconographiques à des prototypes dont l’expression la plus ancienne, au moins d’après l’état présent des recherches, est sumérienne : c’est celle qui concerne Ea, fils et image d’Enki, dont le nom essentiel (Enki) signifie « le Seigneur des Eaux profondes ». Ea est le régent des fleuves, qui ont leur origine dans le monde souterrain et qui coulent de là pour fertiliser la terre ; il est aussi le maître des pierres précieuses. Dans l’iconographie, Ea est accompagnée du poisson-chèvre et tient dans ses mains le vase d’où l’eau coule, la source « du pain et de l’eau de la vie immortelle ». Ea a sept fils, dont Marduk, qui hérite de sa sagesse et tue le dragon Tiamat. Un autre fils est Dumuzi-abzu, le « Fils fidèle des Eaux nouvelles », le Pasteur, dont le nom, sous sa forme sémitique, est Tammuz, bien connu comme le « dieu mourant » de la végétation ; il est à maints égards comparable à Soma et, en tant que « Seigneur du Royaume des morts », à Yama. Les autres rapprochements que l’on peut faire avec les divinités sumériennes sont trop nombreux et trop complexes pour pouvoir être convenablement traités ici (29).
Il suffira d’avoir montré la large diffusion et l’ancienne origine de la figure de Khwâjâ Khizr, telle qu’on la rencontre dans l’ancienne iconographie de la Perse et de l’Inde. A propos de l’art mughal, on peut citer la remarque de H. Goetz qui, étudiant les osurces de cet art, observe qu’il offre, « tantôt une identité absolue, tantôt une parenté très étroite avec les arts des grandes civilisations de l’Ancien Orient, et notamment de l’époque sumérienne classique » (teils absolute Identitât teils engste Verwabdtschaft mit solchen der grossen altorientalischen Kulturen, und zwar zu gut Teilen schon der klassischen sumerischen Zeit) (30). Que la figure de Khizr acquière une certaine indépendance et une certaine prédominance justement dans l’art mughal du XVIIIe siècle – toutes les représentations indiennes que nous en avons vues étaient dans le « style de Lucknow » – semble indiquer qu’une renaissance de son culte a eu lieu à cette époque et dans cette région, surtout si l’on tient compte d’un autre fait, à savoir l’adoption du poisson comme emblème royal des princes d’Oudh.

(28 ) Par exemple, dans le baptistère de la Ravenne (Berchem et Clouzot, fig. lii et 220) ; là, Jourdain tient un vas d’où coulent les eaux.
(29) Au sujet des divinités sémitiques, cf. S. H. Langdon, Semitic Mythology, ch. II, pour le vase dont l’eau découle, etc. Van Buren, The Flowing Vase and the God with Streams, Berlin, 1933, et, pour ce qui concerne l’Inde, mon étude Yashkas, II. Au sujet des rapports iconographiques entre les représentations asiatiques du vase rempli et les représentations chrétiennes du vaisseau du Graal, cf. Gosse, Recherches sur quelques représentations Vase Eucharistique, Genève, 1894.
(30) Bilderatlas zur Kulturgeschichte Indiens in der Grossmoghul-Zeit, 1930, p.71.


Nous n’avons envisagé ici qu’un des aspects d’al-Khadir ; il en existe d’autres, notamment celui qui se rapporte plus proprement à son rôle initiatique. Ces autres aspects sont, bien entendu, en parfaite harmonie avec le premier ; mais ils donneraient lieu à de nouvelles considérations qui ne pourraient rentrer dans les limites de cette étude ».

 
La figure d’Al-Khidr selon René Guénon et Ananda Kentish Coomaraswamy Khidr-et-Ilyas-11


***

Le métaphysicien, mathématicien, logicien et grand connaisseur René Guénon apportera des éclaircissements et quelques corrections à cet article. Ci-dessous, des extraits de correspondances de René Guénon avec A.K. Coomaraswamy sur ce sujet :

 Le Caire, 5 novembre 1936 : « Votre étude sur « Khwaja Khadir » (ici, nous disons « Seyidna El-Khidr ») est très intéressante, et les rapprochements que vous y avez signalés sont tout à fait justes au point de vue symbolique ; mais ce que je puis vous assurer, c’est qu’il y là-dedans bien autre chose encore que de simples « légendes ». J’aurais beaucoup de choses à dire là-dessus, mais il est douteux que je ne les écrive jamais, car, en fait, ce sujet est un de ceux qui me touchent un peu trop directement… – Permettez-moi une petite rectification : El-Khidr n’est pas précisément « identifié » aux Prophètes Idris, Ilyâs, Girgis (st Georges) – (bien que naturellement, en un certain sens, tous les Prophètes soient « un ») ; ils sont seulement considérés comme appartenant à un même Ciel (celui du Soleil) ».

Se pourrait-il que René Guénon fut initié à un certain degré, ou sous certains rapports, par Al-Khidr (‘alayhî salâm), ou qu’il le rencontra sous certaines modalités ?


Le Caire, 6 février 1938 :
« Le numéro spécial des « E.T. » de cette année (août-septembre) sera très probablement consacré à la tradition islamique ; à ce propos, j’aurais encore une demande à vous adresser : pourriez-vous nous donner pour ce numéro votre article sur El-Khidr, en le complétant par certaines considérations qui, comme vous me l’avez dit, n’auraient pas été à leur place dans la revue où il a été publié primitivement, mais qui seraient au contraire tout à fait appropriées pour les « E.T. » ? Si cela était possible, j’en serais d’autant plus heureux que, de divers côtés, on réclame depuis longtemps déjà quelque chose sur ce sujet, mais que, pour bien des raisons, je préférerais qu’il soit traité par quelqu’un d’autre que moi… ».


Le Caire, 11 mars 1938 :
« Quant à l’article sur El-Khidr, j’espère que, malgré ce que vous en dites, vous voudrez bien vous décider à nous le donner tout de même ; il va de soi, d’ailleurs, qu’il ne s’agit pas de traiter la question d’une façon complète, ce qui est une chose tout à fait impossible. Je vais tâcher de voir quelles indications je pourrais vous suggérer sur certains points ; naturellement, il sera tout à fait inutile de mentionner que cela vient de moi… ».

Le Caire, 1er juin 1938 :
« Je viens de m’occuper de votre article d’El-Khidr aujourd’hui même ; et, tout d’abord, je dois dire que, contrairement à ce que vous pensiez, je ne le trouve pas trop long ainsi ; en effet, il s’agit d’un numéro spécial qui est pour deux mois (août-septembre), et qui doit avoir normalement un nombre de page à peu près double de celui d’un numéro ordinaire. D’autre part, il serait intéressant de pouvoir reproduire, comme illustration, les fig. 1 et 2 ; pensez-vous que ce soit possible malgré la réduction nécessitée par le format de la revue ? On supprimerait seulement la fig. 3 (et aussi, par conséquent le renvoi qui y est fait dans le texte, vers le milieu de la p. 178 ). – Pour le titre, il me semble qu’il serait suffisant de mettre : « Khwaja Khadir and the Fountain of Life », sans ajouter la suite, étant donné que ce n’est pas sur le côté « artistique » de la question qu’il y a lieu d’attirer plus spécialement l’attention. Quant à l’article lui-même, après y avoir encore réfléchi, je trouve qu’en définitive il serait difficile d’y faire des adjonctions sans que cela entraîne beaucoup trop loin. Il vaudrait donc mieux le laisser à peu près tel qu’il est, en modifiant seulement ce qui risquait de soulever certaines objections ou d’être interprété dans un sens qui serait en désaccord avec l’orthodoxie islamique. Je puis dire que j’ai examiné attentivement chaque mot à ce point de vue, et voici les modifications que je me permets de vous proposer :

« P. 173 ». – Au début : « In India the Saint and Prophet known as…», et après « Raja Kidar » ajouter entre parenthèse : « (in arabic, Seyidna El-Khidr) ».
Note 1: « In accordance with the meaning of his name, from « akhdar », « green ». »

Au commencement du 2ème paragraphe : «The nature and fonctions of Khwaja Khidr can be inferred at least partly, from his iconography…»

« P. 176». – Au début: « He is the gardian of the Water of Life and corresponds in this respect to Soma and Gandharva in Vedic mythology and even to Varuna himself thought it is evident that he cannot, either from the Islamic or from the latter Hindou point of vue, be properly identified with « deity », he is none the less, the direct expression or manifestation of a high spiritual power. We shall find these general conclusion amply confirmed by further examination of the Islamic text concerning al-Khadir ».
Ligne 6, remplacer « The legend » par « The narration ».
Supprimer la note 12, car « Bahrain » est ici simplement le duel de « bahr », « mer », et n’a pas de rapport avec l’île qui porte ce nom ; l’expression « Madjmâ al-Bahrain » signifie exactement « réunion des deux mers ».
Ligne 10 : « this story can be compared with three other ones belonging to older traditions, the Gilgamesh epic, …»
Note 13, au début, supprimer « Islamic Legend ».
Ligne 25, supprimez « in human form ».
« P. 177 ». – Note 18 : « The prophet Elias, who is considered as belonging to the « spiritual family » of Khizr.» (Leur identification, en effet, n’est qu’une interprétation inexacte des orientalistes.)
« P. 178 ». – A la fin du 1er paragraphe, on pourrait ajouter une note en référence à mon article « Quelques aspects du symbolisme du poisson » (numéro de février 1936), dans lequel j’ai parlé précisément de ce dont il s’agit à cet endroit.
Ligne 31: « That Andreas here is a distortion of the Idris… ».
Ligne 32: « Whom Islamic tradition identifies with Enoch and Hiram and considers, like Ilyas and also Saint George, as having a close spiritual affinity with al-Khadir ».
« P. 181 ». – Au début: « As to the ressemblance between al-Khadir and Saint George, it is in this connection…».
Ligne 11 : « To some European parallels » et supprimer la fin de la phrase.
Lignes 13-14 : Supprimez « Khadir belongs to the Wandering Jew type ». (Cette phrase ne pourrait être conservée qu’à la condition d’être suivie de longues explications, car elle soulève une question « dangereuse » et qu’il est préférable d’éviter, surtout à cause du roman de Gustav Meyrinck, « le Visage Vert » qui utilise cette assimilation d’un bout à l’autre, mais en la présentant d’une façon caricaturale, et dont l’inspiration est nettement « contre-initiatique »).
Ligne 33: « All these iconographical types…»

J’espère que vous voudrez bien accepter ces modifications, qui sont toutes importantes, bien que les raisons de quelques-unes d’entre elles ne soient peut-être évidentes que pour quelqu’un qui vit dans un milieu strictement islamique…

En outre, il serait peut être bon d’ajouter à la fin quelques lignes dont le sens serait à peu près celui-ci: « Nous n’avons envisagé ici qu’un des aspects d’Al-Khadir ; il est bien entendu qu’il en est d’autres, notamment celui qui se rapporte le plus proprement à son rôle initiatique, qui sont d’ailleurs en parfaite harmonie avec celui-là, mais qui donneraient lieu à d’autres considérations qui ne pouvaient rentrer dans les limites de cette étude. »

J’espère que vous aurez encore un exemplaire disponible, sur lequel les corrections pourraient être faites facilement, ce qui vous éviterait la peine d’une copie (et aussi à cause des illustrations). Je vous prierai lorsque ce sera fait, de vouloir bien l’envoyer directement à M. Préau, afin d’éviter tout retard, car il faudra naturellement qu’il ait le temps voulu pour le traduire.
Je pense n’avoir oublié aucune indication, et je vous remercie bien vivement à l’avance pour tout cela ».


Nous renvoyons également les lecteurs au bel ouvrage de Max Giraud intitulé L’énigme de Khidr en Islam (publié aux éditions Albouraq, en 2019), qui apporte de nombreux éléments intéressants."


Source : https://editions-hanif.com/la-figure-dal-khidr-selon-rene-guenon-et-ananda-kentish-coomaraswamy/
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Message par Alfihar Sam 19 Déc - 12:36

Pour revenir sur le makara, voici ce qu'en disait R. Guénon lorsqu'il évoque le Kâla-mukha :

"Pour en revenir à Kâla, la figuration composite connue à Java sous le nom de Kâla-makara, et dans laquelle les traits du lion sont combinés avec ceux du Makara, a aussi une signification essentiellement solaire, et en même temps, par son aspect de Makara, elle se réfère plus précisément au symbolisme de Varuna. En tant que celui-ci s’identifie à Mrityu ou à Yama 3, le Makara est le crocodile (shishumâra ou shimshumârî) aux mâchoires ouvertes qui se tient « contre le courant » représentant la voie unique par laquelle tout être doit passer nécessairement, et qui se présente ainsi comme le « gardien de la porte » qu’il doit franchir pour être libéré des conditions limitatives (symbolisées aussi par le pâsha de Varuna) qui le retiennent dans le domaine de l’existence contingente et manifestée 4. D’autre part, ce même Makara est, dans le Zodiaque hindou, le signe du Capricorne, c’est-à-dire la « porte des Dieux » 5 ; il a donc deux aspects apparemment opposés, « bénéfique » et « maléfique » si l’on veut, qui correspondent aussi à la dualité de Mitra et de Varuna (réunis en un couple indissoluble sous la forme duelle Mitrâvarunau), ou du « Soleil diurne » et du « Soleil nocturne », ce qui revient à dire que, suivant l’état auquel est parvenu l’être qui se présente devant lui, sa bouche est pour celui-ci la « porte de la Délivrance » ou les « mâchoires de la Mort »

[4] Voir Le passage des eaux. – Ce crocodile est l’Ammit des anciens Égyptiens, monstre qui attend le résultat de la psychostasis ou « pesée des âmes » pour dévorer ceux qui n’auront pas satisfait à cette épreuve. C’est aussi ce même crocodile qui, la gueule béante, guette le « fou » de la vingt et unième lame du Tarot ; ce « fou » est généralement interprété comme l’image du profane qui ne sait ni d’où il vient ni où il va, et qui marche aveuglément sans avoir conscience de l’abîme dans lequel il est sur le point de se précipiter.
[5] Voir Quelques aspects du symbolisme du poisson. – Au lieu de l’aspect du crocodile « dévorateur », le Makara revêt alors celui du dauphin « sauveur »


Denys Roman y fait également une curieuse allusion :

"Dans le n° de décembre 1967, nous noterons un article de M. Gabriel Manière à propos de la découverte, dans le pays de Comminges, de sculptures gallo-romaines représentant des Gorgones. Il s’agit de sculptures à usage funéraire, dont on connait d’autres exemples. Cela ne serait-il pas à rapprocher du Kâla-Mukha ? On peut aussi se demander si, dans la tradition égyptienne, certaines représentations du sphinx n’auraient pas jouer un rôle analogue. Le sphinx en lui-même n’a rien d’effrayant ni même de redoutable dans son aspect, mais il semble bien que le grand Sphinx de Gizeh ai joué le rôle de « gardien du seuil » à l’égard de la grande Pyramide, que les Arabes d’aujourd’hui considèrent comme le « tombeau d’Hermès ». Le nom qu’ils donnent au Sphinx, Abul-Hawl (Père de la Terreur) semble confirmer cette interprétation, que nous proposons ici sous notre propre responsabilité, mais qui n’est pas mentionnée dans l’article de M. Manière."
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