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Palingenius : La prière et l'incantation

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Palingenius : La prière et l'incantation  Empty Palingenius : La prière et l'incantation

Message par Ligeia Lun 14 Sep - 9:19

LA PRIÈRE ET L’INCANTATION


La Gnose, janvier 1911


Dans une précédente étude (La Religion et les religions, 1 ère année, n° 10), nous avons dit que les religions ne sont que des déviations de la Religion primordiale, des déformations de la Doctrine traditionnelle, et que, par le mélange à celle-ci de considérations d’ordre moral et social, elles ont établi une déplorable confusion entre le domaine métaphysique et le domaine sentimental, et finalement donné à celui-ci la prépondérance, tout en conservant des prétentions doctrinales que rien ne justifie plus. Comme le sentiment est chose essentiellement relative et individuelle (voir L’erreur métaphysique des religions à forme sentimentale, par Matgioi, 1 ère année, n° 9), il en résulte que les religions sont des particularisations de la Doctrine, par rapport à laquelle elles constituent des hérésies à divers degrés, puisqu’elles s’écartent toutes plus ou moins de l’Universalisme (on pourrait dire du Catholicisme, si ce mot avait conservé son sens étymologique, au lieu de prendre, lui aussi, la signification spéciale qu’on lui connaît).

Nous disons des hérésies à divers degrés, car on peut être hérétique de bien des façons et pour des raisons multiples ; mais, toujours, les opinions hétérodoxes procèdent d’une tendance de plus en plus accentuée au particularisme, à l’individualisme (1), substituant la diversité des croyances illusoires à l’unité de la certitude fondée sur la Connaissance métaphysique, seule admise par l’orthodoxie. Pour cette dernière, l’infaillibilité n’appartient qu’à la seule doctrine, universelle et impersonnelle, qui ne s’incarne jamais dans un homme, et n’est représentée que par de purs symboles ; elle ne peut à aucun titre être attribuée à des individus, et les hommes n’y participent qu’en tant qu’ils parlent au nom de la Doctrine ; mais les religions, méconnaissant celle-ci, ont prétendu revêtir une individualité du caractère infaillible, puis, après avoir confondu l’autorité spirituelle avec le Pouvoir matériel, elles ont été jusqu’à accorder la première à tous les hommes indistinctement et au même degré (2).

1 Il est bien entendu qu’il ne s’agit ici de l’individualisme qu’au point de vue doctrinal, et nullement au point de vue social ; les deux domaines doivent, comme toujours, rester profondément séparés.
2 Ainsi, l’anarchie, alors même qu’elle se présente comme une réaction contre l’absolutisme, n’est pourtant, au point de vue intellectuel, qu’un produit des mêmes erreurs poussées jusqu’à leurs conséquences extrêmes ; on pourrait en dire autant du matérialisme envisagé par rapport au mysticisme, auquel il prétend s’opposer, tandis qu’en réalité il n’en est souvent qu’une simple transposition.


En même temps, les Livres sacrés ont été traduits dans les langues vulgaires, et ces traductions, devenant d’autant plus fausses qu’elles s’éloignent davantage du texte primitif, aboutissent, par l’anthropomorphisme (conception tout individualiste), au matérialisme et à la négation de l’ésotérisme, c’est-à-dire de la vraie Religion.

Mais le caractère le plus important peut-être, celui que l’on découvre à l’origine et au fond de toutes les religions, c’est le sentimentalisme, dont l’exagération constitue ce qu’on appelle habituellement le mysticisme ; c’est pourquoi on ne saurait trop protester contre cette tendance, aussi dangereuse, quoique d’une autre façon, que la mentalité des critiques et des exégètes modernes (laquelle résulte de la défiguration profane des Ecritures traditionnelles, dont on n’a plus laissé subsister que la lettre matérielle et grossière).
C’est le sentimentalisme que nous trouvons, en particulier, joint d’ailleurs à l’anthropomorphisme dont il ne se sépare guère, comme point de départ de la prière telle qu’elle est comprise dans les religions exotériques : sans doute, il est tout naturel que les hommes cherchent à obtenir, s’il est possible, certaines faveurs individuelles, tant matérielles que morales ; mais ce qui l’est beaucoup moins, c’est que, au lieu de s’adresser pour cela à des institutions sociales, ils aillent demander ces faveurs à des entités extra-terrestres.

Ceci nécessite quelques explications, et nous devons surtout, sur ce point, établir une distinction très nette entre la prière et ce que nous appellerons l’incantation, employant ce terme à défaut d’un autre plus précis, et nous réservant de le définir exactement plus loin. Nous devons exposer d’abord de quelle façon il nous est possible de comprendre la prière, et dans quelles conditions elle peut être admise par l’orthodoxie.

Considérons une collectivité quelconque, soit religieuse, soit simplement sociale : chaque membre de cette collectivité lui est lié dans une certaine mesure, déterminée par l’étendue de la sphère d’action de la collectivité, et, dans cette même mesure, il doit logiquement participer en retour à certains avantages, entièrement matériels dans quelques cas (tels que celui des nations actuelles, et des associations basées sur la solidarité pure et simple), mais qui peuvent aussi, dans d’autres cas, se rapporter à des modalités non matérielles de l’individu (consolations ou autres faveurs d’ordre sentimental, et même quelquefois d’un ordre plus élevé, comme nous le verrons par la suite), ou, tout en étant matériels, s’obtenir par des moyens en apparence immatériels (l’obtention d’une guérison par la prière est un exemple de ce dernier cas). Nous parlons des modalités de l’individu seulement, car ces avantages ne peuvent jamais dépasser le domaine individuel, le seul qu’atteignent les collectivités, quel que soit leur caractère, qui ne se consacrent pas exclusivement à l’enseignement de la Doctrine pure, et qui se préoccupent des contingences et des applications spéciales présentant un intérêt pratique à un point de vue quelconque.

On peut donc regarder chaque collectivité comme disposant, en outre des moyens d’action purement matériels au sens ordinaire du mot, d’une force constituée par les apports de tous ses membres passés et présents, et qui, par conséquent, est d’autant plus considérable que la collectivité est plus ancienne et se compose d’un plus grand nombre de membres. Chacun de ceux-ci pourra, lorsqu’il en aura besoin, utiliser à son profit une partie de cette force, et il lui suffira pour cela de mettre son individualité en harmonie avec l’ensemble de la collectivité dont il fait partie, résultat  qu’il obtiendra en observant les rites, c’est-à-dire les règles établies par celle-ci et appropriées aux diverses circonstances qui peuvent se présenter. Donc, si l’individu formule alors une demande, il l’adressera à l’esprit de la collectivité, qu’on peut appeler, si l’on veut, son dieu ou son entité suprême, mais à la condition de ne pas regarder ces mots comme désignant un être qui existerait indépendamment et en dehors de la collectivité elle-même.

Parfois, la force dont nous venons de parler peut se concentrer en un lieu et sur un symbole déterminés, et y produire des manifestations sensibles, comme celles que rapporte la Bible hébraïque au sujet du Temple de Jérusalem et de l’Arche d’Alliance, qui jouèrent ce rôle pour le peuple d’Israël. C’est aussi cette force qui, à des époques plus récentes, et de nos jours encore, est la cause des prétendus miracles des religions, car ce sont là des faits qu’il est ridicule de chercher à nier contre toute évidence, comme beaucoup le font, alors qu’il est facile de les expliquer d’une façon toute naturelle, par l’action de cette force collective (3).
Ajoutons que l’on peut créer des circonstances particulièrement favorables à cette action, que provoqueront, pour ainsi dire à leur gré, ceux qui sont les dispensateurs de cette force, s’ils en connaissent les lois et s’ils savent la manier, de la même façon que le physicien ou le chimiste manient d’autres forces, en se conformant aux lois respectives de chacune d’elles. Il importe de remarquer qu’il ne s’agit ici que de phénomènes purement physiques, perceptibles par un ou plusieurs des cinq sens ordinaires ; de tels phénomènes sont d’ailleurs les seuls qui puissent être constatés par la masse du peuple ou des croyants, dont la compréhension ne s’étend pas au-delà des limites de l’individualité corporelle.

Les avantages obtenus par la prière et la pratique des rites d’une collectivité sociale ou religieuse (rites n’ayant aucun caractère initiatique) sont essentiellement relatifs, mais ne sont nullement négligeables pour l’individu ; celui-ci aurait donc tort de s’en priver volontairement, s’il appartient à quelque groupement capable de les lui procurer. Ainsi, il n’est nullement blâmable, même pour celui qui est autre chose qu’un simple croyant, de se conformer, dans un but intéressé (puisque individuel), et en dehors de toute considération doctrinale, aux prescriptions d’une religion quelconque, pourvu qu’il ne leur attribue que leur juste importance. Dans ces conditions, la prière, adressée à l’entité collective, est parfaitement licite, même au regard de la plus rigoureuse orthodoxie ; mais elle ne l’est plus lorsque, comme c’est le cas le plus fréquent, celui qui prie croit s’adresser à un être extérieur et possédant une existence indépendante, car la prière devient alors un acte de superstition.

3 Il est bien entendu que les faits dits miraculeux ne peuvent en aucune façon être contraires aux lois naturelles ; la définition ordinaire du miracle, impliquant cette contradiction, est une absurdité.

Les indications qui précèdent feront mieux comprendre ce que nous dirons maintenant au sujet de l’incantation ; mais, tout d’abord, nous devons faire remarquer que ce que nous appelons ainsi n’a rien de commun avec les pratiques magiques auxquelles on donne parfois le même nom, car ce qui constitue en réalité un acte magique, c’est, dans les conditions que nous avons dites, la prière ou l’accomplissement d’autres rites équivalents.

L’incantation dont nous parlons, au contraire, n’est point une demande, et ne suppose l’existence d’aucune chose extérieure, parce que l’extériorité ne peut se comprendre que par rapport à l’individu ; elle est une aspiration de l’être vers l’Universel, dans le but d’obtenir ce que nous pourrions appeler, dans un langage quelque peu théologique, une grâce spirituelle, c’est-à-dire une illumination intérieure, qui sera plus ou moins complète suivant les cas. Si nous employons ce terme d’incantation, c’est parce qu’il est celui qui traduit le moins improprement l’idée exprimée par le mot sanscrit mantra, qui n’a pas d’équivalent exact dans les langues occidentales. Par contre, il n’y a en sanscrit, non plus que dans la plupart des autres langues orientales, aucun mot répondant à l’idée de prière, et cela est facile à comprendre, puisque, là où les religions n’existent pas, l’obtention des avantages individuels, même à l’aide de certains rites appropriés, ne relève que des institutions sociales.

L’incantation, que nous avons définie comme tout intérieure en principe, peut cependant, dans un grand nombre de cas, être exprimée extérieurement par des paroles ou des gestes, constituant certains rites initiatiques, et que l’on doit considérer comme déterminant des vibrations qui ont une répercussion à travers un domaine plus ou moins étendu dans la série indéfinie des états de l’être. Le résultat obtenu peut, comme nous l’avons déjà dit, être plus ou moins complet ; mais le but final à atteindre est la réalisation en soi de l’Homme Universel, par la communion parfaite de la totalité des états de l’être, harmoniquement et conformément hiérarchisés, en épanouissement intégral dans les deux sens de l’ampleur et de l’exaltation (4).

Ceci nous amène à établir une autre distinction, en considérant les divers degrés auxquels on peut parvenir suivant l’étendue du résultat obtenu en tendant vers ce but, et que l’on pourrait considérer en quelque sorte comme autant de degrés initiatiques. Et tout d’abord, au bas et en dehors de cette hiérarchie, il faut mettre la foule des profanes, c’est-à-dire de tous ceux qui, comme les simples croyants des religions, ne peuvent obtenir de résultats que par rapport à leur individualité corporelle, et dans les limites de cette portion d’individualité, puisque leur conscience ne va ni plus loin ni plus haut que le domaine renfermé dans ces limites restreintes.

4 Cette phrase contient l’expression de la signification ésotérique du signe de la croix, symbole de ce double épanouissement de l’être, horizontalement, dans l’ampleur ou l’extension de l’individualité intégrale (développement indéfini d’une possibilité particulière, qui n’est pas limitée à la partie corporelle de l’individualité), et verticalement, dans la hiérarchie indéfinie des états multiples (correspondant à l’indéfinité des possibilités particulières comprises dans l’Homme Universel). – Ceci montre en même temps comment doit être comprise dans son principe la Communion, qui est un rite éminemment initiatique, et dont la figuration symbolique elle-même n’a pu perdre ce caractère que par suite d’une regrettable confusion qu’ont commise les religions exotériques, et qui constitue à proprement parler une profanation.

Pourtant, parmi les croyants, il en est, en petit nombre d’ailleurs, qui acquièrent quelque chose de plus (et c’est là le cas de quelques mystiques, que l’on pourrait considérer comme plus intellectuels que les autres) : sans sortir de leur individualité corporelle, ils perçoivent indirectement certaines réalités d’ordre supérieur, non pas telles qu’elles sont en elles-mêmes, mais traduites symboliquement et sous forme sensible.
Ce sont encore là des phénomènes (c’est•à-dire des apparences, relatives et illusoires en tant que formelles), mais des phénomènes hyperphysiques, qui ne sont pas constatables pour tous, et qui entraînent parfois chez ceux qui les perçoivent quelques certitudes, toujours incomplètes, mais pourtant supérieures à la croyance pure et simple à laquelle elles se substituent. Ce résultat, que l’on peut appeler une initiation symbolique au sens propre du terme (pour la distinguer de l’initiation réelle et effective dont nous allons parler), s’obtient passivement, c’est-à-dire sans intervention de la volonté, et par les moyens ordinaires qu’indiquent les religions, en particulier par la prière et l’accomplissement des œuvres prescrites (5).

À un degré plus élevé se placent ceux qui, ayant étendu leur conscience jusqu’aux limites extrêmes de l’individualité intégrale, arrivent à percevoir directement les états supérieurs de leur être, mais sans y participer effectivement ; c’est la une initiation réelle, mais encore toute théorique, puisqu’elle n’aboutit pas à la possession de ces états supérieurs. Elle produit des certitudes plus complètes et plus développées que la précédente, car elle n’appartient plus au domaine phénoménique ; mais, ici encore, ces certitudes ne sont reçues qu’au gré des circonstances, et non par un effet de la volonté consciente de celui qui les acquiert. Celui-ci peut donc être comparé à un homme qui ne connaît la lumière que par les rayons qui parviennent jusqu’à lui (dans le cas précédent, il ne la connaissait que par des reflets, ou des ombres projetées dans le champ de sa conscience individuelle restreinte, comme les prisonniers de la caverne symbolique de Platon), tandis que, pour connaître parfaitement la lumière dans sa « réalité intime », il faut remonter jusqu’à sa source, et s’identifier avec cette source même.

Ce dernier cas est celui qui correspond à la plénitude de l’initiation réelle et effective, c’est-à-dire à la prise de possession consciente et volontaire de la totalité des états de l’être, selon les deux sens que nous avons indiqués. C’est là le résultat complet et final de l’incantation, bien différent, comme l’on voit, de tous ceux que les mystiques peuvent atteindre par la prière, car il n’est pas autre chose que la compréhension et la certitude parfaites, impliquant la Connaissance métaphysique intégrale. Le Yogi véritable est celui qui est parvenu à ce degré suprême, et qui a ainsi réalisé dans son être la totale possibilité de l’Homme Universel.

5 En sanscrit, on donne le nom de Bhakti-Yoga à une forme inférieure et incomplète de Yoga, qui se réalise, soit par les œuvres (karma), soit par tout autre moyen d’acquérir des mérites, c’est-à-dire de réaliser un développement individuel. Bien que ne pouvant dépasser le domaine de l’individualité, cette réalisation est quelque chose de plus que celle dont nous venons de parler, car elle s’étend à l’individualité intégrale, et non plus seulement à l’individualité corporelle ; mais elle ne peut jamais être équivalente à la communion totale dans l’Universel, qui est la Râdja-Yoga.



***********

Dans son ouvrage "Aperçus sur l'initiation", Guénon reprendra ce texte en complétant certaines parties :


"Tout d’abord, pour indiquer de quelle façon on peut comprendre la prière, considérons une collectivité quelconque, soit religieuse, soit simplement « sociale » au sens le plus extérieur, voire même au sens entièrement profane ou ce mot est pris le plus habituellement à notre époque (1) : chaque membre de cette collectivité lui est lié dans une certaine mesure, déterminée par l’étendue de la sphère d’action de la collectivité dont il s’agit, et, dans cette même mesure, il doit logiquement participer en retour à certains avantages, uniquement matériels dans certains cas (tels que celui des nations actuelles, par exemple, ou des multiples genres d’associations basées sur une pure et simple solidarité d’intérêts, et il va de soi que ces cas sont proprement, d’une façon générale, ceux où l’on a affaire à des organisations toutes profanes), mais qui peuvent aussi, dans d’autres cas, se rapporter à des modalités extra-corporelles de l’individu, c’est-à-dire à ce qu’on peut, dans son ensemble, appeler le domaine psychique (consolations ou autres faveurs d’ordre sentimental, et même quelquefois d’un ordre plus élevé), ou encore, tout en étant matériels, s’obtenir par des moyens en apparence immatériels, disons plus précisément par l’intervention d’éléments n’appartenant pas à l’ordre corporel, mais agissant néanmoins directement sur celui-ci (l’obtention d’une guérison par la prière est un exemple particulièrement net de ce dernier cas).

1 Bien entendu, la constatation de l’existence de fait d’organisations sociales purement profanes, c’est-à-dire dépourvues de tout élément présentant un caractère traditionnel, n’implique en aucune façon la reconnaissance de leur légitimité.

En tout cela, nous parlons des modalités de l’individu seulement, car ces avantages ne peuvent jamais dépasser le domaine individuel, le seul qu’atteignent en fait les collectivités quel que soit leur caractère, qui ne constituent pas des organisations initiatiques (ces dernières étant, comme nous l’avons déjà expliqué précédemment, les seules qui aient expressément pour but d’aller au delà de ce domaine), et qui se préoccupent des contingences et des applications spéciales présentant un intérêt pratique à un point de vue quelconque, et non pas seulement, bien entendu, au sens le plus grossièrement « utilitaire », auquel ne se limitent que les organisations purement profanes, dont le champ d’action ne saurait s’étendre plus loin que le domaine corporel.

On peut donc regarder chaque collectivité comme disposant, en outre des moyens d’action purement matériels au sens ordinaire du mot, c’est-à-dire relevant uniquement de l’ordre corporel, d’une force d’ordre subtil constituée en quelque façon par les apports de tous ses membres passés et présents, et qui, par conséquent, est d’autant plus considérable et susceptible de produire des effets d’autant plus intenses que la collectivité est plus ancienne et se compose d’un plus grand nombre de membres (1) ; il est d’ailleurs évident que cette considération « quantitative » indique essentiellement qu’il s’agit bien du domaine individuel, au delà duquel elle ne saurait plus aucunement intervenir.

1 Ceci peut être vrai même pour des organisations profanes, mais il est évident que celles-ci ne peuvent en tout cas utiliser cette force qu’inconsciemment et pour des résultats d’ordre exclusivement corporel.

Chacun des membres pourra, lorsqu’il en aura besoin, utiliser à son profit une partie de cette force, et il lui suffira pour cela de mettre son individualité en harmonie avec l’ensemble de la collectivité dont il fait partie, résultat qu’il obtiendra en se conformant aux règles établies par celle-ci et appropriées aux diverses circonstances qui peuvent se présenter ; ainsi, si l’individu formule alors une demande, c’est en somme, de la façon la plus immédiate tout au moins, à ce qu’on pourrait appeler l’esprit de la collectivité (bien que le mot « esprit » soit assurément impropre en pareil cas, puisque, au fond, c’est seulement d’une entité psychique qu’il s’agit) que, consciemment ou non, il adressera cette demande.

Cependant, il convient d’ajouter que tout ne se réduit pas uniquement à cela dans tous les cas : dans celui des collectivités appartenant ai une forme traditionnelle authentique et régulière, cas qui est notamment celui des collectivités religieuses, et où l’observation des règles dont nous venons de parler consiste plus particulièrement dans l’accomplissement de certains rites, il y a en outre intervention d’un élément véritablement « non-humain », c’est-à-dire de ce que nous avons appelé proprement une influence spirituelle, mais qui doit d’ailleurs être regardée ici comme « descendant » dans le domaine individuel, et comme y exerçant son action par le moyen de la force collective dans laquelle elle prend son point d’appui (1).

Parfois, la force dont nous venons de parler, ou plus exactement la synthèse de l’influence spirituelle avec cette force collective à laquelle elle s’« incorpore » pour ainsi dire, peut se concentrer sur un « support » d’ordre corporel, tel qu’un lieu ou un objet déterminé, qui joue le rôle d’un véritable « condensateur » (2), et y produire des manifestations sensibles, comme celles que rapporte la Bible hébraïque au sujet de l’Arche d’Alliance et du Temple de Salomon ; on pourrait aussi citer ici comme exemples, à un degré ou à un autre, les lieux de pèlerinage, les tombeaux et les reliques des saints ou d’autres personnages vénérés par les adhérents de telle ou telle forma- traditionnelle.

C’est là que réside la cause principale des « miracles » qui se produisent dans les diverses religions, car ce sont là des faits dont l’existence est incontestable et ne se limite point à une religion déterminée ; il va sans dire, d’ailleurs, que, en dépit de l’idée qu’on s’en fait vulgairement, ces faits ne doivent pas être considérés comme contraires aux lois naturelles, pas plus que, à un autre point de vue, le « supra-rationnel » ne doit être pris pour de l’« irrationnel ».
En réalité, redisons-le encore, les influences spirituelles ont aussi leurs lois, qui, bien que d’un autre ordre que celles des forces naturelles (tant psychiques que corporelles), ne sont pas sans présenter avec elles certaines analogies ; aussi est-il possible de déterminer des circonstances particulièrement favorables à leur action, que pourront ainsi provoquer et diriger, s’ils possèdent les connaissances nécessaires à cet effet, ceux qui en sont les dispensateurs en raison des fonctions dont ils sont investis dans une organisation traditionnelle.
Il importe de remarquer que les « miracles » dont il s’agit ici sont, en eux-mêmes et indépendamment de leur cause qui seule a un caractère « transcendant », des phénomènes purement physiques, perceptibles comme tels par un ou plusieurs des cinq sens externes ; de tels phénomènes sont d’ailleurs les seuls qui puissent être constatés généralement et indistinctement par toute la masse du peuple ou des « croyants » ordinaires, dont la compréhension effective ne s’étend pas au delà des limites de la modalité corporelle de l’individualité.

Les avantages qui peuvent être obtenus par la prière et par la pratique des rites d’une collectivité sociale ou religieuse (rites communs à tous ses membres sans exception, donc d’ordre purement exotérique et n’ayant évidemment aucun caractère initiatique, et en tant qu’ils ne sont pas considérés par ailleurs comme pouvant servir de base à une « réalisation » spirituelle) sont essentiellement relatifs et contingents, mais ne sont pourtant nullement négligeables pour l’individu, qui, comme tel, est lui-même relatif et contingent ; celui-ci aurait donc tort de s’en priver volontairement, s’il est rattaché à quelque organisation capable de les lui procurer.

1 On peut remarquer que, dans la doctrine chrétienne, le rôle de l’influence spirituelle correspond à l’action de la « grâce », et celui de la force collective à la « communion des saints ».
2 En pareil cas, il y a là une constitution comparable à celle d’un être vivant complet, avec un « corps » qui est le « support » dont il s’agit, une « âme » qui est la force collective, et un « esprit » qui est naturellement l’influence spirituelle agissant extérieurement par le moyen des deux autres éléments.


Ainsi, dès lors qu’il faut bien tenir compte de la nature de l’être humain telle qu’elle est en fait, dans l’ordre de réalité auquel elle appartient, il n’est nullement blâmable, même pour celui qui est autre chose qu’un simple « croyant » (en faisant ici entre la « croyance » et la « connaissance »une distinction qui correspond en somme à celle de l’exotérisme et de l’ésotérisme), de se conformer, dans un but intéressé, par là même qu’il est individuel, et en dehors du toute considération proprement doctrinale, aux prescriptions extérieures d’une religion ou d’une législation traditionnelle, pourvu qu’il n’attribue à ce qu’il en attend ainsi que sa juste importance et la place qui lui revient légitimement, et pourvu aussi que la collectivité n’y mette pas des conditions, qui, bien que communément admissibles, constitueraient une véritable impossibilité de fait dans ce cas particulier ; sous ces seules réserves, la prière, qu’elle soit adressée à l’entité collective ou, par son intermédiaire, à l’influence spirituelle qui agit à travers elle, est parfaitement licite, même au regard de l’orthodoxie la plus rigoureuse dans le domaine de la pure doctrine (1).

1 Il est bien entendu que « prière » n’est aucunement synonyme d’« adoration » ; on peut fort bien demander des bienfaits à quelqu’un sans le « diviniser » pour cela en aucune façon."
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Message par Ligeia Lun 14 Sep - 9:31

Note :

Afin d'éviter toute interprétation hâtive et erronée de la part de ceux qui se prétendent "au-delà des religions" sans aucune légitimité, je renvoie aussi à ce texte :

"Guénon - Nécessité de l'exotérisme traditionnel"

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