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Message par Ligeia Ven 7 Mai - 8:25

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Chapitre XXXII : Les limites du mental


Nous parlions tout à l’heure de la mentalité nécessaire à l’acquisition de la connaissance initiatique, mentalité toute différente de la mentalité profane, et à la formation de laquelle contribue grandement l’observation des rites et « formes extérieures en usage dans les organisations traditionnelles, sans préjudice de leurs autres effets d’un ordre plus profond ; mais il faut bien comprendre qu’il ne s’agit en cela que d’un stade préliminaire, ne correspondant qu’à une préparation encore toute théorique, et non point de l’initiation effective. Il y a lieu, en effet, d’insister sur l’insuffisance du mental à l’égard de toute connaissance d’ordre proprement métaphysique et initiatique ; nous sommes obligé d’employer ce terme de « mental », de préférence à tout autre, comme équivalent du sanscrit manas, parce qu’il s’y rattache par sa racine ; nous entendons donc par là l’ensemble des facultés de connaissance qui sont spécifiquement caractéristiques de l’individu humain (désigné aussi lui-même, dans diverses langues, par des mots ayant la même racine), et dont la principale est la raison.

Nous avons assez souvent précisé la distinction de la raison, faculté d’ordre purement individuel, et de l’intellect pur, qui est au contraire supra-individuel, pour qu’il soit inutile d’y revenir ici ; nous rappellerons seulement que la connaissance métaphysique, au vrai sens de ce mot, étant d’ordre universel, serait impossible s’il n’y avait dans l’être une faculté du même ordre, donc transcendante par rapport à l’individu : cette faculté est proprement l’intuition intellectuelle.
En effet, toute connaissance étant essentiellement une identification, il est évident que l’individu, comme tel, ne peut pas atteindre la connaissance de ce qui est au delà du domaine individuel, ce qui serait contradictoire ; cette connaissance n’est possible que parce que l’être qui est un individu humain dans un certain état contingent de manifestation est aussi autre chose en même temps : il serait absurde de dire que l’homme, en tant qu’homme et par ses moyens humains, peut se dépasser lui-même ; mais l’être qui apparaît en ce monde comme un homme est, en réalité, tout autre chose par le principe permanent et immuable qui le constitue dans son essence profonde (1).

1 Il s’agit ici de la distinction fondamentale du « Soi » et du « moi », ou de la personnalité et de l’individualité, qui est au principe même de la théorie métaphysique des états multiples de l’être.

Toute connaissance que l’on peut dire vraiment initiatique résulte d’une communication établie consciemment avec les états supérieurs; et c’est à une telle communication que se rapportent nettement, si on les entend dans leur sens véritable et sans tenir compte de l’abus qui en est fait trop souvent dans le langage ordinaire de notre époque, des termes comme ceux d’« inspiration » et de « révélation » (1).

La connaissance directe de l’ordre transcendant, avec la certitude absolue qu’elle implique, est évidemment, en elle-même, incommunicable et inexprimable ; toute expression, étant nécessairement formelle par définition même, et par conséquent individuelle (2), lui est par là, même inadéquate et ne peut en donner, en quelque sorte, qu’un reflet dans l’ordre humain. Ce reflet peut aider certains êtres à atteindre réellement cette même connaissance, en éveillant en eux les facultés supérieures, mais, comme nous l’avons déjà dit, il ne saurait aucunement les dispenser de faire personnellement ce que nul ne peut faire pour eux ; il est seulement un « support » pour leur travail intérieur. Il y a d’ailleurs, à cet égard, une grande différence à faire, comme moyens d’expression, entre les symboles et le langage ordinaire ; nous avons expliqué précédemment que les symboles, par leur caractère essentiellement synthétique, sont particulièrement aptes à servir de point d’appui à l’intuition intellectuelle, tandis que le langage, qui est essentiellement analytique, n’est proprement que l’instrument de la pensée discursive et rationnelle.

Encore faut il ajouter que les symboles, par leur coté « non-humain », portent en eux-mêmes une influence dont l’action est susceptible d’éveiller directement la faculté intuitive chez ceux qui les méditent de la façon voulue ; mais ceci se rapporte uniquement à leur usage en quelque sorte rituel comme support de méditation, et non point aux commentaires verbaux qu’il est possible de faire sur leur signification, et qui n’en représentent dans tous les cas qu’une étude encore extérieure (3).
Le langage humain étant étroitement lié, par sa constitution même, à l’exercice de la faculté rationnelle, il s’ensuit que tout ce qui est exprimé ou traduit au moyen de ce langage prend forcément, d’une façon plus ou moins explicite, une forme de « raisonnement » ; mais on doit comprendre qu’il ne peut cependant y avoir qu’une similitude tout apparente et extérieure, similitude de forme et non de fond; entre le raisonnement ordinaire, concernant les choses du domaine individuel qui sont celles auxquelles il est proprement et directement applicable, et celui qui est destiné à refléter, autant qu’il est possible, quelque chose des vérités d’ordre supra-individuel. C’est pourquoi nous avons dit que l’enseignement initiatique ne devait jamais prendre une forme « systématique », mais devait au contraire toujours s’ouvrir sur des possibilités illimitées, de façon à réserver la part de l’inexprimable, qui est en réalité tout l’essentiel ; et, par là, le langage lui-même, lorsqu’il est appliqué aux vérités de cet ordre, participe en quelque sorte au caractère des symboles proprement dits (4).

1 Ces deux mots désignent au fond la même chose, envisagée sous deux points de vue quelque peu différents : ce qui est « inspiration » pour l’être même qui le reçoit devient « révélation » pour les autres êtres à qui il le transmet, dans la mesure où cela est possible, en le manifestant extérieurement par un mode d’expression quelconque.
2 Nous rappellerons que la forme est, parmi les conditions de l’existence manifestée, celle qui caractérise proprement tout état individuel comme tel.
3 Ceci ne veut pas dire, bien entendu, que celui qui explique les symboles en se servant du langage ordinaire n’en a forcément lui-même qu’une connaissance extérieure, mais seulement que celle-ci est tout ce qu’il peut communiquer aux autres par de telles explications.
4 Cet usage supérieur du langage est surtout possible quand il s’agit des langues sacrées, qui précisément sont telles parce qu’elles sont constituées de telle sorte quelles portent en elles-mêmes ce caractère proprement symbolique ; il est naturellement beaucoup plus difficile avec les langues ordinaires, surtout lorsque celles-ci ne sont employées habituellement que pour exprimer des points de vue profanes comme c’est le cas pour les langues modernes.


Quoi qu’il en soit, celui qui, par l’étude d’un exposé dialectique quelconque, est parvenu à une connaissance théorique de certaines de ces vérités, n’en a pourtant encore aucunement par là une connaissance directe et réelle (ou plus exactement « réalisée »), en vue de laquelle cette connaissance discursive et théorique ne saurait constituer rien de plus qu’une simple préparation.

Cette préparation théorique, si indispensable qu’elle soit en fait, n’a pourtant en elle-même qu’une valeur de moyen contingent et accidentel ; tant qu’on s’en tient là, on ne saurait parler d’initiation effective, même au degré le plus élémentaire. S’il n’y avait rien de plus ni d’autre, il n’y aurait là en somme que l’analogue, dans un ordre plus élevé, de ce qu’est une « spéculation » quelconque se rapportant à un autre domaine (1), car une telle connaissance, simplement théorique, n’est que par le mental, tandis que la connaissance effective est « par l’esprit et l’âme », c’est-à-dire en somme par l’être tout entier. C’est d’ailleurs pourquoi, même en dehors du point de vue initiatique, les simples mystiques, sans dépasser les limites du domaine individuel, sont cependant, dans leur ordre qui est celui de la tradition exotérique, incontestablement supérieurs non seulement aux philosophes, mais même aux théologiens, car la moindre parcelle de connaissance effective vaut incomparablement plus que tous les raisonnements qui ne procèdent que du mental (2).
Tant que la connaissance n’est que par le mental, elle n’est qu’une simple connaissance « par reflet », comme celle des ombres que voient les prisonniers de la caverne symbolique de Platon, donc une connaissance indirecte et tout extérieure ; passer de l’ombre à la réalité, saisie directement en elle-même, c’est proprement passer de l’« extérieur » à l’« intérieur », et aussi, au point de vue où nous nous plaçons plus particulièrement ici, de l’initiation virtuelle à l’initiation effective. Ce passage implique la renonciation au mental, c’est-à-dire à toute faculté discursive qui est désormais devenue impuissante, puisqu’elle ne saurait franchir les limites qui lui sont imposées par sa nature même (3) ; l’intuition intellectuelle seule est au delà de ces limites, parce qu’elle n’appartient pas à l’ordre des facultés individuelles. On peut, en employant le symbolisme traditionnel fondé sur les correspondances organiques, dire que le centre de la conscience doit être alors transféré du « cerveau » au « cœur » (4) ; pour ce transfert, toute « spéculation » et toute dialectique ne sauraient évidemment plus être d’aucun usage ; et c’est à partir de là seulement qu’il est possible de parler véritablement d’initiation effective.  

1 On pourrait comparer une telle « spéculation », dans l’ordre ésotérique, non pas à la philosophie qui ne se réfère qu’a un point de vue tout profane, mais plutôt à. ce qu’est la théologie dans l’ordre traditionnel exotérique et religieux.
2 Nous devons préciser que cette supériorité des mystiques doit s’entendre exclusivement quant à leur état intérieur, car, d’un autre côté, il peut arriver, comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, que, faute de préparation théorique, ils soient incapables d’en exprimer quoi que ce soit d’une façon intelligible ; et, en outre, il faut tenir compte du fait que, en dépit de ce qu’ils ont vraiment « réalisé », ils risquent toujours de s’égarer, par la même qu’ils ne peuvent dépasser les possibilités de l’ordre individuel.
3 Cette renonciation ne veut aucunement dire que la connaissance dont il s’agit alors soit en quelque façon contraire ou opposée à la connaissance mentale, en tant que celle-ci est valable et légitime dans son ordre relatif, c’est- à-dire dans le domaine individuel ; on ne saurait trop redire, pour éviter toute équivoque à cet égard, que le « suprarationnel » n’a rien de commun avec l’« irrationnel ».
4 Il est à peine besoin de rappeler que le « cœur », pris symboliquement pour représenter le centre de l’individualité humaine envisagée dans son intégralité, est toujours mis en correspondance, par toutes les traditions, avec l’intellect pur, ce qui n’a absolument aucun rapport avec la « sentimentalité » que lui attribuent les conceptions profanes des modernes.

Le point où commence celle-ci est donc bien au delà de celui où finit tout ce qu’il peut y avoir de relativement valable dans quelque « spéculation » que ce soit ; entre l’un et l’autre, il y a un véritable abîme, que la renonciation au mental, comme nous venons de le dire, permet seule de franchir. Celui qui s’attache au raisonnement et ne s’en affranchit pas au moment voulu demeure prisonnier de la forme, qui est la limitation par laquelle se définit l’état individuel ; il ne dépassera donc jamais celui-ci, et il n’ira jamais plus loin que l’« extérieur », c’est-à-dire qu’il demeurera lié au cycle indéfini de la manifestation.

Le passage de l’« extérieur » à l’« intérieur », c’est aussi le passage de la multiplicité à l’unité, de la circonférence au centre, au point unique d’où il est possible à l’être humain, restauré dans les prérogatives de l’« état primordial », de s’élever aux états supérieurs (1) et, par la réalisation totale de sa véritable essence, d’être enfin effectivement et actuellement ce qu’il est potentiellement de toute éternité. Celui qui se connaît soi-même dans la « vérité » de l’« Essence » éternelle et infinie (2), celui-là connait et possède toutes choses en soi-même et par soi-même, car il est parvenu à l’état inconditionné qui ne laisse hors de soi aucune possibilité, et cet état, par rapport auquel tous les autres, si élevés soient-ils, ne sont réellement encore que des stades préliminaires sans aucune commune mesure avec lui (3), cet état qui est le but ultime de toute initiation, est proprement ce qu’on doit entendre par l’« Identité Suprême ».

1 Cf. L’Ésotérisme de Dante, pp. 58-61.
2 Nous prenons ici le mot « vérité » dans le sens du terme arabe haqîqah, et le mot « Essence » dans le sens d’Edh-Dhât. — À ceci se rapporte dans la tradition islamique ce hadîth : « Celui qui se connaît soi-même connaît son Seigneur » (Man arafa nafsahu faqad arafa Rabbahu) ; et cette connaissance est obtenue par ce qui est appelé l’« œil du cœur » (aynul-qalb), qui n’est autre chose que l’intuition intellectuelle elle-même, ainsi quel’expriment ces paroles d’El•Hallâj : « Je vis mon Seigneur par l’œil de mon cœur, et je dis : qui es-tu ? Il dit : Toi » (Raaytu Rabbî bi-ayni qalbî, faqultu man anta, qâla anta).
3 Ceci ne doit pas s’entendre seulement des états qui ne correspondent qu’à des extensions de l’individualité, mais aussi des états supra-individuels encore conditionnés.



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Message par Ligeia Ven 14 Mai - 10:56

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Chapitre XXXIII : Connaissance initiatique et « culture » profane.


Nous avons déjà fait remarquer précédemment qu’il faut bien se garder de toute confusion entre la connaissance doctrinale d’ordre initiatique, même lorsqu’elle n’est encore que théorique et simplement préparatoire à la « réalisation », et tout ce qui est instruction purement extérieure ou savoir profane, qui est en réalité sans aucun rapport avec cette connaissance. Cependant, nous devons insister encore plus spécialement sur ce point, car nous n’avons eu que trop souvent à en constater la nécessité : il faut en finir avec le préjugé trop répandu qui veut que ce qu’on est convenu d’appeler la « culture », au sens profane et « mondain », ait une valeur quelconque, ne fût-ce qu’à titre de préparation, vis-à-vis de la connaissance initiatique alors qu’elle n’a et ne peut avoir véritablement aucun point de contact avec celle-ci.

En principe, il s’agit bien là, purement et simplement, d’une absence de rapport : l’instruction profane, à quelque degré qu’on l’envisage, ne peut servir en rien à la connaissance initiatique, et (toutes réserves faites sur la dégénérescence intellectuelle qu’implique l’adoption du point de vue profane lui-même) elle n’est pas non plus incompatible avec elle (1) ; elle apparaît uniquement, à cet égard, comme une chose indifférente, au même titre que l’habileté manuelle acquise dans l’exercice d’un métier mécanique, ou encore que la « culture physique » qui est si fort à la mode de nos jours.
Au fond, tout cela est exactement du même ordre pour qui se place au point de vue qui nous occupe ; mais le danger est de se laisser prendre à l’apparence trompeuse d’une prétendue « intellectualité » qui n’a absolument rien à voir avec l’intellectualité pure et véritable, et l’abus constant qui est fait précisément du mot « intellectuel » par nos contemporains suffit à prouver que ce danger n’est que trop réel. Il en résulte souvent, entre autres inconvénients, une tendance à vouloir unir ou plutôt mêler entre elles des choses qui sont d’ordre totalement différent ; sans reparler à ce propos de l’intrusion d’un genre de « spéculation » tout profane dans certaines organisations initiatiques occidentales, nous rappellerons seulement la vanité, que nous avons eu maintes occasions de signaler, de toutes les tentatives faites pour établir un lieu ou une comparaison quelconque entre la science moderne et lu connaissance traditionnelle (2).

(1) Il est évident que, notamment, celui qui reçoit dès son enfance l’instruction profane et « obligatoire » dans les écoles ne saurait en être tenu pour responsable, ni être regardé pour cela comme « disqualifié » pour l’initiation ; toute la question est de savoir quelle « empreinte » il en gardera par la suite, car c’est là ce qui dépend réellement de ses possibilités propres.
(2) Cf. notamment Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XVIII et XXXII.


Certains vont même, en ce sens, jusqu’à prétendre trouver dans la première des « confirmations » de la seconde, comme si celle-ci, qui repose sur les principes immuables, pouvait tirer le moindre bénéfice d’une conformité accidentelle et tout extérieure avec quelques-uns des résultats hypothétiques et sans cesse changeants de cette recherche incertaine et tâtonnante que les modernes se plaisent à décorer du nom de « science » !

Mais ce n’est pas sur ce côté de la question que nous avons à insister surtout présentement, ni même sur le danger qu’il peut y avoir, lorsqu’on accorde une importance exagérée à ce savoir inférieur (et souvent même tout à fait illusoire), d’y consacrer toute son activité au détriment d’une connaissance supérieure, dont la possibilité même arrivera ainsi à être totalement, méconnue ou ignorée. On ne sait que trop que ce cas est en effet celui de l’immense majorité de nos contemporains ; et, pour ceux-là, la question d’un rapport avec la connaissance initiatique, ou même traditionnelle en général, ne se pose évidemment plus, puisqu’ils ne soupçonnent même pas l’existence d’une telle connaissance.
Mais, sans même aller jusqu’à cet extrême, l’instruction profane peut constituer bien souvent en fait, sinon en principe, un obstacle à l’acquisition de la véritable connaissance, c’est-à-dire tout le contraire d’une préparation efficace, et cela pour diverses raisons sur lesquelles nous devons maintenant nous expliquer un peu plus en détail. D’abord, l’éducation profane impose certaines habitudes mentales dont il peut être plus ou moins difficile de se défaire par la suite ; il n’est que trop aisé de constater que les limitations et même les déformations qui sont l’ordinaire conséquence de l’enseignement universitaire sont souvent irrémédiables ; et, pour échapper entièrement à cette fâcheuse influence, il faut des positions spéciales qui ne peuvent être qu’exceptionnelles.
Nous parlons ici d’une façon tout à fait générale, et nous n’insisterons pas sur tels inconvénients plus particuliers, comme l’étroitesse de vues qui résulte inévitablement de la « spécialisation », ou la « myopie intellectuelle » qui est l’habituel accompagnement de l’« érudition » cultivée pour elle-même ; ce qu’il est essentiel d’observer, c’est que, si la connaissance profane en elle-même est simplement indifférente, les méthodes par lesquelles elle est inculquée sont en réalité la négation même de celles qui ouvrent l’accès à la connaissance initiatique.

Ensuite, il faut tenir compte, comme d’un obstacle qui est loin d’être négligeable, de cette sorte d’infatuation qui est fréquemment causée par un prétendu savoir, et qui est même, chez bien des gens, d’autant plus accentuée que ce savoir est plus élémentaire, inférieur et incomplet ; d’ailleurs, même sans sortir des contingences de la « vie ordinaire », les méfaits de l’instruction primaire à cet égard sont aisément reconnus de tous ceux que n’aveuglent pas certaines idées préconçues. Il est évident que, de deux ignorants, celui qui se rend compte qu’il ne sait rien est dans une disposition beaucoup plus favorable à l’acquisition de la connaissance que celui qui croit savoir quelque chose ; les possibilités naturelles du premier sont intactes, pourrait-on dire, tandis que celles du second sont comme « inhibées » et ne peuvent plus se développer librement. D’ailleurs, même en admettant une égale bonne volonté chez les deux individus considérés, il n’en resterait pas moins, dans tous les cas, que l’un d’eux aurait tout d’abord à se débarrasser des idées fausses dont son mental est encombré, tandis que l’autre serait tout au moins dispensé de ce travail préliminaire et négatif, qui représente un des sens de ce que l’initiation maçonnique désigne symboliquement comme le « dépouillement des métaux ».

On peut s’expliquer facilement par là un fait que nous avons eu fréquemment l’occasion de constater en ce qui concerne les gens dits « cultivés » ; on sait ce qui est entendu communément par ce mot : il ne s’agit même pas là d’une instruction tant soit peu solide, si limitée et si inférieure qu’en soit la portée, mais d’une « teinture » superficielle de toute sorte de choses, d’une éducation surtout « littéraire », en tout cas purement livresque et verbale, permettant de parler avec assurance de tout, y compris ce qu’on ignore le plus complètement, et susceptible de faire illusion à ceux qui, séduits par ces brillantes apparences, ne s’aperçoivent pas qu’elles ne recouvrent que le néant. Cette « culture » produit généralement, à un autre niveau, des effets assez comparables à ceux que nous rappelions tout à l’heure au sujet de l’instruction primaire ; il y a certes des exceptions, car il peut arriver que celui qui a reçu une telle « culture » soit doué d’assez heureuses dispositions naturelles pour ne l’apprécier qu’à sa juste valeur et ne point en être dupe lui-même ; mais nous n’exagérons rien en disant que, en dehors de ces exceptions, la grande majorité des gens « cultivés » doivent être comptés parmi ceux dont l’état mental est le plus défavorable à la réception de la véritable connaissance.
Il y a chez eux, vis-à-vis de celle-ci, une sorte de résistance souvent inconsciente, parfois aussi voulue ; ceux mêmes qui ne nient pas formellement, de parti pris et a priori, tout ce qui est d’ordre ésotérique ou initiatique, témoignent du moins à cet égard d’un manque d’intérêt complet, et il arrive même qu’ils affectent de faire étalage de leur ignorance de ces choses, comme si elle était à leurs propres yeux une des marques de la supériorité que la « culture » est censée leur conférer !

Qu’on ne croie pas qu’il y ait là de notre part la moindre intention caricaturale ; nous ne faisons que dire exactement ce que nous avons vu en maintes circonstances, non seulement en Occident, mais même en Orient, où d’ailleurs ce type de l’homme « cultivé » a heureusement assez peu d’importance, n’ayant fait son apparition que très récemment et comme produit d’une certaine éducation « occidentalisée », d’où il résulte, notons-le en passant, que cet homme « cultivé » est nécessairement en même temps un « moderniste » (1). La conclusion à tirer de là, c’est que les gens de cette sorte sont tout simplement les moins « initiables » des profanes, et qu’il serait parfaitement déraisonnable de tenir le moindre compte de leur opinion, ne fût-ce que pour essayer d’y adapter la présentation de certaines idées ; du reste, il convient d’ajouter que le souci de l’« opinion publique » en général est une attitude aussi « anti-initiatique » que possible.

(1) Sur les rapports de ce « modernisme » avec l’opposition à tout ésotérisme, voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch XI.

Nous devons encore, à cette occasion, préciser un autre point qui se rattache étroitement à ces considérations : c’est que toute connaissance exclusivement « livresque » n’a rien de commun avec la connaissance initiatique, même envisagée à son stade simplement théorique. Cela peut même paraître évident après ce que nous venons de dire, car tout ce qui n’est qu’étude livresque fait incontestablement partie de l’éducation la plus extérieure ; si nous y insistons, c’est qu’on pourrait se méprendre dans le cas où cette étude porte sur des livres dont le contenu est d’ordre initiatique. Celui qui lit de tels livres à la façon des gens « cultivés », ou même celui qui les étudie à la façon des « érudits » et selon les méthodes profanes, n’en sera pas pour cela plus rapproché de la véritable connaissance, parce qu’il y apporte des dispositions qui ne lui permettent pas d’en pénétrer le sens réel ni de se l’assimiler à un degré quelconque ; l’exemple des orientalistes, avec l’incompréhension totale dont ils font généralement preuve, en est une illustration particulièrement frappante.

Tout autre est le cas de celui qui, prenant ces mêmes livres comme « supports » de son travail intérieur, ce qui est le rôle auquel ils sont essentiellement destinés, sait voir au delà des mots et trouve dans ceux-ci une occasion et un point d’appui pour le développement de ses propres possibilités ; ici, on en revient en somme à l’usage proprement symbolique dont le langage est susceptible, et dont nous avons déjà parlé précédemment.

Ceci, on le comprendra sans peine, n’a plus rien de commun avec la simple étude livresque, bien que les livres en soient le point de départ ; le fait d’entasser dans sa mémoire des notions verbales n’apporte pas même l’ombre d’une connaissance réelle ; seule compte la pénétration de l’« esprit » enveloppé sous les formes extérieures, pénétration qui suppose que l’être porte en lui-même des possibilités correspondantes, puisque toute connaissance est essentiellement identification ; et, sans cette qualification inhérente à la nature même de cet être, les plus hautes expressions de la connaissance initiatique, dans la mesure où elle est exprimable, et les Ecritures sacrées de toutes les traditions elles-mêmes, ne seront jamais que « lettre morte » et flatus vocis.



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Message par Ligeia Jeu 20 Mai - 8:03

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Chapitre XXXIV : MENTALITÉ SCOLAIRE ET PSEUDO-INITIATION


Une des marques caractéristiques de la plupart des organisations pseudo-initiatiques modernes est la façon dont elles usent de certaines comparaisons empruntées à la « vie ordinaire », c’est-à-dire en somme à l’activité profane sous l’une ou l’autre des formes qu’elle revêt le plus couramment dans le monde contemporain. Il ne s’agit même pas là seulement d’analogies qui, malgré la fâcheuse banalité des images ainsi employées et le fait qu’elles sont aussi éloignées que possible de tout symbolisme traditionnel, pourraient encore être plus ou moins valables dans certaines limites ; plus ou moins, disons-nous, car il ne faut pas oublier que, au fond, le point de vue profane comme tel comporte toujours en lui-même quelque chose d’illégitime, en tant qu’il est une véritable négation du point de vue traditionnel ; mais ce qui est plus grave encore, c’est que ces choses sont prises de la façon la plus littérale, allant jusqu’à une sorte d’assimilation de prétendues réalités spirituelles à des formes d’activité qui, du moins dans les conditions actuelles, sont proprement à l’opposé de toute spiritualité.

C’est ainsi que, dans certaines écoles occultistes que nous avons connues jadis, il n’était question sans cesse que de « dettes à payer », et cette idée était poussée jusqu’à l’obsession ; dans le théosophisme et ses différents dérivés plus ou moins directs, c’est surtout de « leçons à apprendre » qu’il s’agit constamment, et tout y est décrit en termes « scolaires », ce qui nous ramène encore à la confusion de la connaissance initiatique avec l’instruction profane.
L’univers tout entier n’est conçu que comme une vaste école dans laquelle les êtres passent d’une classe à une autre à mesure qu’ils ont « appris leurs leçons » ; la représentation de ces classes successives est d’ailleurs intimement liée à la conception « réincarnationniste », mais ce n’est pas ce point qui nous intéresse présentement, car c’est sur l’erreur inhérente à ces images « scolaires » et sur la mentalité essentiellement profane dont elles procèdent que nous nous proposons d’appeler l’attention, indépendamment de la relation qu’elles peuvent avoir en fait avec telle ou telle théorie particulière.

L’instruction profane, telle qu’elle est constituée dans le monde moderne, et sur laquelle sont modelées toutes les représentations en question, est évidemment une des choses qui présentent au plus haut point le caractère anti-traditionnel ; on peut même dire qu’elle n’est faite en quelque sorte que pour cela, ou du moins que c’est dans ce caractère que réside sa première et principale raison d’être, car il est évident que c’est là un des instruments les plus puissants dont on puisse disposer pour parvenir à la destruction de l’esprit traditionnel. Il est inutile d’insister ici une fois de plus sur ces considérations ; mais il est un autre point qui peut sembler moins évident à première vue, et qui est celui-ci : même si une telle déviation ne s’était pas produite, de semblables représentations « scolaires » seraient encore erronées dès qu’on prétend les appliquer à l’ordre initiatique, car l’instruction extérieure, bien qu’alors elle ne soit pas profane comme elle l’est actuellement, et qu’elle soit au contraire légitime et même traditionnelle dans son ordre, n’en est pas moins, par sa nature et sa destination même, quelque chose d’entièrement différent de ce qui se rapporte au domaine initiatique.
Il y aurait donc là, dans tous les cas, une confusion entre l’exotérisme et l’ésotérisme, confusion qui témoigne non seulement d’une ignorance de la véritable nature de l’ésotérisme, mais même d’une perte du sens traditionnel en général, et qui, par conséquent, est bien, en elle-même, une manifestation de la mentalité profane ; mais, pour le faire comprendre mieux encore, il convient de préciser un peu plus que nous ne l’avons fait jusqu’ici certaines des différences profondes qui existent entre l’instruction extérieure et l’initiation, ce qui fera d’ailleurs apparaitre plus nettement un défaut qui se rencontre déjà dans certaines organisations initiatiques authentiques, mais en état de dégénérescence, et qui naturellement se retrouve à plus forte raison, accentué jusqu’à la caricature, dans les organisations pseudo-initiatiques auxquelles nous avons fait allusion.

À ce propos, nous devons dire tout d’abord qu’il y a, dans l’enseignement universitaire lui-même, ou plutôt à son origine, quelque chose qui est beaucoup moins simple et même plus énigmatique qu’on ne le croit d’ordinaire, faute de se poser une question qui devrait pourtant se présenter immédiatement à la pensée de quiconque est capable de la moindre réflexion : s’il est une vérité évidente, en effet, c’est qu’on ne peut pas conférer ou transmettre à d’autres quelque chose qu’on ne possède pas soi-même (213) ; comment donc les grades universitaires ont-ils pu être institués tout d’abord, si ce n’est par l’intervention, sous une forme ou sous une autre, d’une autorité d’ordre supérieur ?
Il doit donc y avoir eu là une véritable « extériorisation » (214), qui peut aussi être considérée en même temps comme une « descente » dans cet ordre inférieur auquel appartient nécessairement tout enseignement « public », fût-il constitué sur les bases les plus strictement traditionnelles (nous l’appellerions alors volontiers « scolastique », suivant l’usage du moyen âge, pour réserver de préférence au mot « scolaire » le sens profane habituel) ; et c’est d’ailleurs en vertu de cette « descente » que cet enseignement pouvait participer effectivement, dans les limites de son domaine propre, à l’esprit même de la tradition.

213 Nous avons vu un écrivain maçonnique affirmer qu’« il a bien fallu que le premier initié s’initie lui-même », et cela avec l’intention évidente de nier l’origine « non-humaine » de l’initiation ; il serait difficile de pousser l’absurdité plus loin, comme nous l’avons montré en expliquant quelle est la véritable nature de l’initiation ; mais, dans quelque domaine que ce soit, il n’est guère moins absurde de supposer que quelqu’un ait pu se donner à lui-même ce qu’il n’avait pas, et à plus forte raison le transmettre ; nous avons déjà soulevé ailleurs une question de ce genre au sujet du caractère éminemment suspect de la transmission psychanalytique (Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXIV).
214 Nous avons déjà parlé d’une telle « extériorisation », dans un autre ordre, à propos du rapport qui existe entre certains rites exotériques et des rites initiatiques.


Cela s’accorde bien, d’une part, avec ce qu’on sait des caractères généraux de l’époque à laquelle remonte l’origine des Universités, c’est-à-dire du moyen âge, et aussi, d’autre part et plus particulièrement, avec le fait trop peu remarqué que la distinction de trois grades universitaires est assez manifestement calquée sur la constitution d’une hiérarchie initiatique (215).

Nous rappelons également, à cet égard, que, comme nous l’avons déjà indiqué ailleurs (216), les sciences du trivium et du quadrivium, en même temps qu’elles représentaient, dans leur sens exotérique, des divisions d’un programme d’enseignement universitaire, étaient aussi, par une transposition appropriée, mises en correspondance avec des degrés d’initiation (217) ; mais il va de soi qu’une telle correspondance, respectant rigoureusement les rapports normaux des différents ordres, ne saurait en aucune façon impliquer le transport, dans le domaine initiatique, de choses telles qu’un système de classes et d’examens comme celui que comporte forcément l’enseignement extérieur. il est à peine besoin d’ajouter que, les Universités occidentales ayant été, dans les temps modernes, complètement détournées de leur esprit originel, et ne pouvant plus dès lors avoir le moindre lien avec un principe supérieur capable de les légitimer, les grades qui y ont été conservés, au lieu d’être comme une image extérieure de grades initiatiques, n’en sont plus qu’une simple parodie, de même qu’une cérémonie profane est la parodie ou la contrefaçon d’un rite, et que les sciences profanes elles-mêmes sont, sous plus d’un rapport, une parodie des sciences traditionnelles ; ce dernier cas est d’ailleurs tout à fait comparable à celui des grades universitaires, qui, s’ils se sont maintenus d’une façon continue, représentent actuellement un véritable « résidu » de ce qu’ils ont été à l’origine, comme les sciences profanes sont, ainsi que nous l’avons expliqué en plus d’une occasion, un « résidu » des anciennes sciences traditionnelles.

215 Les trois grades de bachelier, de licencié et de docteur reproduisent la division ternaire qui est fréquemment adoptée par les organisations initiatiques, et qui se trouve notamment dans la Maçonnerie avec les trois grades d’Apprenti, de Compagnon et de Maître.
216 Voir L’Ésotérisme de Dante, pp. 10-15.
217 On a alors une autre division, non plus ternaire, mais septénaire, qui était notamment en usage dans l’organisation médiévale des « Fidèles d’Amour », et aussi, dans l’antiquité, dans les mystères mithriaques ; dans ces deux cas, les sept degrés ou « échelons » de l’initiation étaient pareillement mis en rapport avec les sept cieux planétaires.

Nous avons tout à l’heure fait allusion aux examens, et c’est sur ce point que nous voudrions maintenant insister quelque peu : ces examens, comme on peut d’ailleurs le constater par leur pratique constante dans les civilisations les plus différentes, sont à leur place et ont leur raison d’être dans l’enseignement extérieur, même traditionnel, où par définition en quelque sorte, on ne dispose d’aucun critère d’un autre ordre ; mais, quand il s’agit au contraire d’un domaine purement intérieur comme celui de l’initiation, ils deviennent complètement vains et inefficaces, et ils ne pourraient normalement jouer tout au plus qu’un rôle exclusivement symbolique, à peu près comme le secret concernant certaines formes rituelles n’est qu’un symbole du véritable secret initiatique ; ils sont d’ailleurs parfaitement inutiles dans une organisation initiatique tant que celle-ci est véritablement tout ce qu’elle doit être.

Seulement, en fait, il faut tenir compte de certains cas de dégénérescence, ou personne n’étant plus capable d’appliquer les critères réels (surtout en raison de l’oubli complet des sciences traditionnelles qui seules peuvent les fournir, ainsi que nous l’avons dit à propos des qualifications initiatiques), on y supplée autant qu’on le peut en instituant, pour le passage d’un degré à un autre, des examens plus ou moins similaires dans leur forme, sinon dans leur programme, aux examens universitaires, et qui, comme ceux-ci ne peuvent en somme porter que sur des choses « apprises », de même que, en l’absence d’une autorité intérieure effective, on institue des formes administratives comparables à celles des gouvernements profanes.
Ces deux choses, n’étant au fond que deux effets d’une même cause, apparaissent d’ailleurs comme assez étroitement liées entre elles, et on les constate presque toujours simultanément dans les mêmes organisations ; on les retrouve aussi associées l’une à l’autre, non seulement en réalité, mais encore en tant que représentations imaginaires, dans les organisations pseudo-initiatiques : ainsi, les théosophistes, qui usent si volontiers des images « scolaires », conçoivent d’autre part ce qu’ils appellent le « gouvernement occulte du monde » comme divisé en différents « départements », dont les attributions s’inspirent trop manifestement de celles des ministères et des administrations du monde profane.

Cette dernière remarque nous amène du reste à reconnaître quelle peut être la principale source des erreurs de ce genre : c’est que les inventeurs d’organisations pseudo-initiatiques, ne connaissant, même du dehors, aucune organisation authentiquement initiatique autre que celles qui sont arrivées à cet état de dégénérescence (et il est tout naturel qu’il en soit ainsi, puisque ce sont les seules qui subsistent encore de nos jours dans le monde occidental), n’ont cru pouvoir faire mieux que de les imiter, et, inévitablement, ils les ont imitées dans ce qu’elles ont de plus extérieur, qui est aussi ce qui est le plus affecté par la dégénérescence en question et où elle s’affirme le plus nettement par des choses comme celles que nous venons d’envisager ; et, non contents d’introduire cette imitation dans la constitution de leurs propres organisations, ils l’ont pour ainsi dire projetée en imagination dans un « autre monde », c’est-à-dire dans la représentation qu’ils se font du monde spirituel ou de ce qu’ils croient être tel.
Le résultat est que, tandis que les organisations initiatiques, tant qu’elles n’ont subi aucune déviation, sont constituées à l’image du véritable monde spirituel, la caricature de celui-ci se trouve, inversement, être à l’image des organisations pseudo-initiatiques, qui, elles-mêmes, en voulant copier certaines organisations initiatiques pour s’en donner les apparences, n’en ont pris en réalité que les côtés déformés par des emprunts au monde profane.

Qu’il s’agisse d’organisations initiatiques plus ou moins dégénérées ou d’organisations pseudo-initiatiques, on voit que ce qui se produit ainsi, par l’introduction des formes profanes, est exactement l’inverse de la « descente » que nous envisagions en parlant de l’origine des institutions universitaires, et par laquelle, dans une époque de civilisation traditionnelle, l’exotérique se modelait en quelque façon sur l’ésotérique, et l’inférieur sur le supérieur ; mais la grande différence entre les deux cas est que, dans celui d’une initiation amoindrie ou même déviée jusqu’à un certain point, la présence de ces formes parasites n’empêche pas que la transmission d’une influence spirituelle existe toujours malgré tout, tandis que, dans celui de la pseudo-initiation, il n’y a derrière ces même formes que le vide pur et simple.

Ce dont les promoteurs de la pseudo-initiation ne se doutent certes pas, c’est que, en transportant leurs idées « scolaires » et autres choses du même genre jusque dans leur représentation de l’ordre universel, ils ont tout simplement mis eux-mêmes sur celle-ci la marque de leur mentalité profane ; ce qui est le plus regrettable, c’est que ceux à qui ils présentent ces conceptions fantaisistes ne sont pas davantage capables de discerner cette marque, qui, s’ils pouvaient se rendre compte de tout ce qu’elle signifie, devrait suffire à les mettre en garde contre de telles entreprises et même à les en détourner à jamais.


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Message par Ligeia Mar 25 Mai - 8:33


  • « C’est aussi dans ce même domaine des « petits mystères », et là seulement, que la contre-initiation est susceptible de s’opposer à l’initiation véritable et d’entrer en lutte avec elle ; celui des « grands mystères », qui se rapporte aux états supra-humains et à l’ordre purement spirituel, est, par sa nature même, au delà d’une telle opposition, donc entièrement fermé à tout ce qui n’est pas la vraie initiation selon l’orthodoxie traditionnelle. »



  • « Il y en a qui, au fond, ne s’intéressent que très médiocrement aux doctrines, mais qui, ayant constaté le succès qu’ont ces choses dans un milieu assez étendu, trouvent bon de profiter de cette «mode» […] ; ceux-là sont d’ailleurs beaucoup plus «éclectiques» que les premiers, et ils répandent indistinctement tout ce qui leur paraît être de nature à satisfaire les goûts d’une certaine «clientèle», ce qui est évidemment leur principale préoccupation, même quand ils croient devoir afficher quelques prétentions à la «spiritualité». Bien entendu, nous ne voulons citer aucun nom, mais nous pensons que beaucoup de nos lecteurs pourront facilement trouver eux-mêmes quelques exemples de l’un et de l’autre cas. »

 


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Chapitre XXXV : Initiation et « passivité »


Nous avons dit plus haut que tout ce qui relève de la connaissance initiatique ne saurait aucunement être l’objet de discussions quelconques, et que d’ailleurs la discussion en général est, si l’on peut dire, un procédé profane par excellence ; certains ont prétendu tirer de ce fait la conséquence que l’enseignement initiatique devait être reçu « passivement », et ont même voulu en faire un argument dirigé contre l’initiation elle-même.
Il y a là encore une équivoque qu’il importe tout particulièrement de dissiper : l’enseignement initiatique, pour être réellement profitable, demande naturellement une attitude mentale « réceptive », mais « réceptivité » n’est aucunement synonyme de « passivité » ; et cet enseignement exige au contraire, de la part de celui qui le reçoit, un effort constant d’assimilation, qui est bien quelque chose d’essentiellement actif, et même au plus haut degré qu’on puisse concevoir.
En réalité, c’est bien plutôt à l’enseignement profane qu’on pourrait adresser, avec quelque raison, le reproche de passivité, puisqu’il ne se propose d’autre but que de fournir des données qui doivent être «apprises», bien plutôt que comprises, c’est-à-dire que l’élève doit simplement enregistrer et emmagasiner dans sa mémoire, sans qu’elles soient l’objet d’aucune assimilation réelle ; par le caractère tout extérieur de cet enseignement et de ses résultats, l’activité personnelle et intérieure se trouve évidemment réduite au minimum, si même elle n’est tout à fait inexistante.

Il y a d’ailleurs, au fond de l’équivoque dont il s’agit, quelque chose de beaucoup plus grave encore ; en effet, nous avons souvent remarqué, chez ceux qui prétendent se poser en adversaires de l’ésotérisme, une fâcheuse tendance à la confondre avec ses contrefaçons, et, par suite, à englober dans les mêmes attaques les choses qui sont en réalité les plus différentes, voire même les plus opposées.
Il y a là encore, évidemment, un exemple de l’incompréhension moderne ; l’ignorance de tout ce qui touche au domaine ésotérique et initiatique est si complète et si générale, à notre époque, qu’on ne peut s’étonner de rien à cet égard, et ce peut être une excuse, dans bien des cas, pour ceux qui agissent ainsi ; pourtant, on est parfois tenté de se demander si c’est bien là une explication suffisante pour qui veut aller plus au fond des choses.

D’abord, il va de soi que cette incompréhension et cette ignorance mêmes rentrent dans le plan de destruction de toute idée traditionnelle dont la réalisation se poursuit à travers toute la période moderne, et que, par conséquent, elles ne peuvent être que voulues et entretenues par les influences subversives qui travaillent à cette destruction ; mais, outre cette considération d’ordre tout à fait général, il semble qu’il y ait encore, dans ce à quoi nous faisons allusion, quelque chose qui répond à un dessein plus précis et nettement défini.

En effet, quand on voit confondre délibérément l’initiation avec la pseudo-initiation et même avec la contre-initiation, en mêlant le tout de façon si inextricable que nul ne puisse plus s’y reconnaître, il est vraiment bien difficile, pour peu qu’on soit capable de quelque réflexion, de ne pas se demander, à qui ou à quoi profitent toutes ces confusions.
Bien entendu, ce n’est pas une question de bonne ou de mauvaise foi que nous voulons poser ici ; elle n’aurait d’ailleurs qu’une importance très secondaire, car la malfaisance des idées fausses qui sont ainsi répandues ne s’en trouve ni augmentée ni diminuée ; et il est très possible que le parti pris même dont certains font preuve soit uniquement dû à ce qu’ils obéissent inconsciemment à quelque suggestion.

Ce qu’il faut en conclure, c’est que les ennemis de la tradition initiatique ne font pas de dupes que parmi ceux qu’ils attirent dans les organisations qu’ils « contrôlent » directement ou indirectement, et que ceux mêmes qui croient les combattre sont quelquefois, en fait, des instruments tout aussi utiles, quoique d’une autre façon, pour les fins qu’ils se proposent. Il est doublement avantageux pour la contre-initiation, quand elle ne peut réussir à dissimuler entièrement ses procédés et ses buts, de faire attribuer les uns et les autres à l’initiation véritable, puisque par là elle nuit incontestablement à celle-ci, et que, en même temps, elle détourne le danger qui la menace elle-même en égarant les esprits qui pourraient se trouver sur la voie de certaines découvertes.

Ces réflexions, nous nous les sommes faites bien des fois (1), et encore, en particulier, à propos d’un livre publié il y a quelques années, en Angleterre, par un ancien membre de certaines organisations d’un caractère essentiellement suspect, nous voulons dire d’organisations pseudo-initiatiques qui sont parmi celles où se distingue le plus nettement la marque d’une influence de la contre-initiation ; bien qu’il les ait quittées et qu’il se soit même tourné ouvertement contre elles, il n’en est pas moins demeuré fortement affecté par l’enseignement qu’il y a reçu, et cela est surtout visible dans la conception qu’il se fait de l’initiation.
Cette conception, où domine précisément l’idée de la « passivité », est assez étrange pour mériter d’être relevée plus spécialement ; elle sert d’idée directrice à ce qui veut être une histoire des organisations initiatiques, ou soi-disant telles, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, histoire éminemment fantaisiste, où tout est brouillé de la façon que nous disions tout à l’heure, et qui s’appuie sur de multiples citations hétéroclites et dont la plupart sont empruntées à des « sources » fort douteuses ; mais, comme nous n’avons certes pas l’intention de faire ici une sorte de compte rendu du livre dont il s’agit, ce n’est pas là ce qui nous intéresse présentement, non plus que ce qui est simplement conforme à certaines thèses « convenues » qu’on retrouve invariablement dans tous les ouvrages de ce genre.
Nous préférons nous borner, car c’est là ce qu’il y a de plus « instructif » à notre point de vue, à montrer les erreurs impliquées dans l’idée directrice elle-même, erreurs que l’auteur doit manifestement à ses attaches antérieures, si bien qu’il ne fait en somme que contribuer à répandre et à accréditer les vues de ceux dont il se croit devenu l’adversaire, et qu’il continue à prendre pour l’initiation ce qu’ils lui ont présenté comme tel, mais qui n’est réellement qu’une des voies pouvant servir à préparer très efficacement des agents ou des instruments pour la contre-initiation.

(1) Il y a à cet égard, dans certaines campagnes antimaçonniques, des « dessous » tout à fait extraordinaires.

Naturellement, tout ce dont il s’agit est confiné dans un certain domaine purement psychique, et, par là même, ne saurait avoir aucun rapport avec la véritable initiation, puisque celle-ci est au contraire d’ordre essentiellement spirituel ; il est beaucoup question de « magie » là-dedans, et, comme nous l’avons déjà suffisamment expliqué, des opérations magiques d’un genre quelconque ne constituent nullement un processus initiatique.

D’autre part, nous trouvons cette singulière croyance que toute initiation doit reposer sur l’éveil et l’ascension de la force subtile que la tradition hindoue désigne sous le nom de Kundalinî, alors que ce n’est là, en fait, qu’une méthode propre à certaines formes initiatiques très particulières ; ce n’est d’ailleurs pas la première fois que nous avons eu à constater, dans ce que nous appellerions volontiers les légendes anti-initiatiques, une sorte de hantise de Kundalinî qui est pour le moins curieuse, et dont les raisons, en général, n’apparaissent pas très clairement. Ici, la chose se trouve liée assez étroitement à une certaine interprétation du symbolisme du serpent, pris dans un sens exclusivement « maléfique ».

L’auteur semble n’avoir pas la moindre idée de la double signification de certains symboles, question fort importante que nous avons déjà traitée ailleurs (1). Quoi qu’il en soit, le Kundalinî Yoga, tel qu’il est pratiqué surtout dans l’initiation tantrique, est assurément tout autre chose que la magie ; mais ce qui est envisagé abusivement sous ce nom, dans le cas qui nous occupe, peut bien n’être que cela ; s’il ne s’agissait que de pseudo-initiation, ce serait même sans doute encore moins que cela, une illusion « psychologique » pure et simple ; mais, si la contre-initiation intervient à quelque degré, il peut très bien y avoir une déviation réelle, et même une sorte d’« inversion », aboutissant à une prise de contact, non point avec un principe transcendant ou avec les états supérieurs de l’être mais tout simplement avec la « lumière astrale » nous dirions plutôt avec le monde des « influences errantes », c’est-à-dire en somme avec la partie la plus inférieure du domaine subtil.

L’auteur, qui accepte l’expression de « lumière astrale » (2), désigne ce résultat sous le nom d’«illumination», qui devient ainsi curieusement équivoque ; au lieu de s’appliquer à quelque chose d’ordre purement intellectuel et à l’acquisition d’une connaissance supérieure, comme il le devrait normalement s’il était pris en un sens initiatique légitime, il ne se rapporte qu’à des phénomènes de «clairvoyance» ou à d’autres «pouvoirs» de même catégorie, fort peu intéressants en eux-mêmes, et d’ailleurs surtout négatifs dans ce cas, car il paraît qu’ils servent finalement à rendre celui qui en est affligé accessible aux suggestions émanant de prétendus «Maîtres» inconnus, lesquels, en l’occurrence, ne sont que de sinistres «magiciens noirs».

(1) Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXX.
(2) L’origine de cette expression remonte à Paracelse, mais, en fait, elle est surtout connue par les divagations occultistes auxquelles elle a servi de prétexte.


Nous admettons très volontiers l’exactitude d’une telle description pour certaines organisations auxiliaires de la contre-initiation, celle-ci ne cherchant guère en effet, d’une façon générale, qu’à faire de leurs membres de simples instruments qu’elle puisse utiliser à son gré ; nous nous demandons seulement, car ce point n’est pas parfaitement clair, quel rôle précis joue le soi-disant « initié » dans les opérations magiques qui doivent amener un semblable résultat, et il semble bien que ce ne puisse être, au fond, que le rôle tout passif d’un « sujet », au sens où les « psychistes » de tout genre entendent ce mot.

Mais ce que nous contestons de la façon la plus absolue, c’est que ce même résultat ait quoi que ce soit de commun avec l’initiation, qui exclut au contraire toute passivité ; nous avons déjà expliqué, dès le début, que c’est là une des raisons pour lesquelles elle est incompatible avec le mysticisme ; à plus forte raison l’est-elle avec ce qui implique une passivité d’un ordre incomparablement plus bas que celle des mystiques, et rentrant en somme dans ce qu’on a pris l’habitude, depuis l’invention du spiritisme, de désigner sous le nom vulgaire de « médiumnité ».
Peut-être même, disons-le en passant, ce dont il s’agit est-il assez comparable à ce qui fut l’origine réelle de la « médiumnité » et du spiritisme lui-même ; et, d’autre part, quand la « clairvoyance » est obtenue par certains « entraînements » psychiques, même si Kundalinî n’y est pour rien, elle a communément pour effet de rendre l’être éminemment « suggestible », comme le prouve la conformité constante, à laquelle nous avons déjà fait allusion plus haut, de ses visions avec les théories spéciales de l’école à laquelle il appartient ; il n’est donc pas difficile de comprendre tout le parti que peuvent en tirer de véritables « magiciens noirs », c’est-à-dire des représentants conscients de la contre-initiation.

Il n’est pas plus difficile de se rendre compte que tout cela va directement à l’encontre du but même de l’initiation, qui est proprement de « délivrer » l’être de toutes les contingences, et non point de lui imposer de nouveaux liens venant encore s’ajouter à ceux qui conditionnent naturellement l’existence de l’homme ordinaire ; l’initié n’est pas un « sujet », il est même exactement le contraire ; toute tendance à la passivité ne peut être qu’un obstacle à l’initiation, et, où elle est prédominante, elle constitue une « disqualification » irrémédiable.
Au surplus, dans toute organisation initiatique qui a gardé une conscience nette de son véritable but, toutes les pratiques hypnotiques ou autres qui impliquent l’emploi d’un « sujet » sont considérées comme illégitimes et strictement interdites ; et nous ajouterons qu’il est même prescrit de maintenir toujours une attitude active à l’égard des états spirituels transitoires qui peuvent être atteints dans les premiers stades de la « réalisation », afin d’éviter par là tout danger d’« autosuggestion » (1) ; en toute rigueur, au point de vue initiatique, la passivité n’est concevable et admissible que vis-à-vis du Principe suprême exclusivement.

(1) C’est ce qu’un Sheikh exprimait un jour par ces mots : « Il faut que l’homme domine le hâl (état spirituel non encore stabilisé), et non pas que le hâl domine l’homme s (Lâzim el-insân yaghlab el-hâl, wa laysa el-hâl yarkab el-insân).

Nous savons bien qu’on pourra objecter à cela que certaines voies initiatiques comportent une soumission plus ou moins complète à un guru ; mais cette objection n’est aucunement valable, d’abord parce qu’il s’agit là d’une soumission consentie de plein gré, non d’une sujétion s’imposant à l’insu du disciple, ensuite parce que le guru est toujours parfaitement connu de celui-ci, qui est en relation réelle et directe avec lui, et qu’il n’est point un personnage inconnu se manifestant « en astral », c’est-à-dire, toute fantasmagorie à part, agissant par une sorte d’influence « télépathique » pour envoyer des suggestions sans que le disciple qui les reçoit puisse aucunement savoir d’où elles lui viennent.
En outre, cette soumission n’a que le caractère d’un simple moyen « pédagogique », pourrait-on dire, d’une nécessité toute transitoire ; non seulement un véritable instructeur spirituel n’en abusera jamais, mais il ne s’en servira que pour rendre le disciple capable de s’en affranchir le plus tôt possible, car, s’il est une affirmation invariable en pareil cas, c’est que le véritable guru est purement intérieur, qu’il n’est autre que le « Soi » de l’être lui-même, et que le guru extérieur ne fait que le représenter tant que l’être ne peut pas encore se mettre en communication consciente avec ce « Soi ».

L’initiation doit précisément mener à la conscience pleinement réalisée et effective du « Soi », ce qui ne saurait évidemment être le fait ni d’enfants en tutelle ni d’automates psychiques ; la « chaine » initiatique n’est pas faite pour lier l’être, mais au contraire pour lui fournir un appui lui permettant de s’élever indéfiniment et de dépasser ses propres limitations d’être individuel et conditionné.

Même lorsqu’il s’agit des applications contingentes qui peuvent coexister secondairement avec le but essentiel, une organisation initiatique n’a que faire d’instruments passifs et aveugles, dont la place normale ne saurait être en tout cas que dans le monde profane, puisque toute qualification leur fait défaut ; ce qu’elle doit trouver chez ses membres, à tous les degrés et dans toutes les fonctions, c’est une collaboration consciente et volontaire, impliquant toute la compréhension effective dont chacun est susceptible ; et nulle véritable hiérarchie ne peut se réaliser et se maintenir sur une autre base que celle-là.


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Message par Ligeia Mer 9 Juin - 10:45

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Chapitre XXXVI : Initiation et « service »


Parmi les caractères des organisations pseudo-initiatiques modernes, il n’en est peut-être guère de plus général ni de plus frappant que le fait d’attribuer une valeur ésotérique et initiatique à des considérations qui ne peuvent réellement avoir un sens plus ou moins acceptable que dans le domaine le plus purement exotérique ; une telle confusion, qui s’accorde bien avec l’emploi de ces images tirées de la « vie ordinaire » dont nous avons parlé plus haut, est d’ailleurs en quelque sorte inévitable de la part de profanes qui, voulant se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas, ont la prétention de parler de choses qu’ils ignorent et dont ils se font naturellement une idée à la mesure de ce qu’ils sont capables de comprendre.

Non moins naturellement, les considérations de cette sorte sur lesquelles ils insistent le plus sont toujours en conformité avec les tendances prédominantes de l’époque actuelle, et elles suivent même celles-ci dans leurs variations plus ou moins secondaires ; on pourrait se demander, à ce propos, comment le fait de subir ainsi l’influence du monde profane peut se concilier avec les moindres prétentions initiatiques ; mais, bien entendu, les intéressés ne s’aperçoivent nullement de ce qu’il y a là de contradictoire.

On pourrait facilement citer de telles organisations qui, à leurs débuts, donnaient l’illusion d’une sorte d’intellectualité, du moins à ceux qui n’allaient pas au fond des choses, et qui, par la suite, en sont venues à se confiner de plus en plus dans les pires banalités sentimentales ; et il est évident que ce déploiement du sentimentalisme ne fait que correspondre à ce qu’on peut constater aussi présentement dans le « monde extérieur ». On rencontre d’ailleurs, de part et d’autre, exactement les mêmes formules aussi vides que grandiloquentes, dont l’effet relève de ces « suggestions » auxquelles nous avons fait allusion, quoique ceux qui les emploient ne soient certes pas toujours conscients eux-mêmes des fins auxquelles tout cela tend ; et le ridicule qu’elles ont aux yeux de quiconque sait tant soit peu réfléchir se trouve encore accru dans le cas où elles servent à des parodies d’ésotérisme.

Ce ridicule est d’ailleurs une véritable « marque » des influences qui agissent réellement derrière tout cela, même si ceux qui leur obéissent sont bien loin de s’en douter ; mais, sans insister davantage sur ces remarques d’ordre général, nous voulons seulement envisager ici un cas qui nous parait particulièrement significatif, et qui, au surplus, se rattache d’une certaine façon à ce que nous avons indiqué tout à l’heure à propos de la « passivité ».

Dans la phraséologie spéciale des organisations dont il s’agit, il est des mots qui reviennent uniformément avec une insistance toujours croissante : ces mots sont ceux de « service » et de « serviteurs » ; de plus en plus, on les retrouve partout et à tout propos ; il y a là comme une sorte d’obsession, et on peut légitimement se demander à quel genre de « suggestion » ils correspondent encore.
Sans doute, il faut faire là une part à la manie occidentale de l’« humilité » ou du moins, pour parler plus exactement, de son étalage extérieur, car la réalité peut être bien différente, tout comme lorsque, dans les mêmes milieux, les querelles les plus violentes et les plus haineuses s’accompagnent de grands discours sur la « fraternité universelle ». Il est d’ailleurs bien entendu que, dans ce cas, il s’agit d’une humilité toute « laïque » et « démocratique », en parfait accord avec un « idéal » qui consiste, non pas à élever l’inférieur dans la mesure où il en est capable, mais au contraire à abaisser le supérieur à son niveau ; il est clair, en effet, qu’il faut être pénétré de cet « idéal » moderne, essentiellement anti-hiérarchique, pour ne pas s’apercevoir de ce qu’il y a de déplaisant dans de semblables expressions, même s’il arrive que les intentions qu’elles recouvrent n’aient rien que de louable en elles-mêmes ; il faudrait sans doute, sous ce dernier rapport, distinguer entre les applications très diverses qui peuvent en être faites, mais ce qui nous importe ici, c’est seulement l’état d’esprit que trahissent les mots employés.

Cependant, si ces considérations générales sont également valables dans tous les cas, elles ne suffisent pas quand il s’agit plus spécialement de pseudo-initiation ; il y a alors, en outre, une confusion due à la prépondérance attribuée par les modernes à l’action d’une part, au point de vue social de l’autre, et qui les porte à s’imaginer que ces choses doivent intervenir jusque dans un domaine où elles n’ont que faire en réalité. Par un de ces étranges renversements de tout ordre normal dont notre époque est coutumière, les activités les plus extérieures arrivent à être considérées comme des conditions essentielles de l’initiation, parfois même comme son but, car, si incroyable que cela soit, il en est qui vont jusqu’à ne pas y voir autre chose qu’un moyen de mieux « servir » ; et, qu’on le remarque bien, il y a encore une circonstance aggravante en ce que ces activités sont conçues en fait de la façon la plus profane, étant dépourvues du caractère traditionnel, bien que naturellement tout exotérique, qu’elles pourraient du moins revêtir si elles étaient envisagées à un point de vue religieux ; mais il y a certes bien loin de la religion au simple moralisme « humanitaire » qui est le fait des pseudo-initiés de toute catégorie !

D’autre part, il est incontestable que le sentimentalisme, sous toutes ses formes, dispose toujours à une certaine « passivité » ; c’est par là que nous rejoignons la question que nous avons déjà traitée précédemment, et c’est là aussi que se trouve, très probablement, la raison d’être principale de la « suggestion » que nous avons maintenant en vue, et en tout cas ce qui la rend particulièrement dangereuse. En effet, à force de répéter à quelqu’un qu’il doit « servir » n’importe quoi, fût-ce de vagues entités « idéales », on finit par le mettre dans de telles dispositions qu’il sera prêt à « servir » effectivement, quand l’occasion s’en offrira à lui, tout ce qui prétendra incarner ces entités ou les représenter de façon plus positive ; et les ordres qu’il pourra en recevoir, quel qu’en soit le caractère, et même s’ils vont jusqu’aux pires extravagances, trouveront alors en lui l’obéissance d’un véritable « serviteur ».

On comprendra sans peine que ce moyen soit un des meilleurs qu’il est possible de mettre en œuvre pour préparer des instruments que la contre-initiation pourra utiliser à son gré ; et il a encore, par surcroît, l’avantage d’être un des moins compromettants, puisque la « suggestion », dans des cas de ce genre, peut fort bien être exercée par de vulgaires dupes, c’est-à-dire par d’autres instruments inconscients, sans que ceux qui les mènent à leur insu aient jamais besoin d’y intervenir directement.
Qu’on n’objecte pas que, là où il est ainsi question de « service », il pourrait en somme s’agir de ce que la tradition hindoue appellerait une voie de bhakti ; en dépit de l’élément sentimental que celle-ci implique dans une certaine mesure (mais sans pourtant jamais dégénérer pour cela en « sentimentalisme »), c’est là tout autre chose ; et, même si l’on veut rendre bhakti, en langage occidental, par « dévotion » comme on le fait le plus ordinairement, bien que ce ne soit là tout au plus qu’une acception dérivée et que le sens premier et essentiel du mot soit en réalité celui de « participation », ainsi que l’a montré M. Ananda K. Coomaraswamy, « dévotion » n’est pas « service », ou, du moins, ce serait exclusivement « service divin », et non pas, comme nous le disions tout à l’heure, « service » de n’importe qui ou de n’importe quoi.

Quant au « service » d’un guru, si l’on tient à employer ce mot, là où une telle chose existe, qui n’est, redisons-le, qu’à titre de discipline préparatoire, concernant uniquement ce qu’on pourrait appeler les « aspirants », et non point ceux qui sont déjà parvenus à une initiation effective ; et nous voilà encore bien loin du caractère de haute finalité spirituelle attribué si curieusement au « service » par les pseudo-initiés. Enfin, puisqu’il faut tâcher de prévoir toutes les objections possibles, pour ce qui est des liens existant entre les membres d’une organisation initiatique, on ne peut évidemment donner le nom de « service » à l’aide apportée par le supérieur comme tel à l’inférieur, ni plus généralement à des relations où la double hiérarchie des degrés et des fonctions, sur laquelle nous reviendrons encore par la suite, doit toujours être rigoureusement observée. Nous n’insisterons pas plus longuement sur ce sujet, somme toute assez désagréable ; mais du moins avons-nous cru nécessaire, en voyant à combien de « services » divers et suspects les gens sont aujourd’hui invités de toutes parts, de signaler le danger qui se cache là-dessous et de dire aussi nettement que possible ce qu’il en est.

Pour conclure en deux mots, nous ajouterons simplement ceci : l’initié n’a pas à être un « serviteur », ou, du moins, il ne doit l’être que de la Vérité (222).

222 En arabe El-Haqq, qui est, il ne faut pas l’oublier, un des principaux noms divins.


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Message par Ligeia Jeu 17 Juin - 9:53

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Chapitre XXXVII : LE DON DES LANGUES


Une question qui se rattache assez directement à celle de l’enseignement initiatique et de ses adaptations est celle de ce qu’on appelle le « don des langues », qui est souvent mentionné parmi les privilèges des véritables Rose-Croix, ou, pour parler plus exactement (car le mot de « privilèges » pourrait trop facilement donner lieu à de fausses interprétations), parmi leurs signes caractéristiques, mais qui est d’ailleurs susceptible d’une application beaucoup plus étendue que celle qui en est faite ainsi à une forme traditionnelle particulière.
À vrai dire, il ne semble pas qu’on ait jamais expliqué très nettement ce qu’il faut entendre par là au point de vue proprement initiatique, car beaucoup de ceux qui ont employé cette expression paraissent l’avoir entendue à peu près uniquement en son sens le plus littéral, ce qui est insuffisant, bien que, sans doute, ce sens littéral lui-même puisse être justifié d’une certaine façon. En effet, la possession de certaines clefs du langage peut fournir, pour comprendre et parler les langues les plus diverses, des moyens tout autres que ceux dont on dispose d’ordinaire ; et il est très certain qu’il existe, dans l’ordre des sciences traditionnelles, ce qu’on pourrait appeler une philologie sacrée, entièrement différente de la philologie profane qui a vu le jour dans l’Occident moderne. Cependant, tout en acceptant cette première interprétation et en la situant dans son domaine propre, qui est celui des applications contingentes de l’ésotérisme, il est permis de considérer surtout un sens symbolique, d’ordre plus élevé, qui s’y superpose sans la contredire aucunement, et qui s’accorde d’ailleurs avec les données initiatiques communes à toutes les traditions, qu’elles soient d’Orient ou d’Occident.

À ce point de vue, on peut dire que celui qui possède véritablement le « don des langues », c’est celui qui parle à chacun son propre langage, en ce sens qu’il s’exprime toujours sous une forme appropriée aux façons de penser des hommes auxquels il s’adresse. C’est aussi ce à quoi il est fait allusion, d’une manière plus extérieure, lorsqu’il est dit que les Rose-Croix devaient adopter le costume et les habitudes des pays où ils se trouvaient ; et certains ajoutent même qu’ils devaient prendre un nouveau nom chaque fois qu’ils changeaient de pays, comme s’ils revêtaient alors une individualité nouvelle. Ainsi, le Rose-Croix, en vertu du degré spirituel qu’il avait atteint, n’était plus lié exclusivement à aucune forme définie, non plus qu’aux conditions spéciales d’aucun lieu déterminé (223), et c’est pourquoi il était un « Cosmopolite » au vrai sens de ce mot (224).

Le même enseignement se rencontre dans l’ésotérisme islamique : Mohyid-din ibn Arabi dit que « le vrai sage ne se lie à aucune croyance », parce qu’il est au delà de toutes les croyances particulières, ayant obtenu la connaissance de ce qui est leur principe commun ; mais c’est précisément pour cela qu’il peut, suivant les circonstances, parler le langage propre à chaque croyance.

223 Ni d’aucune époque particulière, pourrions-nous ajouter; mais ceci, qui se réfère directement au caractère de « longévité », demanderait, pour être bien compris, de plus amples explications qui ne peuvent trouver place ici ; nous donnerons d’ailleurs plus loin quelques indications sur cette question de la « longévité ».
224 On sait que ce nom de « Cosmopolite » a servi de signature « couverte » à divers personnages qui, s’ils n’étaient pas eux-mêmes de véritables Rose Croix, semblent bien avoir tout au moins servi de porte-parole à ceux-ci pour la transmission extérieure de certains enseignements, et qui pouvaient par conséquent s’identifier à eux dans une certaine mesure, en tant qu’ils remplissaient cette fonction particulière.


Il n’y a d’ailleurs là, quoi que puissent en penser les profanes, ni « opportunisme » ni dissimulation d’aucune sorte ; au contraire, c’est la conséquence nécessaire d’une connaissance qui est supérieure à toute les formes, mais qui ne peut se communiquer (dans la mesure où elle est communicable) qu’à travers des formes, dont chacune, par là même qu’elle est une adaptation spéciale, ne saurait convenir indistinctement à tous les hommes.
On peut, pour le comprendre, comparer ce dont il s’agit à la traduction d’une même pensée en des langues diverses : c’est bien toujours la même pensée, qui, en elle-même, est indépendante de toute expression ; mais, chaque fois qu’elle est exprimée en une autre langue, elle devient accessible à des hommes qui, sans cela, n’auraient pu la connaître ; et cette comparaison est d’ailleurs rigoureusement conforme au symbolisme même du « don des langues ».

Celui qui en est arrivé à ce point, c’est celui qui a atteint, par une connaissance directe et profonde (et non pas seulement théorique ou verbale), le fond identique de toutes les doctrines traditionnelles, qui a trouvé, en se plaçant au point central dont elles sont émanées, la vérité une qui s’y cache sous la diversité et la multiplicité des formes extérieures. La différence, en effet, n’est jamais que dans la forme et l’apparence ; le fond essentiel est partout et toujours le même, parce qu’il n’y a qu’une vérité, bien qu’elle ait des aspects multiples suivant les points de vue plus ou moins spéciaux sous lesquels on l’envisage, et que, comme le disent les initiés musulmans, « la doctrine de l’Unité est unique » (225) ; mais il faut une variété de formes pour s’adapter aux conditions mentales de tel ou tel pays, de telle ou telle époque, ou, si l’on préfère, pour correspondre aux divers points de vue particularisés qui sont déterminés par ces conditions ; et ceux qui s’arrêtent à la forme voient surtout les différences, au point de les prendre même parfois pour des oppositions, tandis qu’elles disparaissent au contraire pour ceux qui vont au delà.
Ceux-ci peuvent ensuite redescendre dans la forme, mais sans plus en être aucunement affectés, sans que leur connaissance profonde en soit modifiée en quoi que ce soit ; ils peuvent, comme on tire les conséquences d’un principe, réaliser en procédant de haut en bas, de l’intérieur à l’extérieur (et c’est en cela que la véritable synthèse est, comme nous l’avons expliqué précédemment, tout l’opposé du vulgaire « syncrétisme »), toutes les adaptations de la doctrine fondamentale.

225 Et-tawhîdu wâhidun.

C’est ainsi que, pour reprendre toujours le même symbolisme, n’étant plus astreints à parler une langue déterminée, ils peuvent les parler toutes, parce qu’ils ont pris connaissance du principe même dont toutes les langues dérivent par adaptation ; ce que nous appelons ici les langues, ce sont toutes les formes traditionnelles, religieuses ou autres, qui ne sont en effet que des adaptations de la grande Tradition primordiale et universelle, des vêtements divers de l’unique vérité.
Ceux qui ont dépassé toutes les formes particulières et sont parvenus à l’universalité, et qui « savent » ainsi ce que les autres ne font que « croire » simplement, sont nécessairement « orthodoxes » au regard de toute tradition régulière ; et, en même temps, ils sont les seuls qui puissent se dire pleinement et effectivement « catholiques », au sens rigoureusement étymologique de ce mot (226), tandis que les autres ne peuvent jamais l’être que virtuellement, par une sorte d’aspiration qui n’a pas encore réalisé son objet, ou de mouvement qui, tout en étant dirigé vers le centre, n’est pas parvenu à l’atteindre réellement.

Ceux qui sont passés au delà de la forme sont, par là-même, libérés des limitations inhérentes à la condition individuelle de l’humanité ordinaire ; ceux mêmes qui ne sont parvenus qu’au centre de l’état humain, sans avoir encore réalisé effectivement les états supérieurs, sont du moins, en tout cas, affranchis des limitations par lesquelles l’homme déchu de cet « état primordial » dans lequel ils sont réintégrés est lié à une individualité particulière, aussi bien qu’à une forme déterminée, puisque toutes les individualités et toutes les formes du domaine humain ont leur principe immédiat au point même où ils sont placés. C’est pourquoi ils peuvent, comme nous le disions plus haut, revêtir des individualités diverses pour s’adapter à toutes les circonstances ; ces individualités, pour eux, n’ont véritablement pas plus d’importance que de simples vêtements.

226 Le mot « catholique », pris ainsi dans son acception originelle revient fréquemment dans les écrits d’inspiration plus ou moins directement rosicrucienne.

On peut comprendre par là ce que le changement de nom signifie vraiment, et ceci se rattache naturellement à ce que nous avons exposé précédemment au sujet des noms initiatiques ; d’ailleurs, partout où cette pratique se rencontre, elle représente toujours un changement d’état dans un ordre plus ou moins profond ; dans les ordres monastiques eux-mêmes, sa raison d’être n’est en somme nullement différente au fond, car, là aussi, l’individualité profane (227) doit disparaître pour faire place à un être nouveau, et, même quand le symbolisme n’est plus entièrement compris dans son sens profond, il garde pourtant encore par lui-même une certaine efficacité.

Si l’on comprend ces quelques indications, on comprendra en même temps pourquoi les vrais Rose-Croix n’ont jamais pu constituer quoi que ce soit qui ressemble de près ou de loin à une « société », ni même une organisation extérieure quelconque ; ils ont pu sans doute, ainsi que le font encore en Orient, et surtout en Extrême-Orient, des initiés d’un degré comparable au leur, inspirer plus ou moins directement, et en quelque sorte invisiblement, des organisations extérieures formées temporairement en vue de tel ou tel but spécial et défini ; mais, bien que ces organisations puissent pour cette raison être dites « rosicruciennes », eux-mêmes ne s’y liaient point et, sauf peut-être dans quelques cas tout à fait exceptionnels, n’y jouaient aucun rôle apparent.

Ce qu’on a appelé les Rose-Croix en Occident à partir du XIVe siècle, et qui a reçu d’autres dénominations en d’autres temps et en d’autres lieux, parce que le nom n’a ici qu’une valeur purement symbolique et doit lui-même s’adapter aux circonstances, ce n’est pas une association quelconque, c’est la collectivité des êtres qui sont parvenus à un même état supérieur à celui de l’humanité ordinaire, à un même degré d’initiation effective, dont nous venons d’indiquer un des aspects essentiels, et qui possèdent aussi les mêmes caractères intérieurs, ce qui leur suffit pour se reconnaître entre eux sans avoir besoin pour cela d’aucun signe extérieur.

227 En toute rigueur, il faudrait plutôt dire ici la modalité profane de l’individualité, car il est évident que, dans cet ordre exotérique, le changement ne peut être assez profond pour porter sur quelque chose de plus que de simples modalités.

C’est pourquoi ils n’ont d’autre lieu de réunion que « le Temple du Saint-Esprit, qui est partout », de sorte que les descriptions qui en ont parfois été données ne peuvent être entendues que symboliquement ; et c’est aussi pourquoi ils demeurent nécessairement inconnus des profanes parmi lesquels ils vivent, extérieurement semblables à eux, bien qu’entièrement différents d’eux en réalité, parce que leurs seuls signes distinctifs sont purement intérieurs et ne peuvent être perçus que par ceux qui ont atteint le même développement spirituel, de sorte que leur influence, qui est attachée plutôt à une « action de présence » qu’à une activité extérieure quelconque, s’exerce par des voies qui sont totalement incompréhensibles au commun des hommes.


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Message par Ligeia Sam 26 Juin - 9:39

« Les savants et les philosophes les plus éminents dans leurs spécialités peuvent n’être aucunement qualifiés pour faire partie de cette élite ; il y a même beaucoup de chances pour qu’ils ne le soient pas, en raison des habitudes mentales qu’ils ont acquises, des multiples préjugés qui en sont inséparables, et surtout de cette « myopie intellectuelle » qui en est la plus ordinaire conséquence ; il peut toujours y avoir d’honorables exceptions, assurément, mais il n’y faudrait pas trop compter. D’une façon générale, il y a plus de ressources avec un ignorant qu’avec celui qui s’est spécialisé dans un ordre d’études essentiellement limité, et qui a subi la déformation inhérente à une certaine éducation. »


*******


Chapitre XXXVIII : CONNAISSANCE INITIATIQUE ET «CULTURE» PROFANE


Nous avons déjà fait remarquer précédemment qu’il faut bien se garder de toute confusion entre la connaissance doctrinale d’ordre initiatique, même lorsqu’elle n’est encore que théorique et simplement préparatoire à la « réalisation », et tout ce qui est instruction purement extérieure ou savoir profane, qui est en réalité sans aucun rapport avec cette connaissance.

Cependant, nous devons insister encore plus spécialement sur ce point, car nous n’avons eu que trop souvent à en constater la nécessité : il faut en finir avec le préjugé trop répandu qui veut que ce qu’on est convenu d’appeler la « culture », au sens profane et « mondain », ait une valeur quelconque, ne fût-ce qu’à titre de préparation, vis-à-vis de la connaissance initiatique alors qu’elle n’a et ne peut avoir véritablement aucun point de contact avec celle-ci.
En principe, il s’agit bien là, purement et simplement, d’une absence de rapport : l’instruction profane, à quelque degré qu’on l’envisage, ne peut servir en rien à la connaissance initiatique, et (toutes réserves faites sur la dégénérescence intellectuelle qu’implique l’adoption du point de vue profane lui-même) elle n’est pas non plus incompatible avec elle (1) ; elle apparaît uniquement, à cet égard, comme une chose indifférente, au même titre que l’habileté manuelle acquise dans l’exercice d’un métier mécanique, ou encore que la « culture physique » qui est si fort à la mode de nos jours.

Au fond, tout cela est exactement du même ordre pour qui se place au point de vue qui nous occupe ; mais le danger est de se laisser prendre à l’apparence trompeuse d’une prétendue « intellectualité » qui n’a absolument rien à voir avec l’intellectualité pure et véritable, et l’abus constant qui est fait précisément du mot « intellectuel » par nos contemporains suffit à prouver que ce danger n’est que trop réel.

1 Il est évident que, notamment, celui qui reçoit dès son enfance l’instruction profane et « obligatoire » dans les écoles ne saurait en être tenu pour responsable, ni être regardé pour cela comme « disqualifié » pour l’initiation ; toute la question est de savoir quelle « empreinte » il en gardera par la suite, car c’est là ce qui dépend réellement de ses possibilités propres.

Il en résulte souvent, entre autres inconvénients, une tendance à vouloir unir ou plutôt mêler entre elles des choses qui sont d’ordre totalement différent ; sans reparler à ce propos de l’intrusion d’un genre de « spéculation » tout profane dans certaines organisations initiatiques occidentales, nous rappellerons seulement la vanité, que nous avons eu maintes occasions de signaler, de toutes les tentatives faites pour établir un lieu ou une comparaison quelconque entre la science moderne et lu connaissance traditionnelle (1).
Certains vont même, en ce sens, jusqu’à prétendre trouver dans la première des « confirmations » de la seconde, comme si celle-ci, qui repose sur les principes immuables, pouvait tirer le moindre bénéfice d’une conformité accidentelle et tout extérieure avec quelques-uns des résultats hypothétiques et sans cesse changeants de cette recherche incertaine et tâtonnante que les modernes se plaisent à décorer du nom de « science » !

Mais ce n’est pas sur ce côté de la question que nous avons à insister surtout présentement, ni même sur le danger qu’il peut y avoir, lorsqu’on accorde une importance exagérée à ce savoir inférieur (et souvent même tout à fait illusoire), d’y consacrer toute son activité au détriment d’une connaissance supérieure, dont la possibilité même arrivera ainsi à être totalement, méconnue ou ignorée. On ne sait que trop que ce cas est en effet celui de l’immense majorité de nos contemporains ; et, pour ceux-là, la question d’un rapport avec la connaissance initiatique, ou même traditionnelle en général, ne se pose évidemment plus, puisqu’ils ne soupçonnent même pas l’existence d’une telle connaissance.

Mais, sans même aller jusqu’à cet extrême, l’instruction profane peut constituer bien souvent en fait, sinon en principe, un obstacle à l’acquisition de la véritable connaissance, c’est-à-dire tout le contraire d’une préparation efficace, et cela pour diverses raisons sur lesquelles nous devons maintenant nous expliquer un peu plus en détail. D’abord, l’éducation profane impose certaines habitudes mentales dont il peut être plus ou moins difficile de se défaire par la suite ; il n’est que trop aisé de constater que les limitations et même les déformations qui sont l’ordinaire conséquence de l’enseignement universitaire sont souvent irrémédiables ; et, pour échapper entièrement à cette fâcheuse influence, il faut des positions spéciales qui ne peuvent être qu’exceptionnelles.

Nous parlons ici d’une façon tout à fait générale, et nous n’insisterons pas sur tels inconvénients plus particuliers, comme l’étroitesse de vues qui résulte inévitablement de la « spécialisation », ou la « myopie intellectuelle » qui est l’habituel accompagnement de l’« érudition » cultivée pour elle-même ; ce qu’il est essentiel d’observer, c’est que, si la connaissance profane en elle-même est simplement indifférente, les méthodes par lesquelles elle est inculquée sont en réalité la négation même de celles qui ouvrent l’accès à la connaissance initiatique. Ensuite, il faut tenir compte, comme d’un obstacle qui est loin d’être négligeable, de cette sorte d’infatuation qui est fréquemment causée par un prétendu savoir, et qui est même, chez bien des gens, d’autant plus accentuée que ce savoir est plus élémentaire, inférieur et incomplet ; d’ailleurs, même sans sortir des contingences de la « vie ordinaire », les méfaits de l’instruction primaire à cet égard sont aisément reconnus de tous ceux que n’aveuglent pas certaines idées préconçues. Il est évident que, de deux ignorants, celui qui se rend compte qu’il ne sait rien est dans une disposition beaucoup plus favorable à l’acquisition de la connaissance que celui qui croit savoir quelque chose ; les possibilités naturelles du premier sont intactes, pourrait-on dire, tandis que celles du second sont comme « inhibées » et ne peuvent plus se développer librement.

1 Cf. notamment Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XVIII et XXXII.

D’ailleurs, même en admettant une égale bonne volonté chez les deux individus considérés, il n’en resterait pas moins, dans tous les cas, que l’un d’eux aurait tout d’abord à se débarrasser des idées fausses dont son mental est encombré, tandis que l’autre serait tout au moins dispensé de ce travail préliminaire et négatif, qui représente un des sens de ce que l’initiation maçonnique désigne symboliquement comme le « dépouillement des métaux ».

On peut s’expliquer facilement par là un fait que nous avons eu fréquemment l’occasion de constater en ce qui concerne les gens dits « cultivés » ; on sait ce qui est entendu communément par ce mot : il ne s’agit même pas là d’une instruction tant soit peu solide, si limitée et si inférieure qu’en soit la portée, mais d’une « teinture » superficielle de toute sorte de choses, d’une éducation surtout « littéraire », en tout cas purement livresque et verbale, permettant de parler avec assurance de tout, y compris ce qu’on ignore le plus complètement, et susceptible de faire illusion à ceux qui, séduits par ces brillantes apparences, ne s’aperçoivent pas qu’elles ne recouvrent que le néant. Cette « culture » produit généralement, à un autre niveau, des effets assez comparables.

A ceux que nous rappelions tout à l’heure au sujet de l’instruction• primaire ; il y a certes des exceptions, car il peut arriver que celui qui a reçu une telle « culture » soit doué d’assez heureuses dispositions naturelles pour ne l’apprécier qu’à sa juste valeur et ne point en être dupe lui-même ; mais nous n’exagérons rien en disant que, en dehors de ces exceptions, la grande majorité des gens « cultivés » doivent être comptés parmi ceux dont l’état mental est le plus défavorable à la réception de la véritable connaissance. Il y a chez eux, vis-à-vis de celle-ci, une sorte de résistance souvent inconsciente, parfois aussi voulue ; ceux mêmes qui ne nient pas formellement, de parti pris et a priori, tout ce qui est d’ordre ésotérique ou initiatique, témoignent du moins à cet égard d’un manque d’intérêt complet, et il arrive même qu’ils affectent de faire étalage de leur ignorance de ces choses, comme si elle était à leurs propres yeux une des marques de la supériorité que la « culture » est censée leur conférer !

Qu’on ne croie pas qu’il y ait là de notre part la moindre intention caricaturale ; nous ne faisons que dire exactement ce que nous avons vu en maintes circonstances, non seulement en Occident, mais même en Orient, où d’ailleurs ce type de l’homme « cultivé » a heureusement assez peu d’importance, n’ayant fait son apparition que très récemment et comme produit d’une certaine éducation « occidentalisée », d’où il résulte, notons-le en passant, que cet homme « cultivé » est nécessairement en même temps un « moderniste » (1) .

1 Sur les rapports de ce « modernisme » avec l’opposition à tout ésotérisme, voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch XI.

La conclusion à tirer de là, c’est que les gens de cette sorte sont tout simplement les moins « initiables » des profanes, et qu’il serait parfaitement déraisonnable de tenir le moindre compte de leur opinion, ne fût-ce que pour essayer d’y adapter la présentation de certaines idées ; du reste, il convient d’ajouter que le souci de l’« opinion publique » en général est une attitude aussi « anti-initiatique » que possible.

Nous devons encore, à cette occasion, préciser un autre point qui se rattache étroitement à ces considérations : c’est que toute connaissance exclusivement « livresque » n’a rien de commun avec la connaissance initiatique, même envisagée à son stade simplement théorique.
Cela peut même paraître évident après ce que nous venons de dire, car tout ce qui n’est qu’étude livresque fait incontestablement partie de l’éducation la plus extérieure ; si nous y insistons, c’est qu’on pourrait se méprendre dans le cas où cette étude porte sur des livres dont le contenu est d’ordre initiatique.
Celui qui lit de tels livres à la façon des gens « cultivés », ou même celui qui les étudie à la façon des « érudits » et selon les méthodes profanes, n’en sera pas pour cela plus rapproché de la véritable connaissance, parce qu’il y apporte des dispositions qui ne lui permettent pas d’en pénétrer le sens réel ni de se l’assimiler à un degré quelconque ; l’exemple des orientalistes, avec l’incompréhension totale dont ils font généralement preuve, en est une illustration particulièrement frappante.

Tout autre est le cas de celui qui, prenant ces mêmes livres comme « supports » de son travail intérieur, ce qui est le rôle auquel ils sont essentiellement destinés, sait voir au delà des mots et trouve dans ceux-ci une occasion et un point d’appui pour le développement de ses propres possibilités ; ici, on en revient en somme à l’usage proprement symbolique dont le langage est susceptible, et dont nous avons déjà parlé précédemment.
Ceci, on le comprendra sans peine, n’a plus rien de commun avec la simple étude livresque, bien que les livres en soient le point de départ ; le fait d’entasser dans sa mémoire des notions verbales n’apporte pas même l’ombre d’une connaissance réelle ; seule compte la pénétration de l’« esprit » enveloppé sous les formes extérieures, pénétration qui suppose que l’être porte en lui-même des possibilités correspondantes, puisque toute connaissance est essentiellement identification ; et, sans cette qualification inhérente à la nature même de cet être, les plus hautes expressions de la connaissance initiatique, dans la mesure où elle est exprimable, et les Ecritures sacrées de toutes les traditions elles-mêmes, ne seront jamais que « lettre morte » et flatus vocis.


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