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Chronique de Tabari Tome 1

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Chronique de Tabari Tome 1  - Page 2 Empty Re: Chronique de Tabari Tome 1

Message par Ligeia Mer 20 Jan - 10:05


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CHAPITRE XLVII.
FUITE D'ABRAHAM, L’AMI DE DIEU LE MISÉRICORDIEUX.

Après cela, Dieu éprouva Abraham comme il avait éprouvé les autres prophètes ; de sorte qu'Abraham fut obligé de quitter son pays et ses possessions. Or Abraham avait un frère nommé Aran. Ce frère était mort, et il avait laissé un fils dont le nom était Loth. Or Loth suivait la religion d'Abraham, comme il est dit dans le Coran : « Loth crut à Abraham qui dit : Certes, je quitterai mon peuple pour me retirer dans le lieu que le Seigneur me désignera; car il est le puissant, le sage. » (Sur. XXIV, vers. 25.)
Nous voyons par un autre passage du Coran qu'Abraham dit aussi : « Certes, j’irai vers mon Seigneur, qui me dirigera. » (Sur. XXXVII, vers. 97.) Après cela, Abraham et Loth partirent du pays de Babylone.

Or Abraham avait un oncle paternel dont le nom était Aran. Celui-ci était père d’une fille appelée Sara, laquelle avait cru à Abraham. Sara était d'une si grande beauté, qu’aucune femme de son temps ne la surpassait, ni pour la régularité des traits du visage, ni pour l’élégance de la taille. Abraham épousa Sara, et l'emmena. Les amis d'Abraham qui avaient cru en lui voulurent quitter leur pays pour l'accompagner, mais leurs femmes s'attachèrent à eux et leur dirent : Nous ne vous laisserons point aller pour que vous partiez avec Abraham. Ces hommes n’écoutèrent pas les paroles de leurs femmes et ils partirent.

Or, le jour où notre prophète sortit de la Mecque et se retira à Médine, les femmes de ses amis s'attachèrent à leurs époux et dirent : Nous ne vous laisserons pas aller. Ces hommes partirent, laissèrent leurs femmes à la Mecque, et arrivèrent à Médine. Lorsqu’ils se trouvèrent dans cette ville sans leurs femmes et leurs enfants, la vie leur devint à charge, leur cœur fut affligé, et ils éprouvèrent du chagrin à cause de leurs familles. Dieu vit ce qui se passait dans le cœur de ces hommes, et il envoya le verset suivant : « Vous avez un excellent exemple dans Abraham et dans ceux qui étaient avec lui, lorsqu'ils dirent à leur peuple : Certes, nous sommes quittes envers vous, et innocents du culte que vous rendez à d’autres qu’à Dieu. Nous vous renions ; l’inimitié et la haine ont commencé entre nous et vous pour toujours, jusqu'à ce que vous croyiez au Dieu unique. » (Sur. LX, vers. 4.)

Lorsque Dieu envoya ce verset au prophète, afin que ceux qui l’avaient accompagné fussent satisfaits d’avoir laissé à la Mecque leurs femmes et leurs enfants, le prophète leur dit : Vous êtes des hommes vertueux, vous qui êtes venus à Médine avec le prophète. Vous avez agi comme les amis d’Abraham, qui partirent avec lui et qui, se jugeant quittes envers leurs femmes et leurs enfants, dirent : Nous sommes innocents du culte que vous rendez aux idoles, au lieu de le rendre à Dieu, et il n’y aura rien de commun entre nous et vous, jusqu'à ce que vous soyez devenus croyants. Les fugitifs qui se trouvaient avec le prophète restèrent avec lui.

Abraham partit donc de Babylone avec Loth, Sara et quelques personnes qui avaient cru en lui. Il alla en Syrie, dans une ville qu'on nomme Haran ; il y établit sa demeure, et y resta quelque temps. Aujourd’hui cette même ville est florissante.
Or le roi de Haran était idolâtre ; il se nommait Noubil (Abimelech). Plusieurs personnes disent que Sara était sa fille; mais la vérité est que le prophète Abraham était parti du pays de Babylone, emmenant avec lui Sara, fille d’Aran, oncle paternel d’Abraham. Le roi de Haran dont nous venons de parler était aussi frère d’Azar et oncle paternel du prophète Abraham.

Après cela, Abraham partit avec les personnes qui se trouvaient avec lui, pour aller en Egypte, dans le pays où habitaient sa mère et son père. Or il y avait à cette époque, en Syrie, dans la Palestine, cinq villes considérables. Ces villes étaient voisines et à la portée de la voix l’une de l’autre. Il y avait dans chacune d’elles cent mille hommes. On nommait ces villes al-Moutafikât, c’est-à-dire « celles qui sont convaincues de mensonge, » parce que leurs habitants n’avaient pas voulu croire au prophète Loth.

Or ces gens-là dirent à Abraham : Il faut que tu demeures dans ce lieu et que tu t’y établisses. Abraham n’accepta pas ces propositions; mais Loth dit : Je resterai ici ; et il resta dans ce lieu-là avec les hommes qui avaient suivi Abraham.
Après cela. Abraham partit avec Sara et alla en Égypte. Il descendit dans un lieu où personne ne le connaissait. Lorsque les habitants de l’Égypte virent Sara, ils furent étonnés; car jamais ils n’avaient vu une femme aussi belle, ni pour les traits du visage, ni pour la taille et la stature. Ils allèrent donc annoncer au roi d’Égypte la nouvelle de l’arrivée d’Abraham, et ils lui dirent : Ô roi, un étranger est arrivé, et avec lui est une femme d’une beauté telle que jamais les yeux des hommes n'ont rien vu de semblable. Le roi d’Égypte fit appeler Abraham et lui dit : Dis la vérité ; qui es-tu, et pour quel motif es-tu venu dans ce pays ? Abraham répondit : Je suis du pays de Babylone. J’ai entendu parler de ta justice, et je suis venu dans ce pays pour me réfugier à l’ombre du roi. Le roi ajouta : Cette femme qui est avec toi, que t’est- elle ? Abraham répondit : Elle est ma sœur. Or cette parole d’Abraham est vraie; car tous les croyants sont frères et sœurs, comme il est dit dans le Coran : « Certes, les croyants sont frères ; c’est pourquoi vivez en paix avec vos frères, et craignez Dieu, afin que vous obteniez miséricorde. » (Sur. XLIX, vers. 10.) Après cela, le roi d’Égypte dit à Abraham : Envoie-moi ta sœur, afin que je puisse la voir; et il le fit surveiller afin qu'Abraham exécutât ses ordres. Abraham s’en alla vers Sara et lui dit : Le roi a un grand désir de t’enlever, et il a envoyé avec moi un homme d'entre les siens pour t’emmener. J'ai dit que tu étais ma sœur; toi, dis aussi la même chose.

Or on rapporte qu’Abraham n’adora jamais les idoles, et qu'il ne mentit que trois fois : une fois lorsqu'il dit, Sara est ma sœur; une autre fois lorsqu’il dit, Je suis malade; et une troisième fois lorsqu’il dit : C’est la plus grande de toutes les idoles qui a fait ce que vous voyez. Mais ces trois assertions d'Abraham ne sont point des mensonges.

Or, lorsqu’on eut amené Sara devant le roi, et qu'il eut vu les traits, la taille et la stature de cette femme, il en perdit l’esprit, et il lui dit : Cet homme duquel tu dépends, que t’est-il ? Sara répondit : Il est mon frère. Le roi ajouta : Je lui demanderai de te donner à moi pour femme. Après cela, sentant des désirs, il fit retirer les personnes qui étaient présentes, et il étendit la main sur Sara. Alors Sara dit : Que la main qui a été étendue sur une femme qui appartient à un prophète devienne sèche. Par l’ordre du Roi doué de gloire, la main du roi d’Égypte devint sèche, de sorte qu’il ne pouvait plus la remuer. Ce roi dit à Sara : Prie, afin que ma main reprenne son état naturel, et je ne te toucherai pas. Sara pria, et la main du roi d’Égypte recouvra son état naturel. Le roi étendit une seconde fois la main sur Sara ; Sara pria une seconde fois, et la main du roi sécha de nouveau. Or il arriva jusqu’à trois fois que le roi étendit la main sur Sara, que sa main sécha, et qu'elle fut rendue à son état naturel par les prières de Sara. La quatrième fois il s'abstint de toucher Sara, et lui dit : C’est au moyen de la magie que tu as fait sécher ma main. Sara lui répondit : Je n’ai point fait sécher ta main ; je suis une femme appartenant à un prophète du nombre des prophètes de Dieu. Après cela, le roi d’Égypte dit : Cherchez le frère de cette femme, afin que je la lui rende. Les gens du roi d'Égypte se mirent donc à la recherche d’Abraham.

Or, lorsqu'on enleva Sara à Abraham, ce patriarche se mit en prière ; il n'eut pas la force de supporter son malheur, et il dit : Seigneur, on m’a jeté dans le feu, je n'ai eu aucune inquiétude, et je n’ai demandé de secours à personne; mais à présent la force et la résignation me manquent dans la position où je suis, viens à mon secours ! Au même instant Dieu envoya Gabriel, et celui-ci enleva le voile qui se trouvait entre Abraham et le roi d'Égypte, en sorte qu’Abraham voyait Sara et entendait sa voix, comme aussi celle du roi ; mais personne ne savait et ne voyait ce qui se passait entre Sara et le roi, excepté Abraham.

Lorsque les gens du roi d’Égypte eurent trouvé Abraham, ils le conduisirent devant ce roi, qui ordonna d’amener Sara, et la combla de bontés et de présents. Il fit aussi des offres magnifiques à Abraham; mais celui-ci ne voulut rien accepter.

On dit que le roi d’Égypte avait quatre cents jeunes filles. Il dit à Sara : Je te donne deux jeunes filles d’entre toutes ces jeunes filles. Va, choisis celles que tu voudras, et emmènes-les. Sara ne les accepta point. Alors le roi fit un serment et dit : Accepte au moins une jeune fille. Or, parmi ces jeunes filles, il y en avait une dont le nom était Agar, et qui occupait un rang supérieur à celui des autres. Elle aimait Sara, et, dès l’instant où ces deux femmes se virent, elles sentirent de l'affection l’une pour l’autre. Le roi donna Agar à Sara, et il congédia avec honneur Abraham et sa suite. Or Abraham et les personnes qui étaient avec lui s’en allèrent en Palestine, auprès de Loth. Il y avait dans ce pays-là un endroit dont le nom était Saba' (Bersabée) ; c’était un lieu désert, et dans lequel il n’y avait point d’hommes. Abraham s’y arrêta et s’y établit avec Sara et Agar. Or, comme on ne trouvait point d’eau dans ce désert, Abraham creusa un puits, et il y vint de l’eau douce. La nourriture qu’Abraham avait apportée pour lui et les siens étant consommée, ils eurent faim. Abraham, ne sachant que faire, prit un sac, le mit sur ses épaules, et s’avança dans le désert. Dans sa route, le sommeil s'empara de lui ; il plaça sous sa tête le sac qu’il portait, et, lorsqu’il se réveilla, le temps d’aller dans un lieu quelconque était passé ; il était trop tard. Alors Abraham retourna sur ses pas, et dit : Cette nuit je me rendrai à ma demeure, et demain j’irai à la recherche de quelque chose.

Quand il fut arrivé près de Sara et d’Agar, il eut honte de rentrer les mains vides, et de se présenter ainsi devant ces femmes. Il prit un peu de sable qu’il mit dans son sac, et, allant ensuite vers Sara et Agar, il dit : C’est afin de leur faire croire un instant que j’ai apporté quelque chose. Ensuite il jeta son sac à terre et s’endormit. Or Sara dit à Agar : Vois donc ce qu’Abraham a apporté dans ce sac. La nuit était devenue obscure, Agar se leva, examina le sac, et elle trouva qu’il renfermait de la fleur de farine. Sara et Agar se mirent aussitôt à réduire en pâte cette fleur de farine, et elles firent cuire du pain cette nuit-là même. Après cela, Agar alla vers Abraham, le réveilla et lui dit : Lève-toi, car j’ai fait cuire du pain, afin que tu manges. Lorsque Abraham se fut levé et qu’il eut vu le pain cuit, il dit : D’où avez-vous pris cette fleur de farine ? Sara et Agar lui répondirent : C’est celle que tu as apportée. Abraham comprit alors que ce changement s’était opéré par la puissance de Dieu. Quand il fut jour, Abraham, Sara et Agar trouvèrent du blé mêlé dans la fleur de farine. Ils mirent ce blé à part et le semèrent. Or toutes les richesses qu’Abraham posséda, et qu’il put amasser, proviennent du sable qui était dans le sac qu’il porta à Sara et à Agar, sable qui devint de la fleur de farine par la puissance de Dieu.

Abraham rendit ensuite florissants les environs du puits qu’il avait creusé ; et il amena des brebis dans ce pays, qu’il ensemença. De toutes les contrées, les hommes se dirigèrent vers le lieu qu’habitait Abraham, et ils y élevèrent de nombreuses constructions, qui aujourd'hui forment une grande ville.

Or, Abraham et Loth demeuraient près l’un de l’autre. A chaque instant, Loth allait avec une suite nombreuse à l’endroit où Abraham avait fixé sa résidence. Lorsque les hommes se trouvèrent réunis en grand nombre aux environs du puits qu’avait creusé Abraham, ils devinrent à charge à ce prophète, qui prit avec lui Sara et Agar, et ils partirent tous les trois et allèrent dans un autre endroit de cette même contrée, que l’on nommait Qat. Ils s’établirent dans ce lieu-là.

Après le départ d’Abraham, l’eau des habitants de Bersabée commença à diminuer. S’en étant aperçus, ils éprouvèrent du repentir de leur conduite envers Abraham, et ils dirent : Qu’avons-nous fait ? Ils allèrent donc vers Abraham, et lui demandèrent pardon de leur faute, pour tâcher de le ramener à Bersabée. Abraham ne voulut pas retourner dans ce lieu-là. Ces hommes lui dirent : Puisque tu ne veux pas revenir à Bersabée, prie du moins Dieu, afin qu’il ne nous prive pas de l’eau que nous avions. Alors Abraham leur donna sept chèvres, pour qu’ils les portassent au puits de Bersabée et que ces animaux fussent une bénédiction qui augmentât l’eau. Dieu donna à Abraham, dans les environs du puits de Qat, une grande quantité de bétail et des esclaves sans nombre, et il le bénit.

Abraham, ayant amassé toutes ces richesses, chargea des hommes d’aller dans le pays, jusqu’à cinq journées de chemin, et de lui amener les personnes qu’ils rencontreraient. Abraham recevait ces étrangers et les nourrissait.

Le peuple de Loth était idolâtre et infidèle ; nous raconterons son histoire plus loin.


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CHAPITRE XLVIII.
MORT DE NEMROD.

Or Nemrod était toujours en hostilité avec Abraham, comme nous l’avons fait connaître en rapportant l’histoire des vautours et de la caisse, de la construction de la tour, du voyage aérien pour monter au ciel, de la guerre entreprise contre Dieu et des flèches lancées contre lui. Dieu agit toujours avec bonté envers Nemrod, et il lui donna la royauté pendant mille ans, jusqu'à ce que Nemrod se fut abusé lui-même et eut juré en disant : Je ne cesserai pas de faire la guerre contre Dieu.

Après cela, Dieu envoya vers ce prince un ange, sous la figure d’un homme, qui lui dit : N’agis pas ainsi ; car tu es un faible esclave de Dieu, qui t’a accordé la royauté pendant mille ans. Tu as voulu monter au ciel pour faire la guerre à Dieu ; tu as jeté dans les flammes un de ses prophètes, que tu as, outre cela, chassé hors de ses possessions et de son pays. Dieu ne t’a infligé aucun châtiment pour tous ces crimes ; n’agis donc pas comme tu as l'intention de le faire, et crois à Abraham. Si tu ne m’obéis pas, Dieu te prendra et te fera périr par le moyen de la plus faible de ses créatures. Nemrod répondit à l'ange : Tu es certainement parent de ce magicien; et moi, je ne reconnais sur la terre aucun autre roi que moi; et pour le ciel, je ne sais pas ce qui s’y passe. Or, s’il y a dans le ciel un roi plus puissant que moi, toi, Abraham et ses lieutenants, allez, dites à ce roi qu’il amène son armée, et moi j’amènerai la mienne, afin que, s’il est le plus fort, il montre sa supériorité, et que, si je suis le plus fort, tu le voies de tes propres yeux.
L’ange lui répondit : C’est bien. Nemrod ordonna qu’on fit venir son armée des villes et des endroits dans lesquels elle se trouvait, et il réunit autour de sa personne cent mille hommes, tous complètement armés. Alors Nemrod appela l’ange et lui dit : Engage le Dieu du ciel à amener son armée; car j’ai réuni la mienne. L’ange lui répondit : Dieu n’a pas besoin d’employer une armée contre toi, ô maudit; mais il ordonnera à la plus faible de ses créatures de te détruire, toi et ton armée. Alors, levant son visage vers le ciel, l’ange dit : Ô Seigneur, tu sais mieux que personne ce que dit ton ennemi.

Après cela, Dieu donna ses ordres au moucheron, qui est le moindre des animaux de l’armée divine, et une armée de moucherons tomba sur la tête et sur le visage de ces infidèles maudits. Toutes les piqûres que faisaient ces insectes étaient telles, par la puissance de Dieu, que tu aurais dit : Jamais elles ne se guériront. Ces moucherons étaient si nombreux, qu’ils empêchaient les soldats de Nemrod de se voir les uns les autres ; et tous les chevaux qui étaient piqués par eux sautaient en l’air avec une telle violence, qu’ils rejetaient de dessus leur dos l'homme qui les montait, et le cheval tombait d’un côté et le cavalier de l'autre; de sorte que l’armée de Nemrod fut entièrement dispersée et mise en fuite. Nemrod s’enfuit seul et retourna chez lui. Lorsqu’il eut atteint sa maison, il pensa avoir échappé au sort qui le menaçait. Alors Dieu inspira à un moucheron des plus faibles de son espèce, borgne et boiteux, de descendre des airs et de se poser sur les genoux de Nemrod. Celui-ci voulut frapper le moucheron, qui s’envola, entra dans son nez, et monta jusqu'à son cerveau, qu’il commença à manger. Nemrod se frappa la télé et le visage avec ses mains.

Or, toutes les fois qu’on frappait sur la tête de Nemrod, le moucheron qui lui mangeait le cerveau s’arrêtait, et ce prince trouvait du repos. De sorte qu’il fallait qu’on donnât continuellement des coups sur la tête de Nemrod pour diminuer les douleurs qu'il éprouvait; car, lorsqu’on cessait de le frapper ainsi, le moucheron recommençait à lui manger le cerveau, et il ne pouvait plus jouir d’aucune espèce de tranquillité. Il y avait toujours une personne occupée à frapper avec quelque chose sur la tête de Nemrod, pour lui procurer un peu de soulagement. Ce prince ordonna ensuite que l’on fît un marteau de forgeron, et ceux des princes, des chefs de l’armée et de ses courtisans les plus intimes qui vivaient encore, prenaient ce marteau et frappaient sur la tête de Nemrod, en se relayant les uns les autres. Or, plus les coups étaient forts et violents, plus Nemrod était satisfait.

Nemrod avait régné pendant mille ans, lorsqu’il commença à éprouver le tourment du moucheron ; jusque-là il n’avait senti aucun mal. On dit qu’il vécut quatre cents ans ayant ce moucheron qui lui rongeait toujours la cervelle ; et, chaque jour, des hommes se succédaient pour lui donner des coups de marteau sur la tête.
Lorsque Nemrod eut vécu quatorze cents ans, il mourut. Son royaume passa à un de ses proches, nommé Qantarî, qui exerça la royauté pendant cent ans. Après celui-ci, la royauté passa aux Araméens, qui la possédèrent pendant trois cents ans. La royauté sortit ensuite de cette nation et passa aux Perses.


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Message par Ligeia Mer 3 Fév - 8:14

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CHAPITRE XLIX.
HISTOIRE D'ISMAËL.

Or Abraham acquit de grandes richesses, et il désira avoir de Sara un enfant; mais il n’en eut aucun. Sara dit alors à Abraham : Tu n’auras point d’enfants de moi; si tu veux, je te donnerai Agar, peut-être auras-tu d’elle un enfant. Abraham répondit: J'y consens. Sara lui donna ensuite Agar, et, peu de temps après, il eut d'elle un fils qu'il nomma Ismaël. Lorsque Agar accoucha d’Ismaël, Abraham fut rempli de joie ; mais Sara éprouva de la colère et une violente jalousie. N’étant plus maîtresse d’elle-même, elle eut des querelles et des disputes avec Abraham, et elle lui dit des injures. Ensuite elle dit avec serment : Je couperai une partie quelconque du corps d’Agar, ou une main, ou un pied, ou une oreille, ou le nez. Mais, après avoir réfléchi, elle dit : C’est moi qui ai commis cette faute, car j’ai donné Agar à Abraham. Il ne serait pas juste de couper à cette jeune fille une partie de son corps, ni de la tuer ; mais j’ai juré, et il faut absolument que je lui coupe quelque chose. Après y avoir pensé, elle dit : Je la circoncirai pour l’empêcher de rechercher les hommes. Lorsque Sara eut circoncis Agar, Dieu imposa la circoncision à la famille d' Abraham, et à toutes les personnes qui suivraient  la religion d’Abraham, de sorte que Sara elle-même fut obligée de se circoncire, et Abraham également. Or on dit que, lorsque Sara subit cette opération, elle avait soixante et dix ans, et Abraham était plus âgé qu'elle de dix ans.

On rapporte les paroles suivantes du prophète. Il y avait de son temps une femme nommée Oumm-'Atiya ; elle passa près du prophète qui lui dit : Ô Oumm-'Atiya, où vas-tu ? Elle répondit : Ô apôtre de Dieu, je vais circoncire. Le prophète dit alors à Oumm-'Atiya des paroles dont le sens était : Lorsque tu circoncis une femme, ne lui coupe pas trop de chair, afin qu’elle conserve la beauté de son visage ; car, lorsqu'on coupe trop de chair à une femme, la beauté de son visage disparaît, elle n’est plus agréable aux yeux des hommes.


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CHAPITRE L.
RECIT DE L'EXPULSION D'ISMAËL ET D'AGAR.

Or, bien que Sara voulût supporter avec patience Ismaël et Agar, elle ne put pas gagner cela sur elle-même ; et, à chaque instant, elle avait des querelles à leur sujet. Les choses allèrent à un tel point, que le cœur d’ Abraham poussa des gémissements vers Dieu et se plaignit de Sara. Dieu répondit à Abraham : La femme sort de la côte gauche de l'homme, il faut user d’indulgence avec elle ; il n’y a pas d’autre moyen. Après cela, Sara dit à Abraham : Je n’ai pas la force de vivre ainsi plus longtemps. J’ai circoncis Agar, et Dieu m’a punie en m'imposant, à moi et à tous les hommes, la circoncision comme un devoir. Maintenant je crains de commettre quelque action qui nous rende coupables envers Dieu, toi et moi. Abraham resta d'abord sans savoir que faire, ni quel moyen employer dans cette conjoncture. Il se leva ensuite, emmena Ismaël et Agar, prit un peu de nourriture et de boisson et se dirigea vers le désert. Abraham marchait l’esprit égaré, ne sachant que faire, où aller ni où conduire Agar et Ismaël.

Lorsqu'il eut fait un peu de chemin, Gabriel se présenta devant lui en disant : Où vas-tu et où conduis-tu cet enfant ? Abraham répondit : Je n'en sais rien ; je les éloigne de la main de Sara. Gabriel dit à Abraham : Conduis-les dans l’enceinte consacrée à Dieu, dans l’endroit où était la maison visitée. Abraham, étant arrivé dans ce lieu-là, remarqua qu’il était désert, et qu'on n’y voyait ni constructions, ni hommes, ni eau, ni herbe; on ne trouvait dans ce pays que des montagnes et des pierres, et rien à manger. Abraham se dit en lui-même : Comment les laisserais-je ici, dans un désert aride, sans eau et sans herbe ? Or Abraham n'avait jamais tenu son cœur éloigné de Dieu; il mit en lui sa confiance, et il dit à Agar : Je vous remets aux soins de Dieu. Ismaël avait alors deux ans. Abraham plaça devant Agar et Ismaël une outre pleine d’eau et les provisions qu’il avait, et, après cela, il voulut s’en aller. Agar lui dit : Crains Dieu, et n’abandonne pas dans un désert une femme sans force et un jeune enfant. En disant ces paroles, elle s'attacha à Abraham, qui lui répondit : Je fais ce qui est agréable à Dieu.
Après cela. Abraham s’en alla, et retourna vers Sara. Agar et Ismaël restèrent où ils étaient, dans le lieu où se trouvent aujourd'hui la Caaba et le puits de Zemzem. Agar mangea des provisions et but de l’eau que lui avait laissées Abraham, jusqu’à ce qu’elle se fût rassasiée. Après cela, comme elle était assise, elle se leva, et monta sur la colline de Çafà pour chercher de l’eau. Bien qu’elle allât de côté et d’autre, elle ne trouva aucun indice qui put lui faire supposer qu'il v avait de l’eau dans ce lieu-là. Elle monta ainsi jusqu'à sept fois sur les collines de Çafà et de Merwa. Ismaël se mit à pleurer, suivant l’usage des enfants lorsqu'ils se trouvent sans leur mère ; et, ayant frappé du talon contre terre, comme font encore les enfants, une source parut sous son talon. Cette source alimente le puits de Zemzem, qui est aujourd'hui sur le lieu même où l'eau parut autrefois. Lorsque Agar entendit les cris et les pleurs d'Ismaël, elle courut vite vers lui ; lorsqu'elle fut arrivée à l'endroit où il était, elle vit l’eau qui jaillissait et qui coulait sous le talon de son enfant. A cette vue, Agar fut remplie de joie, et, craignant que l’eau ne se perdit, elle apporta de la terre, qu’elle plaça autour de la source.

Le prophète nous apprend que cette eau, si Agar ne l’avait pas retenue par une élévation de terre, aurait formé un des plus grands fleuves qui aient existé, à cause de la bénédiction attachée à Ismaël ; mais, ayant été ainsi arrêtée, elle n'augmenta plus et resta au même point, comme dans une piscine. Les oiseaux de l'air se réunirent autour de cette source ; car, dans le désert, les oiseaux voltigent dans tous les lieux où il y a de l’eau, et ils y font entendre leur gazouillement. C’est par le chant des oiseaux que les habitants du désert connaissent les endroits où l’on trouve de l’eau.

Or il y avait des gens établis auprès d’un puits, sur le territoire de la Mecque. On nommait Djorhom la tribu à laquelle ils appartenaient. Leur puits était à sec, et ils erraient dans la campagne pour chercher de l’eau. Voyant des oiseaux, ils se dirigèrent vers eux, et ils trouvèrent la piscine dont nous avons parlé, dans un lieu où ils n’en avaient jamais vu auparavant. Ils dirent à Agar : Oui es-tu, et d’où vient cette eau ? Il y a de longues années que nous sommes dans ce désert, et jamais nous n'avons vu d’eau ici. Cet enfant, à qui appartient-il ? Agar répondit : Dieu m’a donné cette eau, et cet enfant est mon enfant. Ces gens dirent alors à Agar : Nous sommes établis dans ce désert, auprès d’un puits qui est actuellement à sec. Si tu le veux, quelques-uns d’entre nous viendront vers toi, afin que ton cœur n’éprouve pas les angoisses de la solitude, et tu nous donneras une partie de ton eau. Agar répondit : Cela me convient.
Après cela, des gens de la tribu de Djorhom s’établirent auprès d’Agar, et ils en usèrent bien avec Agar et Ismaël ; celui-ci grandit dans ce pays-là.
Trois ans se passèrent, et Ismaël atteignit l’âge de cinq ans. Abraham demanda des nouvelles d’Ismaël à Gabriel. Celui-ci répondit : Dieu a fait jaillir pour lui une source qu’il lui a donnée, et des hommes se sont réunis autour d’Agar el d’Ismaël, que protège Dieu. Après cela, Abraham demanda à Sara la permission d’aller rendre visite à Ismaël. Sara, dans la crainte de Dieu, n’osa pas empêcher Abraham d’aller voir son épouse et son fils. Elle lui accorda la permission qu'il sollicitait, et elle lui dit : Va; mais il faut que tu te contentes de les voir, sans même descendre de ta monture. Abraham monta sur le Borâq de notre prophète, et il arriva le soir au terme de son voyage, quoiqu'il y eût cinq jour- nées de chemin du lieu d’où il était parti jusqu’à la Mecque. Pendant que Dieu envoyait le Borâq à Abraham, il chargeait en même temps Gabriel d’aller détruire le peuple de Loth. On dit que Gabriel, allant exécuter les ordres de Dieu, passa auprès d’Abraham et lui annonça la naissance d'Isaac.

Or sache que, lorsque Sara accoucha d’Isaac, Ismaël avait cinq ans. L’histoire d’Isaac et celle de Loth seront rapportées dans cet ouvrage. Lorsque Ismaël fut grand. Agar mourut. Les gens de la tribu de Djorhom qui s’étaient établis auprès d’elle dirent : Cette eau appartient à ce jeune homme, et, s'il quitte ce lieu-ci, la source tarira. Ils usèrent donc de ruse, et ils donnèrent pour femme à Ismaël une jeune fille des plus considérées de leur tribu, espérant que de cette manière il ne quitterait pas le pays et qu’il s’y établirait.


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Message par Ligeia Lun 8 Fév - 10:50

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CHAPITRE Ll.
VISITE D’ABRAHAM A ISMAËL.


Or, lorsque Agar mourut, Ismaël était devenu grand, et Abraham allait chaque année s’enquérir par lui-même de l'état de son fils. L’année dont nous parlons, quand Abraham voulut aller visiter Ismaël, Sara lui fit jurer qu'il rendrait cette visite sans descendre de sa monture. Lorsque Abraham fut arrivé à l'endroit qu'habitait Ismaël, il chercha sa maison, vers laquelle il se dirigea, et il frappa à la porte. La femme d'Ismaël s’avança derrière cette porte, et Abraham lui dit : Qui es-tu ? Cette femme répondit : Je suis l’épouse d'Ismaël. Après cela. Abraham lui demanda: Où est Ismaël ? Elle répondit : il est à la chasse. Abraham dit ensuite à la femme d’Ismaël : Je ne puis pas descendre de ma monture ; n'as-lu rien à manger ? Cette femme lui répondit : Je n’ai rien ; ce lieu est un désert. Alors Abraham voulut s'en retourner, à cause du serment qu'il avait fait à Sara. Or il n’avait demandé à manger que pour éprouver la femme d'Ismaël ; car il n’avait aucun besoin de nourriture. Il dit à cette femme : Je m’en retourne ; lorsque ton mari reviendra, dépeins-lui ma personne, et dis-lui de ma part qu’il change le seuil de sa porte, et qu'il en mette un autre à la place de celui qu’il a maintenant.
Après le départ d’Abraham, lorsque Ismaël fut de retour, cette femme lui dépeignit Abraham et lui rapporta ses paroles. Ismaël dit alors: Ô femme, cet homme est mon père, et le seuil qu’il m'ordonne d’arracher, c’est toi. Le discours de mon père signifie que je dois te répudier, parce que tu ne me conviens pas. Ismaël répudia donc sa femme, et il en épousa une autre, qui était également de la tribu de Djorhom.

Or, l'année suivante, Abraham retourna vers Ismaël. Sara lui avait encore fait jurer de ne pas descendre de sa monture. Lorsque Abraham fut arrivé, il frappa à la porte de la maison d'Jsmaël. Une femme intelligente, belle de visage, remarquable par sa taille et sa stature, ainsi que par la douceur de ses paroles, s’avança vers la porte. Abraham lui demanda : Qui es- tu ? Cette femme répondit : Je suis l’épouse d’Ismaël. Abraham lui dit : Où est Ismaël ? Elle répondit : Il est à la chasse. Alors Abraham éprouva cette femme en disant : N’as-tu rien à manger ? Elle répondit : Oui ; et aussitôt elle rentra dans la maison, apporta de la viande cuite, du lait et des dattes, et dit : Excuse-nous, car nous n'avons pas de pain. Abraham mangea un peu de ce qui lui était offert, et il dit : Que Dieu bénisse ces trois choses en votre faveur ! Et maintenant on ne voit nulle part autant de viande, de lait et de dattes qu’à la Mecque, à cause de la bénédiction de la prière d’Abraham. Si on avait présenté du pain à Abraham, il serait devenu abondant à la Mecque, comme les trois choses dont nous venons de parler.

Après cela, la femme d’Ismaël dit à Abraham : Descends de ta monture, afin que je lave ta tête et ta barbe, et que j’enlève la poussière et la terre qui les couvrent. Abraham lui répondit : Je ne puis pas descendre ; mais, conservant un pied sur sa monture, il plaça l’autre sur une pierre qui se trouvait là. Or le pied d'Abraham était nu ; il resta marqué sur cette pierre, qui conserva son empreinte. Cette pierre se trouve maintenant auprès de la Caaba, dans le lieu que l’on nomme la Station d’Abraham, où les pèlerins vont la visiter.

Il y a des personnes qui disent que, lorsque Abraham construisit les murs de la Caaba, son ouvrage étant parvenu à une trop grande élévation pour qu’il pût l’atteindre avec la main, il monta sur cette pierre, qui conserva l’empreinte de son pied béni.

Quand Abrabam fut sur le point de repartir, il dit à cette femme : Lorsque Ismaël sera de retour, dépeins-lui ma personne, et dis-lui de ma part que le seuil de sa porte est solide et beau, qu'il doit le garder. Ismaël étant revenu de la chasse, sa femme lui rapporta tout ce qui s’était passé. Ismaël lui dit : Ô femme, celui que tu as vu est mon père, et le seuil de ma porte, c’est toi ; il veut dire par là que je dois te garder.


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CHAPITRE LII.
HISTOIRE DU PEUPLE DE LOTH ET NAISSANCE D’ISAAC.

Lorsque Ismaël eut atteint, à la Mecque, l’âge de cinq ans. Abraham désira avoir de Sara un enfant, afin qu’elle se trouvât plus satisfaite et qu’elle supportât plus facilement ses chagrins.

Or Dieu envoya Gabriel et Michel pour détruire le peuple de Loth, dont les crimes étaient nombreux, et il leur dit : Dans votre route, passez auprès d’Abraham ; annoncez-lui qu'il aura un enfant de Sara, et dites-lui que, lorsque cet  enfant naîtra, il le nomme Isaac ; dites-lui encore qu'Isaac aura un enfant auquel il faudra donner le nom de Jacob. Il est dit dans le Coran : « Nous avons annoncé à Sara Isaac, et, après Isaac, Jacob. » (Sur. XI, vers. 74.)

Après cela, Gabriel et Michel partirent pour aller détruire les villes de Loth, que l’on nomme al-Moutafikât. Loth habitait dans ce lieu-là même. Voici les noms de ces cinq villes : Çan'a, Maschhouh, Gomorrhe, Adama et Sodom. Il y avait dans chacune de ces villes plus de cent mille hommes, et Sodome était la plus considérable.

Plusieurs personnes disent que ces villes n’étaient qu’au nombre de quatre. Elles étaient situées entre le Hedjâz et la Syrie, et, lorsqu'on part de la Mecque pour aller dans cette dernière contrée, on passe par l’endroit où était Sodome, comme il est dit dans le Coran (sur. XV, vers. 76) : « Certes ces villes étaient sur le droit chemin. » II est reconnu que ces villes étaient sur la route de Syrie.

Or Loth résida un grand nombre d’années parmi les habitants de ces villes. Il avait pris une femme chez eux, et cette femme était infidèle. Loth eut d’elle plusieurs enfants, et, quoiqu’il les appelât à Dieu, ces enfants n’obéirent pas à leur père. Ils étaient livrés à l’idolâtrie, ils commettaient un grand nombre de péchés, et ils s’approchaient des jeunes gens comme on a coutume de s’approcher des femmes. Or, avant cela, personne ne s’était rendu coupable de ce crime, comme nous l’apprend le Coran (sur. VII, vers. 78) : « Rappelez-vous Loth, lorsqu’il dit à son peuple : Commettrez-vous un crime dans lequel vous n’avez eu aucun prédécesseur dans tous les siècles ? Vous approcherez-vous des hommes avec luxure en laissant les femmes ? Certes, vous passez toutes les bornes. »
Dieu déclare par là qu’avant le peuple de Loth personne n’avait commis ce crime ; et il dit encore dans un autre passade du Coran : « Vous approcherez-vous des mâles parmi les créatures, et abandonnerez-vous vos épouses que votre Seigneur a créées pour vous ? Certes, vous êtes des hommes prévaricateurs. » (Sur. XXVI, vers. 165.)

Indépendamment de ces crimes, ils commettaient encore celui d’infester les chemins, comme on le sait d'après les paroles suivantes du Coran : « Ne vous approchez-vous pas des hommes avec luxure ? N’infestez-vous pas les chemins ? Ne commettez-vous pas le crime dans vos réunions ? » (Sur. XXIX, vers. 28.) Ces mêmes hommes se plaçaient sur des montagnes et se moquaient de toutes les personnes qui passaient près d’eux. Ils se livraient dans leurs réunions à des actes inconvenants ; ils se renversaient les uns les autres et commettaient le mal entre eux. Telles sont les actions que Dieu nomme mounkar dans le verset précédent.

Lorsque ces gens eurent commis un grand nombre de crimes du genre de ceux que nous venons de nommer, Dieu envoya Loth vers eux avec une mission prophétique. Quand Loth s’acquitta de sa mission, ils se moquèrent de lui. Or Loth disait : Si vous ne croyez pas à Dieu, vous éprouverez un châtiment. Ces hommes lui répondirent comme il est dit dans le Coran : Apporte-nous ce châtiment dont tu parles, afin que nous sachions que tu dis la vérité.

Loth était parent de ces gens-là ; ce fut pour cette raison que lorsque Abraham passa avec Loth par le pays qu’ils habitaient, Loth dit : Je demeurerai ici. Quand il fut établi dans ce lieu-là. Dieu l’envoya avec une mission prophétique vers ce peuple. C’est à cause de cela que le Coran dit : « Le peuple de Loth a accusé de mensonge les envoyés de Dieu, lorsque leur frère Loth dit : Ne craindrez-vous pas Dieu ? » (Sur. XXVI, vers. 160.) Dieu, dans le verset précédent, nomme Loth leur frère, parce qu’il était leur parent, quoique d’une autre tribu. Loth leur disait : Abstenez-vous de faire le mal, et obéissez à Dieu. Ils n’écoutèrent pas les paroles de Loth, ils ne crurent pas en lui, et ils lui dirent : « Si tu ne cesses pas d’agir et de parler comme tu fais, nous te chasserons de la ville. » (Sur. XXVI, vers. 167.)

Or Loth avait acquis de grandes richesses, et de temps en temps il recevait des hôtes, comme faisait Abraham. Les habitants de Sodome s’emparaient des personnes que Loth recevait chez lui, les traitaient d’une manière indigne, et commettaient le mal avec elles. Loth se trouva fatigué de ces gens-là, et il dit : Seigneur, délivre-nous de ces hommes, moi et ma famille. Toutes les fois que Loth allait voir Abraham, il se plaignait de son peuple. Abraham l’engageait à prendre patience; mais Loth répondait : Je n’ai plus de patience ; et il se mettait en prière, demandait à Dieu son secours, et récitait les versets du Coran que nous avons rapportés.

Après cela, Dieu agréa les prières de Loth, et il fit partir Gabriel et Michel, et on rapporte qu’Isrâfîl était aussi avec eux. Or ces trois anges s’en allèrent sous la figure de trois jeunes hommes beaux de visage, bien faits et d’une taille élevée, tellement qu’il n’existait pas d’homme plus beau qu’eux. Ils traversèrent le pays qu’habitait Abraham. Celui-ci avait envoyé ses gens dans toutes les directions pour chercher des hôtes avec lesquels il pût manger le pain. Ces gens trouvèrent les trois anges, et les conduisirent vers Abraham. Lorsque Abraham les vit, il dit : Aujourd’hui nous avons reçu des hôtes qui sont semblables à des anges.

Quand ces anges furent arrivés, ils saluèrent tous trois Abraham, comme ii est dit dans le Coran : « Nos envoyés allèrent autrefois vers Abraham avec une agréable nouvelle ; ils lui dirent : Que la paix soit sur toi ! Abraham répondit : Que la paix soit sur vous ! et, sans différer, il apporta un veau rôti.» (Sur. XI, vers. 72.)

Après cela, Abraham se leva pour leur préparer de la nourriture. Or il possédait un jeune veau gras dont on avait conduit la mère au pâturage. Il fit rôtir ce veau , ou, suivant quelques personnes, il le fit cuire dans une marmite ou dans un four. Lorsque Abraham eut placé de la nourriture devant ses hôtes, ils n’éprouvèrent pas le besoin d'en prendre, parce qu’ils étaient des anges. Abraham proféra la formule Bismillah, et il dit : Avancez la main et mangez ! Les anges n'en firent rien. Après cela, Abraham mit un morceau dans leur bouche ; mais les anges ne touchèrent pas à cette nourriture. Abraham leur dit : Pourquoi ne mangez-vous point ? Gabriel répondit : Nous ne prenons pas de nourriture sans en avoir payé le prix. Abraham ajouta : Le prix de cette nourriture est le suivant : Lorsque vous serez sur le point de commencer, dites : Au nom de Dieu ; et quand vous aurez fini de manger, dites : Louange à Dieu. En agissant ainsi, vous aurez payé le prix de la nourriture ; car la nourriture appartient à Dieu, et il faut lui rendre grâces de nous l’avoir donnée. Alors Gabriel regarda Isrâfîl, et dit : Ce n’est pas sans raison que Dieu a nommé Abraham son ami. Après cela. Abraham commença à manger ; mais les anges ne mangèrent pas. Abraham conçut de la crainte, et la conduite de ses hôtes lui fut pénible, comme il est dit dans le Coran (sur. XI, vers. 73) : « Lorsqu’il vit que leurs mains ne touchaient pas à ce veau, il les désapprouva, et il conçut de la crainte à leur égard.»  En effet, à cette époque, lorsqu’on voulait faire du mal à quelqu'un, on refusait de partager sa nourriture. C’est pour cette raison qu'Abraham éprouva de la crainte, et il pensa qu’ils voulaient lui faire du mal. Or le visage d’Abraham changea de couleur. Sara regarda son mari, et, le voyant dans cet état, elle se mit à rire et dit en elle-même : Abraham est entouré de tant de monde qu’il n’a pas sujet de craindre ces trois hommes et d’avoir cette inquiétude qui se manifeste sur son visage et n’échappe à personne.
Le Coran dit : « Et son épouse Sara était debout, et elle se mit à rire. » Or les anges, voyant dans les yeux d' Abraham les signes de ce qui se passait en lui, et voulant chasser de son cœur la crainte qu’il avait conçue à leur égard, se firent connaître, et ils dirent des paroles dont le sens était : Ne crains pas ; nous sommes les apôtres de Dieu, qui nous a envoyés pour détruire le peuple de Loth. Nous sommes venus vers toi pour t’annoncer que tu auras de Sara un fils dont le nom sera Isaac, et Isaac aura un fils dont le nom sera Jacob. Ceux-ci seront pères d’une nombreuse postérité.

Sara dit alors les paroles suivantes, qui sont rapportées dans le Coran : « Hélas! enfanterai-je ? Je suis vieille, et mon époux est âgé ; certes, cela serait une chose étonnante. » (Sur. XI, vers. 75.) Dans un autre endroit du Coran, Sara dit en parlant d’elle-même : « Je suis une vieille femme stérile. » (Sur. LI, vers. 29.) Or le mol 'aqîm, qui se trouve dans le texte du Coran, s’emploie pour désigner une femme qui a cessé d’être réglée. Gabriel, Michel et Isrâfîl dirent :
« Vous étonnez-vous de l’ordre de Dieu ? La miséricorde de Dieu et ses bénédictions sont sur vous, ô famille d’Abraham, etc. » Après cela, Sara regarda Abraham, et Gabriel dit : « Nous t’avons annoncé la vérité, ne sois donc pas du nombre de ceux qui désespèrent. Abraham répondit : Qui pourrait désespérer de la miséricorde de son Seigneur, excepté ceux qui sont dans l'erreur ? » (Sur. XV, vers. 56.)

Or Abraham fut affligé et tourmenté à cause de Loth, et il dit : Dieu veuille que Loth ne soit pas mort ! Dieu a dit : « Lorsque la crainte eut quitté Abraham, et qu’il eut reçu la bonne nouvelle de la naissance d'Isaac, il disputait avec nous au sujet du peuple de Loth ; car Abraham était doux, compatissant et pieux.» (Sur. XI, vers. 77.) Après cela, Gabriel, Michel et Isrâfîl dirent, comme le rapporte le Coran (sur. XXIX, vers. 31) : « Nous savons très bien quelles sont les personnes qui habitent Sodome ; nous délivrerons certainement Loth et sa famille, excepté sa femme, qui sera du nombre de ceux qui resteront.» Et ailleurs (sur. LI, vers. 35) : « Nous avons fait sortir de Sodome les fidèles qui s’y trouvaient.»

Après cela, les anges se mirent en route et reprirent leur forme naturelle jusqu'à leur arrivée à la ville de Sodome, dans laquelle ils entrèrent. Une fille de Loth s’offrit à leur vue; ils la reconnurent et lui demandèrent : Où est la maison de Loth ? car nous sommes ses hôtes. Celle jeune fille leur répondit : Suivez-moi ! et les anges la suivirent. Les hommes de la ville regardèrent les anges et dirent à la jeune fille : Qui sont ces jeunes gens si beaux de visage ? La jeune fille leur dit : Ce sont des hôtes de Loth. Tous les habitants de la ville furent alors remplis de joie, et ils dirent : Nous ferons cette nuit telle et telle chose avec ces jeunes gens. Ils désignaient par ces mots l'action coupable à laquelle ils se livraient habituellement.

Or cette jeune fille se mit à courir devant les anges, et elle dit à son père : Ô mon père, des hôtes viennent vers nous ; ils sont d une beauté telle que jamais nous n'avons reçu chez nous leurs semblables. Lorsque les anges furent arrivés, après la jeune fille, et qu’ils eurent vu Loth, ils le saluèrent. Loth les regarda ; il éprouva de l'affliction et dit : Ces jeunes gens si beaux sont venus ici ; maintenant les habitants de la ville viendront également, et ils commettront le mal avec eux. Il est dit dans le Coran : « Et lorsque nos envoyés furent arrivés auprès de Loth, il éprouva de l’affliction à leur sujet, etc. »

Après cela, Loth cacha les anges dans sa maison. La femme de Loth, qui était infidèle, alla vers les habitants de Sodome et leur dit : Loth a caché ses hôtes dans sa maison. Alors ces gens allèrent à la porte de la maison de Loth, auquel ils dirent : Fais sortir ces jeunes gens, et, si tu ne le fais pas, nous combattrons contre toi. Ils dirent encore : Ne t’avions- nous pas défendu de jamais recevoir des hôtes dans cette ville, en ajoutant que, si tu en amenais quelques-uns, nous ferions le mal avec eux ? Le Coran rapporte que les habitants de Sodome dirent à Loth : « Ne t’avons-nous pas interdit l’hospitalité envers tous les hommes ? » (Sur. XV, vers. 70.)
Loth, n’ayant aucun moyeu de s’opposer à eux, leur dit : Ne commettez pas avec mes hôtes ce crime honteux. Les habitants de Sodome n’écoutèrent pas les paroles de Loth, et ils se précipitèrent dans sa maison. Loth leur dit : Vous n’avez rien à démêler avec mes hôtes ; mais j’ai quatre filles ; elles sont toutes vierges, je vous les donnerai pour femmes, mais abstenez-vous de toucher à ces jeunes gens. Ces hommes lui répondirent : « Nous n’avons rien à voir avec tes filles ; nous voulons ces jeunes gens beaux de visage. » (Sur. XI, vers. 81.) Et, ne s’inquiétant point de Loth, ils se précipitèrent dans sa maison. Loth leur dit : « Si j’étais assez puissant pour vous résister, ou si je pouvais recourir à un appui fort ! » [Ibid. vers. 82.)
Lorsque les habitants de Sodome entrèrent dans la maison de Loth, celui-ci se mit à pleurer. Or les trois anges s’étaient retirés dans un même endroit. Trois d’entre les hommes du peuple de Loth entrèrent dans ce lieu-là, et ils étendirent la main pour saisir Gabriel et l’entraîner hors de la maison ; mais, avant que leurs mains eussent saisi la main de Gabriel, celui-ci, par un souffle qui sortit de sa bouche, frappa d’aveuglement ces trois hommes qui étaient entrés. Il est dit dans le Coran (sur. LIV, vers. 37) : «  Nous avons frappé leurs yeux en disant : Éprouvez, mon  châtiment et l’effet de mes menaces. » Lorsque ces trois hommes qui avaient été frappés d’aveuglement sortirent de la maison de Loth, tous ceux des habitants de Sodome qui étaient à la porte de cette maison et ceux qui y étaient entrés se retirèrent et se mirent à pousser des cris en disant : Ô hommes, Loth jusqu’à présent a exercé la magie au milieu de nous ; maintenant il a amené trois jeunes gens pour que ceux-ci frappent d’aveuglement les plus considérables des nôtres. Venez tous, afin que nous tuions Loth, que nous le chassions de chez lui et que nous dévastions tout ce qui lui appartient.

Quand Loth entendit ces paroles, il fut saisi de frayeur et dit en lui-même : Certainement ces jeunes gens exercent la magie. Or Loth était rempli de crainte, et Gabriel, ne voulant pas le laisser dans cet état, se fit connaître à lui au même instant et lui dit : « Ne crains pas et ne t’afflige point. » (Sur. XXIX, vers. 32.) Les anges dirent encore à Loth : « Ô Loth, nous sommes les envoyés de ton Seigneur, ces gens n’arriveront pas jusqu'à toi. Pars donc avec ta famille, à une heure quelconque de la nuit , et qu’aucun de vous ne se tourne en arrière, excepté ta femme, à laquelle il arrivera ce qui arrivera aux habitants de Sodome. » (Sur. XI, vers. 83.)

Après cela, Loth dit aux anges : Pour quelle affaire êtes-vous venus ici ? Les anges lui répondirent : Nous sommes venus pour détruire ton peuple. Il est dit dans le Coran : « Certes, nous sommes venus vers toi pour les choses au sujet desquelles les habitants de Sodome étaient dans le doute.» (Sur. XV, vers. 63.) Loth dit aux anges : Pourquoi donc ne faites-vous pas périr les habitants de Sodome ? Je suis pressé de voir leur punition. Gabriel dit alors : « Certes, la prédiction de leur châtiment sera accomplie le matin. Le matin est-il donc éloigné ? » (Sur. XI, vers. 83.) Les anges dirent ensuite à Loth : Lorsque cette nuit sera presque entièrement écoulée, lève-toi, sors de la ville avec les tiens, et ne regardez point derrière vous. Loth réunit donc sa famille, et ils sortirent tous de la ville de Sodome à la pointe du jour, Loth marchant avec eux. Quand le jour commença à poindre, Gabriel sortit et se plaça à l’extrémité des villes nommées al-Moutafikât. Le Coran dit : « Et le matin, de bonne heure, un châtiment durable les atteignit. »  (Sur. LIV, vers. 38.)
Lorsque Gabriel fut arrivé à l’extrémité de ces villes, il passa son aile sur le sol qu’elles occupaient, les en détacha, par la puissance de Dieu, et, les enlevant dans les airs, il les fit tourner et les renversa sens dessus dessous. Une eau noire sortit alors des lieux que couvraient ces villes. Il est dit dans le Coran : « Nous avons renversé ces villes sens dessus dessous, et nous avons fait tomber sur elles une pluie de pierres d’argile cuite ; ces pierres se suivaient l’une l’autre. » (Sur. XI, vers. 84.)

Un grand nombre de personnes appartenant à ces villes étaient allées dans d’autres pays ; des pierres lancées avec violence, par l'ordre de Dieu, frappèrent ces gens dans les endroits où ils se trouvaient, et ils périrent dans ces lieux-là mêmes.

La femme de Loth, qui était infidèle, se tourna en arrière. Or Dieu avait dit à Loth : Ne souffre pas que personne regarde derrière soi. Lorsque la femme de Loth regarda derrière elle, une de ces pierres tomba sur sa tête et la tua. Lorsque Loth vit que sa femme était morte, il se dirigea promptement vers le pays qu'habitait Abraham. Quand Loth fut arrivé, Abraham éprouva de la joie en le voyant, et il lui donna de grandes richesses. Loth s’établit dans ce pays-là.


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Message par Ligeia Sam 13 Fév - 12:20


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CHAPITRE LIII.
RÉCIT DE L'IMMOLATION D'ISMAËL.


Sache que, dans le temps où Abraham demanda un enfant à Dieu, poussé par le désir d'être père, il fit un vœu en disant : Ô Seigneur, si j’ai un enfant mâle, je te le sacrifierai. Or Ismaël était né et il avait grandi, Isaac aussi était venu au monde, des années s’étaient écoulées, et Abraham avait oublié son vœu.
Une nuit, Dieu dit en songe à Abraham: Ô Abraham, accomplis le vœu que tu as fait à Dieu. Or Abraham était un prophète revêtu du caractère d’apôtre, de sorte qu’il aurait été convenable que Dieu lui envoyât Gabriel pour lui dire d’accomplir son vœu ; mais Dieu lui fit connaître en songe sa volonté pour l’honorer aussi par une vision.
Parmi les prophètes il en est qui ont reçu leur mission par le moyen des songes ; et notre prophète se vit lui-même en songe entrant dans le temple de la Mecque, dont il faisait processionnellement le tour, coupant ses cheveux et se trouvant à la Mecque en sûreté contre les infidèles. Les Qoraïschites tenaient le prophète hors de la Mecque ; ce fut à cette époque qu'il eut le songe dont nous parlons. Il est dit dans le Coran :
« Déjà Dieu a accompli avec vérité la vision dans laquelle il disait à son apôtre : Certes, vous entrerez dans le saint temple de la Mecque, etc. » (Sur. XLVIII, vers. 27.) Or, si Dieu l’avait voulu, il aurait manifesté ses desseins au prophète par l’entremise de Gabriel, comme il fit pour le Coran ; mais il lui parla en songe pour l’honorer aussi par ce mode de révélation. Il en est de même d’Abraham ; ce fut pour l’honorer par une révélation en songe que Dieu employa ce moyen.

Plusieurs autres choses furent encore révélées en songe à notre prophète (en voici un exemple) :

Dans les premiers temps de l’islamisme, lorsqu'on voulait annoncer la prière, Bilàl montait sur un endroit élevé, et il disait, Prière générale, sans ajouter autre chose. Après cela, un homme, dont le nom était 'Abd-allah-ben-Zaïd, vit en songe, une certaine nuit, un ange qui descendait du ciel et qui lui disait : Dis aux Musulmans de faire l’annonce de la prière de telle et telle façon ; et l’ange lui indiqua la manière qui est aujourd’hui en usage. 'Abd-allah-ben-Zaïd se leva, alla trouver notre prophète et lui dit : Ô apôtre de Dieu, la nuit dernière, j’ai vu en songe telle et telle chose. Notre prophète dit : C’est bien. Celui que tu as vu était un ange auquel Dieu avait donné l’ordre de t’instruire. Dorénavant il faudra faire l’annonce de la prière comme il l’a prescrit. Le prophète ajouta : Ô 'Abd-allah, enseigne à Bilàl cette manière d’annoncer la prière, car il a une voix plus forte et plus agréable que la tienne.

Or le songe d’Abraham fut tel que nous l’avons rapporté.
Quant à la personne qui fut immolée, on n’est pas d'accord sur ce point. Suivant les uns ce fut Ismaël qu’Abraham offrit en sacrifice, et suivant les autres ce fut Isaac. Or nous avons deux traditions, qui viennent à l’appui de ces deux opinions différentes. La tradition suivant laquelle ce fut Ismaël est la suivante. Notre prophète a dit : Je suis le descendant de deux personnes immolées. Or, par ces deux personnes immolées, le prophète voulait désigner 'Abd-allah, son propre père, et Ismaël.

Voici la cause pour laquelle ‘Abd-allah fut offert en sacrifice : Du temps d’'Abd-al-Molalleb, qui était un des principaux personnages de son peuple et grand-père du prophète, le puits de Zemzem se trouva détruit, et les sources qui l’alimentaient tarirent. 'Abd-al-Motalleb fut affligé de cet événement. Or il avait dix fils qu'il amena avec lui, et ils se mirent tous à creuser dans l’endroit où avait été la source ; mais, quoiqu’ils eussent creusé la terre profondément, l’eau ne paraissait pas. Alors 'Abd-al-Motalleb fit un vœu à Dieu, en disant: Si cette eau revient, et si ce puits recouvre son premier état, j’offrirai en sacrifice un de mes fils. Lorsqu'il eut fait ce vœu, l'eau sortit du puits, par la puissance de Dieu. Après cela, ‘Abd-al-Motalleb convoqua ses dix fils et leur dit : J'ai fait à mon Dieu un vœu de telle et telle façon ; qu’en pensez-vous ? Ses enfants lui répondirent : C’est à toi à décider, et il est juste que tu commandes : fais ce que tu voudras. Ils convinrent tous de tirer au sort et d’immoler celui que le sort désignerait. Le sort tomba sur ‘Abd-allah, père du prophète. Alors ‘Abd-al-Motalleb dit : Comment sortir de la position dans laquelle je suis, car j’ai fait un vœu ! Mais son cœur s'opposait à ce qu’il fit périr son enfant, et de ses dix fils il n'y en avait aucun qu'il aimât autant qu'‘Abd-allah. 'Abd-al-Motalleb aurait voulu perdre tout ce qu’il possédait, et ne pas immoler 'Abd-allah. Or la mère d’’Abdallab appartenait à la famille des Benou-Zohra, qui était une des plus puissantes de la Mecque. Les Benou-Zohra se réunirent tous, et ils dirent à 'Abd-al-Motalleb : Nous ne souffrirons jamais que tu immoles cet enfant. Mais 'Abd-al-Motalleb ne savait quel moyen employer, parce qu’il avait fait un vœu et qu’il ne pouvait plus choisir. Il dit : Que ferai- je ? A quel moyen aurai-je recours pour racheter 'Abd-allah ? Alors les Benou-Zohra lui dirent : Il y a dans la ville de Khaïbar des astrologues qui possèdent le Pentateuque ; va les trouver, afin qu’ils te disent ce que tu dois faire pour éviter d’immoler 'Abd-allah. 'Abd-al-Motalleb partit et se rendit à Khaïbar.
Il raconta son histoire aux astrologues, depuis le commencement jusqu’à la fin. Ces juifs dirent à 'Abd-al-Motalleb, lorsque celui-ci eut achevé son récit: Va, mets d’un côté 'Abd-allah, et de l’autre un chameau ; tire-les au sort, et , si le sort désigne 'Abd-allah, ajoute un second chameau au premier, et recommence le tirage jusqu’à ce que le sort ne tombe plus sur 'Abd-allah, mais sur les chameaux, et alors tu offriras tous ces animaux en sacrifice.
'Abd-al-Motalleb retourna à la Mecque, et il exécuta ce que les astrologues lui avaient prescrit de faire. Il prit un chameau, puis deux, puis trois, et ainsi de suite jusqu’à cinquante. Le sort tomba sur 'Abd-allah jusqu’au quatre-vingt-dix-neuvième chameau ; miais, quand 'Ahd-al-Molalleb eut ajouté le centième, le sort tomba sur ces animaux. 'Abd-al-Motalleb comprit qu’il pouvait alors racheter son vœu, et il sacrifia les cent chameaux au lieu d’'Abd-allah. Cela est passé en usage parmi les Arabes, et quiconque voulait sacrifier une personne immolait à sa place cent chameaux.

Or on trouve dans le Coran un argument pour l'immolation d’Isaac, et un argument pour l’immolation d'Ismaël. Quant à l’argument pour l'immolation d’Isaac, on le tire des paroles suivantes : « Nous lui avons annoncé un jeune homme d’un bon naturel. Et lorsque ce jeune homme eut atteint l’âge de raison, et qu’il put se joindre à Abraham pour faire des actes religieux, celui-ci lui dit : Ô mon fils, certes j’ai vu en songe que je devais t’offrir en sacrifice, etc.» (Sur. XXXVII, vers. 101.) Or tous les savants conviennent que ce fut Isaac que Dieu annonça à Abraham. Ne voit-on pas d’ailleurs que Dieu a dit : « Nous avons annoncé à Sara Isaac, et, après Isaac, Jacob. » (Sur. XI, vers. 74.) Et dans un autre endroit : « Nous lui avons annoncé Isaac, excellent prophète. » (Sur. XXXVII, vers. 112.)

Les passages que nous venons de citer prouvent que ce fut Isaac qu’Abraham sacrifia. Voici maintenant le verset qui prouve que ce fut Ismaël : « Lorsqu’ils se furent soumis tous les deux aux ordres de Dieu, Abraham fit courber son fils le front vers la terre, et nous lui criâmes : Ô Abraham, maintenant tu as accompli ta vision. C'est ainsi que nous rémunérons les gens qui font le bien. Certes, cela était une épreuve manifeste. Nous l’avons racheté par une grande victime. » (Sur. XXXVII, vers. 103 et suiv.)

Or Abraham éleva son cœur vers Dieu. Il se résigna à immoler son enfant, et il dit : Je fais le sacrifice de mon enfant. Dieu lui dit alors: Ô Abraham, tu as accompli tout ce que tu as vu en songe, et voilà que je t’envoie un bélier afin que tu le tues à la place de ton enfant. Ainsi parla Dieu. Il approuva la conduite d’Abraham, et déclara que ce prophète était du nombre des gens qui font le bien.

Après avoir terminé le récit de l'immolation, dans le Coran, Dieu dit : « Nous lui avons annoncé Isaac, excellent prophète. » Ces paroles signifient : Lorsque Abraham eut accompli son vœu, et qu'il eut conduit son enfant sur le lieu du sacrifice, Dieu approuva cette conduite, il parla à Abraham et lui annonça Isaac. C’est comme si Dieu avait dit : Puisque Abraham a accompli son vœu, nous lui donnerons un autre enfant, fils de Sara, à la place du premier. Or Isaac ne naquit qu’après l'immolation. Le verset suivant, que nous avons déjà cité : « Nous avons annoncé à Sara Isaac, et, après Isaac, Jacob. » en est la preuve. Car, si Isaac avait été celui de ses enfants qu’Abraham offrit en sacrifice, Dieu n’aurait pas pu annoncer d’un côté qu’Isaac aurait un fils dont le nom serait Jacob, et dire ensuite à Abraham : Tue Isaac. Mais Isaac n’était point encore né lorsque l’immolation eut lieu. D’ailleurs, si Dieu avait ordonné à Abraham de sacrifier Isaac, après lui avoir annoncé que celui-ci aurait un fils nommé Jacob, Abraham n’aurait pas eu confiance dans les paroles de Dieu, lesquelles se seraient trouvées sans effet, soit au sujet de la naissance de Jacob, soit au sujet de l’immolation d’Isaac. Ce que nous venons de dire prouve donc que ce fut Ismaël, et non point Isaac, qu’Abraham offrit en sacrifice.

Or les paroles qu’Abraham adressa à Ismaël en disant, « Ô mon fils, certes j’ai vu en songe que je devais t’offrir en sacrifice : vois donc ce que tu penses, » furent prononcées lorsque Abraham avait déjà conduit son enfant au lieu du sacrifice.

Après le songe dont nous avons parlé. Abraham résolut d’accomplir son vœu de quelque manière que ce pût être. Il dit donc à Agar, mère d’Ismaël : Envoie cet enfant avec moi, afin qu’il m’accompagne pour aller chercher du bois. Alors Ismaël prit une corde et s’en alla avec son père. Abraham lui-même prit un couteau. On dit que, lorsque Abraham fut arrivé au sommet de la montagne, les anges du ciel se mirent à pleurer et dirent : Ô Seigneur, que ton serviteur Abraham est un grand serviteur ! Tu l’as éprouvé par le feu, et maintenant tu l’éprouves de nouveau par le sacrifice de son fils ! On dit également que la montagne poussa des gémissements, qu'elle trembla et qu'elle dit : Ô Seigneur, quel jour est celui-ci, dans lequel ton prophète offre en sacrifice son enfant !

Or Eblîs fut affligé de la résolution d’Abraham, et, ne sachant que faire pour empêcher ce prophète d'exécuter son dessein, il courut vers Agar et lui dit : Où est ton fils ? Agar répondit : Son père l'a emmené pour aller chercher du bois. Eblîs ajouta : Abraham t’a trompée, et il veut tuer ton fils. Agar dit alors : Tu es certainement Eblîs. Que la malédiction soit sur toi ! Aucun prophète n'a tué son fils, pourquoi Abraham tuerait-il le sien ? Eblîs lui répondit : Abraham dit que Dieu lui a ordonné d’agir de la sorte. Agar dit alors : Si cela est comme tu viens de le dire, moi aussi je me soumettrai aux ordres de Dieu.
Eblîs, désespérant de séduire Agar, courut vers l’endroit où était Abraham, et il se montra à Ismaël, par la raison que celui-ci était un enfant, et que le cœur des enfants est faible et sans force. Il lui dit donc: Ô Ismaël, ton père va t'immoler sur cette montagne. Ismaël répondit à Eblîs : Tu es certainement Eblîs. Un prophète de Dieu ne tue pas son fils innocent. Eblîs ajouta : Abraham dit que Dieu lui a ordonné d’agir de la sorte. Ismaël dit alors : Il faudra que j'obéisse à Dieu. Eblîs, n'ayant plus aucun espoir de séduire la mère ni le fils, dit à Abraham : Ô Abraham, c'est un démon qui t'a envoyé le songe que tu as eu. Ne tue pas ton fils à cause de ce songe, car Dieu ne serait pas satisfait de toi. Abraham comprit bien que celui qui lui adressait la parole était Eblîs ; il répondit : Ô maudit, je ne m'abstiendrai pas d’exécuter les ordres de Dieu à cause de tes paroles.

Après cela, Abraham plaça l'enfant devant lui, tira le couteau qui était dans sa manche, et, ayant mis sur son sein la tête de son fils, il se prit à pleurer. Alors Ismaël lui dit : Qu’as-tu, ô mon père ? Abraham répondit : Ô mon fils, j’ai vu en songe que je devais te faire périr. Ismaël lui dit : Fais, ô mon père, ce qui fa été formellement ordonné. S'il plaît à Dieu, tu trouveras en moi un homme patient. Il ajouta encore : Pourquoi, ô mon père, ne m'as-tu pas fait connaître plus tôt ton dessein, afin que je disse adieu à ma mère ? Alors le père et le fils se mirent tous les deux à pleurer.
Or sache que les larmes d'Abraham venaient de la compassion qu'il ressentait pour son fils, et non du chagrin que lui causait l’ordre de Dieu. Le prophète versa aussi des larmes lorsqu'un fils qu’il avait eu vint à mourir. Alors Abou-Bekr Çiddîk lui dit : Ô apôtre de Dieu, la tristesse ne nous a-t-elle pas été interdite, et la patience ne nous a-t-elle pas été recommandée ? Mahomet répondit : C’est vrai, mais mon cœur est affligé, et mes yeux se remplissent de larmes.

Or Ismaël dit : Ô mon père, le jugement appartient à Dieu ; dépêche-toi et ne perds pas de temps, car autrement tu deviendrais rebelle à Dieu, et ma mère, sans aucun doute, apprendrait ce qui se passe. Abraham se leva donc et se disposa promptement à faire le sacrifice. Il lia fortement les mains de son fils, le fit coucher sur le côté droit, et lui dit adieu du fond du cœur. Il voulut après cela placer le couteau sur la gorge d’Ismaël, mais sa main trembla, et il versa des larmes. On rapporte qu’à ce moment Ismaël tourna les yeux et dit : Ô mon père, couvre mon visage avec des vêtements ; car, tant que tu verras mon visage, ton cœur ne te permettra pas de me tuer. Suivant d'autres personnes, il dit : Couche-moi sur le visage. Abraham fit ce que lui disait son fils. On rapporte encore que, lorsque Abraham plaça le couteau sur le cou d'Ismaël, le couteau se retourna ; le tranchant se trouva en haut et le dos de la lame en bas. Abraham fut étonné de ce prodige, et Ismaël dit. : Qu’y a-t-il, ô mon père ? Abraham répondit : Je n’en sais rien ; mais, quoique je fasse tous mes efforts, le couteau ne coupe pas. Je vois en cela un prodige opéré par la décision de Dieu. Ismaël ajouta : Place de nouveau le couteau sur mon cou et emploie toutes tes forces. Abraham fit ce que lui disait son fils ; mais à ce moment Dieu fit descendre du ciel Gabriel avec un bélier dont nous allons donner la description.
On dit que ce bélier était blanc, qu’il avait les yeux noirs et les cornes longues. Lorsque Gabriel fut arrivé sur la montagne, tenant le bélier par l’oreille, il se plaça derrière Abraham, de sorte que celui-ci ne le voyait pas. Abraham mit le couteau sur le cou d'Ismaël, et il appuya fortement ; le couteau plia. Abraham se disposa à recommencer ; il leva le couteau pour frapper avec violence et achever d’un seul coup. Alors on entendit une voix qui disait : « Ô Abraham, maintenant tu as accompli ta vision » (Sur. XXXVII, vers. 105.) Lorsque Abraham entendit cette voix, il trembla, laissa tomber le couteau qu’il avait dans les mains, et s’écria : Dieu est très-grand ! Dieu est très-grand ! Gabriel répéta les mêmes paroles. Alors Abraham regarda derrière lui ; il vit Gabriel, et il dit : « Il n'y a d’autre Dieu que Dieu ! Dieu est très-grand ! Après cela, Abraham dit à Ismaël : Ô mon fils, lève la tête, le moment de ta délivrance est arrivé. Lorsque Ismaël leva la tête, il vit Gabriel qui tenait le bélier, et il dit : Dieu est très-grand ! Louange à Dieu !

Or sache que ces différentes exclamations forment le tekbîr que l’on récite le jour de la fête des sacrifices, lequel a été composé par Gabriel , l’esprit de Dieu, par Abraham, l’ami de Dieu, et par Ismaël, la victime de Dieu. Or Abraham délia les mains d’Ismaël, et Dieu dit à Abraham : Dis à Ismaël qu'il me fasse une demande ! Alors Ismaël fit la demande suivante : Toute personne qui paraîtra devant toi avec son péché, et qui aura la foi, remets-lui ses péchés en ma faveur. Dieu accorda à Ismaël cette demande.

Gabriel donna le bélier à Abraham dans l’endroit où aujourd’hui on jette des pierres et où l'on immole des victimes, sur la montagne de Mina. Or le bélier s’échappa des mains d’Abraham, et Abraham lança contre cet animal sept pierres, sans pouvoir l’atteindre. Alors Ismaël s’avança, et le bélier s'arrêta. Ismaël arriva auprès du bélier et le retint jusqu’à ce qu'Abraham, étant venu lui-même, le prit et l’immola.

Dieu appelle ce bélier 'adzîm. Or, en arabe, 'adzîm signifie grand. Toutefois ce mot ne doit point s’appliquer au bélier, mais à la belle action d’Abraham ; car l’idée de grandeur appartient à cette action dont le mérite demeure à Abraham, et dont la tradition se conservera jusqu'au jour du jugement.

Le sacrifice dont nous venons de parler fut une grande épreuve que Dieu envoya à son ami, et Abraham agit avec grandeur en se soumettant aux ordres de Dieu et en accomplissant le sacrifice qu’il s’était engagé à faire. Or Dieu a dit : « C’est ainsi que nous rémunérons les gens qui font le bien. » (Sur XXXVII, vers. 110.) Cela signifie : Quiconque agira ainsi, je lui donnerai sa récompense, comme je l’ai donnée à Abraham.

Quelques personnes disent que le bélier immolé à la place d’Ismaël était le même qu'Abel avait offert en sacrifice. Dieu agréa le sacrifice d'Abel, et il mit ce bélier dans le paradis, pour y paître jusqu'à l'époque de l'immolation d’Ismaël. Alors ce même bélier fut apporté et sacrifié pour la rançon d'Ismaël.


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Message par Ligeia Jeu 18 Fév - 10:26

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CHAPITRE LIV.
CONSTRUCTION DE LA CAABA PAR ABRAHAM ET PAR ISMAËL.

Or Dieu fit partir Abraham en disant : Va, rends-toi à la Mecque auprès d'Ismaël, réunissez vos efforts et élevez le temple de la Mecque. Dieu a dit : « Rappelle-toi lorsque nous donnâmes pour habitation à Abraham l’emplacement de la Caaba, etc. « (Sur. XXII vers. 27.) Ces paroles signifient : J’ai fait connaître à Abraham l’emplacement de la maison visitée. Dieu a parlé ainsi, parce que, dans le principe, quand la maison visitée fut apportée sur la terre et qu'elle fut placée dans l'endroit qu’occupe le temple de la Mecque, Adam partait tous les ans de la montagne de Seràndîb, se rendait à la maison visitée et en faisait processionnellement le tour. Adam continua ainsi pendant toute sa vie à visiter ce lieu-là. Plus tard, du temps de Noé, lorsque le déluge survint, la maison visitée fut enlevée au ciel, et l’emplacement qu'elle avait occupé était vide quand Dieu dit à Abraham : Pars, va à la Mecque et construis une maison sur le lieu où était la maison visitée, afin que tu aies la gloire d’avoir construit cette maison, comme tu as la gloire d'avoir fait plusieurs autres choses.

Or Ismaël était devenu grand, il s’était marié et il avait eu des enfants. Chaque année Abraham partait pour aller voir Ismaël et lui rendre visite. L’année dans laquelle se passèrent les événements que nous rapportons, Abraham alla voir Ismaël. Il le trouva sur une montagne, occupé à tailler des flèches pour la chasse, et il lui dit: Ô mon fils, Dieu m'a ordonné de bâtir une maison conjointement avec toi. Ismaël répondit : Je suis prêt à obéir, ô mon père.
Alors ils se disposèrent tous les deux à construire cette maison ; mais Abraham ignorait la manière dont les constructions devaient être faites et leurs dimensions. Dieu envoya un nuage de la grandeur de la Caaba, afin que la construction se fît dans l’espace que couvrait l’ombre de ce nuage, et qu’elle fût de la grandeur de cette même ombre. Quelques personnes disent qu’un serpent arriva et fit connaître les proportions que devait avoir cette maison.
Après cela. Abraham et Ismaël se mirent à creuser les tranchées qui devaient recevoir les fondations ; ils leur donnèrent en profondeur la dimension de la stature d’un homme. Ils élevèrent ensuite les fondations jusqu'au niveau du sol. Après cela, ils coupèrent des pierres aux montagnes voisines pour construire les murs de l’édifice. Dieu a dit : «Quand Abraham et Ismaël élevaient les fondations de la maison, ils disaient : Seigneur, reçois de nous cette maison, car tu es celui qui entend et qui sait. Seigneur, fais aussi que nous te soyons consacrés, etc. » (Sur. II, vers. 121 et suiv.)

Abraham se mit ensuite à bâtir, et Ismaël lui donnait des pierres ; Ismaël faisait les fonctions de manœuvre, et Abraham celles de maçon.

Or, lorsque le mur fut devenu haut, Abraham plaça une pierre sous ses pieds, afin d’en atteindre la partie supérieure. Abraham appuya avec force sur cette pierre, et la forme de son pied y resta empreinte. La pierre dont nous parlons est celle que I’on nomme aujourd’hui Makam-lbrahîm.

Lorsqu’ils eurent achevé la Caaba, ils dirent : «Seigneur, reçois de nous cette maison. » Ensuite ils ajoutèrent : «Fais-nous connaître nos cérémonies saintes. » C’est-à-dire: Indique-nous les cérémonies du pèlerinage que nous devons faire à cette maison, afin que nous sachions comment nous devons nous en acquitter. Ils dirent encore : «Tourne-toi vers nous, car tu es celui qui revient, le miséricordieux. » (Sur. II, vers. 122.) Enfin Abraham prononça des paroles dont le sens était : Envoie un prophète d'entre mes descendants, afin qu’il récite tes versets à ses frères, qu’il leur fasse connaître ton livre et ta sagesse. Et toi, Seigneur, purifie-les de leurs péchés. Le prophète a dit : C’est moi qui suis l’objet de la prière de mon aïeul Abraham. Cela veut dire : Cette prière est de mon aïeul qui demanda un prophète à Dieu ; et ce prophète que Dieu a envoyé, c’est moi.

Il est dit : « Dieu a usé de bonté envers les fidèles, lorsqu’il a suscité parmi eux un apôtre de leur propre nation, pour qu’il leur récitât ses versets, etc.» (Sur. III, vers. 158.)

Or Dieu envoya Gabriel à Abraham, afin qu’il lui fit connaître les rites du pèlerinage, qu’il lui enseignât à visiter Mina et le mont ‘Arafat, à faire processionnellement le tour de la Caaba, à jeter des pierres, à prendre le costume de pèlerin, à faire le sacrifice, à se raser la tète, à sortir des lieux saints, et tout ce qui concerne le pèlerinage.

Cette année-là, lorsque Abraham fit le pèlerinage, il confia le temple de la Mecque à Ismaël, et il lui dit : Ô mon fils, ce pays t’appartient ainsi qu'à tes enfants, jusqu'au jour du jugement. Après cela, Abraham, étant allé sur le mont Thebîr, se tourna tantôt vers la Syrie et tantôt vers la Mecque. Il vit que le pays de la Mecque était plein de montagnes et de pierres, qu’il manquait d’eau et qu’il ne s’y trouvait ni herbes, ni arbres, ni terres labourables, ni verdure ; et, de l'autre côté, il vit la Syrie toute couverte d’arbres, de verdure, d’eaux courantes et de terres ensemencées. Alors Abraham eut le cœur rempli de tristesse à cause d’Ismaël cl de ses enfants, et il dit : Comment habiteront-ils au milieu de ces montagnes stériles et sans arbres ?
Après cela, il leva les mains et tourna son visage vers le ciel, comme il est dit dans le Coran (sur. XIV, vers. 38) : "Lorsque Abraham dit : Seigneur, fais de ce lieu un pays sûr, et éloigne-moi, ainsi que mes enfants, du culte des idoles... J’ai fait habiter une partie de ceux de ma famille dans une vallée stérile, auprès de ta maison sacrée, afin qu’ils s'acquittent de la prière, ô Seigneur. Fais donc que le cœur de quelques hommes soit porté d'affection vers eux, et nourris-les de fruits, pour qu’ils te rendent grâces. »

Dieu exauça la prière d’Abraham; et maintenant il n’y a point à la Mecque de champs ensemencés, mais on y porte des autres contrées, telles que l’Egypte, l’Yémen et le Maghreb, des fruits, du froment, de l’orge, et tous les grains, les légumes et les autres choses qui se trouvent dans le monde et qui sont destinés à la nourriture. De sorte que, grâce à la considération d’Abraham, à la bénédiction répandue sur sa personne et à la prière qu'il adressa à Dieu, tout ce qui sert à la nourriture est en plus grande abondance à la Mecque que dans les autres pays.

Or Dieu dit à Abraham : Purifie ma maison pour ces hommes qui viendront des pays éloignés et qui s’inclineront et se prosterneront dans ce lieu pour m’adorer. Dieu dit encore à Abraham : Fais connaître aux créatures que tu as bâti cette maison afin que les hommes s’y rendent à pied et à cheval. Après cela, Gabriel dit : Ô Abraham, appelle les hommes au pèlerinage. Abraham répondit : Qui appellerai- je ? Il n’y a personne dans ces montagnes. Gabriel ajouta : Appelle les hommes, et Dieu fera entendre ta voix à qui il voudra. Alors Abraham dit à haute voix : Ô hommes, Dieu a bâti pour vous une maison, et il vous appelle à faire le pèlerinage : obéissez-lui. Dieu fit entendre la voix d'Abraham à toutes les créatures. Celles que Dieu avait prédestinées au bonheur du pèlerinage répondirent ce jour-là à Abraham et dirent : Me voici prêt à t’obéir, ô mon Dieu. Me voici prêt à t’obéir. Tu n’as point d’associé. Me voici prêt à t’obéir. Certes, la louange et les actions de grâces sont pour toi. L’empire t’appartient. Tu n’as point d’associé.
Or toutes les créatures qui étaient sur la face de la terre, toutes celles qui se trouvaient alors dans les reins de leur père, et toutes celles qui devaient s’y trouver par la suite jusqu’au jour du jugement, répondirent à Abraham. Maintenant, toutes les personnes qui s’acquittent du pèlerinage, et toutes celles qui s’en acquitteront jusqu’au jour du jugement, sont du nombre des gens qui, à cette époque, entendirent la voix d’Abraham et répondirent à son invitation. Toutes les personnes qui ne répondirent point à Abraham ne peuvent avoir le bonheur de s’acquitter du pèlerinage, quelques efforts qu’elles fassent pour cela.

Or, lorsque Abraham eut achevé toutes ces choses, il appela Ismaël et lui dit : Ô mon fils, je te confie tout ce pays et cette maison, par l’ordre de Dieu. Après cela, Abraham retourna en Syrie auprès de Sara, et chaque année, à l’époque du pèlerinage, il allait à la Mecque, s’acquittait du pèlerinage, voyait Ismaël et retournait ensuite dans son pays.


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CHAPITRE LV.
MORT DE SARA

Sara avait soixante et dix ans à l'époque où elle devint grosse d’Isaac. Elle vécut encore après cela jusqu'à l’âge de cent trente ans accomplis. Sara était fille d’Aran, oncle paternel d’Abraham.

On n’est pas d’accord au sujet de la généalogie de Sara ; quelques personnes disent qu’elle était fille d’Aran, et d'autres prétendent qu’elle était tille du roi de Ilaran. Ce roi était frère d’Azar ; son nom était Tharé, fils de Nachor. La mère de Sara était aussi fille de roi ; elle se nommait Iloura, fille de Koutha, lequel était roi du pays de Babylone et habitait l'Iraq. Or sache que Koutha est un canal dont le nom fut donné à ce roi, parce qu’il l’avait creusé.

Ensuite, lorsque des années se furent écoulées, et Isaac étant devenu grand, Sara eut encore un autre fils nommé Jacob, comme il est dit dans le Coran : « Et nous lui avons donné Isaac et Jacob. » (Sur. VI, vers. 84.)

Isaac eut deux fils, l’un nommé Esaü et l’autre Jacob ; ils étaient jumeaux. On rapporte qu’au moment où Esaü vint au monde, Jacob le saisit par le talon. Ce fut à cause de cela qu’on l’appela Jacob, car al-‘aqîb , en arabe, signifie le talon.

Jacob est nommé dans le Coran, parce qu’il était prophète de Dieu. Tous les enfants de Jacob furent également prophètes et fils de prophètes ; mais aucun des fils d’Esaü ne fut prophète.

Isaac devint aveugle du vivant de Sara. On dit que Jacob et Esaü naquirent après la mort de Sara, et qu’Abraham les eut d’une autre femme ; mais cela n’est point exact, car Dieu les avait annoncés à Sara.

Lorsque Sara eut atteint l’âge de cent trente ans, elle mourut. Elle fut ensevelie dans le lieu qu’elle habitait, en Palestine, dans le pays de Chanaan. Tant que Sara vécut, Abraham ne prit aucune autre femme ; mais, quand elle fut morte, il épousa une femme nommée Céthura, fille d’Yoktan ; celle-ci était également du pays de Chanaan. Abraham eut de Céthura six fils ; le premier s’appelait Zamram, le second Jeksan, le troisième Madan, le quatrième Madian, le cinquième Jesbok, et le sixième Sué. Il eut de Sara Isaac, Jacob et Ésaü ; et Ismaël d’Agar. La postérité d’Abraham devint nombreuse, et Dieu rapporte dans le Coran (sur. XXXVII, vers. 113) des paroles dont le sens est : J’ai béni Ismaël et Isaac ; je leur ai donné des enfants, et les gens de bien sortiront d’eux. Parmi leurs descendants il y en aura qui feront le mal, et d’autres qui seront des hommes vertueux et estimables.


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Message par Ligeia Ven 5 Mar - 9:49


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CHAPITRE XLVII.
FUITE D'ABRAHAM, L’AMI DE DIEU LE MISÉRICORDIEUX.


Après cela, Dieu éprouva Abraham comme il avait éprouvé les autres prophètes ; de sorte qu'Abraham fut obligé de quitter son pays et ses possessions. Or Abraham avait un frère nommé Aran. Ce frère était mort, et il avait laissé un fils dont le nom était Loth. Or Loth suivait la religion d'Abraham, comme il est dit dans le Coran : « Loth crut à Abraham qui dit : Certes, je quitterai mon peuple pour me retirer dans le lieu que le Seigneur me désignera; car il est le puissant, le sage. » (Sur. XXIV, vers. 25.)
Nous voyons par un autre passage du Coran qu'Abraham dit aussi : « Certes, j’irai vers mon Seigneur, qui me dirigera. » (Sur. XXXVII, vers. 97.) Après cela, Abraham et Loth partirent du pays de Babylone.

Or Abraham avait un oncle paternel dont le nom était Aran. Celui-ci était père d’une fille appelée Sara, laquelle avait cru à Abraham. Sara était d'une si grande beauté, qu’aucune femme de son temps ne la surpassait, ni pour la régularité des traits du visage, ni pour l’élégance de la taille. Abraham épousa Sara, et l'emmena. Les amis d'Abraham qui avaient cru en lui voulurent quitter leur pays pour l'accompagner, mais leurs femmes s'attachèrent à eux et leur dirent : Nous ne vous laisserons point aller pour que vous partiez avec Abraham. Ces hommes n’écoutèrent pas les paroles de leurs femmes et ils partirent.

Or, le jour où notre prophète sortit de la Mecque et se retira à Médine, les femmes de ses amis s'attachèrent à leurs époux et dirent : Nous ne vous laisserons pas aller. Ces hommes partirent, laissèrent leurs femmes à la Mecque, et arrivèrent à Médine. Lorsqu’ils se trouvèrent dans cette ville sans leurs femmes et leurs enfants, la vie leur devint à charge, leur cœur fut affligé, et ils éprouvèrent du chagrin à cause de leurs familles. Dieu vit ce qui se passait dans le cœur de ces hommes, et il envoya le verset suivant : « Vous avez un excellent exemple dans Abraham et dans ceux qui étaient avec lui, lorsqu'ils dirent à leur peuple : Certes, nous sommes quittes envers vous, et innocents du culte que vous rendez à d’autres qu’à Dieu. Nous vous renions ; l’inimitié et la haine ont commencé entre nous et vous pour toujours, jusqu'à ce que vous croyiez au Dieu unique. » (Sur. LX, vers. 4.)

Lorsque Dieu envoya ce verset au prophète, afin que ceux qui l’avaient accompagné fussent satisfaits d’avoir laissé à la Mecque leurs femmes et leurs enfants, le prophète leur dit : Vous êtes des hommes vertueux, vous qui êtes venus à Médine avec le prophète. Vous avez agi comme les amis d’Abraham, qui partirent avec lui et qui, se jugeant quittes envers leurs femmes et leurs enfants, dirent : Nous sommes innocents du culte que vous rendez aux idoles, au lieu de le rendre à Dieu, et il n’y aura rien de commun entre nous et vous, jusqu'à ce que vous soyez devenus croyants. Les fugitifs qui se trouvaient avec le prophète restèrent avec lui.

Abraham partit donc de Babylone avec Loth, Sara et quelques personnes qui avaient cru en lui. Il alla en Syrie, dans une ville qu'on nomme Haran ; il y établit sa demeure, et y resta quelque temps. Aujourd’hui cette même ville est florissante.
Or le roi de Haran était idolâtre ; il se nommait Noubil (Abimelech). Plusieurs personnes disent que Sara était sa fille; mais la vérité est que le prophète Abraham était parti du pays de Babylone, emmenant avec lui Sara, fille d’Aran, oncle paternel d’Abraham. Le roi de Haran dont nous venons de parler était aussi frère d’Azar et oncle paternel du prophète Abraham.

Après cela, Abraham partit avec les personnes qui se trouvaient avec lui, pour aller en Egypte, dans le pays où habitaient sa mère et son père. Or il y avait à cette époque, en Syrie, dans la Palestine, cinq villes considérables. Ces villes étaient voisines et à la portée de la voix l’une de l’autre. Il y avait dans chacune d’elles cent mille hommes. On nommait ces villes al-Moutafikât, c’est-à-dire « celles qui sont convaincues de mensonge, » parce que leurs habitants n’avaient pas voulu croire au prophète Loth.

Or ces gens-là dirent à Abraham : Il faut que tu demeures dans ce lieu et que tu t’y établisses. Abraham n’accepta pas ces propositions; mais Loth dit : Je resterai ici ; et il resta dans ce lieu-là avec les hommes qui avaient suivi Abraham.
Après cela. Abraham partit avec Sara et alla en Égypte. Il descendit dans un lieu où personne ne le connaissait. Lorsque les habitants de l’Égypte virent Sara, ils furent étonnés; car jamais ils n’avaient vu une femme aussi belle, ni pour les traits du visage, ni pour la taille et la stature. Ils allèrent donc annoncer au roi d’Égypte la nouvelle de l’arrivée d’Abraham, et ils lui dirent : Ô roi, un étranger est arrivé, et avec lui est une femme d’une beauté telle que jamais les yeux des hommes n'ont rien vu de semblable. Le roi d’Égypte fit appeler Abraham et lui dit : Dis la vérité ; qui es-tu, et pour quel motif es-tu venu dans ce pays ? Abraham répondit : Je suis du pays de Babylone. J’ai entendu parler de ta justice, et je suis venu dans ce pays pour me réfugier à l’ombre du roi. Le roi ajouta : Cette femme qui est avec toi, que t’est- elle ? Abraham répondit : Elle est ma sœur. Or cette parole d’Abraham est vraie; car tous les croyants sont frères et sœurs, comme il est dit dans le Coran : « Certes, les croyants sont frères ; c’est pourquoi vivez en paix avec vos frères, et craignez Dieu, afin que vous obteniez miséricorde. » (Sur. XLIX, vers. 10.) Après cela, le roi d’Égypte dit à Abraham : Envoie-moi ta sœur, afin que je puisse la voir; et il le fit surveiller afin qu'Abraham exécutât ses ordres. Abraham s’en alla vers Sara et lui dit : Le roi a un grand désir de t’enlever, et il a envoyé avec moi un homme d'entre les siens pour t’emmener. J'ai dit que tu étais ma sœur; toi, dis aussi la même chose.

Or on rapporte qu’Abraham n’adora jamais les idoles, et qu'il ne mentit que trois fois : une fois lorsqu'il dit, Sara est ma sœur; une autre fois lorsqu’il dit, Je suis malade; et une troisième fois lorsqu’il dit : C’est la plus grande de toutes les idoles qui a fait ce que vous voyez. Mais ces trois assertions d'Abraham ne sont point des mensonges.

Or, lorsqu’on eut amené Sara devant le roi, et qu'il eut vu les traits, la taille et la stature de cette femme, il en perdit l’esprit, et il lui dit : Cet homme duquel tu dépends, que t’est-il ? Sara répondit : Il est mon frère. Le roi ajouta : Je lui demanderai de te donner à moi pour femme. Après cela, sentant des désirs, il fit retirer les personnes qui étaient présentes, et il étendit la main sur Sara. Alors Sara dit : Que la main qui a été étendue sur une femme qui appartient à un prophète devienne sèche. Par l’ordre du Roi doué de gloire, la main du roi d’Égypte devint sèche, de sorte qu’il ne pouvait plus la remuer. Ce roi dit à Sara : Prie, afin que ma main reprenne son état naturel, et je ne te toucherai pas. Sara pria, et la main du roi d’Égypte recouvra son état naturel. Le roi étendit une seconde fois la main sur Sara ; Sara pria une seconde fois, et la main du roi sécha de nouveau. Or il arriva jusqu’à trois fois que le roi étendit la main sur Sara, que sa main sécha, et qu'elle fut rendue à son état naturel par les prières de Sara. La quatrième fois il s'abstint de toucher Sara, et lui dit : C’est au moyen de la magie que tu as fait sécher ma main. Sara lui répondit : Je n’ai point fait sécher ta main ; je suis une femme appartenant à un prophète du nombre des prophètes de Dieu. Après cela, le roi d’Égypte dit : Cherchez le frère de cette femme, afin que je la lui rende. Les gens du roi d'Égypte se mirent donc à la recherche d’Abraham.

Or, lorsqu'on enleva Sara à Abraham, ce patriarche se mit en prière ; il n'eut pas la force de supporter son malheur, et il dit : Seigneur, on m’a jeté dans le feu, je n'ai eu aucune inquiétude, et je n’ai demandé de secours à personne; mais à présent la force et la résignation me manquent dans la position où je suis, viens à mon secours ! Au même instant Dieu envoya Gabriel, et celui-ci enleva le voile qui se trouvait entre Abraham et le roi d'Égypte, en sorte qu’Abraham voyait Sara et entendait sa voix, comme aussi celle du roi ; mais personne ne savait et ne voyait ce qui se passait entre Sara et le roi, excepté Abraham.

Lorsque les gens du roi d’Égypte eurent trouvé Abraham, ils le conduisirent devant ce roi, qui ordonna d’amener Sara, et la combla de bontés et de présents. Il fit aussi des offres magnifiques à Abraham; mais celui-ci ne voulut rien accepter.

On dit que le roi d’Égypte avait quatre cents jeunes filles. Il dit à Sara : Je te donne deux jeunes filles d’entre toutes ces jeunes filles. Va, choisis celles que tu voudras, et emmènes-les. Sara ne les accepta point. Alors le roi fit un serment et dit : Accepte au moins une jeune fille. Or, parmi ces jeunes filles, il y en avait une dont le nom était Agar, et qui occupait un rang supérieur à celui des autres. Elle aimait Sara, et, dès l’instant où ces deux femmes se virent, elles sentirent de l'affection l’une pour l’autre. Le roi donna Agar à Sara, et il congédia avec honneur Abraham et sa suite. Or Abraham et les personnes qui étaient avec lui s’en allèrent en Palestine, auprès de Loth. Il y avait dans ce pays-là un endroit dont le nom était Saba' (Bersabée) ; c’était un lieu désert, et dans lequel il n’y avait point d’hommes. Abraham s’y arrêta et s’y établit avec Sara et Agar. Or, comme on ne trouvait point d’eau dans ce désert, Abraham creusa un puits, et il y vint de l’eau douce. La nourriture qu’Abraham avait apportée pour lui et les siens étant consommée, ils eurent faim. Abraham, ne sachant que faire, prit un sac, le mit sur ses épaules, et s’avança dans le désert. Dans sa route, le sommeil s'empara de lui ; il plaça sous sa tête le sac qu’il portait, et, lorsqu’il se réveilla, le temps d’aller dans un lieu quelconque était passé ; il était trop tard. Alors Abraham retourna sur ses pas, et dit : Cette nuit je me rendrai à ma demeure, et demain j’irai à la recherche de quelque chose.

Quand il fut arrivé près de Sara et d’Agar, il eut honte de rentrer les mains vides, et de se présenter ainsi devant ces femmes. Il prit un peu de sable qu’il mit dans son sac, et, allant ensuite vers Sara et Agar, il dit : C’est afin de leur faire croire un instant que j’ai apporté quelque chose. Ensuite il jeta son sac à terre et s’endormit. Or Sara dit à Agar : Vois donc ce qu’Abraham a apporté dans ce sac. La nuit était devenue obscure, Agar se leva, examina le sac, et elle trouva qu’il renfermait de la fleur de farine. Sara et Agar se mirent aussitôt à réduire en pâte cette fleur de farine, et elles firent cuire du pain cette nuit-là même. Après cela, Agar alla vers Abraham, le réveilla et lui dit : Lève-toi, car j’ai fait cuire du pain, afin que tu manges. Lorsque Abraham se fut levé et qu’il eut vu le pain cuit, il dit : D’où avez-vous pris cette fleur de farine ? Sara et Agar lui répondirent : C’est celle que tu as apportée. Abraham comprit alors que ce changement s’était opéré par la puissance de Dieu. Quand il fut jour, Abraham, Sara et Agar trouvèrent du blé mêlé dans la fleur de farine. Ils mirent ce blé à part et le semèrent. Or toutes les richesses qu’Abraham posséda, et qu’il put amasser, proviennent du sable qui était dans le sac qu’il porta à Sara et à Agar, sable qui devint de la fleur de farine par la puissance de Dieu.

Abraham rendit ensuite florissants les environs du puits qu’il avait creusé ; et il amena des brebis dans ce pays, qu’il ensemença. De toutes les contrées, les hommes se dirigèrent vers le lieu qu’habitait Abraham, et ils y élevèrent de nombreuses constructions, qui aujourd'hui forment une grande ville.

Or, Abraham et Loth demeuraient près l’un de l’autre. A chaque instant, Loth allait avec une suite nombreuse à l’endroit où Abraham avait fixé sa résidence. Lorsque les hommes se trouvèrent réunis en grand nombre aux environs du puits qu’avait creusé Abraham, ils devinrent à charge à ce prophète, qui prit avec lui Sara et Agar, et ils partirent tous les trois et allèrent dans un autre endroit de cette même contrée, que l’on nommait Qat. Ils s’établirent dans ce lieu-là.

Après le départ d’Abraham, l’eau des habitants de Bersabée commença à diminuer. S’en étant aperçus, ils éprouvèrent du repentir de leur conduite envers Abraham, et ils dirent : Qu’avons-nous fait ? Ils allèrent donc vers Abraham, et lui demandèrent pardon de leur faute, pour tâcher de le ramener à Bersabée. Abraham ne voulut pas retourner dans ce lieu-là. Ces hommes lui dirent : Puisque tu ne veux pas revenir à Bersabée, prie du moins Dieu, afin qu’il ne nous prive pas de l’eau que nous avions. Alors Abraham leur donna sept chèvres, pour qu’ils les portassent au puits de Bersabée et que ces animaux fussent une bénédiction qui augmentât l’eau. Dieu donna à Abraham, dans les environs du puits de Qat, une grande quantité de bétail et des esclaves sans nombre, et il le bénit.

Abraham, ayant amassé toutes ces richesses, chargea des hommes d’aller dans le pays, jusqu’à cinq journées de chemin, et de lui amener les personnes qu’ils rencontreraient. Abraham recevait ces étrangers et les nourrissait.

Le peuple de Loth était idolâtre et infidèle ; nous raconterons son histoire plus loin.


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CHAPITRE XLVIII.
MORT DE NEMROD.


Or Nemrod était toujours en hostilité avec Abraham, comme nous l’avons fait connaître en rapportant l’histoire des vautours et de la caisse, de la construction de la tour, du voyage aérien pour monter au ciel, de la guerre entreprise contre Dieu et des flèches lancées contre lui. Dieu agit toujours avec bonté envers Nemrod, et il lui donna la royauté pendant mille ans, jusqu'à ce que Nemrod se fut abusé lui-même et eut juré en disant : Je ne cesserai pas de faire la guerre contre Dieu.

Après cela, Dieu envoya vers ce prince un ange, sous la figure d’un homme, qui lui dit : N’agis pas ainsi ; car tu es un faible esclave de Dieu, qui t’a accordé la royauté pendant mille ans. Tu as voulu monter au ciel pour faire la guerre à Dieu ; tu as jeté dans les flammes un de ses prophètes, que tu as, outre cela, chassé hors de ses possessions et de son pays. Dieu ne t’a infligé aucun châtiment pour tous ces crimes ; n’agis donc pas comme tu as l'intention de le faire, et crois à Abraham. Si tu ne m’obéis pas, Dieu te prendra et te fera périr par le moyen de la plus faible de ses créatures. Nemrod répondit à l'ange : Tu es certainement parent de ce magicien; et moi, je ne reconnais sur la terre aucun autre roi que moi; et pour le ciel, je ne sais pas ce qui s’y passe. Or, s’il y a dans le ciel un roi plus puissant que moi, toi, Abraham et ses lieutenants, allez, dites à ce roi qu’il amène son armée, et moi j’amènerai la mienne, afin que, s’il est le plus fort, il montre sa supériorité, et que, si je suis le plus fort, tu le voies de tes propres yeux.
L’ange lui répondit : C’est bien. Nemrod ordonna qu’on fit venir son armée des villes et des endroits dans lesquels elle se trouvait, et il réunit autour de sa personne cent mille hommes, tous complètement armés. Alors Nemrod appela l’ange et lui dit : Engage le Dieu du ciel à amener son armée; car j’ai réuni la mienne. L’ange lui répondit : Dieu n’a pas besoin d’employer une armée contre toi, ô maudit; mais il ordonnera à la plus faible de ses créatures de te détruire, toi et ton armée. Alors, levant son visage vers le ciel, l’ange dit : Ô Seigneur, tu sais mieux que personne ce que dit ton ennemi.

Après cela, Dieu donna ses ordres au moucheron, qui est le moindre des animaux de l’armée divine, et une armée de moucherons tomba sur la tête et sur le visage de ces infidèles maudits. Toutes les piqûres que faisaient ces insectes étaient telles, par la puissance de Dieu, que tu aurais dit : Jamais elles ne se guériront. Ces moucherons étaient si nombreux, qu’ils empêchaient les soldats de Nemrod de se voir les uns les autres ; et tous les chevaux qui étaient piqués par eux sautaient en l’air avec une telle violence, qu’ils rejetaient de dessus leur dos l'homme qui les montait, et le cheval tombait d’un côté et le cavalier de l'autre; de sorte que l’armée de Nemrod fut entièrement dispersée et mise en fuite. Nemrod s’enfuit seul et retourna chez lui. Lorsqu’il eut atteint sa maison, il pensa avoir échappé au sort qui le menaçait. Alors Dieu inspira à un moucheron des plus faibles de son espèce, borgne et boiteux, de descendre des airs et de se poser sur les genoux de Nemrod. Celui-ci voulut frapper le moucheron, qui s’envola, entra dans son nez, et monta jusqu'à son cerveau, qu’il commença à manger. Nemrod se frappa la télé et le visage avec ses mains.

Or, toutes les fois qu’on frappait sur la tête de Nemrod, le moucheron qui lui mangeait le cerveau s’arrêtait, et ce prince trouvait du repos. De sorte qu’il fallait qu’on donnât continuellement des coups sur la tête de Nemrod pour diminuer les douleurs qu'il éprouvait; car, lorsqu’on cessait de le frapper ainsi, le moucheron recommençait à lui manger le cerveau, et il ne pouvait plus jouir d’aucune espèce de tranquillité. Il y avait toujours une personne occupée à frapper avec quelque chose sur la tête de Nemrod, pour lui procurer un peu de soulagement. Ce prince ordonna ensuite que l’on fît un marteau de forgeron, et ceux des princes, des chefs de l’armée et de ses courtisans les plus intimes qui vivaient encore, prenaient ce marteau et frappaient sur la tête de Nemrod, en se relayant les uns les autres. Or, plus les coups étaient forts et violents, plus Nemrod était satisfait.

Nemrod avait régné pendant mille ans, lorsqu’il commença à éprouver le tourment du moucheron ; jusque-là il n’avait senti aucun mal. On dit qu’il vécut quatre cents ans ayant ce moucheron qui lui rongeait toujours la cervelle ; et, chaque jour, des hommes se succédaient pour lui donner des coups de marteau sur la tête.
Lorsque Nemrod eut vécu quatorze cents ans, il mourut. Son royaume passa à un de ses proches, nommé Qantarî, qui exerça la royauté pendant cent ans. Après celui-ci, la royauté passa aux Araméens, qui la possédèrent pendant trois cents ans. La royauté sortit ensuite de cette nation et passa aux Perses.


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Message par Ligeia Jeu 18 Mar - 10:09

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CHAPITRE XLIX.
HISTOIRE D'ISMAËL.

Or Abraham acquit de grandes richesses, et il désira avoir de Sara un enfant; mais il n’en eut aucun. Sara dit alors à Abraham : Tu n’auras point d’enfants de moi; si tu veux, je te donnerai Agar, peut-être auras-tu d’elle un enfant. Abraham répondit: J'y consens. Sara lui donna ensuite Agar, et, peu de temps après, il eut d'elle un fils qu'il nomma Ismaël. Lorsque Agar accoucha d’Ismaël, Abraham fut rempli de joie ; mais Sara éprouva de la colère et une violente jalousie. N’étant plus maîtresse d’elle-même, elle eut des querelles et des disputes avec Abraham, et elle lui dit des injures. Ensuite elle dit avec serment : Je couperai une partie quelconque du corps d’Agar, ou une main, ou un pied, ou une oreille, ou le nez. Mais, après avoir réfléchi, elle dit : C’est moi qui ai commis cette faute, car j’ai donné Agar à Abraham. Il ne serait pas juste de couper à cette jeune fille une partie de son corps, ni de la tuer ; mais j’ai juré, et il faut absolument que je lui coupe quelque chose. Après y avoir pensé, elle dit : Je la circoncirai pour l’empêcher de rechercher les hommes. Lorsque Sara eut circoncis Agar, Dieu imposa la circoncision à la famille d' Abraham, et à toutes les personnes qui suivraient  la religion d’Abraham, de sorte que Sara elle-même fut obligée de se circoncire, et Abraham également. Or on dit que, lorsque Sara subit cette opération, elle avait soixante et dix ans, et Abraham était plus âgé qu'elle de dix ans.

On rapporte les paroles suivantes du prophète. Il y avait de son temps une femme nommée Oumm-'Atiya ; elle passa près du prophète qui lui dit : Ô Oumm-'Atiya, où vas-tu ? Elle répondit : Ô apôtre de Dieu, je vais circoncire. Le prophète dit alors à Oumm-'Atiya des paroles dont le sens était : Lorsque tu circoncis une femme, ne lui coupe pas trop de chair, afin qu’elle conserve la beauté de son visage ; car, lorsqu'on coupe trop de chair à une femme, la beauté de son visage disparaît, elle n’est plus agréable aux yeux des hommes.


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CHAPITRE L.
RECIT DE L'EXPULSION D'ISMAËL ET D'AGAR.

Or, bien que Sara voulût supporter avec patience Ismaël et Agar, elle ne put pas gagner cela sur elle-même ; et, à chaque instant, elle avait des querelles à leur sujet. Les choses allèrent à un tel point, que le cœur d’ Abraham poussa des gémissements vers Dieu et se plaignit de Sara. Dieu répondit à Abraham : La femme sort de la côte gauche de l'homme, il faut user d’indulgence avec elle ; il n’y a pas d’autre moyen. Après cela, Sara dit à Abraham : Je n’ai pas la force de vivre ainsi plus longtemps. J’ai circoncis Agar, et Dieu m’a punie en m'imposant, à moi et à tous les hommes, la circoncision comme un devoir. Maintenant je crains de commettre quelque action qui nous rende coupables envers Dieu, toi et moi. Abraham resta d'abord sans savoir que faire, ni quel moyen employer dans cette conjoncture. Il se leva ensuite, emmena Ismaël et Agar, prit un peu de nourriture et de boisson et se dirigea vers le désert. Abraham marchait l’esprit égaré, ne sachant que faire, où aller ni où conduire Agar et Ismaël.

Lorsqu'il eut fait un peu de chemin, Gabriel se présenta devant lui en disant : Où vas-tu et où conduis-tu cet enfant ? Abraham répondit : Je n'en sais rien ; je les éloigne de la main de Sara. Gabriel dit à Abraham : Conduis-les dans l’enceinte consacrée à Dieu, dans l’endroit où était la maison visitée. Abraham, étant arrivé dans ce lieu-là, remarqua qu’il était désert, et qu'on n’y voyait ni constructions, ni hommes, ni eau, ni herbe; on ne trouvait dans ce pays que des montagnes et des pierres, et rien à manger. Abraham se dit en lui-même : Comment les laisserais-je ici, dans un désert aride, sans eau et sans herbe ? Or Abraham n'avait jamais tenu son cœur éloigné de Dieu; il mit en lui sa confiance, et il dit à Agar : Je vous remets aux soins de Dieu. Ismaël avait alors deux ans. Abraham plaça devant Agar et Ismaël une outre pleine d’eau et les provisions qu’il avait, et, après cela, il voulut s’en aller. Agar lui dit : Crains Dieu, et n’abandonne pas dans un désert une femme sans force et un jeune enfant. En disant ces paroles, elle s'attacha à Abraham, qui lui répondit : Je fais ce qui est agréable à Dieu.
Après cela. Abraham s’en alla, et retourna vers Sara. Agar et Ismaël restèrent où ils étaient, dans le lieu où se trouvent aujourd'hui la Caaba et le puits de Zemzem. Agar mangea des provisions et but de l’eau que lui avait laissées Abraham, jusqu’à ce qu’elle se fût rassasiée. Après cela, comme elle était assise, elle se leva, et monta sur la colline de Çafà pour chercher de l’eau. Bien qu’elle allât de côté et d’autre, elle ne trouva aucun indice qui put lui faire supposer qu'il v avait de l’eau dans ce lieu-là. Elle monta ainsi jusqu'à sept fois sur les collines de Çafà et de Merwa. Ismaël se mit à pleurer, suivant l’usage des enfants lorsqu'ils se trouvent sans leur mère ; et, ayant frappé du talon contre terre, comme font encore les enfants, une source parut sous son talon. Cette source alimente le puits de Zemzem, qui est aujourd'hui sur le lieu même où l'eau parut autrefois. Lorsque Agar entendit les cris et les pleurs d'Ismaël, elle courut vite vers lui ; lorsqu'elle fut arrivée à l'endroit où il était, elle vit l’eau qui jaillissait et qui coulait sous le talon de son enfant. A cette vue, Agar fut remplie de joie, et, craignant que l’eau ne se perdit, elle apporta de la terre, qu’elle plaça autour de la source.

Le prophète nous apprend que cette eau, si Agar ne l’avait pas retenue par une élévation de terre, aurait formé un des plus grands fleuves qui aient existé, à cause de la bénédiction attachée à Ismaël ; mais, ayant été ainsi arrêtée, elle n'augmenta plus et resta au même point, comme dans une piscine. Les oiseaux de l'air se réunirent autour de cette source ; car, dans le désert, les oiseaux voltigent dans tous les lieux où il y a de l’eau, et ils y font entendre leur gazouillement. C’est par le chant des oiseaux que les habitants du désert connaissent les endroits où l’on trouve de l’eau.

Or il y avait des gens établis auprès d’un puits, sur le territoire de la Mecque. On nommait Djorhom la tribu à laquelle ils appartenaient. Leur puits était à sec, et ils erraient dans la campagne pour chercher de l’eau. Voyant des oiseaux, ils se dirigèrent vers eux, et ils trouvèrent la piscine dont nous avons parlé, dans un lieu où ils n’en avaient jamais vu auparavant. Ils dirent à Agar : Oui es-tu, et d’où vient cette eau ? Il y a de longues années que nous sommes dans ce désert, et jamais nous n'avons vu d’eau ici. Cet enfant, à qui appartient-il ? Agar répondit : Dieu m’a donné cette eau, et cet enfant est mon enfant. Ces gens dirent alors à Agar : Nous sommes établis dans ce désert, auprès d’un puits qui est actuellement à sec. Si tu le veux, quelques-uns d’entre nous viendront vers toi, afin que ton cœur n’éprouve pas les angoisses de la solitude, et tu nous donneras une partie de ton eau. Agar répondit : Cela me convient. Après cela, des gens de la tribu de Djorhom s’établirent auprès d’Agar, et ils en usèrent bien avec Agar et Ismaël ; celui-ci grandit dans ce pays-là.
Trois ans se passèrent, et Ismaël atteignit l’âge de cinq ans. Abraham demanda des nouvelles d’Ismaël à Gabriel. Celui-ci répondit : Dieu a fait jaillir pour lui une source qu’il lui a donnée, et des hommes se sont réunis autour d’Agar el d’Ismaël, que protège Dieu. Après cela, Abraham demanda à Sara la permission d’aller rendre visite à Ismaël. Sara, dans la crainte de Dieu, n’osa pas empêcher Abraham d’aller voir son épouse et son fils. Elle lui accorda la permission qu'il sollicitait, et elle lui dit : Va; mais il faut que tu te contentes de les voir, sans même descendre de ta monture. Abraham monta sur le Borâq de notre prophète, et il arriva le soir au terme de son voyage, quoiqu'il y eût cinq jour- nées de chemin du lieu d’où il était parti jusqu’à la Mecque. Pendant que Dieu envoyait le Borâq à Abraham, il chargeait en même temps Gabriel d’aller détruire le peuple de Loth. On dit que Gabriel, allant exécuter les ordres de Dieu, passa auprès d’Abraham et lui annonça la naissance d'Isaac.

Or sache que, lorsque Sara accoucha d’Isaac, Ismaël avait cinq ans. L’histoire d’Isaac et celle de Loth seront rapportées dans cet ouvrage. Lorsque Ismaël fut grand. Agar mourut. Les gens de la tribu de Djorhom qui s’étaient établis auprès d’elle dirent : Cette eau appartient à ce jeune homme, et, s'il quitte ce lieu-ci, la source tarira. Ils usèrent donc de ruse, et ils donnèrent pour femme à Ismaël une jeune fille des plus considérées de leur tribu, espérant que de cette manière il ne quitterait pas le pays et qu’il s’y établirait.


*******

CHAPITRE Ll.
VISITE D’ABRAHAM A ISMAËL.


Or, lorsque Agar mourut, Ismaël était devenu grand, et Abraham allait chaque année s’enquérir par lui-même de l'état de son fils. L’année dont nous parlons, quand Abraham voulut aller visiter Ismaël, Sara lui fit jurer qu'il rendrait cette visite sans descendre de sa monture. Lorsque Abraham fut arrivé à l'endroit qu'habitait Ismaël, il chercha sa maison, vers laquelle il se dirigea, et il frappa à la porte. La femme d'Ismaël s’avança derrière cette porte, et Abraham lui dit : Qui es-tu ? Cette femme répondit : Je suis l’épouse d'Ismaël. Après cela. Abraham lui demanda: Où est Ismaël ? Elle répondit : il est à la chasse. Abraham dit ensuite à la femme d’Ismaël : Je ne puis pas descendre de ma monture ; n'as-lu rien à manger ? Cette femme lui répondit : Je n’ai rien ; ce lieu est un désert. Alors Abraham voulut s'en retourner, à cause du serment qu'il avait fait à Sara. Or il n’avait demandé à manger que pour éprouver la femme d'Ismaël ; car il n’avait aucun besoin de nourriture. Il dit à cette femme : Je m’en retourne ; lorsque ton mari reviendra, dépeins-lui ma personne, et dis-lui de ma part qu’il change le seuil de sa porte, et qu'il en mette un autre à la place de celui qu’il a maintenant.
Après le départ d’Abraham, lorsque Ismaël fut de retour, cette femme lui dépeignit Abraham et lui rapporta ses paroles. Ismaël dit alors: Ô femme, cet homme est mon père, et le seuil qu’il m'ordonne d’arracher, c’est toi. Le discours de mon père signifie que je dois te répudier, parce que tu ne me conviens pas. Ismaël répudia donc sa femme, et il en épousa une autre, qui était également de la tribu de Djorhom.

Or, l'année suivante, Abraham retourna vers Ismaël. Sara lui avait encore fait jurer de ne pas descendre de sa monture. Lorsque Abraham fut arrivé, il frappa à la porte de la maison d'Jsmaël. Une femme intelligente, belle de visage, remarquable par sa taille et sa stature, ainsi que par la douceur de ses paroles, s’avança vers la porte. Abraham lui demanda : Qui es- tu ? Cette femme répondit : Je suis l’épouse d’Ismaël. Abraham lui dit : Où est Ismaël ? Elle répondit : Il est à la chasse. Alors Abraham éprouva cette femme en disant : N’as-tu rien à manger ? Elle répondit : Oui ; et aussitôt elle rentra dans la maison, apporta de la viande cuite, du lait et des dattes, et dit : Excuse-nous, car nous n'avons pas de pain. Abraham mangea un peu de ce qui lui était offert, et il dit : Que Dieu bénisse ces trois choses en votre faveur ! Et maintenant on ne voit nulle part autant de viande, de lait et de dattes qu’à la Mecque, à cause de la bénédiction de la prière d’Abraham. Si on avait présenté du pain à Abraham, il serait devenu abondant à la Mecque, comme les trois choses dont nous venons de parler.

Après cela, la femme d’Ismaël dit à Abraham : Descends de ta monture, afin que je lave ta tête et ta barbe, et que j’enlève la poussière et la terre qui les couvrent. Abraham lui répondit : Je ne puis pas descendre ; mais, conservant un pied sur sa monture, il plaça l’autre sur une pierre qui se trouvait là. Or le pied d'Abraham était nu ; il resta marqué sur cette pierre, qui conserva son empreinte. Cette pierre se trouve maintenant auprès de la Caaba, dans le lieu que l’on nomme la Station d’Abraham, où les pèlerins vont la visiter.

Il y a des personnes qui disent que, lorsque Abraham construisit les murs de la Caaba, son ouvrage étant parvenu à une trop grande élévation pour qu’il pût l’atteindre avec la main, il monta sur cette pierre, qui conserva l’empreinte de son pied béni.

Quand Abrabam fut sur le point de repartir, il dit à cette femme : Lorsque Ismaël sera de retour, dépeins-lui ma personne, et dis-lui de ma part que le seuil de sa porte est solide et beau, qu'il doit le garder. Ismaël étant revenu de la chasse, sa femme lui rapporta tout ce qui s’était passé. Ismaël lui dit : Ô femme, celui que tu as vu est mon père, et le seuil de ma porte, c’est toi ; il veut dire par là que je dois te garder.


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Message par Ligeia Mar 23 Mar - 8:53

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CHAPITRE LII.
HISTOIRE DU PEUPLE DE LOTH ET NAISSANCE D’ISAAC.

Lorsque Ismaël eut atteint, à la Mecque, l’âge de cinq ans. Abraham désira avoir de Sara un enfant, afin qu’elle se trouvât plus satisfaite et qu’elle supportât plus facilement ses chagrins.

Or Dieu envoya Gabriel et Michel pour détruire le peuple de Loth, dont les crimes étaient nombreux, et il leur dit : Dans votre route, passez auprès d’Abraham ; annoncez-lui qu'il aura un enfant de Sara, et dites-lui que, lorsque cet  enfant naîtra, il le nomme Isaac ; dites-lui encore qu'Isaac aura un enfant auquel il faudra donner le nom de Jacob. Il est dit dans le Coran : « Nous avons annoncé à Sara Isaac, et, après Isaac, Jacob. » (Sur. XI, vers. 74.)

Après cela, Gabriel et Michel partirent pour aller détruire les villes de Loth, que l’on nomme al-Moutafikât. Loth habitait dans ce lieu-là même. Voici les noms de ces cinq villes : Çan'a, Maschhouh, Gomorrhe, Adama et Sodom. Il y avait dans chacune de ces villes plus de cent mille hommes, et Sodome était la plus considérable.

Plusieurs personnes disent que ces villes n’étaient qu’au nombre de quatre. Elles étaient situées entre le Hedjâz et la Syrie, et, lorsqu'on part de la Mecque pour aller dans cette dernière contrée, on passe par l’endroit où était Sodome, comme il est dit dans le Coran (sur. XV, vers. 76) : « Certes ces villes étaient sur le droit chemin. » II est reconnu que ces villes étaient sur la route de Syrie.

Or Loth résida un grand nombre d’années parmi les habitants de ces villes. Il avait pris une femme chez eux, et cette femme était infidèle. Loth eut d’elle plusieurs enfants, et, quoiqu’il les appelât à Dieu, ces enfants n’obéirent pas à leur père. Ils étaient livrés à l’idolâtrie, ils commettaient un grand nombre de péchés, et ils s’approchaient des jeunes gens comme on a coutume de s’approcher des femmes. Or, avant cela, personne ne s’était rendu coupable de ce crime, comme nous l’apprend le Coran (sur. VII, vers. 78) : « Rappelez-vous Loth, lorsqu’il dit à son peuple : Commettrez-vous un crime dans lequel vous n’avez eu aucun prédécesseur dans tous les siècles ? Vous approcherez-vous des hommes avec luxure en laissant les femmes ? Certes, vous passez toutes les bornes. »
Dieu déclare par là qu’avant le peuple de Loth personne n’avait commis ce crime ; et il dit encore dans un autre passade du Coran : « Vous approcherez-vous des mâles parmi les créatures, et abandonnerez-vous vos épouses que votre Seigneur a créées pour vous ? Certes, vous êtes des hommes prévaricateurs. » (Sur. XXVI, vers. 165.)

Indépendamment de ces crimes, ils commettaient encore celui d’infester les chemins, comme on le sait d'après les paroles suivantes du Coran : « Ne vous approchez-vous pas des hommes avec luxure ? N’infestez-vous pas les chemins ? Ne commettez-vous pas le crime dans vos réunions ? » (Sur. XXIX, vers. 28.) Ces mêmes hommes se plaçaient sur des montagnes et se moquaient de toutes les personnes qui passaient près d’eux. Ils se livraient dans leurs réunions à des actes inconvenants ; ils se renversaient les uns les autres et commettaient le mal entre eux. Telles sont les actions que Dieu nomme mounkar dans le verset précédent.

Lorsque ces gens eurent commis un grand nombre de crimes du genre de ceux que nous venons de nommer, Dieu envoya Loth vers eux avec une mission prophétique. Quand Loth s’acquitta de sa mission, ils se moquèrent de lui. Or Loth disait : Si vous ne croyez pas à Dieu, vous éprouverez un châtiment. Ces hommes lui répondirent comme il est dit dans le Coran : Apporte-nous ce châtiment dont tu parles, afin que nous sachions que tu dis la vérité.

Loth était parent de ces gens-là ; ce fut pour cette raison que lorsque Abraham passa avec Loth par le pays qu’ils habitaient, Loth dit : Je demeurerai ici. Quand il fut établi dans ce lieu-là. Dieu l’envoya avec une mission prophétique vers ce peuple. C’est à cause de cela que le Coran dit : « Le peuple de Loth a accusé de mensonge les envoyés de Dieu, lorsque leur frère Loth dit : Ne craindrez-vous pas Dieu ? » (Sur. XXVI, vers. 160.) Dieu, dans le verset précédent, nomme Loth leur frère, parce qu’il était leur parent, quoique d’une autre tribu. Loth leur disait : Abstenez-vous de faire le mal, et obéissez à Dieu. Ils n’écoutèrent pas les paroles de Loth, ils ne crurent pas en lui, et ils lui dirent : « Si tu ne cesses pas d’agir et de parler comme tu fais, nous te chasserons de la ville. » (Sur. XXVI, vers. 167.)

Or Loth avait acquis de grandes richesses, et de temps en temps il recevait des hôtes, comme faisait Abraham. Les habitants de Sodome s’emparaient des personnes que Loth recevait chez lui, les traitaient d’une manière indigne, et commettaient le mal avec elles. Loth se trouva fatigué de ces gens-là, et il dit : Seigneur, délivre-nous de ces hommes, moi et ma famille. Toutes les fois que Loth allait voir Abraham, il se plaignait de son peuple. Abraham l’engageait à prendre patience; mais Loth répondait : Je n’ai plus de patience ; et il se mettait en prière, demandait à Dieu son secours, et récitait les versets du Coran que nous avons rapportés.

Après cela, Dieu agréa les prières de Loth, et il fit partir Gabriel et Michel, et on rapporte qu’Isrâfîl était aussi avec eux. Or ces trois anges s’en allèrent sous la figure de trois jeunes hommes beaux de visage, bien faits et d’une taille élevée, tellement qu’il n’existait pas d’homme plus beau qu’eux. Ils traversèrent le pays qu’habitait Abraham. Celui-ci avait envoyé ses gens dans toutes les directions pour chercher des hôtes avec lesquels il pût manger le pain. Ces gens trouvèrent les trois anges, et les conduisirent vers Abraham. Lorsque Abraham les vit, il dit : Aujourd’hui nous avons reçu des hôtes qui sont semblables à des anges.

Quand ces anges furent arrivés, ils saluèrent tous trois Abraham, comme ii est dit dans le Coran : « Nos envoyés allèrent autrefois vers Abraham avec une agréable nouvelle ; ils lui dirent : Que la paix soit sur toi ! Abraham répondit : Que la paix soit sur vous ! et, sans différer, il apporta un veau rôti.» (Sur. XI, vers. 72.)

Après cela, Abraham se leva pour leur préparer de la nourriture. Or il possédait un jeune veau gras dont on avait conduit la mère au pâturage. Il fit rôtir ce veau , ou, suivant quelques personnes, il le fit cuire dans une marmite ou dans un four. Lorsque Abraham eut placé de la nourriture devant ses hôtes, ils n’éprouvèrent pas le besoin d'en prendre, parce qu’ils étaient des anges. Abraham proféra la formule Bismillah, et il dit : Avancez la main et mangez ! Les anges n'en firent rien. Après cela, Abraham mit un morceau dans leur bouche ; mais les anges ne touchèrent pas à cette nourriture. Abraham leur dit : Pourquoi ne mangez-vous point ? Gabriel répondit : Nous ne prenons pas de nourriture sans en avoir payé le prix. Abraham ajouta : Le prix de cette nourriture est le suivant : Lorsque vous serez sur le point de commencer, dites : Au nom de Dieu ; et quand vous aurez fini de manger, dites : Louange à Dieu. En agissant ainsi, vous aurez payé le prix de la nourriture ; car la nourriture appartient à Dieu, et il faut lui rendre grâces de nous l’avoir donnée. Alors Gabriel regarda Isrâfîl, et dit : Ce n’est pas sans raison que Dieu a nommé Abraham son ami. Après cela. Abraham commença à manger ; mais les anges ne mangèrent pas. Abraham conçut de la crainte, et la conduite de ses hôtes lui fut pénible, comme il est dit dans le Coran (sur. XI, vers. 73) : « Lorsqu’il vit que leurs mains ne touchaient pas à ce veau, il les désapprouva, et il conçut de la crainte à leur égard.»  En effet, à cette époque, lorsqu’on voulait faire du mal à quelqu'un, on refusait de partager sa nourriture. C’est pour cette raison qu'Abraham éprouva de la crainte, et il pensa qu’ils voulaient lui faire du mal. Or le visage d’Abraham changea de couleur. Sara regarda son mari, et, le voyant dans cet état, elle se mit à rire et dit en elle-même : Abraham est entouré de tant de monde qu’il n’a pas sujet de craindre ces trois hommes et d’avoir cette inquiétude qui se manifeste sur son visage et n’échappe à personne.
Le Coran dit : « Et son épouse Sara était debout, et elle se mit à rire. » Or les anges, voyant dans les yeux d' Abraham les signes de ce qui se passait en lui, et voulant chasser de son cœur la crainte qu’il avait conçue à leur égard, se firent connaître, et ils dirent des paroles dont le sens était : Ne crains pas ; nous sommes les apôtres de Dieu, qui nous a envoyés pour détruire le peuple de Loth. Nous sommes venus vers toi pour t’annoncer que tu auras de Sara un fils dont le nom sera Isaac, et Isaac aura un fils dont le nom sera Jacob. Ceux-ci seront pères d’une nombreuse postérité.

Sara dit alors les paroles suivantes, qui sont rapportées dans le Coran : « Hélas! enfanterai-je ? Je suis vieille, et mon époux est âgé ; certes, cela serait une chose étonnante. » (Sur. XI, vers. 75.) Dans un autre endroit du Coran, Sara dit en parlant d’elle-même : « Je suis une vieille femme stérile. » (Sur. LI, vers. 29.) Or le mol 'aqîm, qui se trouve dans le texte du Coran, s’emploie pour désigner une femme qui a cessé d’être réglée. Gabriel, Michel et Isrâfîl dirent :
« Vous étonnez-vous de l’ordre de Dieu ? La miséricorde de Dieu et ses bénédictions sont sur vous, ô famille d’Abraham, etc. » Après cela, Sara regarda Abraham, et Gabriel dit : « Nous t’avons annoncé la vérité, ne sois donc pas du nombre de ceux qui désespèrent. Abraham répondit : Qui pourrait désespérer de la miséricorde de son Seigneur, excepté ceux qui sont dans l'erreur ? » (Sur. XV, vers. 56.)

Or Abraham fut affligé et tourmenté à cause de Loth, et il dit : Dieu veuille que Loth ne soit pas mort ! Dieu a dit : « Lorsque la crainte eut quitté Abraham, et qu’il eut reçu la bonne nouvelle de la naissance d'Isaac, il disputait avec nous au sujet du peuple de Loth ; car Abraham était doux, compatissant et pieux.» (Sur. XI, vers. 77.) Après cela, Gabriel, Michel et Isrâfîl dirent, comme le rapporte le Coran (sur. XXIX, vers. 31) : « Nous savons très bien quelles sont les personnes qui habitent Sodome ; nous délivrerons certainement Loth et sa famille, excepté sa femme, qui sera du nombre de ceux qui resteront.» Et ailleurs (sur. LI, vers. 35) : « Nous avons fait sortir de Sodome les fidèles qui s’y trouvaient.»

Après cela, les anges se mirent en route et reprirent leur forme naturelle jusqu'à leur arrivée à la ville de Sodome, dans laquelle ils entrèrent. Une fille de Loth s’offrit à leur vue; ils la reconnurent et lui demandèrent : Où est la maison de Loth ? car nous sommes ses hôtes. Celle jeune fille leur répondit : Suivez-moi ! et les anges la suivirent. Les hommes de la ville regardèrent les anges et dirent à la jeune fille : Qui sont ces jeunes gens si beaux de visage ? La jeune fille leur dit : Ce sont des hôtes de Loth. Tous les habitants de la ville furent alors remplis de joie, et ils dirent : Nous ferons cette nuit telle et telle chose avec ces jeunes gens. Ils désignaient par ces mots l'action coupable à laquelle ils se livraient habituellement.

Or cette jeune fille se mit à courir devant les anges, et elle dit à son père : Ô mon père, des hôtes viennent vers nous ; ils sont d une beauté telle que jamais nous n'avons reçu chez nous leurs semblables. Lorsque les anges furent arrivés, après la jeune fille, et qu’ils eurent vu Loth, ils le saluèrent. Loth les regarda ; il éprouva de l'affliction et dit : Ces jeunes gens si beaux sont venus ici ; maintenant les habitants de la ville viendront également, et ils commettront le mal avec eux. Il est dit dans le Coran : « Et lorsque nos envoyés furent arrivés auprès de Loth, il éprouva de l’affliction à leur sujet, etc. »

Après cela, Loth cacha les anges dans sa maison. La femme de Loth, qui était infidèle, alla vers les habitants de Sodome et leur dit : Loth a caché ses hôtes dans sa maison. Alors ces gens allèrent à la porte de la maison de Loth, auquel ils dirent : Fais sortir ces jeunes gens, et, si tu ne le fais pas, nous combattrons contre toi. Ils dirent encore : Ne t’avions- nous pas défendu de jamais recevoir des hôtes dans cette ville, en ajoutant que, si tu en amenais quelques-uns, nous ferions le mal avec eux ? Le Coran rapporte que les habitants de Sodome dirent à Loth : « Ne t’avons-nous pas interdit l’hospitalité envers tous les hommes ? » (Sur. XV, vers. 70.)
Loth, n’ayant aucun moyeu de s’opposer à eux, leur dit : Ne commettez pas avec mes hôtes ce crime honteux. Les habitants de Sodome n’écoutèrent pas les paroles de Loth, et ils se précipitèrent dans sa maison. Loth leur dit : Vous n’avez rien à démêler avec mes hôtes ; mais j’ai quatre filles ; elles sont toutes vierges, je vous les donnerai pour femmes, mais abstenez-vous de toucher à ces jeunes gens. Ces hommes lui répondirent : « Nous n’avons rien à voir avec tes filles ; nous voulons ces jeunes gens beaux de visage. » (Sur. XI, vers. 81.) Et, ne s’inquiétant point de Loth, ils se précipitèrent dans sa maison. Loth leur dit : « Si j’étais assez puissant pour vous résister, ou si je pouvais recourir à un appui fort ! » [Ibid. vers. 82.)
Lorsque les habitants de Sodome entrèrent dans la maison de Loth, celui-ci se mit à pleurer. Or les trois anges s’étaient retirés dans un même endroit. Trois d’entre les hommes du peuple de Loth entrèrent dans ce lieu-là, et ils étendirent la main pour saisir Gabriel et l’entraîner hors de la maison ; mais, avant que leurs mains eussent saisi la main de Gabriel, celui-ci, par un souffle qui sortit de sa bouche, frappa d’aveuglement ces trois hommes qui étaient entrés. Il est dit dans le Coran (sur. LIV, vers. 37) : «  Nous avons frappé leurs yeux en disant : Éprouvez, mon  châtiment et l’effet de mes menaces. » Lorsque ces trois hommes qui avaient été frappés d’aveuglement sortirent de la maison de Loth, tous ceux des habitants de Sodome qui étaient à la porte de cette maison et ceux qui y étaient entrés se retirèrent et se mirent à pousser des cris en disant : Ô hommes, Loth jusqu’à présent a exercé la magie au milieu de nous ; maintenant il a amené trois jeunes gens pour que ceux-ci frappent d’aveuglement les plus considérables des nôtres. Venez tous, afin que nous tuions Loth, que nous le chassions de chez lui et que nous dévastions tout ce qui lui appartient.

Quand Loth entendit ces paroles, il fut saisi de frayeur et dit en lui-même : Certainement ces jeunes gens exercent la magie. Or Loth était rempli de crainte, et Gabriel, ne voulant pas le laisser dans cet état, se fit connaître à lui au même instant et lui dit : « Ne crains pas et ne t’afflige point. » (Sur. XXIX, vers. 32.) Les anges dirent encore à Loth : « Ô Loth, nous sommes les envoyés de ton Seigneur, ces gens n’arriveront pas jusqu'à toi. Pars donc avec ta famille, à une heure quelconque de la nuit , et qu’aucun de vous ne se tourne en arrière, excepté ta femme, à laquelle il arrivera ce qui arrivera aux habitants de Sodome. » (Sur. XI, vers. 83.)

Après cela, Loth dit aux anges : Pour quelle affaire êtes-vous venus ici ? Les anges lui répondirent : Nous sommes venus pour détruire ton peuple. Il est dit dans le Coran : « Certes, nous sommes venus vers toi pour les choses au sujet desquelles les habitants de Sodome étaient dans le doute.» (Sur. XV, vers. 63.) Loth dit aux anges : Pourquoi donc ne faites-vous pas périr les habitants de Sodome ? Je suis pressé de voir leur punition. Gabriel dit alors : « Certes, la prédiction de leur châtiment sera accomplie le matin. Le matin est-il donc éloigné ? » (Sur. XI, vers. 83.) Les anges dirent ensuite à Loth : Lorsque cette nuit sera presque entièrement écoulée, lève-toi, sors de la ville avec les tiens, et ne regardez point derrière vous. Loth réunit donc sa famille, et ils sortirent tous de la ville de Sodome à la pointe du jour, Loth marchant avec eux. Quand le jour commença à poindre, Gabriel sortit et se plaça à l’extrémité des villes nommées al-Moutafikât. Le Coran dit : « Et le matin, de bonne heure, un châtiment durable les atteignit. »  (Sur. LIV, vers. 38.)
Lorsque Gabriel fut arrivé à l’extrémité de ces villes, il passa son aile sur le sol qu’elles occupaient, les en détacha, par la puissance de Dieu, et, les enlevant dans les airs, il les fit tourner et les renversa sens dessus dessous. Une eau noire sortit alors des lieux que couvraient ces villes. Il est dit dans le Coran : « Nous avons renversé ces villes sens dessus dessous, et nous avons fait tomber sur elles une pluie de pierres d’argile cuite ; ces pierres se suivaient l’une l’autre. » (Sur. XI, vers. 84.)

Un grand nombre de personnes appartenant à ces villes étaient allées dans d’autres pays ; des pierres lancées avec violence, par l'ordre de Dieu, frappèrent ces gens dans les endroits où ils se trouvaient, et ils périrent dans ces lieux-là mêmes.

La femme de Loth, qui était infidèle, se tourna en arrière. Or Dieu avait dit à Loth : Ne souffre pas que personne regarde derrière soi. Lorsque la femme de Loth regarda derrière elle, une de ces pierres tomba sur sa tête et la tua. Lorsque Loth vit que sa femme était morte, il se dirigea promptement vers le pays qu'habitait Abraham. Quand Loth fut arrivé, Abraham éprouva de la joie en le voyant, et il lui donna de grandes richesses. Loth s’établit dans ce pays-là.


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CHAPITRE LIII.
RÉCIT DE L'IMMOLATION D'ISMAËL.

Sache que, dans le temps où Abraham demanda un enfant à Dieu, poussé par le désir d'être père, il fit un vœu en disant : Ô Seigneur, si j’ai un enfant mâle, je te le sacrifierai. Or Ismaël était né et il avait grandi, Isaac aussi était venu au monde, des années s’étaient écoulées, et Abraham avait oublié son vœu.
Une nuit, Dieu dit en songe à Abraham: Ô Abraham, accomplis le vœu que tu as fait à Dieu. Or Abraham était un prophète revêtu du caractère d’apôtre, de sorte qu’il aurait été convenable que Dieu lui envoyât Gabriel pour lui dire d’accomplir son vœu ; mais Dieu lui fit connaître en songe sa volonté pour l’honorer aussi par une vision.
Parmi les prophètes il en est qui ont reçu leur mission par le moyen des songes ; et notre prophète se vit lui-même en songe entrant dans le temple de la Mecque, dont il faisait processionnellement le tour, coupant ses cheveux et se trouvant à la Mecque en sûreté contre les infidèles. Les Qoraïschites tenaient le prophète hors de la Mecque ; ce fut à cette époque qu'il eut le songe dont nous parlons. Il est dit dans le Coran :
« Déjà Dieu a accompli avec vérité la vision dans laquelle il disait à son apôtre : Certes, vous entrerez dans le saint temple de la Mecque, etc. » (Sur. XLVIII, vers. 27.) Or, si Dieu l’avait voulu, il aurait manifesté ses desseins au prophète par l’entremise de Gabriel, comme il fit pour le Coran ; mais il lui parla en songe pour l’honorer aussi par ce mode de révélation. Il en est de même d’Abraham ; ce fut pour l’honorer par une révélation en songe que Dieu employa ce moyen.

Plusieurs autres choses furent encore révélées en songe à notre prophète (en voici un exemple) :

Dans les premiers temps de l’islamisme, lorsqu'on voulait annoncer la prière, Bilàl montait sur un endroit élevé, et il disait, Prière générale, sans ajouter autre chose. Après cela, un homme, dont le nom était 'Abd-allah-ben-Zaïd, vit en songe, une certaine nuit, un ange qui descendait du ciel et qui lui disait : Dis aux Musulmans de faire l’annonce de la prière de telle et telle façon ; et l’ange lui indiqua la manière qui est aujourd’hui en usage. 'Abd-allah-ben-Zaïd se leva, alla trouver notre prophète et lui dit : Ô apôtre de Dieu, la nuit dernière, j’ai vu en songe telle et telle chose. Notre prophète dit : C’est bien. Celui que tu as vu était un ange auquel Dieu avait donné l’ordre de t’instruire. Dorénavant il faudra faire l’annonce de la prière comme il l’a prescrit. Le prophète ajouta : Ô 'Abd-allah, enseigne à Bilàl cette manière d’annoncer la prière, car il a une voix plus forte et plus agréable que la tienne.

Or le songe d’Abraham fut tel que nous l’avons rapporté.
Quant à la personne qui fut immolée, on n’est pas d'accord sur ce point. Suivant les uns ce fut Ismaël qu’Abraham offrit en sacrifice, et suivant les autres ce fut Isaac. Or nous avons deux traditions, qui viennent à l’appui de ces deux opinions différentes. La tradition suivant laquelle ce fut Ismaël est la suivante. Notre prophète a dit : Je suis le descendant de deux personnes immolées. Or, par ces deux personnes immolées, le prophète voulait désigner 'Abd-allah, son propre père, et Ismaël.

Voici la cause pour laquelle ‘Abd-allah fut offert en sacrifice : Du temps d’'Abd-al-Molalleb, qui était un des principaux personnages de son peuple et grand-père du prophète, le puits de Zemzem se trouva détruit, et les sources qui l’alimentaient tarirent. 'Abd-al-Motalleb fut affligé de cet événement. Or il avait dix fils qu'il amena avec lui, et ils se mirent tous à creuser dans l’endroit où avait été la source ; mais, quoiqu’ils eussent creusé la terre profondément, l’eau ne paraissait pas. Alors 'Abd-al-Motalleb fit un vœu à Dieu, en disant: Si cette eau revient, et si ce puits recouvre son premier état, j’offrirai en sacrifice un de mes fils. Lorsqu'il eut fait ce vœu, l'eau sortit du puits, par la puissance de Dieu. Après cela, ‘Abd-al-Motalleb convoqua ses dix fils et leur dit : J'ai fait à mon Dieu un vœu de telle et telle façon ; qu’en pensez-vous ? Ses enfants lui répondirent : C’est à toi à décider, et il est juste que tu commandes : fais ce que tu voudras. Ils convinrent tous de tirer au sort et d’immoler celui que le sort désignerait. Le sort tomba sur ‘Abd-allah, père du prophète. Alors ‘Abd-al-Motalleb dit : Comment sortir de la position dans laquelle je suis, car j’ai fait un vœu ! Mais son cœur s'opposait à ce qu’il fit périr son enfant, et de ses dix fils il n'y en avait aucun qu'il aimât autant qu'‘Abd-allah. 'Abd-al-Motalleb aurait voulu perdre tout ce qu’il possédait, et ne pas immoler 'Abd-allah. Or la mère d’’Abdallab appartenait à la famille des Benou-Zohra, qui était une des plus puissantes de la Mecque. Les Benou-Zohra se réunirent tous, et ils dirent à 'Abd-al-Motalleb : Nous ne souffrirons jamais que tu immoles cet enfant. Mais 'Abd-al-Motalleb ne savait quel moyen employer, parce qu’il avait fait un vœu et qu’il ne pouvait plus choisir. Il dit : Que ferai- je ? A quel moyen aurai-je recours pour racheter 'Abd-allah ? Alors les Benou-Zohra lui dirent : Il y a dans la ville de Khaïbar des astrologues qui possèdent le Pentateuque ; va les trouver, afin qu’ils te disent ce que tu dois faire pour éviter d’immoler 'Abd-allah. 'Abd-al-Motalleb partit et se rendit à Khaïbar.
Il raconta son histoire aux astrologues, depuis le commencement jusqu’à la fin. Ces juifs dirent à 'Abd-al-Motalleb, lorsque celui-ci eut achevé son récit: Va, mets d’un côté 'Abd-allah, et de l’autre un chameau ; tire-les au sort, et , si le sort désigne 'Abd-allah, ajoute un second chameau au premier, et recommence le tirage jusqu’à ce que le sort ne tombe plus sur 'Abd-allah, mais sur les chameaux, et alors tu offriras tous ces animaux en sacrifice.
'Abd-al-Motalleb retourna à la Mecque, et il exécuta ce que les astrologues lui avaient prescrit de faire. Il prit un chameau, puis deux, puis trois, et ainsi de suite jusqu’à cinquante. Le sort tomba sur 'Abd-allah jusqu’au quatre-vingt-dix-neuvième chameau ; miais, quand 'Ahd-al-Molalleb eut ajouté le centième, le sort tomba sur ces animaux. 'Abd-al-Motalleb comprit qu’il pouvait alors racheter son vœu, et il sacrifia les cent chameaux au lieu d’'Abd-allah. Cela est passé en usage parmi les Arabes, et quiconque voulait sacrifier une personne immolait à sa place cent chameaux.

Or on trouve dans le Coran un argument pour l'immolation d’Isaac, et un argument pour l’immolation d'Ismaël. Quant à l’argument pour l'immolation d’Isaac, on le tire des paroles suivantes : « Nous lui avons annoncé un jeune homme d’un bon naturel. Et lorsque ce jeune homme eut atteint l’âge de raison, et qu’il put se joindre à Abraham pour faire des actes religieux, celui-ci lui dit : Ô mon fils, certes j’ai vu en songe que je devais t’offrir en sacrifice, etc.» (Sur. XXXVII, vers. 101.) Or tous les savants conviennent que ce fut Isaac que Dieu annonça à Abraham. Ne voit-on pas d’ailleurs que Dieu a dit : « Nous avons annoncé à Sara Isaac, et, après Isaac, Jacob. » (Sur. XI, vers. 74.) Et dans un autre endroit : « Nous lui avons annoncé Isaac, excellent prophète. » (Sur. XXXVII, vers. 112.)

Les passages que nous venons de citer prouvent que ce fut Isaac qu’Abraham sacrifia. Voici maintenant le verset qui prouve que ce fut Ismaël : « Lorsqu’ils se furent soumis tous les deux aux ordres de Dieu, Abraham fit courber son fils le front vers la terre, et nous lui criâmes : Ô Abraham, maintenant tu as accompli ta vision. C'est ainsi que nous rémunérons les gens qui font le bien. Certes, cela était une épreuve manifeste. Nous l’avons racheté par une grande victime. » (Sur. XXXVII, vers. 103 et suiv.)

Or Abraham éleva son cœur vers Dieu. Il se résigna à immoler son enfant, et il dit : Je fais le sacrifice de mon enfant. Dieu lui dit alors: Ô Abraham, tu as accompli tout ce que tu as vu en songe, et voilà que je t’envoie un bélier afin que tu le tues à la place de ton enfant. Ainsi parla Dieu. Il approuva la conduite d’Abraham, et déclara que ce prophète était du nombre des gens qui font le bien.

Après avoir terminé le récit de l'immolation, dans le Coran, Dieu dit : « Nous lui avons annoncé Isaac, excellent prophète. » Ces paroles signifient : Lorsque Abraham eut accompli son vœu, et qu'il eut conduit son enfant sur le lieu du sacrifice, Dieu approuva cette conduite, il parla à Abraham et lui annonça Isaac. C’est comme si Dieu avait dit : Puisque Abraham a accompli son vœu, nous lui donnerons un autre enfant, fils de Sara, à la place du premier. Or Isaac ne naquit qu’après l'immolation. Le verset suivant, que nous avons déjà cité : « Nous avons annoncé à Sara Isaac, et, après Isaac, Jacob. » en est la preuve. Car, si Isaac avait été celui de ses enfants qu’Abraham offrit en sacrifice, Dieu n’aurait pas pu annoncer d’un côté qu’Isaac aurait un fils dont le nom serait Jacob, et dire ensuite à Abraham : Tue Isaac. Mais Isaac n’était point encore né lorsque l’immolation eut lieu. D’ailleurs, si Dieu avait ordonné à Abraham de sacrifier Isaac, après lui avoir annoncé que celui-ci aurait un fils nommé Jacob, Abraham n’aurait pas eu confiance dans les paroles de Dieu, lesquelles se seraient trouvées sans effet, soit au sujet de la naissance de Jacob, soit au sujet de l’immolation d’Isaac. Ce que nous venons de dire prouve donc que ce fut Ismaël, et non point Isaac, qu’Abraham offrit en sacrifice.

Or les paroles qu’Abraham adressa à Ismaël en disant, « Ô mon fils, certes j’ai vu en songe que je devais t’offrir en sacrifice : vois donc ce que tu penses, » furent prononcées lorsque Abraham avait déjà conduit son enfant au lieu du sacrifice.

Après le songe dont nous avons parlé. Abraham résolut d’accomplir son vœu de quelque manière que ce pût être. Il  dit donc à Agar, mère d’Ismaël : Envoie cet enfant avec moi, afin qu’il m’accompagne pour aller chercher du bois. Alors Ismaël prit une corde et s’en alla avec son père. Abraham lui-même prit un couteau. On dit que, lorsque Abraham fut arrivé au sommet de la montagne, les anges du ciel se mirent à pleurer et dirent : Ô Seigneur, que ton serviteur Abraham est un grand serviteur ! Tu l’as éprouvé par le feu, et maintenant tu l’éprouves de nouveau par le sacrifice de son fils ! On dit également que la montagne poussa des gémissements, qu'elle trembla et qu'elle dit : Ô Seigneur, quel jour est celui-ci, dans lequel ton prophète offre en sacrifice son enfant !

Or Eblîs fut affligé de la résolution d’Abraham, et, ne sachant que faire pour empêcher ce prophète d'exécuter son dessein, il courut vers Agar et lui dit : Où est ton fils ? Agar répondit : Son père l'a emmené pour aller chercher du bois. Eblîs ajouta : Abraham t’a trompée, et il veut tuer ton fils. Agar dit alors : Tu es certainement Eblîs. Que la malédiction soit sur toi ! Aucun prophète n'a tué son fils, pourquoi Abraham tuerait-il le sien ? Eblîs lui répondit : Abraham dit que Dieu lui a ordonné d’agir de la sorte. Agar dit alors : Si cela est comme tu viens de le dire, moi aussi je me soumettrai aux ordres de Dieu.
Eblîs, désespérant de séduire Agar, courut vers l’endroit où était Abraham, et il se montra à Ismaël, par la raison que celui-ci était un enfant, et que le cœur des enfants est faible et sans force. Il lui dit donc: Ô Ismaël, ton père va t'immoler sur cette montagne. Ismaël répondit à Eblîs : Tu es certainement Eblîs. Un prophète de Dieu ne tue pas son fils innocent. Eblîs ajouta : Abraham dit que Dieu lui a ordonné d’agir de la sorte. Ismaël dit alors : Il faudra que j'obéisse à Dieu. Eblîs, n'ayant plus aucun espoir de séduire la mère ni le fils, dit à Abraham : Ô Abraham, c'est un démon qui t'a envoyé le songe que tu as eu. Ne tue pas ton fils à cause de ce songe, car Dieu ne serait pas satisfait de toi. Abraham comprit bien que celui qui lui adressait la parole était Eblîs ; il répondit : Ô maudit, je ne m'abstiendrai pas d’exécuter les ordres de Dieu à cause de tes paroles.

Après cela, Abraham plaça l'enfant devant lui, tira le couteau qui était dans sa manche, et, ayant mis sur son sein la tête de son fils, il se prit à pleurer. Alors Ismaël lui dit : Qu’as-tu, ô mon père ? Abraham répondit : Ô mon fils, j’ai vu en songe que je devais te faire périr. Ismaël lui dit : Fais, ô mon père, ce qui fa été formellement ordonné. S'il plaît à Dieu, tu trouveras en moi un homme patient. Il ajouta encore : Pourquoi, ô mon père, ne m'as-tu pas fait connaître plus tôt ton dessein, afin que je disse adieu à ma mère ? Alors le père et le fils se mirent tous les deux à pleurer.
Or sache que les larmes d'Abraham venaient de la compassion qu'il ressentait pour son fils, et non du chagrin que lui causait l’ordre de Dieu. Le prophète versa aussi des larmes lorsqu'un fils qu’il avait eu vint à mourir. Alors Abou-Bekr Çiddîk lui dit : Ô apôtre de Dieu, la tristesse ne nous a-t-elle pas été interdite, et la patience ne nous a-t-elle pas été recommandée ? Mahomet répondit : C’est vrai, mais mon cœur est affligé, et mes yeux se remplissent de larmes.

Or Ismaël dit : Ô mon père, le jugement appartient à Dieu ; dépêche-toi et ne perds pas de temps, car autrement tu deviendrais rebelle à Dieu, et ma mère, sans aucun doute, apprendrait ce qui se passe. Abraham se leva donc et se disposa promptement à faire le sacrifice. Il lia fortement les mains de son fils, le fit coucher sur le côté droit, et lui dit adieu du fond du cœur. Il voulut après cela placer le couteau sur la gorge d’Ismaël, mais sa main trembla, et il versa des larmes. On rapporte qu’à ce moment Ismaël tourna les yeux et dit : Ô mon père, couvre mon visage avec des vêtements ; car, tant que tu verras mon visage, ton cœur ne te permettra pas de me tuer. Suivant d'autres personnes, il dit : Couche-moi sur le visage. Abraham fit ce que lui disait son fils. On rapporte encore que, lorsque Abraham plaça le couteau sur le cou d'Ismaël, le couteau se retourna ; le tranchant se trouva en haut et le dos de la lame en bas. Abraham fut étonné de ce prodige, et Ismaël dit. : Qu’y a-t-il, ô mon père ? Abraham répondit : Je n’en sais rien ; mais, quoique je fasse tous mes efforts, le couteau ne coupe pas. Je vois en cela un prodige opéré par la décision de Dieu. Ismaël ajouta : Place de nouveau le couteau sur mon cou et emploie toutes tes forces. Abraham fit ce que lui disait son fils ; mais à ce moment Dieu fit descendre du ciel Gabriel avec un bélier dont nous allons donner la description.
On dit que ce bélier était blanc, qu’il avait les yeux noirs et les cornes longues. Lorsque Gabriel fut arrivé sur la montagne, tenant le bélier par l’oreille, il se plaça derrière Abraham, de sorte que celui-ci ne le voyait pas. Abraham mit le couteau sur le cou d'Ismaël, et il appuya fortement ; le couteau plia. Abraham se disposa à recommencer ; il leva le couteau pour frapper avec violence et achever d’un seul coup. Alors on entendit une voix qui disait : « Ô Abraham, maintenant tu as accompli ta vision » (Sur. XXXVII, vers. 105.) Lorsque Abraham entendit cette voix, il trembla, laissa tomber le couteau qu’il avait dans les mains, et s’écria : Dieu est très-grand ! Dieu est très-grand ! Gabriel répéta les mêmes paroles. Alors Abraham regarda derrière lui ; il vit Gabriel, et il dit : « Il n'y a d’autre Dieu que Dieu ! Dieu est très-grand ! Après cela, Abraham dit à Ismaël : Ô mon fils, lève la tête, le moment de ta délivrance est arrivé. Lorsque Ismaël leva la tête, il vit Gabriel qui tenait le bélier, et il dit : Dieu est très-grand ! Louange à Dieu !

Or sache que ces différentes exclamations forment le tekbîr que l’on récite le jour de la fête des sacrifices, lequel a été composé par Gabriel , l’esprit de Dieu, par Abraham, l’ami de Dieu, et par Ismaël, la victime de Dieu. Or Abraham délia les mains d’Ismaël, et Dieu dit à Abraham : Dis à Ismaël qu'il me fasse une demande ! Alors Ismaël fit la demande suivante : Toute personne qui paraîtra devant toi avec son péché, et qui aura la foi, remets-lui ses péchés en ma faveur. Dieu accorda à Ismaël cette demande.

Gabriel donna le bélier à Abraham dans l’endroit où aujourd’hui on jette des pierres et où l'on immole des victimes, sur la montagne de Mina. Or le bélier s’échappa des mains d’Abraham, et Abraham lança contre cet animal sept pierres, sans pouvoir l’atteindre. Alors Ismaël s’avança, et le bélier s'arrêta. Ismaël arriva auprès du bélier et le retint jusqu’à ce qu'Abraham, étant venu lui-même, le prit et l’immola.

Dieu appelle ce bélier 'adzîm. Or, en arabe, 'adzîm signifie grand. Toutefois ce mot ne doit point s’appliquer au bélier, mais à la belle action d’Abraham ; car l’idée de grandeur appartient à cette action dont le mérite demeure à Abraham, et dont la tradition se conservera jusqu'au jour du jugement.

Le sacrifice dont nous venons de parler fut une grande épreuve que Dieu envoya à son ami, et Abraham agit avec grandeur en se soumettant aux ordres de Dieu et en accomplissant le sacrifice qu’il s’était engagé à faire. Or Dieu a dit : « C’est ainsi que nous rémunérons les gens qui font le bien. » (Sur XXXVII, vers. 110.) Cela signifie : Quiconque agira ainsi, je lui donnerai sa récompense, comme je l’ai donnée à Abraham.

Quelques personnes disent que le bélier immolé à la place d’Ismaël était le même qu'Abel avait offert en sacrifice. Dieu agréa le sacrifice d'Abel, et il mit ce bélier dans le paradis, pour y paître jusqu'à l'époque de l'immolation d’Ismaël. Alors ce même bélier fut apporté et sacrifié pour la rançon d'Ismaël.


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Message par Ligeia Mer 31 Mar - 8:47

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CHAPITRE LIV.
CONSTRUCTION DE LA CAABA PAR ABRAHAM ET PAR ISMAËL.

Or Dieu fit partir Abraham en disant : Va, rends-toi à la Mecque auprès d'Ismaël, réunissez vos efforts et élevez le temple de la Mecque. Dieu a dit : « Rappelle-toi lorsque nous donnâmes pour habitation à Abraham l’emplacement de la Caaba, etc. « (Sur. XXII vers. 27.) Ces paroles signifient : J’ai fait connaître à Abraham l’emplacement de la maison visitée. Dieu a parlé ainsi, parce que, dans le principe, quand la maison visitée fut apportée sur la terre et qu'elle fut placée dans l'endroit qu’occupe le temple de la Mecque, Adam partait tous les ans de la montagne de Seràndîb, se rendait à la maison visitée et en faisait processionnellement le tour. Adam continua ainsi pendant toute sa vie à visiter ce lieu-là. Plus tard, du temps de Noé, lorsque le déluge survint, la maison visitée fut enlevée au ciel, et l’emplacement qu'elle avait occupé était vide quand Dieu dit à Abraham : Pars, va à la Mecque et construis une maison sur le lieu où était la maison visitée, afin que tu aies la gloire d’avoir construit cette maison, comme tu as la gloire d'avoir fait plusieurs autres choses.

Or Ismaël était devenu grand, il s’était marié et il avait eu des enfants. Chaque année Abraham partait pour aller voir Ismaël et lui rendre visite. L’année dans laquelle se passèrent les événements que nous rapportons, Abraham alla voir Ismaël. Il le trouva sur une montagne, occupé à tailler des flèches pour la chasse, et il lui dit: Ô mon fils, Dieu m'a ordonné de bâtir une maison conjointement avec toi. Ismaël répondit : Je suis prêt à obéir, ô mon père.
Alors ils se disposèrent tous les deux à construire cette maison ; mais Abraham ignorait la manière dont les constructions devaient être faites et leurs dimensions. Dieu envoya un nuage de la grandeur de la Caaba, afin que la construction se fît dans l’espace que couvrait l’ombre de ce nuage, et qu’elle fût de la grandeur de cette même ombre. Quelques personnes disent qu’un serpent arriva et fit connaître les proportions que devait avoir cette maison.
Après cela. Abraham et Ismaël se mirent à creuser les tranchées qui devaient recevoir les fondations ; ils leur donnèrent en profondeur la dimension de la stature d’un homme. Ils élevèrent ensuite les fondations jusqu'au niveau du sol. Après cela, ils coupèrent des pierres aux montagnes voisines pour construire les murs de l’édifice. Dieu a dit : «Quand Abraham et Ismaël élevaient les fondations de la maison, ils disaient : Seigneur, reçois de nous cette maison, car tu es celui qui entend et qui sait. Seigneur, fais aussi que nous te soyons consacrés, etc. » (Sur. II, vers. 121 et suiv.)

Abraham se mit ensuite à bâtir, et Ismaël lui donnait des pierres ; Ismaël faisait les fonctions de manœuvre, et Abraham celles de maçon.

Or, lorsque le mur fut devenu haut, Abraham plaça une pierre sous ses pieds, afin d’en atteindre la partie supérieure. Abraham appuya avec force sur cette pierre, et la forme de son pied y resta empreinte. La pierre dont nous parlons est celle que I’on nomme aujourd’hui Makam-lbrahîm.

Lorsqu’ils eurent achevé la Caaba, ils dirent : «Seigneur, reçois de nous cette maison. » Ensuite ils ajoutèrent : «Fais-nous connaître nos cérémonies saintes. » C’est-à-dire: Indique-nous les cérémonies du pèlerinage que nous devons faire à cette maison, afin que nous sachions comment nous devons nous en acquitter. Ils dirent encore : «Tourne-toi vers nous, car tu es celui qui revient, le miséricordieux. » (Sur. II, vers. 122.) Enfin Abraham prononça des paroles dont le sens était : Envoie un prophète d'entre mes descendants, afin qu’il récite tes versets à ses frères, qu’il leur fasse connaître ton livre et ta sagesse. Et toi, Seigneur, purifie-les de leurs péchés. Le prophète a dit : C’est moi qui suis l’objet de la prière de mon aïeul Abraham. Cela veut dire : Cette prière est de mon aïeul qui demanda un prophète à Dieu ; et ce prophète que Dieu a envoyé, c’est moi.

Il est dit : « Dieu a usé de bonté envers les fidèles, lorsqu’il a suscité parmi eux un apôtre de leur propre nation, pour qu’il leur récitât ses versets, etc.» (Sur. III, vers. 158.)

Or Dieu envoya Gabriel à Abraham, afin qu’il lui fit connaître les rites du pèlerinage, qu’il lui enseignât à visiter Mina et le mont ‘Arafat, à faire processionnellement le tour de la Caaba, à jeter des pierres, à prendre le costume de pèlerin, à faire le sacrifice, à se raser la tète, à sortir des lieux saints, et tout ce qui concerne le pèlerinage.

Cette année-là, lorsque Abraham fit le pèlerinage, il confia le temple de la Mecque à Ismaël, et il lui dit : Ô mon fils, ce pays t’appartient ainsi qu'à tes enfants, jusqu'au jour du jugement. Après cela, Abraham, étant allé sur le mont Thebîr, se tourna tantôt vers la Syrie et tantôt vers la Mecque. Il vit que le pays de la Mecque était plein de montagnes et de pierres, qu’il manquait d’eau et qu’il ne s’y trouvait ni herbes, ni arbres, ni terres labourables, ni verdure ; et, de l'autre côté, il vit la Syrie toute couverte d’arbres, de verdure, d’eaux courantes et de terres ensemencées. Alors Abraham eut le cœur rempli de tristesse à cause d’Ismaël cl de ses enfants, et il dit : Comment habiteront-ils au milieu de ces montagnes stériles et sans arbres ?
Après cela, il leva les mains et tourna son visage vers le ciel, comme il est dit dans le Coran (sur. XIV, vers. 38) : "Lorsque Abraham dit : Seigneur, fais de ce lieu un pays sûr, et éloigne-moi, ainsi que mes enfants, du culte des idoles... J’ai fait habiter une partie de ceux de ma famille dans une vallée stérile, auprès de ta maison sacrée, afin qu’ils s'acquittent de la prière, ô Seigneur. Fais donc que le cœur de quelques hommes soit porté d'affection vers eux, et nourris-les de fruits, pour qu’ils te rendent grâces. »

Dieu exauça la prière d’Abraham; et maintenant il n’y a point à la Mecque de champs ensemencés, mais on y porte des autres contrées, telles que l’Egypte, l’Yémen et le Maghreb, des fruits, du froment, de l’orge, et tous les grains, les légumes et les autres choses qui se trouvent dans le monde et qui sont destinés à la nourriture. De sorte que, grâce à la considération d’Abraham, à la bénédiction répandue sur sa personne et à la prière qu'il adressa à Dieu, tout ce qui sert à la nourriture est en plus grande abondance à la Mecque que dans les autres pays.

Or Dieu dit à Abraham : Purifie ma maison pour ces hommes qui viendront des pays éloignés et qui s’inclineront et se prosterneront dans ce lieu pour m’adorer. Dieu dit encore à Abraham : Fais connaître aux créatures que tu as bâti cette maison afin que les hommes s’y rendent à pied et à cheval. Après cela, Gabriel dit : Ô Abraham, appelle les hommes au pèlerinage. Abraham répondit : Qui appellerai- je ? Il n’y a personne dans ces montagnes. Gabriel ajouta : Appelle les hommes, et Dieu fera entendre ta voix à qui il voudra. Alors Abraham dit à haute voix : Ô hommes, Dieu a bâti pour vous une maison, et il vous appelle à faire le pèlerinage : obéissez-lui. Dieu fit entendre la voix d'Abraham à toutes les créatures. Celles que Dieu avait prédestinées au bonheur du pèlerinage répondirent ce jour-là à Abraham et dirent : Me voici prêt à t’obéir, ô mon Dieu. Me voici prêt à t’obéir. Tu n’as point d’associé. Me voici prêt à t’obéir. Certes, la louange et les actions de grâces sont pour toi. L’empire t’appartient. Tu n’as point d’associé.
Or toutes les créatures qui étaient sur la face de la terre, toutes celles qui se trouvaient alors dans les reins de leur père, et toutes celles qui devaient s’y trouver par la suite jusqu’au jour du jugement, répondirent à Abraham. Maintenant, toutes les personnes qui s’acquittent du pèlerinage, et toutes celles qui s’en acquitteront jusqu’au jour du jugement, sont du nombre des gens qui, à cette époque, entendirent la voix d’Abraham et répondirent à son invitation. Toutes les personnes qui ne répondirent point à Abraham ne peuvent avoir le bonheur de s’acquitter du pèlerinage, quelques efforts qu’elles fassent pour cela.

Or, lorsque Abraham eut achevé toutes ces choses, il appela Ismaël et lui dit : Ô mon fils, je te confie tout ce pays et cette maison, par l’ordre de Dieu. Après cela, Abraham retourna en Syrie auprès de Sara, et chaque année, à l’époque du pèlerinage, il allait à la Mecque, s’acquittait du pèlerinage, voyait Ismaël et retournait ensuite dans son pays.


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CHAPITRE LV.
MORT DE SARA

Sara avait soixante et dix ans à l'époque où elle devint grosse d’Isaac. Elle vécut encore après cela jusqu'à l’âge de cent trente ans accomplis. Sara était fille d’Aran, oncle paternel d’Abraham.

On n’est pas d’accord au sujet de la généalogie de Sara ; quelques personnes disent qu’elle était fille d’Aran, et d'autres prétendent qu’elle était tille du roi de Ilaran. Ce roi était frère d’Azar ; son nom était Tharé, fils de Nachor. La mère de Sara était aussi fille de roi ; elle se nommait Iloura, fille de Koutha, lequel était roi du pays de Babylone et habitait l'Iraq. Or sache que Koutha est un canal dont le nom fut donné à ce roi, parce qu’il l’avait creusé.

Ensuite, lorsque des années se furent écoulées, et Isaac étant devenu grand, Sara eut encore un autre fils nommé Jacob, comme il est dit dans le Coran : « Et nous lui avons donné Isaac et Jacob. » (Sur. VI, vers. 84.)

Isaac eut deux fils, l’un nommé Esaü et l’autre Jacob ; ils étaient jumeaux. On rapporte qu’au moment où Esaü vint au monde, Jacob le saisit par le talon. Ce fut à cause de cela qu’on l’appela Jacob, car al-‘aqîb , en arabe, signifie le talon.

Jacob est nommé dans le Coran, parce qu’il était prophète de Dieu. Tous les enfants de Jacob furent également prophètes et fils de prophètes ; mais aucun des fils d’Esaü ne fut prophète.

Isaac devint aveugle du vivant de Sara. On dit que Jacob et Esaü naquirent après la mort de Sara, et qu’Abraham les eut d’une autre femme ; mais cela n’est point exact, car Dieu les avait annoncés à Sara.

Lorsque Sara eut atteint l’âge de cent trente ans, elle mourut. Elle fut ensevelie dans le lieu qu’elle habitait, en Palestine, dans le pays de Chanaan. Tant que Sara vécut, Abraham ne prit aucune autre femme ; mais, quand elle fut morte, il épousa une femme nommée Céthura, fille d’Yoktan ; celle-ci était également du pays de Chanaan. Abraham eut de Céthura six fils ; le premier s’appelait Zamram, le second Jeksan, le troisième Madan, le quatrième Madian, le cinquième Jesbok, et le sixième Sué. Il eut de Sara Isaac, Jacob et Ésaü ; et Ismaël d’Agar. La postérité d’Abraham devint nombreuse, et Dieu rapporte dans le Coran (sur. XXXVII, vers. 113) des paroles dont le sens est : J’ai béni Ismaël et Isaac ; je leur ai donné des enfants, et les gens de bien sortiront d’eux. Parmi leurs descendants il y en aura qui feront le mal, et d’autres qui seront des hommes vertueux et estimables.


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Message par Ligeia Mer 7 Avr - 11:02

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CHAPITRE LVI.
MORT D'ABRAHAM.

Dieu rendit parfaites les actions d’Abraham relatives au monde présent et au monde futur, et il lui donna une longue vie. Lorsque la barbe d’Abraham devint blanche (or nous avons rapporté qu’avant Abraham personne n’avait eu la barbe blanche), Abraham demanda : Ô Seigneur, qu’est ceci ? Une voix se fit entendre qui disait : Hadsa waqâr, c’est- à-dire : Cela est un signe d’intelligence et de douceur. Abraham ajouta : Ô Seigneur, augmente mon intelligence et ma douceur.

Dieu nomma Abraham son ami ; il lui enseigna les cérémonies du pèlerinage, les préceptes religieux d’obligation divine, et ceux de pratique imitative. Ces derniers sont au nombre de cinq pour ce qui regarde la tête, savoir : le premier, de se tailler la moustache ; le second, de faire le madhmadha, c’est-à-dire de se rincer la bouche avec de l’eau ; le troisième est l’istinschâq, qui consiste à respirer de l’eau par les narines ; le quatrième est de faire usage du miswàk , et le cinquième, d’avoir soin de se démêler les cheveux.
Les cinq préceptes qui regardent le corps consistent à se couper les ongles et à s’entretenir dans une grande propreté. Abraham observa ces dix préceptes ; et Dieu dit dans le Coran, dans la surate intitulée l’Immunité : « Ceux qui font pénitence, ceux qui servent Dieu et qui le louent, ceux qui jeûnent, qui se prosternent et se tiennent en adoration, et ceux qui commandent ce qui est juste, défendent ce qui est mal et gardent les commandements de Dieu, auront le paradis pour récompense. Annonce donc d'heureuses nouvelles aux croyants. » (Sur. IX, vers. 113.) On trouve dix paroles de Dieu dans la surate intitulée les Conjurés : « Dieu a préparé le pardon et une grande récompense pour les Musulmans et pour les femmes musulmanes, etc. » (Sur. XXXIII, vers. 35.)

On trouve encore six autres paroles dans la surate intitulée Sa’ala sa’ïloun : « Ceux qui prient et qui persévèrent dans l’oraison, etc. » (Sur. LXX, vers, 22.)

Dieu a dit en parlant d’Abraham : « Celui qui tient ses engagements. » (Sur. LIII, vers. 38.) Dieu a donné tous ces préceptes à notre prophète Mahomet, il les a fait entrer dans les lois de notre religion, et il a dit : Abraham a observé ces préceptes, observez-les également.

Lorsque Abraham eut accompli ces dix préceptes, Dieu lui envoya des livres, qu’il envoya aussi à notre prophète. Or, dans les livres d’Abraham il y avait différentes lois, comme il est dit dans le Coran (sur. LXXXVII, vers. 18.) : « Certes , cela a été écrit dans les anciens livres, dans les livres d'Abraham et de Moïse. »

Tous les hommes suivent les principes d’Abraham, et sache que la prière d’Abraham était la suivante : « Ô Seigneur, accorde-moi de mériter les louanges de la postérité la plus reculée. Place-moi parmi les héritiers du paradis de délices ! » (Sur. XXVI, vers. 84.) Ces paroles signifient : Ô Seigneur, fais que je sois véridique aux yeux des peuples qui viendront après moi. C'est pour cette raison que tous les hommes suivent les principes d'Abraham.


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CHAPITRE LVII.
[suite] ARRIVEE DE L'ANGE DE LA MORT AUPRES D'ABRAHAM.

Or, lorsque toutes les choses que nous avons rapportées furent accomplies sur la personne d’Abraham, Dieu envoya l’ange de la mort vers ce prophète et lui dit : Va et prends l’âme d’Abraham, avec son autorisation. L’ange de la mort demeura embarrassé, et il ne savait comment faire pour prendre l’âme d’Abraham, du consentement et avec l'autorisation de ce prophète.

Or on rapporte que l’ange de la mort usa de ruse, et qu'il alla vers Abraham sous la forme d’un vieillard débile, qui avait les mains tremblantes, à cause de son grand âge, et dont la tête tremblait beaucoup, par la même cause. Lorsque Abraham vit cet homme, il pensa que c’était un pauvre, qui avait besoin de nourriture et qui venait vers lui en qualité d'hôte. Abraham fut rempli de joie, et il ordonna que l’on apportât de la nourriture et qu’on la plaçât devant ce vieillard. A l'époque où l’ange de la mort alla vers Abraham, ce prophète était âgé de deux cents ans. Lorsqu’on plaça la nourriture devant l’ange de la mort, il en prit une bouchée avec beaucoup de peine, les mains tremblantes et la tête vacillante. Chaque fois qu’il avait pris quelque chose, cela lui tombait des mains ; et, lorsqu'il voulait porter la nourriture à sa bouche, il la mettait tantôt dans son œil, tantôt dans son oreille, tantôt dans son nez, jusqu'à ce qu’enfin, après mille peines, il la plaçait dans sa bouche ; et alors elle tombait sur sa barbe. Abraham fut extrêmement étonné et stupéfait de cela, il dit : Ô vieillard, combien as-tu d’années ? L’ange de la mort lui répondit : Ma vie est plus longue de deux ans que celle d’Abraham ; j'ai deux cent deux ans. Abraham dit : Est- ce que quiconque parvient à l’âge de deux cent deux ans devient semblable à toi, ô vieillard ? L’ange de la mort répondit : Oui. Alors Abraham s’écria : Ô Seigneur, je ne te demande pas de m’accorder la vie plus longtemps. Aussitôt l'ange de la mort enleva l’âme d’Abraham.

Isaac lava le corps d'Abraham et le mit au tombeau à côté de Sara.


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CHAPITRE LVIII.
ABRAHAM DEMANDE À DIEU COMMENT IL RESSUSCITERA LES MORTS.

C’est au sujet de cette question d’Abraham qu’il est dit dans le Coran : « Et rappelle-toi lorsque Abraham dit : Seigneur, fais-moi voir comment tu ressusciteras les morts, etc. » (Sur. II, vers. 262.) Ce fut la dernière année de la vie d'Abraham, et quand il avait cent quatre-vingt-dix-neuf ans, qu’il fit cette question à Dieu. Abraham revenait alors de la Mecque, et, arrivé au milieu des montagnes, il dit en lui-même : Comment Dieu ressuscitera-t-il les morts au jour du jugement ? Abraham était convaincu que Dieu ressusciterait les morts ; mais il voulait savoir comment la résurrection aurait lieu, et tranquilliser ainsi son cœur. Dieu lui dit : Est-ce que tu ne crois pas que je ressusciterai les morts ? Abraham répondit : Je le crois ; mais je voudrais le voir de mes propres yeux. Dieu lui dit : Prends quatre oiseaux différents, tue-les, coupe-les par morceaux, mêle-les ensemble, et place sur des montagnes un morceau de chacun de ces oiseaux, que tu appelleras alors, et tu verras qu’ils iront vers toi rapidement.
Abraham prit quatre oiseaux ; on dit que le premier de ces oiseaux était un héron, le second un aigle, le troisième un milan et le quatrième un vautour. Ces quatre oiseaux sont d'espèces différentes. Abraham les tua, les coupa par morceaux et les mêla tous ensemble, avec ce qu’ils avaient dans leurs entrailles. Il mit ensuite ces morceaux séparément sur quatre montagnes, entre lesquelles il se plaça lui-même, pour voir ce qui arriverait. Alors il s’éleva un vent qui porta ces différents morceaux d’une montagne à l’autre, de sorte que tout ce qui appartenait à un même oiseau se trouva réuni. Alors Abraham appela ces oiseaux. Ils allèrent rapidement tous les quatre vers Abraham, qui demeura rempli d’étonnement. Dieu dit alors : C’est ainsi que je ferai au jour du jugement.

Maintenant, si quelqu’un s’imaginait qu’Abraham n’était pas convaincu que Dieu ressuscitera les morts et qu'il a la puissance de le faire, cet homme serait infidèle ; car Abraham savait que Dieu peut ressusciter les morts.


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CHAPITRE LIX.
RELATION DE LA MORT DU PROPHETE ISMAËL.

Après la mort d’Abraham, Isaac lava son corps el l’ensevelit en Syrie. Isaac alla ensuite à la Mecque, et il rendit visite à Ismaël. Dieu leur avait accordé à tous deux le don de prophétie. Ismaël partait de la Mecque une fois tous les ans ; il se rendait au tombeau de son père, visitait Isaac, et il s’en retournait ensuite. Ismaël épousa une femme de la tribu de Djorhom, qui lui donna douze fils.

Or, de l’autre côté de la Mecque, vers l’occident, dans le pays de Hadhramaut, ainsi que dans l’Égypte, l’Yémen et le pays des Amalécites, habitaient les peuples soumis aux Pharaons ; ils étaient tous idolâtres. Dieu envoya vers ces peuples, en qualité de prophète, Ismaël, qui vécut pendant cinquante ans au milieu d’eux. Plusieurs crurent en lui, et plusieurs n’y crurent pas.

Ismaël était un prophète revêtu du caractère d’apôtre ; jamais il ne s’était révolté contre Dieu, et jamais il n’avait adoré les idoles. Dieu a dit : « Mentionne Ismaël dans le livre du Coran, car il était sincère dans ses promesses, et il était apôtre et prophète, etc.» (Sur. XIX, vers. 55.)

Ismaël vécut cent trente ans. Sur la fin de sa vie, il retourna à la Mecque, alla visiter le tombeau d’Abraham et voir Isaac. Or Isaac avait eu deux fils, comme nous l’avons rapporté ; et Ismaël avait une fille nommée Basemath, qu’il avait donnée pour femme à Ésaü, frère de Jacob.

Ismaël mourut enfin à la Mecque, après avoir désigné Isaac pour son exécuteur testamentaire. Ses fils l’ensevelirent à côté d’Agar. Les enfants d’Ismaël se dispersèrent dans le monde, et la postérité de ce prophète devint nombreuse. Deux d’entre les fils d'Ismaël s'établirent à la Mecque, où ils fixèrent leur demeure. Le nom du premier de ceux-ci était Nabajoth, et celui du second Cedar. Ils eurent aussi des enfants. Les habitants du Hedjaz, ceux du désert et les Arabes sont tous de la postérité des enfants d'Abraham et d’Ismaël.


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Message par Ligeia Ven 16 Avr - 10:56

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CHAPITRE LX.
HISTOIRE D’ESAÜ ET DE JACOB

Isaac vécut cent ans après Ismaël. Dieu lui accorda le don de prophétie, et l'envoya vers les habitants de la Syrie, dans le pays de Chanaan ; car Isaac ne pouvait pas changer de demeure, à cause de sa cécité.

Or Isaac avait une femme du pays de Chanaan. Cette femme lui donna deux fils jumeaux ; le premier s'appelait Esaü et le second Jacob. Ils devinrent grands tous les deux, et lorsque Esaü épousa la fille d'Ismaël, Isaac dit à Jacob: Si tu as l'intention de prendre une femme, vois à ne pas épouser une étrangère ; mais de même que ton frère a pris pour femme la fille de son oncle paternel, toi aussi prends pour femme la fille de ton oncle maternel. Or la mère de Jacob avait un frère dont le nom était Laban, fils de Bathuel. Du pays de Chanaan. Laban était allé en Syrie, où il avait acquis de grandes richesses, et où il avait eu des fils et des filles. Tant que vécut Isaac, Jacob ne se maria point.

Isaac chérissait Esaü. Un jour, il lui dit : J’ai envie de manger de la chasse; lorsque tu auras pris quelque pièce, fais- la rôtir et apporte-la-moi, pour que je mange et que je prie pour toi, afin que Dieu t’accorde le don de prophétie. Esaü aimait la chasse; il mangeait de la chair des animaux qu'il prenait en chassant, et il en faisait sa nourriture.

Jacob était berger, et il aimait les brebis. La femme d'Isaac avait plus d'affection pour Jacob, et Isaac avait plus d'affection pour Esaü. Or, lorsque Esaü partit pour la chasse, la mère de Jacob dit à celui-ci : Va promptement, apporte un agneau gras et tue-le. Jacob s’en alla, et il apporta un agneau gras, le tua, le fit rôtir et le plaça devant Isaac. Lorsque Isaac sentit l'odeur du rôti, comme il ne voyait pas, il dit: Qu’est-ce que cela ? Sa femme lui répondit: C’est le rôti que ton fils a apporté. Isaac dit : Donne-le-moi. Alors elle le lui apporta. Isaac mangea un morceau de ce rôti, et il pria, en disant: O Seigneur, accorde le don de prophétie à celui de mes fils qui a apporté ce que je viens de manger. Quelques instants après, Esaü revint de la chasse, apportant ce que son père lui avait demandé ; il dit : Ô mon père, j’apporte ce que tu m’as demandé. Isaac répondit : Ô mon fils, j’ai mangé du rôti, et j'ai prié pour celui qui me l’a apporté, pensant que c'était toi. Maintenant, ton frère m'a apporté ce qui m'était nécessaire, et il  t’a enlevé la prière que je te destinais; mais ne l’afflige point, car je ferai une autre prière pour toi.
Ce fut pour ce motif que la haine et l’inimitié régnèrent entre Jacob et Esaü, au point qu’Esaü dit: Je tuerai Jacob. El Jacob craignait d’être tué, et il ne pouvait point sortir de sa maison.

Or Isaac pria pour Esaü, en disant : Ô Seigneur, rends sa postérité nombreuse et puissante dans le monde. Dieu exauça la prière d'Isaac, et la postérité d’Esaü devint nombreuse. Maintenant, tous les Grecs qui se trouvent répandus dans le monde sont de la race d'Esaü, lequel eut un fils qu'il nomma Roum. Roum eut un grand nombre d’enfants, qui s’emparèrent du pays des Grecs, et lui donnèrent le nom de Roum, fils d'Ésaü, fils d’Isaac, fils d’Abraham, fils d’Azar, fils de Nachor, fils de Sarug, fils de Reü, fils de Phaleg, fils de Héber, fils de Caïnan, fils  d’Arphaxad, fils de Sem, fils du prophète Noé.

La vie d'Isaac fut de cent soixante ans. Après cela, Isaac mourut, et Esaü le mit au tombeau, auprès d’Ismaël.


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CHAPITRE LXI.
DISCOURS SUR L’ANIMOSITÉ D'ÉSAÜ CONTRE LE PROPHETE JACOB.

Jacob redoutait toujours Ésaü, parce qu'Ésaü avait dit qu'il le tuerait. Jacob sortait seulement la nuit, et le jour il se tenait caché. Plusieurs années s’écoulèrent, et Jacob ne pouvait plus vivre de la sorte. Sa mère lui dit : Ton oncle Laban, fils de Bathuel, celui qui est en Syrie, possède de grands biens, et il est âgé. Ton père a dit que tu épouses sa fille; lève-toi donc, va le trouver et demande-lui sa fille. Soit qu'il te la donne pour femme ou non, demeure dans ce lieu-là, afin que la vie soit en sûreté. Jacob se leva, et il sortit du pays de Chanaan, pendant la nuit, à l'insu de son frère Esaü, et à cause de la crainte qu'il avait de lui.

On donne à Jacob le nom d'Israël, qui vient des mots arabes asra ila allah, parce qu'il se réfugia pendant la nuit vers Dieu, fuyant la main de son frère, et qu’il se retira vers Dieu et alla dans un pays où il se trouvait en toute sûreté quant à sa personne et à sa religion. Or, aller la nuit se dit en arabe sara, et aller le jour saïr.

Après cela, lorsque Jacob fut arrivé auprès de son oncle, il vit ses deux filles; l’une s’appelait Lia, c’était l’ainée. Et  l'autre se nommait Rachel ; celle-ci était la plus belle. Jacob demanda Rachel à Laban, et il lui dit : Donne-la-moi pour femme, car mon père a ordonné, par ses dernières volontés, que je prenne ta fille pour femme, et que je n’épouse pas une étrangère. Son oncle lui répondit: Tu vois combien j’ai de richesses, et toi tu n’as rien de ton père; comment te donnerais-je ma fille? Jacob répondit : Ô mon oncle, je n’ai pas de richesses, mais je serai ton berger moyennant un salaire. Laban répondit: C’est juste ; laquelle de mes deux filles veux-tu ? Jacob dit : Rachel ; elle est la plus jeune et la plus belle.
Ils convinrent donc que Jacob servirait Laban pendant sept années comme berger. Lorsque ce temps fut écoulé, Jacob demanda à Laban sa fille. Celui-ci envoya, pendant la nuit, dans la maison de Jacob, sa fille aînée, dont le nom était Lia, et il n’y envoya point Rachel. Lorsque le lendemain fut arrivé, Jacob alla vers Laban et lui dit : Ô mon oncle, je ne l’avais pas demandé cette fille ; je t’avais demandé la plus jeune. Laban lui répondit : Ô jeune homme, il aurait été honteux et j’aurais rougi d’envoyer d’abord ma plus jeune fille dans la maison d’un époux, et de garder ma fille aînée dans ma maison ; on m’en aurait fait des reproches. Si tu le veux, va, sers-moi pendant sept ans encore comme berger, afin que je le donne aussi la plus jeune.

Or, à cette époque, il était permis à un homme d’épouser à la fois les deux sœurs. Cette disposition subsista dans la religion d’Abraham jusqu'au temps de Moïse. Après cela, du temps de Moïse, Dieu défendit dans le Pentateuque, et aussi dans l’Evangile, qu’un homme épousât à la fois les deux sœurs. On lit dans le Coran (sur. IV, vers. 27) : "Et il vous est également défendu de prendre pour femmes deux sœurs. » Ce qui veut dire : J’ai défendu qu’un homme prît en même temps pour femmes les deux sœurs. Le Coran ajoute : « Excepté ce qui s’est déjà passé. » C’est-à-dire : Excepté ce qui s’est passé dans le temps de la religion d’Abraham, avant le Pentateuque de Moïse.

Or Jacob exerça pendant sept autres années l’état de berger. Lorsque Laban vit que ses deux filles appartiendraient à Jacob, il fit part à celui-ci de tous ses biens; il lui donna beaucoup de brebis, de grandes richesses, un grand nombre d’esclaves et Lia sa propre fille. Quand les sept autres années furent écoulées, il lui envoya également Rachel, sa seconde fille, avec de grandes richesses, et ces femmes demeurèrent toutes les deux dans la maison de Jacob. Or les richesses et les brebis de Jacob devinrent plus nombreuses que celles de Laban. Jacob demeura encore sept années avec Laban dans ce pays-là, où il eut onze enfants, dont six de Lia. Le premier de ceux-ci s'appelait Ruben, le second Siméon, le troisième Juda, le quatrième Lévi, le cinquième Zabulon et le sixième Issachar.

Plusieurs années s’écoulèrent sans que Rachel devînt mère. Or elle avait une servante nommée Zelpha, qu’elle donna à Jacob eu disant : Tu n'auras jamais d’enfants de moi; je le donne cette servante, peut-être en auras-tu d’elle. Zelpha rendit Jacob père de deux fils : le premier s'appelait Dan, et l’autre Nephthali.
Lia avait aussi une servante, laquelle se nommait Bala. Lia donna cette servante à Jacob, qui eut d’elle deux fils, Gad et Aser ; ce qui faisait en tout dix fils.

Après cela, Jacob eut enfin de sa femme Rachel un fils nommé Joseph ; ce qui lui fit onze fils. Joseph était le plus jeune et le plus beau de tous les fils de Jacob, et son père le chérissait plus que ses autres enfants.

Jacob demeura en Syrie vingt et un ans. Il amassa de grandes richesses dans ce pays, où il eut les onze fils dont nous venons de parler. Après cela, il éprouva un vif désir de retourner chez lui, en Palestine, dans le pays de Chanaan, à cause de sa mère et de son frère Esaü. Ésaü, de son côté, désirait ardemment de revoir Jacob. Or Jacob demanda à son oncle la permission de s’en aller. Celui-ci la lui accorda et le combla de richesses, ainsi que Lia et Rachel. Jacob partit et se dirigea vers le pays de Chanaan avec deux femmes, deux servantes, onze fils et des richesses considérables en troupeaux, en bêtes de somme, en or et en argent. Jacob craignait Esaü, et celui-ci désirait ardemment de le revoir.
Quand Jacob arriva près du pays de Chanaan, et lorsqu'il n'en était plus qu’à une journée de marche, Esaü se trouvait hors de chez lui pour chasser. Apercevant de loin un grand nombre de brebis, il s’avança et demanda à qui elles appartenaient. Or Jacob, qui avait reconnu son frère à une grande distance, se cacha et dit au berger : Si l’homme que tu vois demande à qui appartiennent ces brebis, réponds-lui : Tu as en Syrie un serviteur nommé Jacob; ces brebis lui appartiennent. Esaü étant arrivé près du berger et l'ayant questionné, celui-ci fit la réponse que Jacob lui avait prescrite. Quand Esaü entendit le nom de Jacob, ses yeux se remplirent de larmes, à cause du grand désir qu’il avait de revoir son frère, et il dit : Jacob n’est pas le serviteur d’Esaü; Jacob est le frère et le bien-aimé d’Esaü. Le berger ajouta : Jacob a dit en Syrie : "Je suis le serviteur d'Ésaü.»
Jacob, voyant qu'Esaü le cherchait des yeux, se présenta devant lui, le pressa contre son sein, et ils pleurèrent de joie tous les deux. Ce jour-là Esaü demeura dans l'endroit où il était ; le lendemain Esaü et Jacob allèrent à la ville.

Une année s’étant écoulée, Rachel, mère de Joseph, eut de Jacob un fils appelé Benjamin. Jacob se trouva ainsi avoir douze fils. Or Rachel mourut en accouchant de Benjamin. Cet enfant et Joseph son frère demeurèrent tous les deux sous la tutelle de leur tante, sœur de leur mère, qui les éleva comme ses propres enfants. Après cela, lorsque Dieu accorda à Jacob le don de prophétie, dans le pays de Chanaan, Jacob appela les hommes à Dieu, et un grand nombre de personnes crurent à sa mission. Lorsque Esaü vit que Jacob était devenu prophète, il ne put demeurer plus longtemps avec lui, et il dit : J’ai habité ce pays-ci pendant de longues années, et toi tu étais dans les pays étrangers ; maintenant tu es venu ici, et moi je vais dans les pays étrangers, tandis que tu resteras avec les hommes dont tu es le prophète; tu as plus de droits que moi pour habiter au milieu d’eux.
Après avoir dit ces mots, il prit congé de Jacob. Esaü fut père d’un grand nombre d'enfants qui se dispersèrent dans le monde. Il avait, entre autres, un fils qu’il nomma Roum et qu’il emmena avec lui, lorsqu’il sortit de la terre de Chanaan, de la Palestine et de la Syrie, et qu’il alla dans le pays appelé aujourd’hui Roum, dans lequel il s’établit jusqu’à sa mort. Roum, fils d’Esaü, habita ce même pays ; il eut des enfants, et tous les Grecs tirent de lui leur origine. Esaü ne reçut pas le don de prophétie, et aucun de ses descendants ne fut prophète, à l’exception de Job le patient ; tous les autres prophètes descendent de Jacob.


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Message par Ligeia Dim 25 Avr - 10:34

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CHAPITRE LXII
HISTOIRE DE JOSEPH.

Voici ce que dit l’auteur de cet ouvrage : De toutes les anciennes histoires, il n’en est aucune, parmi celles des prophètes et des rois de la terre, qui soit plus merveilleuse, sur laquelle il existe un aussi grand nombre de versets du Coran et de traditions, et dans laquelle Dieu ait réuni pour les hommes autant de préceptes et d'exemples, que l’histoire de Joseph.
Cette histoire a été déclarée dans le Coran, par Dieu, la plus belle de toutes celles qui existent. Elle forme une surate du Coran composée de cent onze versets, où se trouvent réunies, plus ou moins nombreuses, toutes les traditions relatives aux différents points de l'histoire de Joseph.
Au commencement de cette surate, Dieu dit : « Certes, dans l’histoire de Joseph et de ses frères, il y a des signes pour ceux qui veulent les chercher. » A la fin de la surate, il dit : Certes, les histoires des prophètes renferment des exemples instructifs pour ceux qui sont doués d’intelligence. » Dieu dit encore, en parlant de cette histoire : « Nous te faisons connaître la plus excellente des histoires en te révélant ce Coran. » Ces paroles signifient : Je te raconte dans le Coran plusieurs histoires, ô Mahomet ; et, de toutes les histoires que je te raconte, celle-ci est la plus belle, et elle est la plus belle de toutes les histoires qui existent.

Or, voici le commencement de l’histoire de Joseph. Lorsque Jacob eut douze enfants, Joseph était le plus beau de tous et le plus aimé de son père. La mère de Joseph mourut quand celui-ci était âgé de cinq ans. Joseph avait un jeune frère qui tétait encore, et qui s’appelait Benjamin. Cet enfant avait été confié à sa tante maternelle.
Or la fille d'Isaac alla un jour chez Jacob. Parmi les douze fils de son frère, elle choisit Joseph, auquel elle s’attacha, et elle dit à Jacob : Ô mon frère, tu as tant d’enfants ! donne-m’en un des plus jeunes, afin que je l’emmène avec moi, car je n’ai pas d’enfants. Jacob lui répondit : Emmène celui que tu voudras. Cette femme emmena Joseph dans sa maison, et le garda auprès d’elle. Or, toutes les fois que Jacob désirait voir Joseph, il allait chez sa sœur, où il le trouvait. Une année s’étant écoulée, l’amour de Jacob pour Joseph augmenta, et il dit à sa sœur : Rends-moi mon enfant, car j’ai une envie extrême de le voir, et je ne puis plus rester séparé de lui. Cette femme dit à Jacob : Laisse-moi cet enfant une année encore. Jacob répondit : Cela est impossible. Cette femme se mit à supplier Jacob et lui dit : Laisse du moins cet enfant une semaine entière avec moi, afin que je me rassasie de le voir ; après cela, je te le rendrai. Jacob consentit à ce que demandait sa sœur, et s’en retourna chez lui.

Le jour convenu étant arrivé, cette femme usa de ruse contre Jacob. Voici comment : Dans la religion d’Abraham, il y avait une disposition qui subsista jusqu'au temps de Moïse, et d’après laquelle tout voleur devenait l’esclave du propriétaire de la chose volée, lorsque celui-ci parvenait à se saisir de sa personne. C’est par allusion à cette coutume qu’on dit : Tu as demandé un maître à la fortune. Or Isaac avait une ceinture de cuir qui venait d’Abraham, et avec laquelle ce prophète avait coutume de se ceindre les reins, lorsqu’il travaillait ou qu’il faisait un voyage. Or les enfants d’Isaac disent que ce fut leur père qu’Abraham offrit en sacrifice, et que le jour où ce patriarche emmena Isaac pour l’immoler et où celui-ci lui dit, « Lie-moi les pieds et les mains, » Abraham n'avait rien autre chose que cette ceinture de cuir, dont il se servit pour l’attacher, et qu’il conserva toujours depuis, parce qu’il la savait d’un heureux augure. Lorsque Abraham mourut, Isaac prit cette ceinture, qui passa de main en main à ses descendants, appartenant toujours à l’aîné de la famille.
La sœur de Jacob était la plus Agée de tous les enfants d'Isaac, et celui-ci l'institua son exécutrice testamentaire. Cette femme possédait alors la ceinture dont nous venons de parler, et elle la gardait dans un coffre. Le jour où Jacob devait emmener Joseph, cette femme prit la ceinture dans le coffre, et elle en ceignit Joseph, pendant qu’il dormait. Jacob étant arrivé, elle alla chercher la ceinture dans le coffre ; et, ne la trouvant pas, elle feignit d’être affligée, et elle dit à Jacob : On a volé la ceinture bénite qui était un souvenir d'Isaac. Jacob fut affligé de cela, et il dit : Fouillez toutes les personnes qui sont ici. On les fouilla toutes et on ne trouva rien. Jacob dit alors à sa sœur : Qu’on fouille aussi Joseph, afin que ton cœur soit tranquille. Lorsqu’on fouilla Joseph, on trouva la ceinture. Jacob fut couvert de confusion, et sa sœur lui dit : Cet enfant a commis un vol, et il faut absolument qu’il demeure deux ans avec moi ; je ne le rendrai pas avant ce terme. Jacob répondit à sa sœur : Je me soumets à ta volonté. Cette femme garda Joseph chez elle pendant deux ans, et elle mourut ensuite. Jacob emmena alors chez lui Joseph, auquel il s'attacha plus qu’à tous ses autres enfants. Les frères de Joseph devinrent envieux de la préférence que leur père accordait à celui-ci.

Or, un jour, Joseph dit à Jacob : La nuit dernière, j’ai vu en songe onze étoiles qui descendaient du ciel avec le soleil et la lune, et ils m’adoraient. Jacob comprit que ce songe signifiait que ses onze autres fils seraient soumis à Joseph leur frère, et il dit à ce dernier : Ô mon fils, ne rapporte pas ce songe à tes frères, car ils te dresseraient des embûches. Après cela, Jacob expliqua le songe de Joseph, et il dit : Dieu t’a choisi pour te placer au-dessus de tes frères, et il t’enseignera l’interprétation des choses cachées. Jacob dit encore : Dieu répandra ses bienfaits sur toi et sur toute la famille de Jacob.

Or, quand les frères de Joseph apprirent ce qui s'était passé, et qu’ils eurent connaissance du songe et de la manière dont Jacob l’avait interprété à leur égard, ils furent affligés, et ils dirent : Joseph et son frère Benjamin sont plus aimés de notre père que nous qui sommes dix. Alors ils s’assirent et tinrent conseil, en disant : Tuons Joseph ou envoyons-le dans un autre pays, afin que le visage de notre père soit libre pour nous ; et, lorsque nous aurons fait celte action, nous nous repentirons devant Dieu et nous serons soumis à notre père, pour que Dieu nous pardonne ce péché. Or, parmi les frères de Joseph, il y en avait un nommé Juda, auquel tous les autres obéissaient ; il dit : Ne tuez pas Joseph, car tuer est un grand crime; mais jetez-le dans un puits, sur le chemin que suivent les caravanes, afin que quelqu’un de la caravane l’en retire et l'emmène dans un autre pays. Vous serez ainsi délivrés de lui, et son sang ne sera pas sur vos têtes. Ils convinrent tous d’agir de cette manière.
Après cela, ils convinrent de demander à Jacob la permission d’emmener avec eux Joseph à l’endroit où étaient leurs brebis, près d’un puits, à une parasange de là. Les fils de Jacob partaient tous les jours le matin pour aller vers leurs brebis ; ils passaient la journée dans le lieu où elles se trouvaient, allaient à la chasse, et le soir ils retournaient près de leur père. Or Jacob n’envoyait pas Joseph avec eux, à cause de l’affection qu’il lui portait, et dans la crainte qu'il ne se perdît en route ou que ses frères ne lui dressassent des embûches. Les fils de Jacob se réunirent pour demander à leur père d’envoyer un jour Joseph avec eux. Or, de tous les fils de Jacob, Juda était le plus décidé. Ses frères lui dirent : Parle à notre père, et demande-lui la permission d’emmener Joseph. Juda répondit : Je lui parlerai, mais promettez-moi que vous ne tuerez point Joseph. Ils le lui promirent tous, en disant : Nous ne le tuerons pas.
Alors ils allèrent tous ensemble vers leur père, et ils lui dirent : Pourquoi ne veux-tu pas nous confier Joseph, et l’envoyer avec nous à l’endroit où sont nos brebis ? Demain envoie-le avec nous, afin que nous nous amusions, que nous allions à la chasse et que son cœur puisse aussi s’épancher. Jacob répondit : Je crains que vous ne le tuiez. Vous vous en irez, vous l’emmènerez d’auprès de moi, et, lorsque je serai seul, le chagrin et l’affliction s’empareront de moi. Je crains que, pendant que vous serez occupés à quelque autre chose, le loup ne mange Joseph. Les fils lui répondirent : Nous sommes dix et il n’est qu’un; nous le garderons et nous empêcherons que le loup ne le mange, à moins que nous ne mourions nous-mêmes.
Le lendemain Jacob leur accorda ce qu'ils demandaient, et ils emmenèrent avec eux Joseph sur la route de Jérusalem ; il avait alors dix-sept ans. Le puits dans lequel Joseph fut jeté se trouvait sur le bord du chemin, et il avait de l’eau. Quand les fils de Jacob voulurent y descendre Joseph, ils lui ôtèrent auparavant sa robe. Joseph dit alors : Ô mes frères, avec quoi donc couvrirai-je ma nudité dans ce puits ? Ils lui répondirent : Dis au soleil, à la lune et aux étoiles qui t’ont adoré en songe, qu’ils t’apportent des vêtements dans ce puits. Après avoir dit ces paroles, ils le dépouillèrent de sa robe et le descendirent dans le puits. Or il y avait beaucoup d'eau dans ce puits, et il s’y trouvait une grande pierre qui s’élevait au-dessus de l’eau. Joseph se tint sur cette pierre, et Dieu lui envoya une vision dans laquelle il lui disait : Il arrivera bientôt que tu raconteras à tes frères ce qu’ils ont fait à ton égard, et tu seras dans un tel degré d’élévation qu’ils ne te reconnaîtront pas.
Après cela, les fils de Jacob, ayant pris la chemise de Joseph, allèrent à l’endroit où se trouvaient leurs brebis, et ils en tuèrent une, dont ils firent couler le sang sur cette chemise qu'ils apportèrent le soir à leur père, et ils se mirent à pleurer, en disant : Nous avions placé nos vêtements à terre et nous nous étions éloignés pour courir. (Or le mot nastabiqou, qui se trouve dans le texte du passage du Coran où est rapportée cette histoire, se dit lorsqu'on fait courir deux chevaux pour voir lequel est le meilleur, ou lorsque deux piétons se mettent à courir pour essayer leurs forces. Comme les fils de Jacob n’avaient point de chevaux, car ils étaient habitants du désert, le mot sabaqa, employé dans le Coran en parlant d’eux, signifie donc : Nous sommes allés courir pour voir lequel courrait le mieux.) Nous laissâmes Joseph avec nos vêtements, et le loup vint et le mangea. Mais toi, tu n’as pas de confiance dans ce que nous te disons, quoique nous te disions la vérité. On lit dans le Coran : « Et ils vinrent avec sa robe sur laquelle était un sang mensonger. »
Les fils de Jacob montrèrent effectivement à leur père la robe de Joseph. Jacob vit qu’elle était ensanglantée ; mais, en la regardant, il s’aperçut qu’elle n’avait aucune déchirure. Le soupçon entra alors dans son cœur au sujet de ses enfants, et il leur dit : Le loup s’est montré plus bienveillant que vous envers Joseph, car il l’a mangé sans déchirer sa robe. Comment ce que vous dites pourrait-il être vrai ? Mais vous avez fait ce que vous vouliez. Pour moi, j’aurai recours à Dieu, et je prendrai patience. C’est ce qu’il y a de mieux à faire, car ni les discours ni les actions ne peuvent rien dans ce malheur.

Or, de tous les fils de Jacob, Juda était celui qui avait le plus d’affection pour Joseph, et il dit à ses frères : Ne le tuez pas. Le lendemain, Juda alla porter de la nourriture à Joseph, et il la descendit dans le puits, afin que Joseph pût manger. Juda dit alors à Joseph : Ne t'afflige point, j’inspirerai à nos frères la volonté de te retirer de ce puits et de te rendre à ton premier état.

Or Joseph demeura trois jours dans le puits. Le quatrième jour, une caravane, qui allait d’Arabie en Egypte, arriva le soir auprès de ce puits. Quand le matin fut venu, les gens de la caravane envoyèrent deux hommes au puits pour aller chercher de l’eau. Le premier de ceux-ci se nommait Mâlek-ben-Do'àr ; le second, qui accompagnait Màlek, était un mercenaire indien affranchi par son maitre, il s’appelait Bouschra. Or le puits dont nous parlons existe aujourd'hui sur le chemin de Jérusalem, où on peut le voir.

Lorsque Màlek fut arrivé au puits, portant un seau garni de son bois et de sa corde, et qu’il eut descendu le seau conjointement avec son compagnon , Joseph jeta la main sur le bois. Bien que Màlek et Bouschra fissent tous leurs efforts pour tirer à eux le seau, ils ne purent pas en venir à bout. Màlek baissa alors, la tête, et vit dans le puits un visage qui brillait d'un grand éclat. Il dit à Bouschra : Hadsa ghoulâmon. Le sens de ces mots arabes est : Ô Bouschra, le seau que nous avons apporté est lourd, parce que, dans ce puits, il y a un jeune homme qui a saisi le bois. Ils firent alors tous les deux des efforts et tirèrent Joseph hors du puits.
Dans ce moment, Màlek dit à Joseph : Qui es-tu ? Joseph répondit : Je suis un jeune homme du pays de Chanaan ; mes frères m’ont jeté dans ce puits, sans que je sois coupable. Malek traita Joseph avec bonté, afin de tranquilliser son cœur. Il dit ensuite à Bouschra : Si nous apprenons à nos camarades que nous avons tiré du puits ce jeune homme, nous leur donnerons sujet de demander à partager avec nous le prix qu’on retirera de lui. Or je puis vendre ce jeune homme en Égypte pour un prix élevé ; je dirai donc à nos camarades qu’il y avait auprès du puits des gens qui m’ont remis ce jeune homme, afin que je l’emmène en Égypte pour leur compte, que je l’y vende et que je leur rapporte le prix de sa personne. Toi, dis aussi la même chose, afin que, lorsque je vendrai ce jeune homme en Égypte, je te lasse participer au prix de la vente. Il est dit dans le Coran : « Et ils cachaient ce qui avait rapport à Joseph pour gagner de l’argent. »
Après cela, le quatrième jour étant arrivé, les frères de Joseph allèrent avec Juda pour voir si Joseph était mort, ou si quelqu'un l'avait emmené. Ne l'ayant pas trouvé dans le puits, ils regardèrent et ils virent qu’une caravane s’était arrêtée près de ce lieu-là. Ils allèrent vers les gens qui composaient cette caravane, et, voyant Joseph au milieu d’eux, ils dirent : Qui possède ce jeune homme ? Mâlek répondit : C’est moi. Ils ajoutèrent : Ce jeune homme nous appartient, et il a fui d’avec nous. Mâlek répondit : Eh bien, vendez-le-moi. Je vais en Egypte, je le conduirai dans ce pays-là, et je le revendrai. Les fils de Jacob dirent : Nous consentons à cela.

Joseph, comme on le voit dans le Coran, fut vendu par ses dix frères pour un vil prix, pour des dirhems comptés et non pesés, pour vingt dirhems quant à la valeur nominale, mais moins de vingt dirhems quant au poids. Les frères de Joseph ne pesèrent pas cet argent, parce que de leur temps il n’existait pas de dirhems de poids au-dessous de la pièce de quarante dirhems, laquelle se nomme une oukiyya. Dans toutes les transactions qui se faisaient alors pour une valeur inférieure à quarante dirhems, on donnait l’argent par compte. Or il est dit dans le Coran que les frères de Joseph traitèrent celui-ci comme un objet de peu de valeur. Ils étaient au nombre de dix, et ils partagèrent entre eux le prix de Joseph ; chacun reçut deux dirhems. Ils restèrent dans ce lieu-là jusqu'à ce que la caravane fût partie et eût emmené Joseph.

La caravane étant arrivée en Egypte, Màlek exposa Joseph en vente. Or il y avait en Egypte, à cette époque, un roi Amalécite de nation, et du nombre des enfants de Sem, fils de Noé. Il s'appelait Rayyan, fils de Walid, fils de Terâwàn, fils d’Aràscha, fils de Haran, fils d’Amalec, fils de Lud, fils de Sem, fils de Noé. Ce prince avait un trésorier qui était un homme grand et puissant en Egypte, et qu'on appelait le grand d’Egypte ; son nom était Putiphar fils d’’Amir.

Celui-ci acheta Joseph et le mena chez lui. Or ce grand d'Egypte était impuissant et ne pouvait pas voir de femmes. Il n’avait pas d’enfants ; mais il avait une femme d’une si grande beauté, qu'il n’en existait pas de plus belle dans toute l’Egypte. Elle était d’une illustre naissance et riche, et se nommait Ra’il. Putiphar lui dit : Ô femme, traite bien ce jeune homme. Il deviendra peut-être illustre, et nous sera utile, ou peut-être encore l'adopterons-nous. Dieu a dit : « Nous avons ainsi préparé pour Joseph un établissement sur la terre. » Ces paroles signifient : C’est ainsi que j'ai donné à Joseph une habitation dans la terre d’Egypte, après qu’il eut été jeté dans le puits. On lit encore dans le Coran : « Et nous lui avons donné l'intelligence des choses cachées. » C’est-à-dire : Je lui ai enseigné l'explication des songes, et c'est là une grande science. Il y a dans le Coran un passage qui signifie : Dieu fait en toutes choses ce qu'il veut, mais la plus grande partie des hommes ignorent cela. On lit dans le Coran : « Et lorsqu'il eut atteint l’âge viril, nous lui donnâmes la sagesse et la science. C’est ainsi que nous rémunérons ceux qui font le bien. »
Ces paroles signifient : Quand Joseph eut atteint l'âge d'homme et qu’il eut toutes ses forces (or il avait dix-sept ans lorsqu’il arriva en Égypte ; il demeura six ans dans la maison du grand d’Égypte, et il resta sept ans en prison) ; quand il eut trente ans, il sortit de prison, et le roi le prit pour vizir. A l’âge de quarante ans, Dieu lui accorda le don de prophétie.


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Message par Ligeia Mar 4 Mai - 9:17

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CHAPITRE LXIII.
SUITE DE L'HISTOIRE DE JOSEPH.

La femme du grand d'Egypte, comme cela est rapporté dans le Coran, aimait Joseph. Lorsque celui-ci eut été chez eux pendant six ans et qu’il eut vingt-trois ans, cette femme, ne pouvant plus résistera sa passion, l'appela vers elle; mais Joseph ne consentit point à ce qu'elle voulait. Un jour, Joseph était endormi dans sa chambre à coucher; cette femme ferma la porte de la maison, entra dans la chambre à coucher, réveilla Joseph, et lui dit : Viens, car je me suis parée à cause de toi. Joseph lui répondit : Prends garde à ton époux, qui est mon maître et qui m’a bien traité. Il a fait le bien à mon égard, et je ne manquerai pas à la fidélité que je lui dois.

On trouve les paroles suivantes dans un discours qui ne fait pas partie de ce livre : Sache que Joseph s’est abstenu de l’adultère à cause de Dieu, et non à cause de l’époux de cette femme. Or, comme cette femme n'était pas dans la religion de Dieu, et que Joseph, par conséquent, ne pouvait pas lui faire craindre Dieu, mais qu'elle craignait son époux, Joseph lui parla de celui-ci, et lui lit redouter les conséquences de son infidélité. Cependant cette femme ne s’abstint pas de Joseph, et elle l’appela au mal, comme il est dit dans le Coran : « Cette femme voulut le posséder. » Après cela, Dieu ajoute : « Wa hamma biha lawla an raa bourhana rabbihi. »
II y a une inversion dans ce verset, voici la construction : « Lawla an raa bourhana rabbihi lahamma biha. »
Le sens de ces mots est : S’il n'était point arrivé que Joseph vit un signe de Dieu, lui aussi, de son côté, aurait voulu posséder cette femme; mais il vit un signe, et il ne voulut pas la posséder. Le signe dont nous partons fut le suivant : Il lui sembla voir Jacob entrant du côté du mur de la chambre, se mordant le doigt, et disant : Ô Joseph, hélas! hélas! Joseph sortit de la chambre en courant, sans avoir commis l’adultère, et sans avoir eu le dessein ni le désir de le commettre.

Il y a des personnes qui disent que ce signe fut tel que nous venons de le rapporter; mais d’autres prétendent que Joseph vit Jacob qui sortait du mur, et que celui-ci se mit à causer avec son fils et lui dit : O Joseph, fais attention; tant que tu n’auras pas fait cette action, tu seras comme un oiseau qui vole dans les airs ; mais, dès que tu l'auras commise, tu perdras la dignité de prophète, et lu seras comme un oiseau que l’on prend, qu’on attache avec une corde et qui ne peut plus voler. D’autres personnes disent encore que Joseph ne vit pas Jacob, mais qu'il entendit une voix qui sortait d’un coin de la chambre et qui disait : Ô Joseph, tu commets l’adultère, et tu es un prophète !

Après avoir vu le signe, Joseph sortit de la chambre en courant. La femme courut après lui, saisit par derrière le pan de sa robe, le tira et le déchira. Or il arriva que Joseph courut toujours jusqu’à ce qu’il fût arrivé à la porte de la maison, et cette femme courut après lui ; mais Joseph arriva à la porte avant elle. Quand Joseph eut ouvert, il se trouva que l'époux de celle femme était assis à la porte de sa maison, causant avec le fils de l’oncle de sa femme. Joseph et celte femme, les ayant aperçus, demeurèrent tous les deux couverts de honte, et Joseph voulut chercher un prétexte pour cacher la vérité et ne pas déshonorer cette femme devant son époux ; mais elle prit la parole avant Joseph et dit à son époux : Pour te venger de celui qui a voulu déshonorer ta famille, tu le mettras en prison et tu lui infligeras un châtiment. Lorsque cette femme eut parlé la première, Joseph prit aussi la parole à son tour et dit : Cette femme a voulu me posséder, et j’ai fui d’auprès d'elle. La femme ajouta : Il a voulu m'avoir ; je ne me suis pas donnée à lui, et, m'ayant saisie, il s’est attaché à ma personne. Joseph répliqua : Elle a voulu me posséder ; j’ai fui d’auprès d’elle, et elle a déchiré ma robe. Le fils de l’oncle de cette femme dit à Putiphar : La robe servira à faire distinguer ce qui est faux de ce qui est vrai. Si la robe est déchirée par derrière, ce jeune homme dit la vérité : cette femme a voulu l’avoir, le jeune homme s’est enfui d’auprès d’elle, et la robe a été déchirée par derrière. Mais si la robe a été déchirée par devant, cette femme dit la vérité : ce jeune homme a voulu l’avoir; cette femme, l’ayant saisi, s’est attachée à sa personne et lui a déchiré sa robe par devant. Lorsque Putiphar et le parent de sa femme virent que la robe avait été déchirée par derrière, il devint manifeste que les paroles de Joseph étaient sincères, et que les paroles de la femme étaient mensongères. Il y a des personnes qui disent que le témoin au sujet duquel on lit dans le Coran : « Et un témoin de sa famille rendit témoignage, » était un enfant au berceau et de la famille de cette femme. Dieu fil parler cet enfant qui prononça le jugement sur la robe déchirée.

On voit, dans le recueil des traditions du prophète, qu'il y eut dans le monde quatre enfants qui ont parlé avant l'âge ; le premier fut celui qui témoigna au sujet de Joseph, le second était le fils de la coiffeuse de la fille de Pharaon, le troisième Çâhib-Djoraïh, et le quatrième Jésus, fils de Marie. L’histoire de chacun de ces enfants se trouve rapportée en son lieu dans cet ouvrage.

Or Putiphar ne voulut pas déshonorer sa propre femme, et il dit : « Ô Joseph, éloigne-toi de cette affaire. » Ces paroles signifient : Ô Joseph, fais attention à ne pas raconter cette affaire, pour qu’on l'ignore. Il dit ensuite à sa femme : « Et demande pardon pour ton péché, car, certes, tu as été du nombre de ceux qui pèchent. »

Or quelques personnes disent que ces mots « Ô Joseph, éloigne-toi de cette affaire, » furent adressés à Joseph par le témoin qui jugea au sujet de la robe, et qui était le fils de l'oncle de cette femme ; son nom était Yamlikhâ. Cette tradition est exacte, et on peut la lire dans les commentaires du Coran, ainsi que dans le livre intitulé Mobteda. Yamlikhâ était un homme infidèle, mais il était doué d’intelligence. Il prononça le jugement au sujet de la robe, et au même instant la vérité fut distinguée du mensonge. Yamlikhâ ne voulut pas que la femme de Putiphar fût déshonorée dans la ville, et que tous les habitants parlassent de ce qui lui était arrivé. Voilà pourquoi il adressa à Joseph les paroles que nous avons rapportées plus haut. Il dit ensuite à cette femme : Tu as commis un péché, demande pardon à ton époux, afin qu’il soit satisfait de toi, qu’il ne te punisse pas et ne te déshonore pas aux yeux des hommes.

Or, lorsqu’il fut prouvé à Putiphar, par le jugement prononcé d'après la déchirure de la robe, que le péché était du côté de sa femme, il dit, comme on le voit dans le Coran : « Vos ruses sont grandes. » Or les ruses des femmes sont toujours plus grandes que celles des hommes, et triomphent toujours de celles-ci. Nous savons, par un passage du Coran, que des femmes de la ville blâmèrent et flétrirent la conduite de la femme de Putiphar, en disant : La femme du puissant, la femme du grand d’Égypte, du trésorier du roi, n’a pas rougi d’aimer son esclave, et l’amour est entré dans son cœur pour cet esclave.

Quand la femme de Putiphar eut appris que d’autres femmes la blâmaient, elle invita ces femmes à un repas dans sa maison. Quelques personnes disent qu’elles étaient au nombre de cinq, la femme du chambellan, celle du capitaine des gardes, la femme de l’inspecteur de la table du roi, celle du grand écuyer et celle de l’échanson. La femme de Putiphar lava à Joseph la tête et le corps, le revêtit de beaux habits, et, l’ayant amené, elle le plaça dans une chambre vis-à-vis de la salle où ces femmes étaient réunies, puis elle ferma la porte. Or Joseph avait dix fois autant de beauté que toutes les créatures ensemble. Après cela, Joseph étant dans cette chambre, la femme de Putiphar donna à chacune des femmes qu’elle avait invitées un citron pour manger après le repas, et elle leur mit à chacune un couteau dans la main. Ces femmes étaient assises dans la salle du festin; lorsqu’elles prirent les citrons et les couteaux pour les couper, la femme de Putiphar dit : Ô Joseph, sors de la chambre. Joseph sortit alors de la chambre, et s’assit dans la salle où étaient ces femmes. L'éclat de son visage, qui frappa sur elles, les éblouit. Or ces femmes placèrent les couteaux sur les citrons, mais leurs yeux demeurèrent fixés sur Joseph, et toutes les cinq se coupèrent la main. Le sang coula, mais elles ne s’en aperçurent pas, car leur intelligence les avait abandonnées, à cause de la beauté de Joseph. Elles dirent: Ô Dieu, cet être si beau n’est point un homme ; peut-être est-il un ange. Alors la femme de Putiphar dit : Voilà celui pour lequel vous avez blâmé ma conduite. S’il fait ce que je lui ai ordonné, à la bonne heure ; s’il ne le fait point, je le mettrai en prison et je le réduirai à un état méprisable. Joseph se mit alors à prier, et dit : Ô Seigneur, je préfère la prison à l’action que cette femme m’ordonne de faire ; mais, si tu ne me gardes pas contre ces femmes, je ne puis pas me garder moi-même. Dieu exauça la prière de Joseph, comme il le dit dans le Coran : « C’est pourquoi son Seigneur l’exauça et détourna de lui leurs ruses. »

Après cela, cette femme cessa de solliciter Joseph à commettre le mal avec elle ; mais elle se montrait à lui, l’appelait auprès d'elle, et toutes les fois qu'elle était seule avec lui, elle disait : Ô Joseph, que tu as un beau visage ! Joseph lui répondait : Ce visage appartient à la terre; car elle le couvrira dans le tombeau, où il deviendra de la terre. D’autres fois elle lui disait : Ô Joseph, que tu as de beaux yeux ! Il lui répondait : Ces yeux appartiennent aux vers, qui les mangeront dans le tombeau.
Quelque temps s’étant passé, cette femme comprit que Joseph ne lui livrerait point sa personne. Alors elle voulut le faire mettre en prison, un mois ou deux, afin qu’il cédât à sa volonté. Elle usa donc de ruse envers son mari, et lui demanda de mettre Joseph en prison. Or Putiphar savait que Joseph n’avait commis aucune faute ; mais sa femme lui dit : Ce jeune Chananéen me déshonore dans la ville. Les gens le questionnent au sujet de ce qui s’est passé, et il répond : Je n’ai point commis de faute ; c’est la femme qui en a commis une. Il me déshonore ainsi ; mets-le donc en prison pendant quelque temps, pour que l'on sache que c’est lui qui a commis la faute, et jusqu'à ce que cette affaire soit apaisée.

Putiphar alla voir le fils de l'oncle de sa femme, le même qui avait porté un jugement au sujet de la robe de Joseph. Ces deux hommes tinrent conseil ensemble, et dirent : Il est convenable que nous mettions ce jeune homme en prison pendant quelques jours, afin que l'on cesse de s’occuper de cette affaire. Après cela, on conduisit Joseph en prison, comme il est rapporté dans le Coran.

Pendant que Joseph était en prison, tantôt il s'occupait à prier, tantôt il s’entretenait avec les autres prisonniers, qu’il consolait, ou bien il expliquait des songes; or personne n’a autant de songes que les prisonniers. Le matin, Joseph se levait, les prisonniers se réunissaient autour de lui, et chacun le questionnait au sujet d’un songe. Joseph expliquait ces songes, car Dieu lui avait appris cette science, et les choses arrivaient comme il les avait annoncées. Si quelque prisonnier était malade, Joseph le traitait.

Le Coran dit : « Et deux jeunes hommes entrèrent en prison avec lui. » Ces deux jeunes hommes appartenaient à la maison du roi, et ils avaient été mis en prison ; l'un était inspecteur de la table, et l'autre était l’échanson du roi. La cause pour laquelle ces jeunes hommes avaient été mis en prison est la suivante : Le roi de Roum avait envoyé en Egypte un ambassadeur, chargé en apparence de différentes missions, et il lui avait remis du poison, afin que cet ambassadeur le donnât à quelqu'un des gens du roi d’Egypte, pour l’empoisonner. L'ambassadeur fut conduit dans la maison d’une vieille femme, chez laquelle il demeura quelque temps, et avec laquelle il contracta de la familiarité. Après avoir exigé le serment de cette femme, il lui fit connaître son secret. En effet, cette femme se plaignait devant l'ambassadeur du roi de Roum, en disant : J'avais un époux qui était du nombre des grands d'Egypte ; il mourut, et le roi confisqua ma maison au profit de la couronne. L'ambassadeur lui répondit : Un temps viendra où, toi et ta maison, vous serez délivrés de ce roi, et vous en aurez un qui sera juste et équitable.
Or celte femme usa de ruse, et elle tira un aveu de la bouche de l’ambassadeur, qui, après avoir exigé d’elle le serment, lui fit connaître le dessein qu'il avait conçu d'empoisonner le roi. Cette femme lui répondit : Tu ne peux pas exécuter toi-même cette résolution. Deux personnes seules en ont le moyen : l’échanson, qui pourra mettre ce poison dans le vin qu'il servira au roi ; ou bien l’inspecteur de la table du roi, qui le mettrait dans des aliments ; toutefois il serait mieux de mettre le poison dans le vin que dans des aliments. L’ambassadeur ayant fait connaître son projet à l'échanson, celui-ci ne voulut pas consentir à y prendre part. Se voyant sans espoir de réussir auprès de l'échanson, l’ambassadeur alla vers l'inspecteur de la table du roi, et lui exposa également son dessein. L'inspecteur répondit : Je ferai ce que tu demandes. L’ambassadeur lui donna beaucoup d'or et lui fit de grandes promesses, en disant : Si tu fais celte action, le roi de Roum viendra s’emparer de l’Egypte, et il t’établira son lieutenant sur tout ce pays. L’ambassadeur dit ensuite à cette femme : J’ai accompli mon dessein, et l’un d’eux a accepté ma proposition. Après cela, l’ambassadeur retourna dans le pays de Roum. Alors cette vieille femme alla trouver le roi, lui demanda un entretien secret, dans lequel elle lui rapporta tout ce qui s’était passé, puis elle ajouta : Un des deux, soit l’échanson, soit l’inspecteur de la table, a reçu le poison. Le roi ordonna alors qu'on les mit tous les deux en prison, et qu'on les y tint jusqu’à ce que leur affaire devint manifeste et qu’on sût quel était celui qui avait reçu le poison.

Pendant que ces jeunes hommes étaient en prison, où ils demeurèrent longtemps, ils virent Joseph qui faisait du bien aux prisonniers et leur expliquait leurs songes. Ils demandèrent : Quel est ce jeune homme, et pour quelle accusation a-t-il été arrêté ? On leur répondit : Ce jeune homme appartient au trésorier du roi, au grand d’Egypte, et on l’a arrêté pour une accusation relative à Zoulaïkhà. Ils se dirent alors l’un à l’autre : Nous éprouverons si ce jeune homme a la science de l'interprétation des songes ou s’il ne l’a pas; nous le questionnerons au sujet d’un songe que nous n'aurons pas eu, pour voir ce qu’il dira, et s’il saura que nous n’avons pas eu ce songe.
Or le nom de l’inspecteur de la table du roi était Mohlib, et celui de l’échanson Khamrâ. Chacun d’eux exposa à Joseph un songe relatif à son métier et à l'état qu'il professait. L'échanson dit : J’ai vu en songe que je pressais du raisin et que j’en faisais du moût. L'inspecteur de la table du roi dit, comme on le voit dans le Coran : J’ai vu en songe que je plaçais sur ma tête un plateau dans lequel il y avait du pain, et les oiseaux des airs enlevaient ce pain de dessus ma tête et le mangeaient. Après cela, l’échanson et l’inspecteur de la table du roi dirent à Joseph, comme cela est rapporté dans le Coran : Fais-nous connaître l'explication de ces songes, afin que nous voyions aussi que tu es bon à l'égard des prisonniers, car tu leur expliques leurs songes et tu as de la bienveillance pour eux.
Joseph savait qu’un de ces songes était mauvais pour l’un d’entre eux, il ne voulut pas affliger celui que ce songe regardait. Or ces deux hommes étaient idolâtres, comme aussi le roi d’Égypte. Joseph s'abstint de donner l'interprétation des songes, parla d’un autre sujet et appela l’échanson et l’inspecteur de la table du roi à Dieu.

Toutes les personnes qui savent interpréter les songes, et les maîtres en fait de semblables interprétations, agissent ainsi. Lorsqu’on les interroge touchant un songe, et que l’interprétation de ce songe est fâcheuse, ils gardent le silence. Joseph aussi garda le silence sur ce point, et n’interpréta pas leurs songes. Après cela, il dit : « Vous ne recevrez pas de nourriture pour vous sustenter, sans que je vous en donne l’explication avant que vous la receviez. » C’est-à-dire : Vous ne mettez aucun aliment dans votre marmite, et vous ne voyez rien en songe, sans que je puisse vous en donner la connaissance avant que ces choses soient arrivées. En d’autres termes : Je connais la réponse à votre question, bien que je ne vous la dise pas. Cette science est du nombre des choses que Dieu m’a enseignées, parce que je me suis éloigné de la religion des infidèles, et que j’ai suivi celle de mes pères, Abraham, Isaac et Jacob. Or nous ne devons associer personne à Dieu, à cause des immenses bienfaits qu’il a répandus sur nous. La bonté de Dieu pour nous et pour les hommes fait qu’on ne doit lui associer qui que ce soit.

Après cela, Joseph appela ces deux hommes à Dieu, et il leur dit: Vous avez plusieurs dieux ; il vaut mieux n’en adorer qu’un seul, et lui plaire. Lorsqu’on a plusieurs dieux, comment peut-on les connaître, et comment peut-on les satisfaire ? Joseph dit encore : Ces idoles, auxquelles vous avez donné le nom de Dieu, ne sont point des dieux. Le nom de Dieu n’appartient qu’à Dieu seul ; mais, vous et vos pères, vous avez donné le nom de Dieu à des idoles, sans que Dieu vous ait envoyé aucun argument en leur faveur. C’est à Dieu qu’il appartient de juger et de commander. Dieu a ordonné de n’adorer personne que lui seul. La religion dont je vous parle est la véritable ; mais la plus grande partie des hommes ne le savent point.

Or, bien que Joseph parlât ainsi à l’échanson et à l’inspecteur de la table du roi, et voulût les occuper de ce sujet, afin qu’ils ne le questionnassent point touchant leurs songes, cependant, après qu’ils l’eurent vivement pressé, il leur dit : Le roi traitera avec honneur l’échanson, et il le rétablira dans son emploi ; mais on attachera celui-ci à un gibet : les oiseaux des airs enlèveront sa chair du gibet, et ils la mangeront, comme ils ont mangé le pain qui était sur sa tête. Ces deux hommes dirent alors : Nous n’avons point eu les songes que nous t'avons racontés. Joseph leur dit : N’importe ; la chose touchant laquelle vous avez demandé à être instruits a été décidée. C’est-à-dire : Il n’y a pas de remède à cela, et l’augure que vous avez fait passer sur vos langues s’accomplira en vous.

Or, quoique l’auteur de cet ouvrage n’en dise rien, je ferai remarquer que ceci est un des points de l’heureux augure, et c’est à ce sujet qu’on dit proverbialement en arabe : Garde ta langue, le malheur n’approchera point de toi ; certes , tous les malheurs viennent du discours. En effet, l'homme doit toujours garder sa langue et proférer des paroles de bon augure, car tout ce que les hommes disent s'accomplit sur eux.

Il y a dans le Coran trois versets qui témoignent de cette vérité, et tous les trois sont dans la surate de Joseph. Le premier de ces versets est celui que dit Jacob : « Je crains que le loup ne le mange. » C’est-à-dire : Je crains pour Joseph que le loup ne le mange. Les fils de Jacob saisirent les paroles sorties de la bouche de leur père, et les lui redirent ensuite. Ils affligèrent ainsi Jacob, avec les mêmes paroles qui étaient sorties de sa bouche.
Le second de ces versets est celui que dit Joseph, le jour où il se trouva au milieu des femmes égyptiennes : « Ô Seigneur, la prison est préférable pour moi à ce que ces femmes m'engagent à faire. » Après cela, les choses arrivèrent comme il les avait dites, et on le mit dans une prison où il resta sept ans.
Le troisième verset est celui dans lequel les deux prisonniers, l’échanson et l’inspecteur de la table du roi d’Egypte rapportent le songe qu’ils avaient imaginé. En voulant éprouver Joseph, ils jetèrent un sort sur eux-mêmes. Les choses arrivèrent suivant le sort qu’ils avaient jeté. Si l’inspecteur de la table du roi avait proféré des paroles de bon augure, il lui serait arrivé du bien ; mais il avait dit des paroles de mauvais augure, et il lui arriva mal.

Or Joseph dit à l'échanson : Lorsque tu seras en présence du roi pour remplir tes fonctions, et lorsque tu auras été rétabli dans ta dignité, souviens-toi de moi. Dis au roi qu’il y a dans la prison un jeune étranger qu’on a arrêté sans qu’il ait commis aucune faute ni aucun crime. « Mais Satan lui fit oublier Joseph auprès de son maître. »
Joseph resta sept ans en prison. Lorsque l’échanson eut été rétabli dans sa dignité, il se tint en présence du roi et oublia ce que Joseph lui avait dit.


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Chronique de Tabari Tome 1  - Page 2 Empty Re: Chronique de Tabari Tome 1

Message par Ligeia Jeu 20 Mai - 8:40


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CHAPITRE LXIV.
DISCOURS RELATIF AU SONGE DU ROI D'EGYPTE ET À L’EXPLICATION DE CE SONGE.

Après cela, lorsque Dieu voulut délivrer Joseph de prison, il amena lui-même une cause, sans que Joseph y fût pour rien et sans qu’il en eût connaissance. Il est raconté dans le Coran que le roi vit en songe sept vaches grasses et sept vaches maigres, et sept épis de froment verts et sept autres qui étaient jaunes. Les vaches maigres dévorèrent les vaches grasses, et un vent s’éleva qui mêlait ensemble les épis verts et les épis secs.
Le lendemain, le roi assembla les astrologues; et tous les sages, les savants et les devins se réunirent aussi à la porte, et le roi leur dit : « Ô grands, expliquez-moi ma vision, si vous êtes capables d’interpréter une vision. » Ils lui répondirent : « Ce sont des songes confus, et nous ne connaissons pas l'explication des songes de cette espèce. » C’est-à-dire : Ce sont des songes confus et vains, qui ne comportent pas d’explication, et nous ne savons pas les expliquer.

Or l’échanson vit que le roi avait le cœur préoccupé à cause de ce songe ; personne ne pouvait lui en donner l'explication, et le roi s'abstint de boire du vin, à cause de l’inquiétude qu'il lui causait. L’échanson se souvint alors de Joseph et du songe inventé qu’il avait expliqué dans la prison d’une manière que l’événement justifia. L'échanson dit : « Je vous donnerai l’explication de ce songe; mais laissez-moi aller. » C'est-à-dire : Je vous indiquerai l’explication de ce songe, et je connais un homme qui vous dira ce qu’il signifie; envoyez-moi vers lui. Or cette allocution est au pluriel, mais elle s'adresse au roi lui seul. En effet, dans les allocutions qu'on fait aux souverains, on emploie le pluriel, pour les honorer et pour rehausser leur gloire. L’échanson dit donc au roi : Il y a dans la prison un jeune homme du pays de Chanaau, qui appartient à ton trésorier; il m’expliqua un songe l’année où je fus en prison , et son explication s’est trouvée vraie.
Le roi fit partir l’échanson, et, lorsque celui-ci fut arrivé à la prison et qu’il vit Joseph, il dit, comme on le rapporte dans le Coran : Ô homme véridique, savant et sage, indique-moi le sens de ce songe; et il lui raconta le songe du roi. Joseph ne dit pas à l’échanson : Je donnerai cette explication au roi après être sorti de la prison, car il avait donné son cœur à Dieu et s'était soumis au destin.
Il dit à l’échanson : Ces sept vaches grasses sont sept années d’abondance pendant lesquelles les semailles pousseront et les fruits également; et les sept épis de froment verts indiquent les biens que vous aurez durant ces années d’abondance. Les sept vaches maigres qui ont mangé les sept vaches grasses sont sept années de disette et de pénurie qui viendront ensuite. Les grains ne pousseront pas, les arbres ne donneront pas de fruits, et ces années de pénurie mangeront les biens qui auront été amassés pendant les années d’abondance. Les sept épis secs indiquent la sécheresse que vous éprouverez pendant ces sept années de pénurie.
Il est dit dans le Coran : « Ensuite viendra, après ceci, une année pendant laquelle les hommes auront de la pluie, et dans laquelle ils se serviront du pressoir. » Ce verset signifie : Après ces sept années, Dieu entendra les plaintes des créatures ; les grains pousseront, on cueillera les fruits sur les arbres, on pressera les raisins, et il y aura des biens en grande quantité.
Or l’annonce de cette année d’abondance ne se trouve pas dans le songe; mais Joseph voulut, comme il prédisait la disette, prédire aussi l’abondance, afin que l’on sût ce qui arriverait après ces années de disette, s’il y aurait encore de la disette ou de l’abondance. Ces sortes d’annonces font partie de la science de l’interprétation des songes. Il faut, lorsqu'une personne explique un songe en mal, qu’après cela elle dise quelques mots d’heureux augure ; bien que ce qu’on ajoute ainsi ne se trouve pas dans le songe, on dit une parole de bon augure, afin que le mal qui doit arriver ait un terme.

Lorsque Joseph eut annoncé ces malheurs, il enseigna des moyens de les éviter, quoique ces moyens ne fussent pas, indiqués dans le songe. On lit dans le Coran : « Et ce que vous moissonnerez, laissez-le dans l’épi, excepté un peu dont vous mangerez. » Joseph dit : Pendant ces sept années vous aurez une grande abondance de froment ; il faut qu’il vous en reste pour les années de disette. Or, pour conserver le froment pendant sept ans, sans qu’il s'échauffe et que les vers le mangent, il n’est pas possible d’employer un autre moyen que de le laisser dans l’épi. Joseph ajouta : Lorsque le froment aura été récolté, battez-en la quantité qui sera nécessaire, et laissez le reste dans l’épi, afin qu’il se conserve, qu’il ne s'échauffe pas, et qu’aucun ver ne le mange.

Après cela, l’envoyé retourna auprès du roi, et lui rapporta ces différentes nouvelles. Le roi fut rempli de joie, et dit : « Amenez-le-moi ! » un homme qui possède une telle science et une telle sagesse, la prison est-elle sa place ? Aussitôt il fit partir le même envoyé pour amener Joseph. Quand l’envoyé fut retourné auprès de Joseph, celui-ci comprit que sa délivrance était arrivée par une cause qu’avait produite Dieu, sans que lui-même eût amené cette cause ou qu’il en eût connaissance.

Or, dans cette circonstance, Joseph montra de la patience et de la fermeté, et, par sa patience et sa soumission parfaites au destin de Dieu et par sa confiance en Dieu pour sa délivrance, il fit preuve d’un si grand courage, que tous les hommes de cette époque, et tous les prophètes qui, après Joseph, ont entendu cette histoire, ont été étonnés de sa patience, de sa constance et de sa force dans cette occasion. En effet, il ne sortit pas de prison d’après les discours de l’envoyé, et il pensa en lui-même: J’ai affaire a un roi puissant ; on lui a parlé de ma science et de ma sagesse, et c’est à cause de cela qu’il me fait appeler : comment ne verrait-il pas dans le registre des emprisonnements qu'on m’a arrêté pour une imputation de crime contre les femmes, et une pareille imputation est grave pour un homme jeune ? Le roi pensera que j'étais l’esclave d’un homme, qu’ensuite j’ai voulu avoir sa femme, et que je l’ai trahi pour cette femme. On m’a mis en prison à cause de cette imputation ; quels seraient donc ma puissance auprès de ce roi et le poids que j’aurais dans son cœur ?
Joseph voulut, en conséquence, manifester son innocence, et sortir ensuite de prison. Il dit à l’envoyé : « Retourne vers ton seigneur, et demande-lui quelle était l'intention des femmes qui se coupèrent la main, car mon Seigneur connaît leurs artifices. » Ces paroles signifient : Retourne vers ton maître, et dis-lui qu’il prenne des informations auprès de ces femmes qui se sont coupé la main , pour voir quel témoignage elles rendront de moi, à qui on fait un si grand crime de l’accusation que mon maître a portée contre ma personne. Dis encore au roi qu'il demande à ces femmes ce que l’épouse de mon maître a dit devant elles, afin que le roi sache pour quelle cause on m’a retenu dans cette prison.
Or Joseph dit, « Appelle ces femmes, » parce qu’elles étaient les seules créatures qui pussent rendre témoignage de son innocence à l'égard de l’épouse d’’Azîz. En effet, elles avaient appris de Zoulaïkha ce qui s'était passé ; Zoulaïkhà avait, de son propre mouvement, parlé de Joseph en leur présence, et leur avait découvert son secret. Lorsque ces femmes se coupèrent la main et dirent, « Celui-ci n’est pas un homme, il n’est autre qu'un ange digne de respect » la femme d’'Azîz leur dit : « C’est celui au sujet duquel vous m’avez blâmée. Je l’ai déjà désiré pour sa personne, et il s'est abstenu ; mais, s'il ne fait pas ce que je lui ordonne, il sera certainement jeté en prison, et il deviendra du nombre des gens méprisables. »
En disant ces paroles, l’épouse d'Azîz avait fait un aveu à ces femmes. Or celles-ci dirent à Joseph : Ô Joseph, que t’arriverait-il si tu lui accordais ce qu’elle te demande ? Sur la terre, Joseph n’avait que ces femmes pour témoins de sa pureté, de sa continence, de sa résistance et de son éloignement pour les ruses de la femme d’’Azîz ; en conséquence, il fit dire au roi : Interroge-les, afin qu’elles te disent que je suis innocent du crime pour lequel on m’a arrêté, et elles rendront témoignage devant toi sur l’aveu de la femme d’’Azîz.
Quand l’envoyé fut arrivé devant le roi, et qu’il lui eut rapporté les paroles de Joseph, le roi fut émerveillé de la patience de ce patriarche. On rapporte, d’après 'Abd-allah-ben-‘Abbâs, dans les commentaires du Coran, mais en dehors de cet ouvrage, que, lorsque le prophète fit paraître cette surate et la lut aux hommes, arrivé à ce verset : « Et lorsque l’envoyé fut arrivé près de lui, il lui dit : Retourne vers ton seigneur, » le prophète dit les paroles dont le sens est : Que Dieu fasse miséricorde au prophète Joseph mon frère ! Si j’avais été à sa place, après avoir passé sept ans dans une rude prison, lorsque l’envoyé du roi arriva et qu’il l’appela, je me serais dépêché de sortir en courant.

Après cela, le roi fit venir en sa présence les cinq femmes qui s’étaient coupé la main. On amena également la femme d’'Aziz, et le roi leur dit à toutes : « Quelle a été votre intention, lorsque vous avez désiré Joseph pour sa personne ? Elles répondirent : A Dieu ne plaise ! nous ne savons rien de mal de lui. » Ces paroles signifient : Comment est donc votre affaire ? Avez-vous désiré Joseph, et avez-vous tâché de l’avoir, ou bien est-ce Joseph qui a voulu vous posséder? Or ces femmes aussi avaient tâché d'avoir Joseph, elles avaient souhaité dans leur cœur de le posséder, et elles lui avaient dit : « Que t’arriverait- il si tu consentais à ce qu'elle demande de toi ? » Ces paroles du roi, « Lorsque vous avez désiré Joseph pour sa personne, » deviennent claires par ce qui suit dans le Coran :
«A Dieu ne plaise ! nous ne savons rien de mal de lui. » C'est-à-dire : A Dieu ne plaise ! nous n’avons connaissance d’aucune mauvaise action de la part de Joseph, et la femme d’'Azîz nous a dit : J’ai voulu l’avoir, et je l’ai appelé à moi, mais il a refusé.

Au moment où ces femmes parlaient de la sorte, Zoulaïkhà , qui était la femme d’’Azîz, dit : C’est moi qui ai commis ce crime. Dieu met dans la bouche de cette femme des paroles dont le sens est : Maintenant la vérité est manifestée ; j’ai voulu avoir Joseph, et lui n’a pas voulu de ma personne : il est véridique.

Or, lorsque l’envoyé fut de retour auprès de Joseph, celui-ci fut rempli de joie, parce qu’il était devenu manifeste pour les hommes qu’il n’était point criminel et qu’il n’avait point trompé son maître ; il dit : « Cela m’est agréable, parce que mon maître saura que je ne l’ai point trompé en son absence, et que Dieu ne dirige pas les ruses des trompeurs. »

Après cela, Joseph craignit pour lui que l’orgueil ne s'emparât de sa personne et ne le perdit ; il dit : « Et je ne veux point absoudre mon âme du péché ; en effet, l’âme est portée au mal. » Ces paroles signifient : Si je n’ai point fait cette perfidie, il y a en moi un grand nombre d’autres péchés ; car l’homme est porté au mal, excepté dans les choses pour lesquelles Dieu le retient par sa miséricorde.

Après cela, le roi dit, comme on le voit dans le Coran : « Amenez-moi ce jeune homme, afin que je fasse de lui mon favori, car je n'ai auprès de moi personne doué d'une aussi grande intelligence que lui. » Il acheta Joseph de ce grand qui était son maître, et il l'affranchit. Lorsqu’on amena Joseph devant le roi, Joseph lui adressa la parole et le salua. Le roi lui répondit, lui fit des excuses, et dit, comme on le voit dans le Coran: « A compter d'aujourd’hui, tu seras honoré par moi et tu auras ma confiance. »

Si Joseph était sorti de prison dès le premier message que lui porta t’envoyé, et qu’il se fût présenté devant le roi avant que son innocence eût été constatée, arrivé devant le roi, il aurait été obligé de lui faire des excuses et de prouver son innocence ; mais, en prenant patience jusqu’à ce que sa pureté fût reconnue, lorsqu’il sortit de prison et qu’il se trouva en présence du roi, celui-ci lui fit des excuses, et Joseph n'eut besoin de rien dire pour sa justification.

Le roi dit ensuite à Joseph : Fais-moi une demande. Joseph répondit : « Établis- moi sur les greniers du pays, » c’est-à-dire de la terre d’Égypte, « car je serai un gardien entendu. » La réponse de Joseph revient à ceci : Comme je n’ai besoin de rien, qu’il est absolument nécessaire que pendant ces sept années d’abondance tu réunisses du blé dans les greniers, et qu’il faut quelqu’un pour garder ce blé, fais-moi administrateur des greniers publics, afin que je les garde, car je les garderai sans fraude, et je sais comment il faut conserver le blé pour qu’il ne s'échaude pas. Le roi lui confia l’administration des greniers.

Or sache que ce ne fut pas par l'avidité des biens de ce monde ni par le désir d'avoir de la puissance et des richesses, que Joseph souhaita l’emploi d’administrateur des greniers ; mais il voulut rendre au roi ce qu’il lui devait, car le roi l’avait tiré de prison el avait délivré son cou de l'esclavage. Joseph voulut, à cause de cela, l’aider de ses conseils dans une affaire importante, et le roi, dans ce moment, n'avait aucune affaire plus importante que celle des blés. Le roi nomma Joseph inspecteur des greniers à blé, afin qu’il plaçât dans les greniers et les magasins tout le blé qu’on réunirait pendant les sept années d’abondance, et que ces grains fussent confiés à sa science et à son habileté.

On rapporte dans les traditions du prophète que, deux années après que Joseph fut sorti de prison, le grand d’Égypte qui avait été le maître de Joseph et l’époux de Zoulaïkhâ mourut. Or il avait la garde des trésors du roi, lequel confia cet emploi à Joseph, qui eut l'intendance de tous les greniers à blé et de toutes les richesses du roi. Quelque temps s’étant passé, le roi dit à Joseph : A cause de la fidélité que tu as montrée envers ton maître, et parce que tu n’as pas séduit sa femme, je désire te la donner pour épouse. Joseph consentit, et le roi lui donna cette femme et lui fit présent de grandes richesses.
Après cela, lorsque les époux furent réunis, cette femme pensa que Joseph la considérerait comme une mauvaise femme, et croirait qu’elle aurait désiré avoir d’autres hommes, comme elle avait désiré l’avoir lui-même ; et, lorsque Joseph voulut étendre la main sur elle, elle se retira et dit : Ô Joseph, avant tout accorde-moi la permission de te dire une parole. Joseph répondit : Parle. Elle dit alors : Ne pense pas que je sois une femme perdue, et que j’aie voulu avoir tous les hommes comme j’ai voulu t’avoir. En effet, j’ai des sujets d'excuse pour ma conduite à ton égard. Le premier est que tu es beau, et qu’il n’existe personne plus beau que toi sur la face de la terre ; quiconque veut t’avoir peut être disculpé. L’autre sujet d’excuse est que mon époux n’était point un homme et ne pouvait étendre la main sur moi. Or une jeune femme ne peut pas supporter avec patience un pareil époux ; elle devient excusable. Quant à moi, je n’ai jamais voulu posséder d’autre homme que toi ; j’ai encore le sceau de Dieu, et je suis dans le même état que lorsque je sortis du sein de ma mère. Ces paroles remplirent de joie Joseph, qui étendit la main sur elle, car cette jeune fille portait encore le sceau de Dieu. Elle demeura avec Joseph jusqu’à la fin de sa vie.

Or Dieu a préservé du mal toutes les femmes de prophète, en sorte qu’elles n’ont commis d’adultère avec per- sonne, même celles des femmes qui n’étaient point croyantes, telles que la femme de Noé, celle de Loth, et toutes les autres qui ont existé. Jamais femme de prophète n’a commis d’adultère, et jamais aucun prophète, avant sa mission prophétique, n’a adoré les idoles.

Joseph eut de Zoulaïkhâ deux enfants mâles. Il nomma l'un Éphraïm, et l’autre Manassé. Joseph devint le trésorier général du roi. Quelque temps s’étant écoulé, le roi joignit à la dignité de trésorier général celle de vizir, et il mit toutes les affaires de l’Egypte et du royaume entre les mains de Joseph, d’après les conseils duquel il se dirigeait toujours, en sorte que Joseph agissait et donnait des ordres comme il voulait.
Dieu a dit : « Nous avons ainsi établi Joseph sur la terre, afin qu’il fixât son domicile où bon lui semblerait. » C’est-à-dire : J’ai ainsi fait reposer Joseph sur la terre d’Égypte. Après cela, Dieu ajoute : « Nous accordons notre miséricorde à qui nous voulons, et nous ne laissons pas périr le salaire de ceux qui font le bien. » C’est-à-dire : Ceux d’entre les croyants qui font le bien, je leur donne une récompense dans ce monde, et je leur en donne aussi une dans l’autre monde, et la récompense que je donne dans l’autre monde est meilleure que celle de ce monde-ci.


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Chronique de Tabari Tome 1  - Page 2 Empty Re: Chronique de Tabari Tome 1

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