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Petite dystopie chez Pierre Templar

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Petite dystopie chez Pierre Templar Empty Petite dystopie chez Pierre Templar

Message par Ligeia Ven 14 Aoû - 20:56

Il s'agit d'un article écrit par Elizabeth et publié par Pierre.

Source : http://survivreauchaos.blogspot.com/2020/08/le-jour-de-judas.html

Petite dystopie chez Pierre Templar Dressage


"Et si tout ce dont nous avions peur n’était pas tout à fait faux ?

Une Nouvelle dans l’air du temps...

Avertissement : ce récit est une oeuvre de pure fiction. Par conséquent toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.


Elise saisit sa tablette et consulta son agenda électronique, c’était vraiment une très grosse journée et comme tous les mercredis, elle ne s’appartiendrait pas... 10h00 Laurette allait faire du poney au centre équestre, 14h00 il fallait emmener Jules chez le coiffeur pour la rentrée et aller chez Kiabi pour prendre du stock, 18h00 RdV en express chez le médecin pour faire renouveler sa Ventoline. Elle gratta machinalement son nez et vérifia dans la foulée si les masques étaient tous à leur place dans son sac à main : ouf, tout était OK ! C’était sans compter avec le repas de ce soir et les copains du club de tir : 8 personnes à table, tous des allumés du 12 qui complotaient contre les dernières mesures gouvernementales et criaient à l’agonie sociétale. Elise souffla – tout à fait exaspérée – c’est certain, ils allaient liquider un pack de bière et 3 énormes pizzas XXL en refaisant le monde et comparant les performances de leurs 9 mm respectifs.

Pourtant la société les avait protégés, tous protégés ! La plupart avaient perdu leur travail en 2020 à cause de la crise du Coronavirus, au plus tard début 2021 et le gouvernement avait fait voter en urgence un salaire universel et un tas de prestations sociales qui garantissaient aux enfants et à toute la famille une vie digne, voire confortable. En échange de quoi on leur demandait d’être des citoyens au sens civique exemplaire et de suivre les préconisations sanitaires sans la moindre exception.

Dans le fond, c’était plutôt bien ! Pensa-t-elle en souriant. Plus d’horaires débiles au bureau, le temps d’élever les gosses et la garantie de pouvoir suivre elle-même leur scolarité désormais à mi-temps pour limiter le remplissage des classes.

Cela faisait maintenant 9 mois qu’était passé le décret mondial pour la protection de la terre et des hommes. A cette occasion, même Israël et la Palestine avaient fini par se mettre d’accord et tous avaient enterré la hache de guerre, « Shalom » chantait-on aux fenêtres illuminées pour le 31 Décembre. « Shalom » répéta le Président en fixant les dernières statistiques démographiques.

- Où en sommes-nous ?
Le directeur du Renseignement Extérieur mordilla nerveusement son bic
- 7,9 milliards. Aucune évolution.
- Le vaccin n’a pas tenu l’ombre d’une promesse ?
- Non Monsieur le Président, ils vont tous bien, se reproduisent comme des lapins et quoi que nous fassions, ils vivent ! Ils vivent vieux, ils vivent bien et ne risquent pas de mourir d’usure vu qu’ils ne foutent rien
- A combien se monte la population active réelle chez nous ?
- 12% d’actifs en équivalent temps plein réduit, soit à 29 heures par semaine et 7 semaines de congés, exceptés chez les agro-industriels qui commencent à avoir de vrais problèmes sociaux avec leurs travailleurs
- Y’a pas moyen de les faire taire ceux-là ?
- Non, ils viennent juste de comprendre que nous avons besoin d’eux
- Préparez l’opération « Terre Saine » et demandez à nos voisins où ils en sont
- Ça c’est fait : tous envisagent « Terre Saine »

De son côté – loin de Paris – Jean graissa généreusement son glock 17 avant de le ranger et de faire la tournée des stocks, comme toutes les semaines. Survivaliste de la première heure, il croyait dur comme fer que la société était cuite. Elise le suivait mollement, le laissant « s’amuser » comme elle disait et « délirer » avec ses potes, subissant sans trop râler les achats répétés de matériel « au cas où », depuis la radio à manivelle jusqu’au filtre à eau en passant par les sacs à dos qui n’avaient finalement pas beaucoup servi. Quant aux enfants, Laurette 12 ans et Jules 14 ans, ça les faisait bien rire... Jean remonta au Salon et prépara l’apéro pendant qu’Elise expliquait au téléphone à sa meilleure amie qu’ils allaient partir 8 jours aux Baléares l’été prochain. Au fond, rien n’avait changé. L’état payait, les Français vivaient comme avant, un masque sur le museau et la gestion par intelligence artificielle du plateau santé.

Parlons-en du plateau santé ! Jean ne décolérait pas de voir toute la famille adhérer comme un seul homme à pas moins de 20 mesures totalement liberticides, sensées garantir leur sécurité sanitaire et le parfait suivi de leurs dossiers médicaux, désormais pris en charge à 100 %, dents et yeux compris. Le tout gratuit, Jean n’y croyait pas, il pensait, comme son père avant lui, que lorsque c’est gratuit, c’est que c’est toi le produit. Reconnaissance faciale et émotionnelle, prise de température, traçage complété par des applications non obligatoires mais qui donnaient accès à tous les loisirs – restau, parcs d’attraction, salles de sports, associations, club de tir, etc. – Plus rien à payer à condition de signer l’adhésion au plan santé et d’en respecter les petites lignes. « C’est mieux pour les enfants » avait conclu Elise. Entre marginalité et soumission, 99.56 % de la population Française avait adhéré.

Puis la vie avait repris son cours, entre coronavirus, peste pulmonaire aux States et bubonique en Russie. Tous avaient oublié. Oublié que quelque part, dans un centre de traitement ultra sécurisé, en Australie, une machine sans âme et sans à priori, gérait la vie de plus de 7 milliards d’humains polluant, mangeant et déféquant à chaque instant.

Désormais, le « 20h00 » était devenu incontournable, journal national égrenant sobrement comme un oiseau, le condensé de l’Agence Française de Presse, lui-même validé directement par les services de communication de l’Elysée, où un jeune énarque aussi frais que la poudre qu’il sniffait, tentait de penser à la place des citoyens qu’il méprisait. C’est en se remémorant le parcours chaotique de l’année 2020 que Jean, Elise et leurs amis prirent place dans les fauteuils, verre à la main, pour écouter ce nouveau monument de propagande à la grâce de Jupiter ! Jean pensa par devers lui qu’on les prenait vraiment pour des cons, mais même avec ses amis et sa famille, il avait appris à se taire, qu’en penserait Elise ? Qu’en penserait-on au club ?

- Passe-moi la bouteille ! Lança Elise à son homme en laissant ses yeux rivés sur l’écran.

Face à eux, le visage souriant du jeune Président s’afficha sur fond d’Elysée, fenêtre, jardin, drapeau et regard qui semblait adressé à chacun en privé, comme si « chacun » était finalement important. Le Président ajusta d’un geste à peine nerveux sa cravate et ouvrit ses deux mains face à la caméra avant de les refermer comme sur une proie qu’il pétrissait en se raclant la gorge : il allait parler, mais ce n’était pas prévu ! Presque 70 millions de Français sur une cinquantaine de chaînes privées ou publiques l’écoutaient comme le Chrétien écoute le sermon du père ou le Musulman entend l’appel à la prière. « Chacun » savait reconnaître, dans ce rituel désormais bien rodé, que l’instant était grave.

« Chers citoyens du monde – cette expression ayant remplacé depuis plusieurs mois celle, bien connue de Français, Françaises – Nous avons su, face à ce redoutable adversaire qu’est le coronavirus, faire preuve de courage, de loyauté envers les nôtres, de force d’acceptation et d’adaptation au nouveau Monde ! C’est avec humilité que le berger que je veux être, vous remercie et vous demande de l’accompagner pour de nouveaux challenges et surtout pour la reconstruction d’une société neuve que nous offrirons à nos enfants ! Vous n’êtes pas sans savoir que toute l’industrie alimentaire qui vous nourrit, manque de bras et de forces vives. Par ailleurs, nous avons le devoir, que dis-je : l’obligation absolue ! De nettoyer notre terre et de la faire respirer. Aussi, ai-je la fierté, l’immense joie de vous annoncer la création de nos nouvelles bases agricoles souterraines. Nos chercheurs ont créé 450 000 hectares dans tous les pays du monde. A l’abri de la pollution, à l’abri du changement climatique, à l’abri des insectes ravageurs ! Pendant que 450 000 hectares de terre fatiguée par nos cultures intensives se reposeront et feront l’objet de tous les soins pour devenir de futurs lieux de repos ou de protection des espèces rares, faune et flore comprises. Je sais qu’à cet instant même vous êtes surpris ! Comment cela a-t-il pu être fait sans que nous le sachions, qui a payé ? Mais de fabuleux mécènes ont offert toute leur fortune pour bénir ce projet que nous avons appelé « terre saine », et si tout a été fait dans l’ombre, ce n’est pas pour vous priver d’une information capitale, mais pour préparer ce qui est pour nous un véritable cadeau de nouvel an ! »

Le Président souffla, repris sa respiration pendant que l’on voyait, dans le reflet de sa fenêtre, l’agitation des caméramans. Il jouait l’euphorie, les épaules droites et le regard joyeux, mais ses bras et ses mains cherchaient à passer sous le bureau, en esquissant un drôle de pas de danse entre ouverture et fuite. Il nous raconte quoi – pensa Jean ? Le Président reprit avec emphase :

« 25.000 citoyens du monde (pour la France), tout à fait exemplaires, auront la chance d’intégrer ce projet afin de le soutenir et le faire grandir. Vous êtes des millions, mais notre base de données travaillera, grâce à des algorithmes, pour déterminer qui est le plus apte, en meilleure santé, ou avec les bonnes compétences, pour faire partie des hommes qui laisseront leur nom dans l’Histoire. Je sais que déjà les mains se lèvent et se portent volontaires, je sais que déjà vous vous demandez qui ? Alors nous avons choisi de ne pas vous frustrer plus après ces mois d’exigence. A l’heure où je vous parle, les 25.000 noms sont sortis des urnes de l’espoir ! Ils ont plus de 50 ans – pour leur expérience et leur sagesse – ils sont libres de toute obligation professionnelle – En couple, leurs enfants verront leurs études payées jusqu’au niveau Master 2, pendant qu’ils servent le pays. Leur épouse les accompagnera à 2 semaines d’intervalle afin que le nid soit prêt : appartement de 3 pièces entièrement meublé et doté de tout le confort de la domotique moderne, accès à tous les loisirs, y compris piscine chauffée et pistes de ski, salles de cinéma et gouvernante pour les célibataires. Nous allons maintenant vous passer une vidéo de nos nouveaux centres de l’espoir. »

Le Président disparut et une charmante journaliste à l’entrée de ce qui ressemblait à un bunker prit la suite, micro en main, largement entourée par une équipe de militaires qui avaient plutôt l’air de préparer Bagdad. Voiturette, ascenseur et visite guidée dans ce qui ressemblait à un paradis terrestre. Tout était luxueux, le détail soigné, couvert par un ciel artificiel, mais toujours bleu. Les appartements donnaient, via des fenêtres fantômes, sur des paysages magnifiques qui faisaient s’alterner régulièrement le jour et la nuit dans un monde où cela n’existait absolument pas. Verres sortis, table fine, bouteille de bourbon posée là... les tables sentaient bon la convivialité d’autrefois. C’était juste l’endroit le plus merveilleux du monde et le club Med pouvait passer pour un clapier à côté du luxe affiché ostensiblement par l’appartement témoin.

Puis il reprit la parole

« Je vous sais impatient, heureux, tout comme moi. Nos rêves les plus fous vont prendre forme, la vie recommence et je peux dire aujourd’hui que si le Coronavirus nous a permis de prendre conscience de notre Terre et de créer le nouveau Monde, il faut alors presque remercier le Pangolin de circonstance. J’ai également l’immense honneur de vous annoncer que notre nouveau vaccin efficace à 100 % est opérationnel, il s’agit donc de la fin de la distanciation sociale pour tous les vaccinés ! »

Aussitôt il se leva et embrassa ses proches collaborateurs, dans une véritable débauche de câlins politiques tandis que les caméramans, en pleurs, prenaient la main du premier costumé disponible, pour la lui serrer compulsivement.

« Vous recevrez, dès demain, via la préfecture, puis vos mairies, votre affectation si vous êtes choisi pour vivre et faire vivre l’opération « Terre Saine ». Sur place, une liaison sans fil par ondes 6G vous permettra de communiquer avec vos proches autant que vous le souhaitez. Vos congés mensuels vous permettront de rendre visite à vos enfants que vous rejoindrez en fin de contrat au terme duquel vous bénéficierez d’un habitat neuf dans l’une des zones rénovées »

« Vive la Terre, Vive les Français »

Le sourire larmoyant, le Président se leva et continua de serrer quelques mains avant de disparaître de l’écran pour laisser la place à un présentateur ravi sur fond de Tour Eiffel qui clignotait comme un sapin de Noël en affichant fièrement « Terre Saine ».

Le Président repartit, suivi par son staff avant de grimper avec légèreté dans une voiture banalisée. A sa suite le patron des renseignements et, plus sobre encore, le premier ministre qui grattait sa barbichette et faisait des moulinets avec son doigt dans son nez... Malpropre, mais nerveux !

- Combien pour la première étape ?
- 3 millions soigneusement répartis sur toute la planète, chacun doit avoir le sentiment qu’il a été choisi.
- Et ensuite ?
- 1,5 milliards d’individus sur les 6 prochains mois, le double sur les 2 prochaines années
- Avec des algorithmes identiques ?
- Non Monsieur ! D’abord les 50/60, puis l’ouverture aux plus de 60, puis les pathologies. Sont exclus les jeunes en parfaite santé, mais nous intégrons les handicapés en commençant par leurs parents et en proposant qu’ils les rejoignent.
- C’est parfait. Nous n’avons de toute façon pas le choix. Nos réserves alimentaires sont à quel niveau ?
- L’Afrique ne sera plus complémentée à partir de Juin prochain et les migrations climatiques sont prévues à partir de la future rentrée de Septembre.
- Combien ?
- Rien que pour la France, 27 millions de migrants. Dont 87 % de musulmans, 7 % d’intégristes toutes religions confondues, 13 % de jeunes réduits à la délinquance et 23 % de malades contagieux dont 3 % porteurs de BMR
- BMR ?
- Bactéries Multi Résistantes...
- Et pour eux, comment avance le plan ?
- Intégration directe dans le projet Terre Saine.
- Nous sommes en mesure de traiter un tel volume ?
- Oui Monsieur – Dès l’arrivée ils seront triés : aptes à travailler, malades ou inaptes, mais avec des organes sains. Seuls 8 % seront employés.
- Cela se fera-t-il sans souffrance ?
- J’ai demandé aux services Russes, qui ont pondu le programme dit d’insertion, de m’envoyer le protocole. Ils ont été vraiment excellents. A l’arrivée, après le tri sur dossier médical, les familles ne seront pas séparées, mais tous les sujets recevront un traitement neuroleptique capable de rendre heureux un condamné à la chaise électrique. C’est à ce moment que l’on prélèvera, pour chaque filière, les travailleurs, ou le reste. Dans un second temps, ils recevront une injection létale à effet retard, le temps de les acheminer vers une salle de repos où ils se coucheront eux-mêmes dans un cercueil baptisé régénérateur. Il suffira de les incinérer.
- On leur fait le coup du régénérateur façon science-fiction ?
- Oui, les stresser ne présente aucun intérêt. D’ailleurs, l’opération bien rythmée permet de traiter, sur les 200 bases, environ 200 000 adultes ou jeunes handicapés par jour.
- Et comment les a-t-on choisi ?
- Le plan Arc en Ciel, les Australiens ont été très coopératifs et ont fourni toutes les données collectées depuis 12 ans.
- Espérons qu’on n'exécute pas les scientifiques dont nous allons avoir besoin...
- Nous avons intégré un petit questionnaire papier, pour de vrai, afin de récupérer in extremis un sujet arrivé là par erreur
- Ah bien... A-t-on évalué le temps de réaction de la population ?
- 3 semaines. Ce qui provoquera la seconde vague de sélection et ainsi de suite.
- le monde n’a de toute façon plus le temps de patienter
Le Président se renferma avec une moue songeuse. Lui et les 53 dirigeants du Monde de demain allaient se livrer à un monstrueux génocide pour sauver la Terre. Qu’en penseraient ses petits-enfants ?


Face à son téléviseur, Jean tremblait. Autour de lui, dans le salon, le ton montait joyeusement, Elise rêvait, les copains parlaient de monter un super club de tir avec cibles mobiles en 3D. Il débarrassa la table de l’apéro et ferma la télé, non sans demander la permission à Elise. Puis la conversation fila bon train tard dans la nuit, pendant que les enfants, attirés par ce brouhaha, n’en rataient pas une miette en planque dans le couloir.

Ils se couchèrent, comme plusieurs milliards d’êtres humains, pleins d’espoir ou de craintes, d’en être ou pas, à moins que ça ne soit l’inverse. Tout au rêve de vivre pour soi le monde de demain et de faire partie de ces privilégiés qui seraient reconnus et bénis des générations futures.

Elise se réveilla la première, tirée du lit par le bruit des enfants qui se battaient. Depuis la semi disparition de l’école, non seulement ils ne faisaient plus grand-chose, mais ils se battaient pour un rien. Le train-train reprenait : douche, café, tartines, puis Yoga pour elle et jardin pour Jean.

Jean secoua le tube de dentifrice et regarda Elise dans le miroir, par-dessus son épaule. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas envisagé de la perdre. A cet instant précis, il réalisa qu’ils n’avaient plus vraiment les mêmes objectifs : elle, sa vie dite « normale », à chaque jour ; lui, son éternel plan de survie en bandoulière. Il se rinça la bouche et la rejoint au café pour leurs quelques dix minutes d’intimité avant que les enfants ne débarquent.
- Ne me dis pas que tu y crois ?
- Et toi ne me dis pas, encore une fois, que c’est je ne sais quelle conspiration !
- Non mais tu penses vraiment qu’ils vont sauver le monde ?
- Et pourquoi pas ?
- Parce que depuis le temps qu’on a les technologies nécessaires, ils n’ont encore jamais créé je ne sais quel foutu projet visant à épargner la planète et tous ses habitants
- Tu es vraiment un conspirationniste !
- Non, je suis juste logique. Et puis les plus de 50 ans, c’est quoi cette blague ?
- Ce sont les plus expérimentés
- Ah oui, ou ceux qui n’auront plus jamais de travail
- Tu me fatigues !
Elise claqua son bol contre le bois de la table et se leva avec nervosité. Puis elle fila répondre à son téléphone.
- C’est toi, c’est toi Chéri ! La Mairie vient d’appeler, tu as été choisi !
- Non, ce n’est pas vrai, c’est une plaisanterie du Maire, tu sais comme il est blagueur
- Il n’avait pas du tout l’air de plaisanter, tu as 2 heures pour préparer tes affaires avec ta carte d’identité numérique. Un véhicule militaire passera te prendre.
Elise baissa le ton et se mit à pleurer. Jamais Elise n’avait envisagé de quitter ses parents qui habitaient de l’autre côté du village. Jean la prit dans ses bras et la serra tendrement.
- Et si on refusait hein ? Jean avait pris une toute petite voix. Il se voulait rassurant.
- Ils disent que ce n’est pas possible, c’est 6 mois de prison ferme et 45.000 euros d’amende pour désertion
- Tu as déjà regardé ?
- Non, c’est le Maire qui vient de me le dire, lui aussi il a un peu peur
- Ecoute, je te propose de partir, là tout de suite, on prend les gosses et on s’en va, je fais les sacs, la bouffe est prête, on se tire
Elise éclata en sanglots. C’était vraiment une catastrophe,  elle ne pourrait plus jamais vivre normalement et voir sa mère, prendre le café chez sa tante à qui elle raconte tout depuis tout le temps.
- Tu sais, pour le vaccin aussi tu avais dit que c’était grave, et il ne s’est rien passé ! Elise sécha ses larmes, pleine d’un énorme espoir.
- Oui, c’est vrai. Mais là, tu ne vas plus voir tes enfants. C’est vraiment ce que tu veux ?
- Non non, ce n’est juste pas possible, je te suis. Et sa voix s’était raffermie.
- Aller, je prépare les sacs et on se tire
- Mais on va où ?
- J’ai tout prévu, tu n’as qu’à me faire confiance, nous partons en petite montagne, à pied et sans nos papiers, il faudra laisser nos portables, pour ne pas être tracés
- C’est de la folie, je vis un cauchemar
- Non ma chérie, c’est la sinistre réalité. Tu vois bien qu’ils payent les gens à rien foutre depuis plus de 1 an, tu crois vraiment qu’ils allaient continuer comme ça ?
- Non, tu as sans doute raison, mais je ne réalise pas. Et que vont dire les enfants sans leurs portables, sans netflix ?
- Ils s’y feront.
- Ca va être l’horreur, ils vont se battre encore plus et perdront toute chance social et professionnelle
- Parce que tu crois vraiment qu’ils ont une chance dans ce monde où il n’y a plus de travail ni d’école
- Je sais. Je veux juste vivre comme avant.
- Ah ! Tu aimais ça, ta conne de chef qui te harcelait et tes horaires à la con ?
- Non plus.
- Tu passais toute l’année sous Prozac
- Oui, inutile de me rabaisser
- Je ne te rabaisse pas, ce rythme : métro/boulot/dodo, c’était juste insupportable. Je file, nous n’avons que très peu de temps, on filera d’abord en voiture, puis nous la laisserons à Saint-Jean d’Esturgette avant de prendre la verte pour rejoindre le chalet, fais les bagages des petits
- Je prends quoi ?
- Bah comme si on partait en vacances : ils savent pour moi ?
- Non
- Dis leur qu’on part en vacances et tu leurs prendras les portables sans leur dire. Sinon ça va être la guerre.

Elise et Jean avaient cessé de craindre, cessé de perdre leur salive. Chacun était parti dans ses quartiers pour préparer ce qui avait toujours été convenu tacitement : préserver la famille en toutes circonstances.

Jean gava les sacs. 7 kilos pour les enfants, 12 pour Elise, 17 pour lui. Le glock et ses munitions, le FAP déjà dans le coffre de la voiture, la radio, la pharmacie, les rations pour 15 jours en déshydraté. On verrait le reste sur place où il y avait les vieux stocks … déjà prévus, avec les couvertures, le puit, le poêle à bois.

Dehors, dans le village, l’ambiance était animée. Le Maire avait préparé un petit discours de départ pour Jean, les gens se réunissaient. Chacun d’envisager les choses sous son angle bien à lui, parfois envieux, parfois soulagé. Souvent soulagé en fait.

De son côté, le Président de la République songea que vraiment, le service de comm avait raison, les nouvelles surprenantes passent toujours mieux. Il aurait du s’en souvenir, lui qui avait confiné 67 millions de Français en 48 heures. En Russie il avait été convenu de garder les petites industries et même les petits agriculteurs, qui avaient disparu en Europe. Aux USA, le Président avait exigé que l’on refasse tout l’extérieur des camps de la FEMA, disparus les barbelés et les cercueils, place à de superbes murs en brique surmontés de pots fleuris bordurés par un courant alternatif à 220 Volts dans un câble peu visible : les chacals ne passeraient pas, les hommes seraient en sécurité.

Elise et Jean Chargèrent la voiture et Jean fila chercher les enfants. A la porte d’entrée, un homme en treillis. Jules virevolta vers son père et lui sauta au coup. « Je ne vais pas te voir avant un moment » dit-il. Le militaire tendit la main. « Je suppose que vous êtes Jean ».

Jean pensa qu’il lui avait manqué 30 minutes. Pourquoi n’avait-il pas stocké du temps ?
- Ma femme et moi sommes en train de divorcer
- Donc vous partez seul pour la grande aventure ?
- Tout à fait ! Répondit Jean avec un large sourire – Je vais chercher mes papiers et j’arrive
- J’ai cru comprendre que votre femme partait en voyage ?
- Oui, elle va vivre chez sa tante, c’est mieux ainsi et c’est ce qui était convenu.

L’homme en treillis se décontracta et ré-afficha un vrai sourire. Elise se crispa et retint ses larmes. Combien de stations pour cette route-là ?

31 Décembre 2022

- Tu as du avoir la frayeur de ta vie Oncle Jean ?
- Jean remua la braise et relança le vieux poêle
- Oui, j’ai eu très peur, peur de la mort, la vraie, dans la solitude …..
- Qu’est-ce qui t’a poussé à t’en sortir ?
- L’amour, l’amour de mes enfants, l’amour de ma femme
- Tu ne m’as jamais raconté comment tu avais fait ?
- Oh ce fut presque simple. Les militaires n’étaient pas préparé à ce que qui que ce soit tente d’échapper au projet. Je suis donc resté joyeux, même avec le cœur lourd, mais je n’ai pas oublié ce que m’avait dit mon arrière-grand-père : « un prisonnier ne doit jamais renoncer à s’évader ». Je savais qu’une fois au camp – sous terre, dans la base – il serait impossible d’en sortir. J’ai donc profité des pauses repas/hygiène sur le chemin, nous formions des mini camps très encadrés avec périmètre de sécurité, mais personne ne songeait que qui que ce soit allait se tirer. Un soir, je suis parti me coucher avec mon colocataire de tente et j’ai attendu qu’il dorme. Puis je suis sorti discuter avec les soldats qui étaient en faction. L’ambiance était plutôt cool ; officiellement c’était un très beau projet. J’avais repéré que les clefs des véhicules étaient accrochées dans la tente d’intendance, je savais qu’ils buvaient un café chaque soir vers 23h00 – tu sais, c’est très important l’observation – Un bref instant, quelques secondes, peut-être 3. J’ai pris les clefs et je leur ai dit que j’allais me coucher. Il y avait fort peu de mesures de sécurité : toujours cette fichue manie de nous prendre pour des imbéciles qui allaient partir pour l’abattoir en chantant. Je suis passé sous ma tente, j’ai rampé jusqu’à la voiture et là je n’ai même pas cherché à faire discret, j’ai foncé, foncé et défoncé la barrière d’accès mobile, roulé peut-être 500 mètres et sauté de la voiture en bloquant l’accélérateur pour me donner quelques minutes. Puis je suis retourné à côté du camp : car c’était le dernier endroit où ils allaient me chercher. Et j’ai attendu. Des heures. Les heures les plus longues de ma vie. J’ai entendu les aboiements des gradés et même le commandant qui commentait les ordres de Paris : « on le retrouvera, ce n’est pas si grave, nous avons ordre de ne pas faire d’étincelle ». Puis je suis parti à pieds.
- Et Tante Elise ?
- Tante Elise savait qu’elle devait rejoindre le chalet !
- Tu as marché combien de temps ?
- J’ai marché 13 jours à raison de 35 kilomètres par jour environ. Heureusement, comme nous passions prendre les uns et les autres, nous allions très lentement. En 3 jours j’aurais pu être très loin.
- Tu as eu de la chance !
- Il faut toujours une part de chance.

Jules entra avec du bois plein les mains. Depuis une douzaine de mois, il n’avait plus jamais embrassé son père. Mais il avait pris la vie à bras le corps."
Ligeia
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Message par Ligeia Sam 26 Sep - 10:40

Petite dystopie chez Pierre Templar Robots



Une autre petite dystopie d'Elizabeth publiée chez Pierre Templar :



" Jean-Pierre s’assit dans le fond de son fauteuil et serra la main de son petit-fils Mario, âgé de 15 ans.

- Ca va mon petit Mario, alors quels sont tes projets, les filles, les voyages ?
- Papy, tu pourrais te taper déjà au moins 3 procès-verbaux pour de tels propos !
- Ah oui, lesquels ?
- Et bien « Indiscrétion », 135 terras, « sexisme », encore 135 terras, mais sans doute 200 terras parce que c’est une récidive de la loi sur l’auto-contrôle et la liberté d’expression et la troisième fois...
- Je sais mon petit Mario, je sais ! Répondit Jean-Pierre en souriant, mais tu ne vas pas dénoncer ton grand-père préféré non ?
- Papy tu me fais rire ! Ce n’est pas de moi dont il s’agit ! Tu fais de moins en moins attention, c’est carrément grave tu sais !

Jean-Pierre se leva et prit sa canne, il souffrait d’arthrose et son statut de citoyen ne lui permettait pas d’accéder à la chirurgie réparatrice. Il s’était passé pas mal de temps depuis le scandale sanitaire des années 20 ; le monde avait gagné la guérison de haute lutte, mais qu’était-il devenu ? Agé de 70 ans, il avait fait partie de la génération des gilets jaunes, il avait connu « je suis Charlie » et même levé le point pour le mariage homosexuel. Il rangea ses chemises, ouvra un vieux dossier planqué sous son matelas et caressa doucement la couverture de son très vieux Charlie Hebdo, celui d’origine, édité à la suite de l’attentat : une pièce de musée. Puis il répondit à sa femme, Anna, qui l’appelait de la cuisine.

- A table ! A table tout le monde, si vous le voulez bien – Jean-Pierre tu vas adorer, je t’ai fait des frites véritables avec du ketchup maison.
- Mais ça a du te coûter une fortune ? Tu as obtenu une dérogation ?
- Oui bien entendu, c’est que nous avons un évènement à fêter.
- Tu veux dire à accepter.
- Je t’en prie Jean-Pierre, pas de débat, je t’en supplie, ne gâche pas ces instants.
- Les derniers !
- Tais-toi, je t’en prie tais-toi
- Dans une heure 30 exactement, 2 hommes en blanc vont venir me chercher, m’emmener dans une voiture confortable, et, comme tous ceux que j’ai connus, mes amis, mes amours, mes parents, je vais disparaître de la surface de la planète – et tu veux que je me taise ? Tu es encore jeune, tu ne sais pas ce que c’est que de compter les minutes qu’il te reste avant d’être éliminé comme un déchet.

Nous avons eu cette conversation 10 fois Jean-Pierre ! Dont 1 fois en public et j’ai été convoquée, perdu 15 crédits citoyens, payé 3750 terras, et Mario s’est vu refuser son crédit d’études à Berlin. Tu veux m’emmener dans la mort ? C’est ça ? Tu veux revenir à ton putain d’ancien temps ? Celui du chômage, de l’injustice, de la pauvreté ? De la surpopulation et de la pollution ?

- Non Anna, mais je suis né libre, et même libre d’être pauvre. Je vais mourir comme un chien qu’on euthanasie parce qu’il n’est plus bon à monter la garde.
- Un chien de garde ! Et bien là tu dérailles mon pauvre ! Comme si il fallait garder quoi que ce soit !
- Ah j’oubliais : tu n’as pas vraiment connu ça : l’insécurité !
- Non je n’ai pas connu et ça ne me manque pas.
- Moi Papy, je voudrais que tu passes cette dernière heure à me raconter ça : je veux dire tout ça ! De toute façon ils ne pourront pas te faire payer, vu que tu vas être mort !
- Mon petit Mario, tu sais que tous mes propos vont être enregistrés via le Flux. C’est toi qui va payer l’addition, peut-être perdre ton statut de futur Citoyen du Monde.
- Non Papy, nous avons le droit de t’écouter dire tout ce que tu veux pendant tes derniers moments avec nous, cela est considéré comme une perte de la raison du à un excès émotionnel.
- D’accord Mario, Assis-toi, je vais vous raconter.
- Dans le temps, on vieillissait jusqu’au bout, parfois très vieux, parfois très mal, et même qu’on ne savait pas trop quoi faire de vous quand la tête lâchait. Mais l’on partait la tête pleine de souvenirs.
- C’est quoi cette histoire de souvenirs exactement ?
- Tu sais, une fois par an, tu passes en revue ta vie via le lecteur du Flux et toutes les pensées ou moments inadéquats sont éliminés de ta mémoire : c’est ça les souvenirs.
- Tu veux dire que si tu as vécu un truc pas...
- Oui dis le : un truc désagréable !
- Oui, c’est ça ! Alors avant tu le gardais toute ta vie en mémoire ?
- Oui, mais c’est aussi ça qui faisait que tu t’améliorait avec le temps, tu apprenais plein de choses, à la fin de ta vie, tu étais  devenu un « homme d’expérience ».
- Oui, mais le Flux fait ça très bien !
- Le Flux est le produit de l’Intelligence Artificielle, et si le Flux s’arrêtait, vous vous apercevriez que la vie n’est pas ce que l’on vous fait croire : un long paradis qui se termine quand on le décide pour vous. La vie, c’est une suite d’expériences de toutes natures et que vous avez parfois choisies, parfois subies, mais qui vous ont toujours rendus plus fort !

Mario caressa la main de son grand-père.

- Dans le temps, on pouvait s’engueuler avec son Voisin.
- Tu veux dire crier et dire des choses sales ?
- Oui Mario ! Intervint Anna : dire des choses immondes et se faire des procès, voire se battre : voilà ce que Jean-Pierre regrette et c’est bien pour ça que cette génération a été détruite.
- Attention Anna, tu vas perdre ton statut de citoyen idéal si tu continues ! Murmura Jean-Pierre à voix si basse que Mario dut tendre l’oreille pour comprendre.
- Ne te fais pas de soucis : moi aussi j’ai le droit à la surcharge émotionnelle pour ces dernières 90 minutes – espèce de...
- De quoi ?
- Je ne sais pas, mais j’ai du me taper un vieux con de 40 ans de plus que moi et faire à bouffer à son petit-fils, pour payer mon statut, alors pour une fois, j’aurais eu envie que tu bouffes tes cochonneries de frites pleine de gras et que tu t’ étouffes avec.
- Oh mais je vois que pour quelqu’un du nouveau Monde, tu maîtrises un sacré vocabulaire, je te découvre enfin Anna.
- Tu crois quoi ? Que j’ai du plaisir à tenter de te rendre heureux parce que tu as le droit légal à une épouse de ton choix en tant que vainqueur de la grande guerre ?
- Je pensais que ça avait un sens pour toi aussi. Après tout ce monde te plait et si ce monde existe, c’est un peu grâce à moi.
- Non, c’est à cause de gens comme toi que la moitié des anciennes Amériques sont contaminées par le Covid-22 : parce que vous avez refusé les règles !
- Non Anna ! Reprit tristement Jean-Pierre - C’est à cause de gens comme toi, qui croyez naïvement tout ce que l’on vous raconte, que les anciens avaient créé le SRAS de quatrième génération. Ils savaient qu’avec des imbéciles, la peur suffirait à résoudre tous leurs problèmes : pollution, surpopulation, délinquance... Ils nous ont infectés, enfermés, exterminés, et pour finir ils ont pris nos enfants, les ont dressé contre nous dans des centres spéciaux, puis ont déclaré la grande guerre pour achever les survivants !
- Arrête de raconter n’importe quoi ! Vous étiez agressifs, incapable de suivre des règles, incapables de travailler pour vos proches, vous étiez méchants les uns envers les autres, vous aviez même des maladies transmises par le sexe tellement vous étiez dégoutants.
- Tu ne me trouvais pas dégoutant lorsque tu as troqué notre mariage contre ton statut de femme de vétéran avec la mention citoyen idéal qui te donne le droit à autant de chirurgie esthétique que tu le souhaites, ainsi que l’accès aux magasins de luxe : qui font des frites...
- Ces trucs gras, immondes, qui te font un gros ventre avec de la peau flasque.
- Je te découvre enfin Anna – tu me fais peine.

Mario ne dit rien. Il songea que lui il adorait les frites. Mais le dire eut été risqué. Le passé était un sujet tabou.

- Je vous en prie, c’est un moment sacré, parle-moi du passé Grand-Père.
- Ta grand-mère était formidable ! C’était une femme hors du temps, elle voulait l’égalité sociale, elle avait milité pour le droit à l’homosexualité et l’avortement.
- Mais pourtant, ces trucs-là, c’est quand même pas chouette ?
- Non ? Pourquoi ? Tu sais, dans le temps, avoir un enfant était un choix, c’était comme on voulait. Lorsque ta mère est née, nous étions fous de joie. C’était juste avant que l’on passe la loi sur la limitation démographique et la stérilisation vaccinale. Puis il y a eu ton oncle, Lilian, il était homosexuel, mais heureux et ne faisait de mal à personne, il aimait la nature, les animaux, la pêche.
- De quoi il est mort Oncle Lilian ?
- Oncle Lilian est mort après la première campagne vaccinale. Ses défenses immunitaires se sont emballées, elles ont attaqué son propre système nerveux. Il s’est progressivement paralysé, puis asphyxié.
- Mais si vous étiez heureux d’avoir des enfants, pourquoi vouliez-vous l’avortement ?
- Parce que à l’époque la stérilisation n’était pas maîtrisée et la contraception pas toujours fiable. Il y avait des enfants non désirés ou que l’on ne pouvait pas élever. Puis il y avait les victimes de viols.
- C’est horrible ! C’est mieux maintenant non ?
- Je ne sais pas Mario – je ne sais pas, mais maintenant tu ne serais pas né.
- Pourquoi ?
- Parce qu’il y a 12 ans que nous sommes en politique de maintien démographique et qu’après la naissance de ton frère aîné ta mère aurait été stérilisée.
- Mais je l’aime mon frère moi. Même si ce n’est pas une raison pour surpeupler la planète.
- Oh Mario, ce n’est pas la surpopulation qui a failli tuer la terre, c’est la surconsommation. Nous avons brulé la bougie par les 2 bouts.
- Ah ! Commenta Anna – Tu reconnais vos torts !
- Bien entendu, il ne s’agit pas de dire que notre monde était idéal. Ils ont réglé le problème de la surconsommation par la diminution démographique. Fin de l’histoire !
- Papy, c’est quoi un Viol ?
- Pas de ça Mario ! Tu vas nous faire avoir des ennuis !
- Je m’en moque tante Anna, je veux comprendre !
- Un viol, c’est quand un être humain utilise sexuellement un autre être humain sans son consentement. C’est un crime.
- Il n’y a plus de crime maintenant.
- Si Mario, il y a d’autres sortes de crimes. Les cerveaux dont les connections neuronales ne peuvent être conduites par le flux sont repérés et éliminés. C’est aussi un crime.
- Tante Anna, c’est pour ça que Kevin a disparu ?
- Ne dis pas n’importe quoi Mario, Kevin était mentalement déficient, il a été pris en charge par l’état.
- Non Anna ! Tu peux raconter des blagues à Mario, mais moi je ne vais pas lui mentir. Kevin, ton cousin en quelque sorte, était un esprit rêveur et indépendant. Lorsque le Flux envoyait les injonctions au sommeil – à 22h30 – il pouvait continuer à lire et sortait parfois rencontrer des amis dans le même cas que lui. Cette anomalie génétique a été repérée, puis éradiquée. Ils sont venus le chercher, comme ils vont venir pour moi, puis il a disparu.
- Tu veux dire qu’il pouvait être triste, gai, en colère, sympa, pas sympa et tout ce que j’ai lu dans tes livres ?

Jean-Pierre sourit. Mario était un enfant peu ordinaire. Il avait si souvent laissé traîné des livres interdits pour lui offrir une chance de s’informer.

- Papy, raconte-moi comment s’est passée la transition ?
- Oh, je vais essayer de faire court, il ne me reste que 30 minutes avec vous. En l’an 2020, il y avait encore des pays indépendants lorsqu’éclata la grande crise sanitaire avec le covid-19. Le monde subit ce qu’on appela un confinement, 4 milliards d’êtres humains.
- 4 milliards ? Mais nous ne sommes que 1 milliard ?
- A l’époque nous étions plus de 7 milliards.
- Ça devait être super serré ?
- Non Mario – pas tant que ça. Mais certains mangeaient pour les 6 autres. Je te disais donc que je vivais en France, dans ce qu’on appelait une République Démocratique. Le peuple élisait ses dirigeants qui étaient censés faire ce qu’il y a de mieux pour nous. Suite à la crise, et à l’enfermement des humains, une grande révolte éclata, révolte qui ne se calma que lorsqu’apparut le Covid-21, troisième génération d’un virus de plus en plus vicieux, bien que finalement les gens en bonne santé semblaient immunisés naturellement. Les dirigeants mirent au point un vaccin, mais qui fut refusé par la majeure partie de la population. Ce fut ce qu’on appela la grande fuite – après la grande révolte qui elle-même succédait à la grande crise. Grande crise parce que l’économie n’avait pas survécu à 1 siècle de vie à crédit et de surconsommation illusoire. Les gens courraient partout, c’était un chaos innommable ! Brusquement, ils changèrent d’avis et une grande majorité accepta le vaccin, fin 2021. C’est là que ton Oncle Lilian est mort. Lui et beaucoup d’autres.

- Oui mais tu oublies de dire que la majorité fut sauvée ! Commenta Anna.
- Sauvée de quoi ? Une fois la population vaccinée, le problème économique n’était pas résolu. C’est là qu’éclata la grande guerre entre les différentes grandes forces mondiales. C’était sans doute le seul moyen, pour chacun, de tirer la couverture à soi : pétrole, monnaie, médicaments, ressources alimentaires ….. C’est à ce moment, nous étions en 2023, qu’un nouveau virus fit son apparition. Celui-là par contre, il était affreux.
- Celui dont on nous a parlé au Centre ?
« Oui le Sras de quatrième génération. Le premier cas apparut à New-york, en pleine  guerre ! Une guerre décentralisée en Afrique pour ne pas endommager le tissu industriel occidental. Le premier jour les gens toussaient, puis vomissaient en régurgitant le moindre repas. Une toux inextinguible ! Au bout de 3 jours, les innombrables régurgitations finissaient par infecter les poumons, surtout lorsque les gens étaient couchés et ne s’en rendaient pas compte. Il y avait ceux qui mourraient étouffés, ou de fatigue, d’arrêt cardiaque … C’était une hécatombe : rien ne semblait pouvoir les faire arrêter de tousser. Au début on les plaçait en coma artificiel : au moins ils ne toussaient plus. Certains conjoints de malades craquaient …. Ils les tuaient à force de ne plus pouvoir entendre cette toux sèche, rauque, qui déchirait la moindre conversation. En 6 mois, le monde complet fut infecté.

Très vite la guerre s’arrêta, les soldats rentrèrent chez eux et se retrouvèrent infectés aussi. Les Etats-Unis, qui étaient alors la première force militaire mondiale subirent même la fameuse mutation virale qui est à l’origine de leur destruction. »

- Celle pour laquelle on a transformé la zone en parc naturel ?
- Oui Mario, celle-là même. Les 10% de survivants se sont peut-être redéveloppés, mais ils sont enfermés dans un vaste territoire où ils sont sans doute un peu contrôlés. Pour le reste du monde, un nouveau vaccin permit de guérir encore 90% des survivants, tout en tuant ceux qui ne le supportaient pas. Le  « rapport bénéfice-risque » disaient les grands laboratoires. C’est là que les grandes puissances fondèrent Terra, le nouveau gouvernement centralisé et sa nouvelle monnaie basée sur la Consommation Légitime Nécessaire : la fameuse CLN octroyée à tous les citoyens du monde.
- Puis on créa un règlement mondial, une justice mondiale, le tout géré par Intelligence Artificielle afin que plus personne ne prenne de décision imbécile. Les enfants étaient éduqués dans des centres où le confort et la sécurité leurs étaient garantis. Les survivants de la grande guerre – dont je fus – étaient les héros dont le peuple a besoin. C’est ainsi qu’on me donna – tous les 10 ans, une épouse toute neuve pour s’occuper de moi, parce que la mienne était morte. L’état central ne pouvait liquider ses héros, alors il les achetait. Tu te rappelles de Marie ?

- Oh oui ! Fit Mario – mais qu’est-elle devenue ?
- En tant que citoyen modèle, j’avais le droit à une épouse choisie jeune et fraîche. Une fois un peu usagée, elle était envoyée chez un citoyen moins bien noté.
- Mais ça n’a pas eu l’air de la déranger ?
- Nous n’avons pas le choix ! Intervint Anna.
- On a toujours le choix ! Corrigea Jean-Pierre – certaines femmes choisissent de devenir des épouses ayant le titre de citoyen idéal : elles ne choisissent pas leur « Mari », mais ont tout le confort en vivant aux cotés d’un homme aisé et bénéficient de pas mal d’avantages. D’une certaine façon, c’était déjà comme ça avant : les plus jolies jeunes femmes choisissaient de riches et puissants maris qui les gâtaient tant qu’elles étaient belles. C’est ainsi que l’on vit l’un des derniers présidents américains marié à une ex mannequin de 30 ans de moins que lui.
- Mais c’est immonde ! Répondit Mario.
- Non – c’est humain ! Mais tu as le choix de refuser le système, d’épouser quelqu’un par amour, comme je l’ai fait avec ta grand-mère, ou, si tu es une femme, d’avoir ton indépendance matérielle. Là, tu vois, ça n’a pas beaucoup changé.
- Je continue – j’ai beaucoup pleuré ta grand-mère – alors après... Le monde sembla s’arranger, il y avait eu tant de morts qu’il restait bien assez pour s’occuper du reste. Mais le Flux était né et ne voulut jamais rendre le pouvoir à l’être humain. Il décida que la violence était abolie, que les naissances étaient contrôlées, que les vieux devaient mourir avant d’être déficients, que chacun aurait au moins le minimum pour vivre, que les enfants anormaux ou asociaux seraient éliminés comme représentant un danger pour les autres.
- Mais qui dirige le flux ?
- C’est une bonne question Mario ! On dit qu’il y a des créatures au-dessus du Flux. Mais personne ne les a jamais vues. Il y a eu ce qu’on a appelé la communication de cinquième génération, la 5G, puis la 6G, puis le Flux...
- Mais le Flux ne m’empêche pas de penser ! Je suis quand même libre de raisonner et au Centre, nous participons même à l’élaboration citoyenne du devenir !
- Oui, je sais bien, et sais-tu pourquoi ?
- Non Papy !
- Parce que le Flux n’est pas créatif ! En tant qu’Intelligence Artificielle, il ne peut pas créer à partir de rien. Donc on le nourrit avec vos idées. Et toi tu as le droit de penser. Mais seulement si tu vas te coucher à 22h30 lorsque le Flux t’envoie les ondes Bêta.
- Et est-ce que c’est si mauvais que ça ?
- Non Mario, ce monde en vaut un autre. Mais tu n’es plus libre. Et 6 milliards d’êtres humains, dont ta grand-mère, sont morts à ce jour.
- On nous a aussi parlé des guerres de religion, c’est pour ça que parler de Dieu est interdit.
- Oui, chaque portion de l’humanité s’est battue pour établir Son Dieu … C’était idiot, mais certains étaient encore plus idiots que d’autres et s’entretuaient pour prouver que leur Dieu aimait la guerre.
- Alors pourquoi regretter ça ?
- Parce que tu vois, à l’époque on priait... On croyait qu’il existait une force surpra humaine que nous pourrions rejoindre après notre mort et que tout ce que nous vivions n’était qu’une expérience destinée à nous rendre meilleur. Nous avions l’espoir.
- Ca ne vous empêchait pas de faire la guerre pourtant !
- Tu sais Mario, chaque année, 10 % de la population part à l’euthanasie pour faire de la place aux 10% de plus qui sont venus au monde. C’est encore plus de mort qu’à la guerre.
- Mais il n’y a plus de souffrance, on a à manger, on ne se bat plus, on reçoit une instruction !
- Oui toi Mario, tu as tout ça, parce que tu es le petit-fils d’un héros de la grande guerre. Mais d’après toi : qui fabrique ce que tu manges ? Qui nettoie le centre lorsque tu rentres à la maison ? Qui construit les Centres, les maisons, les moyens de transport ?
- Bah les travailleurs !
- Oui et as-tu déjà vu les travailleurs ?
- Non, ils sont dans la zone de production, je n’y ai pas accès.
- Demande donc à Anna...

Anna se tortilla les mains et rangea les restes du plat de frite, ainsi que le précieux pot de ketchup.

- Pourquoi veux-tu parler de cela ?
- C’est tout de même un monde que tu connais bien ma chère ! Mario, ta belle-mère est née chez les travailleurs. Sa grande beauté lui a valu une « promotion sociale » et de devenir l’épouse d’un héros. Soit de coucher avec un vieillard qui assurait sa survie en échange de soins jusqu’au moment béni où il débarrasserait le plancher ! Aujourd’hui ! Enfin !
- Anna, s’il te plait, il faut que je sache, je peux sans doute un peu faire quelque chose grâce à nos réunions d’élaboration ?
- Tu sais, ce n’est pas si difficile que ça : notre vie entière est gérée par le flux, nos émotions, nos pensées structurelles, notre santé. Nous n’éprouvons ni fatigue, ni lassitude. Nous recevons de bons soins et lorsque nous vieillissons, nous sommes affectés à des tâches adaptées.
- Tu n’as jamais pensé librement ?
- Oh si, jusqu’à l’âge de 12 ans. A l’âge de 12 ans, ton injection neuronale est activée automatiquement en fonction de ton taux d’œstrogènes. Et la question ne se pose plus. Tu te réveilles un jour, sans angoisse. Et tu sais ce que tu as à faire. D’ailleurs, si j’ai bien lu mes cours d’histoire, avant, ce n’était pas mieux lorsque les femmes travaillaient dans les usines.
- Non, ce n’était pas toujours mieux – pas toujours. Mais lorsqu’elles en avaient mare, elles pouvaient, avec un peu de courage, choisir de vivre autrement. Et Anna ne te raconte pas – Mario – ce que deviennent les anciens travailleurs.
- Tu veux dire qu’ils ne partent pas sur des tâches adaptées ?
- Oh si, mais il y a toujours un moment où la médecine ne va plus se rentabiliser par la remise en état du travailleur.
- Tu veux dire qu’il est euthanasié ?
- Oui Mario, comme moi bientôt, dans 10 minutes. Te demandes tu, Mario, pourquoi tu ne pleures pas alors que tu sais que ton grand-père va mourir ?
- Parce que c’est comme ça. Et il parait que c’est mieux que de devenir une sorte de déchet, comme il y avait, avant, dans les sortes d’hôpitaux pour Vieux.
- Ca s’appelait des EHPAD. Mais seuls environ 15 % des très vieilles personnes perdaient leur autonomie et finissaient là-dedans. Les autres 85 % vivaient en paix, en faisant des gâteaux pour leurs petits enfants ou en cultivant leurs légumes.
- Alors tu préfèrerais vivre plus longtemps ?
- Bien entendu Mario ! Je me sens encore en pleine forme tu sais.
- Mais on va te rendre les honneurs !
- Et alors ? Je m’en moque des honneurs – j’aurais voulu te voir grandir plus longtemps, peut-être avoir un enfant, fonder une famille.
- Et toi Papy ? Tu as peur ?
- Non Mario ! Je ne vais pas manquer de dignité à ce point ! La peur vois-tu, c’est la fin de la liberté de penser. Et lorsque je pense – j’existe.
- Tu veux dire que lorsqu’on ne pense pas, on est juste une machine ?
- Oui, le flux a transformé l’humanité en armée de robots, ne laissant qu’à une petite minorité, le choix de créer ses compléments de programme. Mais viendra le temps où le Flux estimera que vous ne luis servirez plus à rien. Oh, il est 14h00, ils arrivent !

Le bruit familier de la sonnette raisonna dans leur salle à manger. Anna ouvra en souriant aux 2 hommes élégants qui se tenaient sur le bord. Derrière eux, une voiture blindée, toute blanche, pour tenter de chasser l’idée de la mort, était ouverte. On voyait très nettement que la partie passager était séparée de la partie conducteur par une vitre fine.

Jean-Pierre connaissait la suite, il avait hélas fait partie des ingénieurs qui l’avaient mis au point. Les portières se refermeraient sur lui et il partirait en faisant un dernier signe à sa famille. Puis les joints étanches se dilateraient, transformant son habitacle en cocon tout à fait clos. Avant même qu’il ait pu imaginer quoi que ce soit, un gaz incolore, inodore, l’endormirait, puis le tuerait, de telle sorte qu’à l’arrivée, il n’y aurait qu’à descendre un cadavre à envoyer à l’incinération.

Jean-Pierre embrassa Mario, puis Anna, qui versait tout de même quelques larmes en pensant à son avenir à elle et à son statut dans la maison, et il monta en refermant lui-même la portière. Le deuxième homme, qui surveillait l’opération, tandis que le premier surveillait l’entourage, se détourna, tranquillisé par cette conduite en acceptation.

Jean-Pierre sortit calmement un très vieux pistolet de son blouson, il l’arma, puis tira 4 balles d’un calibre de 9 mm.

La première lui permit de ré ouvrir la portière auto-bloquante

La seconde et la troisième furent pour les 2 croque-morts qui n’eurent que le temps de jeter un regard interrogateur

La quatrième fut pour le petit boitier-relai à l’entrée de la maison et qui relayait les ondes ultra courtes du flux.

Puis il saisit la main de Mario et  lui hurla de venir avec lui en l’entraînant dans la voiture. A peine assis, il désengagea la conduite automatique et brisa le point métallique qui marquait l’emplacement de l’antenne de contrôle. Mario se taisait, cela faisait longtemps qui lisait les livres de papy et qu’il se doutait bien que tout ne pouvait pas se finir comme ça – que papy, le résistant de la première heure, n’allait pas se laisser tuer comme un robot que l’on met à la retraite.

Ils firent à peine 2 kilomètres et Jean-Pierre se gara dans un bois dense avant d’ordonner à Mario de sortir.

- Viens, on continue autrement.
- Mais Papy, ils vont nous chercher.
- Oui, j’y compte bien, tu dois avaler ça, et moi aussi, c’est un somnifère puissant, nous allons nous cacher dans une vieille cave qui date d’il y a 2 siècles et grâce au somnifère le Flux ne pourra pas accéder à nos données. Des amis vont venir nous chercher. Nous n’avons que 15 minutes avant que le Flux reprenne 100 % le contrôle de la zone.

Le vieil homme et son petit fils dégagèrent un coin d’orties et de ronces et Jean-Pierre souleva une plaque métallique rouillée

- C’est ici, il y a des lits, dans moins de 3 minutes nous allons dormir
- Et qui va venir ?
- Des amis. Des survivants de la zone libre.
- Il existe une zone libre ?

Oui Mario, il existera toujours une zone libre."



Source : http://survivreauchaos.blogspot.com/2020/09/paix-sur-le-monde.html
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