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Message par Ligeia Dim 16 Fév - 12:02

Chapitre XXI - Sur la signification des fêtes « carnavalesques »

Egalement publié dans les Études Traditionnelles, décembre 1945.

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À propos d’une certaine « théorie de la fête » formulée par un sociologue, nous avons signalé (1) que cette théorie avait, entre autres défauts, celui de vouloir réduire toutes les fêtes à un seul type, qui constitue ce qu’on peut appeler les fêtes « carnavalesques », expression qui nous paraît assez claire pour être facilement comprise de tout le monde, puisque le carnaval représente effectivement ce qui en subsiste encore aujourd’hui en Occident ; et nous disions alors qu’il se pose, au sujet de ce genre de fêtes, des questions qui méritent un examen plus approfondi.
En effet, l’impression qui s’en dégage est toujours, et avant tout, une impression de « désordre » au sens le plus complet de ce mot ; comment donc se fait-il que l’on constate leur existence, non pas seulement à une époque comme la nôtre, où l’on pourrait en somme, si elles lui appartenaient en propre, les considérer tout simplement comme une des nombreuses manifestations du déséquilibre général, mais aussi, et même avec un bien plus grand développement, dans des civilisations traditionnelles avec lesquelles elles semblent incompatibles au premier abord ?

Il n’est pas inutile de citer ici quelques exemples précis, et nous mentionnerons tout d’abord, à cet égard, certaines fêtes d’un caractère vraiment étrange qui se célébraient au moyen âge : la « fête de l’âne », où cet animal, dont le symbolisme proprement « satanique » est bien connu dans toutes les traditions (2) , était introduit jusque dans le chœur même de l’église, où il occupait la place d’honneur et recevait les plus extraordinaires marques de vénération ; et la « fête des fous », où le bas clergé se livrait aux pires inconvenances, parodiant à la fois la hiérarchie ecclésiastique et la liturgie elle-même (3).

1 Voir Études Traditionnelles, avril 1940, p. 169.
2 Ce serait une erreur que de vouloir opposer à ceci le rôle joué par l’âne dans la tradition évangélique, car, en réalité, le bœuf et l’âne, placés de part et d’autre de la crèche à la naissance du Christ, symbolisent respectivement l’ensemble des forces bénéfiques et celui des forces maléfiques ; ils se retrouvent d’ailleurs, à la crucifixion, sous la forme du bon et du mauvais larron. D’autre part, le Christ monté sur un âne, à son entrée à Jérusalem, représente le triomphe sur les forces maléfiques, triomphe dont la réalisation constitue proprement la « rédemption ».
3 Ces « fous » portaient d’ailleurs une coiffure à longues oreilles, manifestement destinée à évoquer l’idée d’une tête d’âne, et ce trait n’est pas le moins significatif au point de vue où nous nous plaçons.


Comment est-il possible d’expliquer que de pareilles choses, dont le caractère le plus évident est incontestablement un caractère de parodie et même de sacrilège (4), aient pu, à une époque comme celle-là, être non seulement tolérées, mais même admise en quelque sorte officiellement ?

Nous mentionnerons aussi les saturnales des anciens Romains dont le carnaval moderne paraît d’ailleurs être dérivé directement, bien qu’il n’en soit plus, à vrai dire, qu’un vestige très amoindri : pendant ces fêtes, les esclaves commandaient aux maîtres et ceux-ci les servaient (5) ; on avait alors l’image d’un véritable « monde renversé », où tout se faisait au rebours de l’ordre normal (6).
Bien qu’on prétende communément qu’il y avait dans ces fêtes un rappel de l’« âge d’or », cette interprétation est manifestement fausse, car il ne s’agit pas là d’un sorte d’« égalité » qui pourrait à la rigueur être regardée comme représentant, dans la mesure où le permettent les conditions présentes (7), l’indifférenciation première des fonctions sociales ; il s’agit d’un renversement des rapports hiérarchiques, ce qui est tout à fait différent, et un tel renversement constitue, d’une façon générale, un des caractères les plus nets du « satanisme ». Il faut donc y voir bien plutôt quelque chose qui se rapporte à l’aspect « sinistre » de Saturne, aspect qui ne lui appartient certes pas en tant que dieu de l’« âge d’or », mais au contraire en tant qu’il n’est plus actuellement que le dieu déchu d’une période révolue (8 ).

On voit par ces exemples qu’il y a invariablement, dans les fêtes de ce genre, un élément « sinistre » et même « satanique », et, ce qui est tout particulièrement à noter, c’est que c’est précisément cet élément même qui plaît au vulgaire et excite sa gaieté : c’est là, en effet, quelque chose qui est très propre, et plus même que quoi que ce soit d’autre, à donner satisfaction aux tendances de l’« homme déchu », en tant que ces tendances le poussent à développer surtout les possibilités les plus inférieures de son être.


4 L’auteur de la théorie à laquelle nous avons fait allusion reconnaît bien l’existence de cette parodie et de ce sacrilège, mais, les rapportant à sa conception de la « fête » en général, il prétend en faire des éléments caractéristiques du « sacré » lui-même, ce qui n’est pas seulement un paradoxe un peu fort, mais, il faut le dire nettement, une contradiction pure et simple.
5 On rencontre même, en des pays très divers, des cas de fêtes du même genre où on allait jusqu’à conférer temporairement à un esclave ou à un criminel les insignes de la royauté, avec tout pouvoir qu’ils comportent, quitte à le mettre à mort lorsque la fête était terminée.
6 Le même auteur parle aussi, à ce propos, d’« actes à rebours » et même de « retour au chaos », ce qui contient au moins une part de vérité, mais, par une étonnante confusion d’idées, il veut assimiler ce chaos à l’« âge d’or ».
7 Nous voulons dire les conditions du Kali-Yuga ou de l’« âge de fer » dont l’époque romaine fait partie aussi bien que la nôtre.
8 Que les anciens dieux deviennent d’une certaine façon des démons, c’est là un fait assez généralement constaté, et dont l’attitude des chrétiens à l’égard des dieux du « paganisme » n’est qu’un simple cas particulier, mais qui semble n’avoir jamais été expliqué comme il conviendrait ; nous ne pouvons d’ailleurs insister ici sur ce point, qui nous entraînerait hors de notre sujet. Il est bien entendu que ceci, qui se réfère uniquement à certaines conditions cycliques, n’affecte ou ne modifie en rien le caractère essentiel de ces mêmes dieux en tant qu’ils symbolisent intemporellement des principes d’ordre supra-humain de sorte que, à côté de cet aspect maléfique accidentel, l’aspect bénéfique subsiste toujours malgré tout, et alors même qu’il est le plus complètement méconnu des « gens du dehors » ; l’interprétation astrologique de Saturne pourrait fournir un exemple très net à cet égard.


Or, c’est justement en cela que réside la véritable raison d’être des fêtes en question : il s’agit en somme de « canaliser » en quelque sorte ces tendances et de les rendre aussi inoffensives qu’il se peut, en leur donnant l’occasion de se manifester, mais seulement pendant des périodes très brèves et dans des circonstances bien déterminées, et en assignant ainsi à cette manifestation des limites étroites qu’il ne lui est pas permis de dépasser (9). S’il n’en était pas ainsi, ces mêmes tendances, faute de recevoir le minimum de satisfaction exigé par l’état actuel de l’humanité, risqueraient de faire explosion, si l’on peut dire (10) et d’étendre leurs effets à l’existence tout entière, collectivement aussi bien qu’individuellement, causant un désordre bien autrement grave que celui qui se produit seulement pendant quelques jours spécialement réservés à cette fin, et qui est d’ailleurs d’autant moins redoutable qu’il se trouve comme « régularisé » par là même, car, d’un côté, ces jours sont comme mis en dehors du cours normal des choses, de façon à n’exercer sur celui-ci aucune influence appréciable, et cependant, d’un autre côté, le fait qu’il n’y a là rien d’imprévu « normalise » en quelque sorte le désordre lui-même et l’intègre dans l’ordre total.

Outre cette explication générale, qui est parfaitement évidente quand on veut bien y réfléchir, il y a quelques remarques utiles à faire, en ce qui concerne plus particulièrement les « mascarades », qui jouent un rôle important dans le carnaval proprement dit et dans d’autres fêtes plus ou moins similaires ; et ces remarques confirmeront encore ce que nous venons de dire. En effet, les masques de carnaval sont généralement hideux et évoquent le plus souvent des formes animales ou démoniaques, de sorte qu’ils sont comme une sorte de « matérialisation » figurative de ces tendances inférieures, voire même « infernales », auxquelles il est alors permis de s’extérioriser. Du reste, chacun choisira tout naturellement parmi ces masques, sans même en avoir clairement conscience, celui qui lui convient le mieux, c’est-à-dire celui qui représente ce qui est le plus conforme à ses propres tendances de cet ordre, si bien qu’on pourrait dire que le masque, qui est censé cacher le véritable visage de l’individu, fait au contraire apparaître aux yeux de tous ce que celui-ci porte réellement en lui-même, mais qu’il doit habituellement dissimuler.
Il est bon de noter, car cela en précise davantage encore le caractère, qu’il y a là comme une parodie du « retournement » qui, ainsi que nous l’avons expliqué ailleurs (11), se produit à un certain degré du développement initiatique ; parodie, disons-nous, et contrefaçon vraiment « satanique », car ici ce « retournement » est une extériorisation, non plus de la spiritualité, mais, tout au contraire des possibilités inférieures de l’être (12).

9 Ceci est un rapport avec la question de l’« encadrement » symbolique, sur laquelle nous nous proposons de revenir [voir ch. LXVI].
10 À la fin du moyen âge, lorsque les fêtes grotesques dont nous avons parlé furent supprimées ou tombèrent en désuétude, il se produisit une expansion de la sorcellerie sans aucune proportion avec ce qu’on avait vu dans les siècles précédents ; ces deux faits ont entre eux un rapport assez direct, bien que généralement inaperçu, ce qui est d’ailleurs d’autant plus étonnant qu’il y a quelques ressemblances assez frappantes entre de telles fêtes et le sabbat des sorciers, où tout se faisait aussi « à rebours ».
11 Voir L’Esprit est-il dans le corps ou le corps dans l’esprit ? [Initiation et réalisation spirituelle, ch. XXX.]
12 Il y avait aussi, dans certaines civilisations traditionnelles, des périodes spéciales où, pour des raisons analogues, on permettait aux « influences errantes » de se manifester librement, en prenant d’ailleurs toutes les précautions nécessaires en pareil cas ; ces influences correspondent naturellement, dans l’ordre cosmique, à ce qu’est le psychisme inférieur dans l’être humain, et par suite, entre leur manifestation et celle des influences spirituelles, il y a le même rapport inverse qu’entre les deux sortes d’extériorisation que nous venons de mentionner ; au surplus, dans ces conditions, il n’est pas difficile de comprendre que la mascarade elle-même semble figurer en quelque sorte une apparition de « larves » ou de spectres malfaisants.



Pour terminer cet aperçu, nous ajouterons que, si les fêtes de cette sorte vont en s’amoindrissant de plus en plus et ne semblent même plus éveiller qu’à peine l’intérêt de la foule, c’est que, dans une époque comme la nôtre, elle ont véritablement perdu leur raison d’être (13) : comment, en effet, pourrait-il être encore question de « circonscrire » le désordre et de l’enfermer dans des limites rigoureusement définies, alors qu’il est répandu partout et se manifeste constamment dans tous les domaines où s’exerce l’activité humaine ?

Ainsi, la disparition presque complète de ces fêtes, dont on pourrait, si l’on s’en tenait aux apparences extérieures et à un point de vue simplement « esthétique », être tenté de se féliciter en raison de l’aspect de « laideur » qu’elles revêtent inévitablement, cette disparition, disons-nous, constitue au contraire, quand on va au fond des choses, un symptôme fort peu rassurant, puisqu’elle témoigne que le désordre a fait irruption dans tout le cours de l’existence et s’est généralisé à un tel point que nous vivons en réalité, pourrait-on dire, dans un sinistre « carnaval perpétuel ».

13 Cela revient à dire qu’elles ne sont plus, à proprement parler, que des « superstitions », au sens étymologique de ce mot.


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Message par ZUL69 Sam 22 Fév - 20:04

Article on ne peux plus juste.

Concernant l'âne, voir aussi le film "le rite" (diffusé sur la plateforme netflix qui multiplie les diffusions Twisted Evil ) où satan (pas de majuscule pour celui-là...) est représenté par le mulet.

ZUL69

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Symboles de la Science sacrée Empty Chapitre XXVII : Sayful-Islam

Message par Ligeia Ven 6 Mar - 11:12

Egalement publié dans les Cahiers du Sud, numéro spécial 1947 : L’Islam et l’Occident.

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On a coutume, dans le monde occidental, de considérer l’islamisme comme une tradition essentiellement guerrière et, par suite, lorsqu’il y est question notamment du sabre ou de l’épée (es-sayf), de prendre ce mot uniquement dans son sens le plus littéral, sans même penser jamais à se demander s’il n’y a pas là en réalité quelque chose d’autre.
Il n’est d’ailleurs pas contestable qu’un certain côté guerrier existe dans l’islamisme, et aussi que, loin de constituer un caractère particulier à celui-ci, il se retrouve tout aussi bien dans la plupart des autres traditions, y compris le christianisme.
Sans même rappeler que le Christ lui-même a dit : « Je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée (1) », ce qui peut en somme s’entendre figurativement, l’histoire de la Chrétienté au moyen âge, c’est-à-dire à l’époque où elle eut sa réalisation effective dans les institutions sociales, en fournit des preuves largement suffisantes ; et, d’autre part, la tradition hindoue elle-même, qui certes ne saurait passer pour spécialement guerrière, puisqu’on tend plutôt en général à lui reprocher de n’accorder que peu de place à l’action, contient pourtant aussi cet aspect, comme on peut s’en rendre compte en lisant la Bhagavad-Gîtâ.

1 Saint-Matthieu, X, 34. 135

À moins d’être aveuglé par certains préjugés, il est facile de comprendre qu’il en soit ainsi, car, dans le domaine social, la guerre, en tant qu’elle est dirigée contre ceux qui troublent l’ordre et qu’elle a pour but de les y ramener, constitue une fonction légitime, qui n’est au fond qu’un des aspects de la fonction de « justice » entendue dans son acception la plus générale.

Cependant, ce n’est là que le côté le plus extérieur des choses, donc le moins essentiel : au point de vue traditionnel, ce qui donne à la guerre ainsi comprise toute sa valeur, c’est qu’elle symbolise la lutte que l’homme doit mener contre les ennemis qu’il porte en lui-même, c’est-à-dire contre tous les éléments qui, en lui, son contraires à l’ordre et à l’unité. Dans les deux cas, du reste, et qu’il s’agisse de l’ordre extérieur et social ou de l’ordre intérieur et spirituel, la guerre doit toujours tendre également à établir l’équilibre et l’harmonie (et c’est pourquoi elle se rapporte proprement à la « justice »), et à unifier par là d’un certaine façon la multiplicité des éléments en opposition entre eux.
Cela revient à dire que son aboutissement normal, et qui est en définitive son unique raison d’être, c’est la paix (es-salâm), laquelle ne  peut être obtenue véritablement que par la soumission à la volonté divine (el-islâm), mettant chacun des éléments à sa place pour les faire tous concourir à la réalisation consciente d’un même plan ; et il est à peine besoin de faire remarquer combien, dans la langue arabe, ces deux termes, el-islâm et es-salâm, sont étroitement apparentés l’un à l’autre (2).

Dans la tradition islamique, ces deux sens de la guerre, ainsi que le rapport qu’ils ont réellement entre eux, sont exprimés aussi nettement que possible par un hadîth du prophète, prononcé au retour d’une expédition contre les ennemis extérieurs : « Nous sommes revenus de la petite guerre sainte à la grand guerre sainte » (Rajâna min el jihâdil-açghar ila ‘l-jihâdil-akbar).

2 Nous avons développé plus amplement ces considérations dans Le Symbolisme de la Croix, ch. VIII.

Si la guerre extérieure n’est ainsi que la « petite guerre sainte » (3), tandis que la guerre intérieure est la « grande guerre sainte », c’est donc que la première n’a qu’une importance secondaire vis-à-vis de la seconde, dont elle est seulement une image sensible ; il va de soi que, dans ces conditions, tout ce qui sert à la guerre extérieure peut être pris comme symbole de ce qui concerne la guerre intérieure (4), et que ce cas est notamment celui de l’épée.
Ceux qui méconnaissent cette signification, même s’il ignorent le hadîth que nous venons de citer, pourraient tout au moins remarquer à cet égard que, pendant la prédication, le khatîb, dont la fonction n’a manifestement rien de guerrier au sens ordinaire de ce mot, tient en main une épée, et que celle-ci, en pareil cas, ne peut être autre chose qu’un symbole, sans compter que, en fait, cette épée est habituellement en bois, ce qui la rend évidemment impropre à tout usage dans les combats extérieurs, et accentue par conséquent encore davantage ce caractère symbolique. L’épée de bois remonte d’ailleurs, dans le symbolisme traditionnel, à un passé fort lointain, car elle est, dans l’Inde, un des objets qui figuraient dans le sacrifice védique (5) ; cette épée (sphya), le poteau sacrificiel, le char (ou plus précisément l’essieu qui en est l’élément essentiel) et la flèche sont dits être nés du vajra ou foudre d’Indra :
« Quand Indra lança la foudre sur Vritra, celle-ci, ainsi lancée, devint quadruple… Les Brahmanes se servent de deux de ces quatre formes pendant le sacrifice, alors que les Kshatriyas se servent des deux autres dans la bataille (6)… Quand le sacrificateur brandit l’épée de bois, c’est la foudre qu’il lance contre l’ennemi (7)… »

3 Il est d’ailleurs bien entendu qu’elle ne l’est que lorsqu’elle est déterminée par des motifs d’ordre traditionnel ; toute autre guerre est harb et non pas jihâd.
4 Naturellement ceci ne serait plus vrai pour l’outillage des guerres modernes, ne serait-ce que du fait de son caractère « mécanique », qui est incompatible avec tout véritable symbolisme ; c’est pour une raison similaire que l’exercice des métiers mécaniques ne peut servir de base à un développement d’ordre spirituel.
5 Voir A. K. Coomaraswamy, Le Symbolisme de l’épée, dans les Études Traditionnelles, numéro de janvier 1938 ; nous empruntons à cet article la citation qui suit.
6 La fonction des Brahmanes et celle des Kshatriyas peuvent être ici rapportées respectivement à la guerre intérieure et à la guerre extérieure, ou, suivant la terminologie islamique, à la « grande guerre sainte » et à la « petite guerre sainte ».
7 Shatapatha Brâhmana, 1, 2, 4. 136


Le rapport de cette épée avec le vajra est à noter tout particulièrement en vue de ce qui va suivre ; et nous ajouterons à ce propos que l’épée est assez généralement assimilée à l’éclair ou regardée comme dérivée de celui-ci (8 ) , ce que représente d’une façon sensible la forme bien connue de l’« épée flamboyante », indépendamment des autres significations que celle-ci peut également avoir en même temps, car il doit être bien entendu que tout véritable symbole renferme toujours une pluralité de sens, qui, bien loin de s’exclure ou de se contredire, s’harmonisent au contraire et se complètent les uns les autres.

Pour en revenir à l’épée du khatîb, nous dirons qu’elle symbolise avant tout le pouvoir de la parole, ce qui devrait d’ailleurs paraître assez évident, d’autant plus que c’est là une signification attribuée très généralement à l’épée, et qui n’est pas étrangère non plus à la tradition chrétienne, ainsi que le montrent clairement ces textes apocalyptiques : « Il avait en sa main droite sept étoiles, et de sa bouche sortait une épée à deux tranchants et bien affilée ; son visage était aussi brillant que le soleil dans sa force (9). » « Et il sortait de sa bouche (10) une épée tranchante des deux côtés pour frapper les nations (11)… »
L’épée sortant de la bouche ne peut évidemment avoir d’autre sens que celui-là, et cela d’autant plus que l’être qui est ainsi décrit dans ces deux passages n’est autre que le Verbe lui-même ou une de ses manifestations ; quant au double tranchant de l’épée, il représente un double pouvoir créateur et destructeur de la parole, et ceci nous ramène précisément au vajra. Celui-ci, en effet, symbolise aussi une force qui, bien qu’unique en son essence, se manifeste sous deux aspects contraires en apparence, mais complémentaires en réalité ; et ces deux aspects, de même qu’ils sont figurés par les deux tranchants de l’épée ou d’autres armes similaires (12), le sont ici par les deux pointes opposées du vajra ; ce symbolisme est d’ailleurs valable pour tout l’ensemble des forces cosmiques, de sorte que l’application qui en est faite à la parole ne constitue qu’un cas particulier, mais qui d’ailleurs, en raison de la conception traditionnelle du Verbe et de tout ce qu’elle implique, peut être pris lui-même pour symboliser dans leur ensemble toutes les autres applications possibles (13).

8 Au Japon notamment, suivant la tradition shintoïste, « l’épée est dérivée d’un éclair-archétype, dont elle est la descendante ou l’hypostase » (A. K. Coomaraswamy, ibid.).
9 Apocalypse 1, 16. On remarquera ici la réunion du symbolisme polaire (les sept étoiles de la Grande Ourse, ou le sapta-riksha de la tradition hindoue) et du symbolisme solaire, que nous allons retrouver aussi dans la signification traditionnelle de l’épée elle-même.
10 Il s’agit de « celui qui était monté sur le cheval blanc », le Kalki-avatâra de la tradition hindoue.
11 Ibid., XIX, 15.
12 Nous rappellerons notamment ici le symbole égéen et crétois de la double hache ; nous avons déjà expliqué que la hache est tout spécialement un symbole de la foudre, donc un strict équivalent du vajra [cf. ch. XXV].
13 Sur le double pouvoir du vajra et sur d’autres symboles équivalents (notamment le « pouvoir des clefs »), voir les considérations que nous avons exposées dans La Grande Triade, ch. VI.


L’épée n’est pas seulement assimilée symboliquement à la foudre, mais aussi, de même que la flèche, au rayon solaire ; c’est à quoi se réfère visiblement le fait que, dans le premier des deux passages apocalyptiques que nous avons cités tout à l’heure, celui de la bouche de qui sort l’épée a le visage « brillant comme le soleil ». Il est d’ailleurs facile d’établir, sous ce rapport, une comparaison entre Apollon tuant le serpent Python avec ses flèches et Indra tuant le dragon Vritra avec le vajra ; et ce rapprochement ne saurait laisser aucun doute sur l’équivalence de ces deux aspects du symbolisme des armes, qui ne sont en somme que deux modes différents d’expression d’une seule et même chose.

D’autre part, il importe de noter que la plupart des armes symboliques, et notamment l’épée et la lance, sont aussi très fréquemment des symboles de l’« Axe du Monde » ; il s’agit alors d’un symbolisme « polaire », et non plus d’un symbolisme « solaire », mais, bien que ces deux points de vue ne doivent jamais être confondus, il y a cependant entre eux certains rapports qui permettent ce qu’on pourrait appeler des « transferts » de l’un à l’autre, l’axe lui-même s’identifiant parfois à un « rayon solaire (14) ».
Dans cette signification axiale, les deux pointes opposées du vajra se rapportent à la dualité des pôles, considérés comme les deux extrémités de l’axe, tandis que, dans le cas des armes à double tranchant, la dualité, étant marquée dans le sens même de l’axe, se réfère plus directement aux deux courants inverses de la force cosmique, représentés aussi par ailleurs par des symboles tels que les deux serpents du caducée ; mais, comme ces deux courants sont eux-mêmes respectivement en relation avec les deux pôles et les deux hémisphères (15), on peut voir par là que, en dépit de leur apparente différence, les deux figurations se rejoignent en réalité quant à leur signification essentielle (16).
Le symbolisme « axial » nous ramène à l’idée de l’harmonisation conçue comme le but de la « guerre sainte » dans ses deux acceptions extérieure et intérieure, car l’axe est le lieu où toutes les oppositions se concilient et s’évanouissent, ou, en d’autres termes, le lieu de l’équilibre parfait, que la tradition extrême-orientale désigne comme l’« Invariable Milieu (17) ».

Ainsi, sous ce rapport, qui correspond en réalité au point de vue le plus profond, l’épée ne représente pas seulement le moyen comme on pourrait le croire si l’on s’en tenait à son sens le plus immédiatement apparent, mais aussi la fin même à atteindre, et elle synthétise en quelque sorte l’un et l’autre dans sa signification totale. Nous n’avons d’ailleurs fait que rassembler ici, sur ce sujet, quelques remarques qui pourraient donner lieu à bien d’autres développements ; mais nous pensons que, telles qu’elles sont, elles montreront suffisamment combien, qu’il s’agisse de l’islamisme ou de toute autre forme traditionnelle, ceux qui prétendent n’attribuer à l’épée qu’un sens « matériel » sont éloignés de la vérité.

14 Sans pouvoir insister ici sur cette question, nous devons tout au moins rappeler, à titre d’exemple, le rapprochement des deux points de vue dans le symbolisme grec de l’Apollon hyperboréen.
15 Sur ce point encore, nous renverrons à La Grande Triade, ch. V.
16 Voir Les Armes symboliques [ch. XXVI].
17 C’est ce que représente aussi l’épée, placée verticalement suivant l’axe d’une balance, l’ensemble formant les attributs symboliques de la justice.



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Symboles de la Science sacrée Empty Chapitre VII : La Langue des Oiseaux

Message par Ligeia Sam 11 Avr - 12:40

Publié dans le Voile d’Isis, novembre 1931 et repris dans le livre "Symboles de la Science Sacrée".

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La Langue des Oiseaux

Wa eç-çâffâti çaffan,
Faz-zâjirâti zajran,
Fat-tâliyâti dhikran…


(« Par ceux qui sont rangés en ordre,
Et qui chassent en repoussant,
Et qui récitent l’invocation… »)

(Qorân, XXXVII, 1-3).

Il est souvent question, dans diverses traditions, d’un langage mystérieux appelé « langue des oiseaux » : désignation évidemment symbolique, car l’importance même qui est attribuée à la connaissance de ce langage, comme prérogative d’une haute initiation, ne permet pas de la prendre littéralement. C’est ainsi qu’on lit dans le Qorân : « Et Salomon fut l’héritier de David ; et il dit : O hommes ! nous avons été instruit du langage des oiseaux (ullimna mantiqat-tayri) et comblé de toutes choses… » (XXVII, 15.)
Ailleurs, on voit des héros vainqueurs du dragon, comme Siegfried dans la légende nordique, comprendre aussitôt le langage des oiseaux ; et ceci permet d’interpréter aisément le symbolisme dont il s’agit. En effet, la victoire sur le dragon a pour conséquence immédiate la conquête de l’immortalité, figurée par quelque objet dont ce dragon défendait l’approche ; et cette conquête de l’immortalité implique essentiellement la réintégration au centre de l’état humain, c’est-à-dire au point où s’établit la communication avec les états supérieurs de l’être. C’est cette communication qui est représentée par la compréhension du langage des oiseaux ; et, en fait, les oiseaux sont pris fréquemment comme symbole des anges, c’est-à-dire précisément des états supérieurs. Nous avons eu l’occasion de citer ailleurs (1) la parabole évangélique où il est question, en ce sens, des « oiseaux du ciel » qui viennent se reposer sur les branches de l’arbre, de ce même arbre qui représente l’axe passant par le centre de chaque état d’être et reliant tous les états entre eux (2).

1 - L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. III.
2 - Dans le symbole médiéval du Peridexion (corruption de Paradision), on voit les oiseaux sur les branches de l’arbre et le dragon à son pied (voir Le Symbolisme de la Croix ch. IX). Ŕ Dans une étude sur le symbolisme de l’« oiseau de paradis » (Le Rayonnement intellectuel, mai-juin 1930), M. L. Charbonneau-Lassay a reproduit une sculpture où cet oiseau est figuré avec seulement une tête et des ailes, forme sous laquelle sont souvent représentés les anges [cf. Le Bestiaire du Christ, ch. LVI, p. 425].


Dans le texte qorânique que nous avons reproduit ci-dessus, le terme eç-çaffât est considéré comme désignant littéralement les oiseaux, mais comme s’appliquant symboliquement aux anges (el-malaïkah) ; et ainsi le premier verset signifie la constitution des hiérarchies célestes ou spirituelles (3).
Le second verset exprime la lutte des anges contre les démons, des puissances célestes contre les puissances infernales, c’est-à-dire l’opposition des états supérieurs et des états inférieurs (4) ; c’est, dans la tradition hindoue, la lutte des Dêvas contre les Asuras, et aussi, suivant un symbolisme tout à fait semblable à celui auquel nous avons affaire ici, le combat du Garuda contre le Nâga, dans lequel nous retrouvons du reste le serpent ou le dragon dont il a été question tout à l’heure ; le Garuda est l’aigle, et, ailleurs, il est remplacé par d’autres oiseaux tels que l’ibis, la cigogne, le héron, tous ennemis, et destructeurs des reptiles (5).
Enfin, dans le troisième verset, on voit les anges récitant le dhikr, ce qui, dans l’interprétation la plus habituelle, est considéré comme devant s’entendre de la récitation du Qorân, non pas, bien entendu, du Qorân exprimé en langage humain, mais de son prototype éternel inscrit sur la « table gardée » (el-lawhul-mahfûz), qui s’étend des cieux à la terre comme l’échelle de Jacob, donc à travers tous les degrés de l’Existence universelle (6). De même, dans la tradition hindoue, il est dit que les Dêvas, dans leur lutte contre les Asuras, se protégèrent (achhan dayan) par la récitation des hymnes du Vêda, et que c’est pour cette raison que les hymnes reçurent le nom de chhandas, mot qui désigne proprement le « rythme ».
La même idée est d’ailleurs contenue dans le mot dhikr, qui, dans l’ésotérisme islamique, s’applique à des formules rythmées correspondant exactement aux mantras hindous, formules dont la répétition a pour but de produire une harmonisation des divers éléments de l’être, et de déterminer des vibrations susceptibles, par leur répercussion à travers la série des états, en hiérarchie indéfinie, d’ouvrir une communication avec les états supérieurs, ce qui est d’ailleurs, d’une façon générale, la raison d’être essentielle et primordiale de tous les rites.

3 - Le mot çaff, « rang », est un de ceux, d’ailleurs nombreux, dans lesquels certains ont voulu trouver l’origine des termes çûfî et taçawwuf ; bien que cette dérivation ne semble pas acceptable au point de vue purement linguistique, il n’en est pas moins vrai que, de même que plusieurs autres du même genre, elle représente une des idées contenues réellement dans ces termes, car les « hiérarchies spirituelles » s’identifient essentiellement aux degrés de l’initiation.
4 - Cette opposition se traduit en tout être par celle des deux tendances ascendante et descendante, appelées sattwa et tamas par la doctrine hindoue. C’est aussi ce que le Mazdéisme symbolise par l’antagonisme de la lumière et des ténèbres, personnifiées respectivement en Ormuzd et Ahriman.
5 - Voir, à ce sujet, les remarquables travaux de M. Charbonneau-Lassay sur les symboles animaux du Christ [cf. Le Bestiaire du Christ]. Il importe de remarquer que l’opposition symbolique de l’oiseau et du serpent ne s’applique que lorsque ce dernier est envisagé sous son aspect maléfique ; au contraire, sous son aspect bénéfique, il s’unit parfois à l’oiseau, comme dans la figure du Quetzalcohuatl des anciennes traditions américaines ; par ailleurs, on retrouve aussi au Mexique le combat de l’aigle contre le serpent. On peut, pour le cas de l’association de l’oiseau et du serpent, rappeler le texte évangélique : « Soyez doux comme des colombes et prudents comme des serpents » (Saint Matthieu, X, 16).
6 - Sur le symbolisme du Livre, auquel ceci se rapporte directement, voir Le Symbolisme de la Croix, ch.XIV.


Nous sommes ainsi ramené directement, comme on le voit, à ce que nous disions au début sur la « langue des oiseaux » que nous pouvons appeler aussi « langue angélique », et dont  l’image dans le monde humain est le langage rythmé, car c’est sur la « science du rythme », qui comporte d’ailleurs de multiples applications, que se basent en définitive tous les moyens qui peuvent être mis en œuvre pour entrer en communication avec les états supérieurs.
C’est pourquoi une tradition islamique dit qu’Adam, dans le Paradis terrestre, parlait en vers, c’est-à-dire en langage rythmé ; il s’agit ici de cette « langue syriaque » (loghah sûryâniyah) dont nous avons parlé dans notre précédente étude sur la « science des lettres (7) », et qui doit être regardée comme traduisant directement l’« illumination solaire » et « angélique » telle qu’elle se manifeste au centre de l’état humain.
C’est aussi pourquoi les Livres sacrés sont écrits en langage rythmé, ce qui, on le voit, en fait tout autre chose que les simples « poèmes » au sens purement profane que veut y voir le parti pris antitraditionnel des « critiques » modernes ; et d’ailleurs la poésie, originairement, n’était point cette vaine « littérature » qu’elle est devenue par une dégénérescence qu’explique la marche descendante du cycle humain, et elle avait un véritable caractère sacré (8 ). On peut en retrouver les traces jusqu’à l’antiquité occidentale classique, où la poésie était encore appelée « langue des Dieux », expression équivalente à celles que nous avons indiquées puisque les « Dieux », c’est-à-dire les Dêvas (9), sont, comme les anges, la représentation des états supérieurs. En latin, les vers étaient appelés carmina, désignation qui se rapportait à leur usage dans l’accomplissement des rites, car le mot carmen est identique au sanscrit Karma, qui doit être pris ici dans son sens spécial d’« action rituelle » (10) ; et le poète lui-même, interprète de la « langue sacrée » à travers laquelle transparaît le Verbe divin, était vates, mot qui le caractérisait comme doué d’une inspiration en quelque sorte prophétique. Plus tard, par une autre dégénérescence, le vates ne fut plus qu’un vulgaire « devin » (11), et le carmen (d’où le mot français « charme ») un « enchantement »,  c’est-à-dire une opération de basse magie ; c’est  là  encore un exemple du fait que la magie, voire même la sorcellerie, est ce qui subsiste comme dernier vestige des traditions disparues.

7 - [Voir ch.VI.]
8 - On peut dire d’ailleurs, d’une façon générale, que les arts et les sciences ne sont devenus profanes que par une telle dégénérescence, qui les a dépouillés de leur caractère traditionnel et, par suite, de toute signification d’ordre supérieur ; nous nous sommes expliqués sur ce sujet dans L’Ésotérisme de Dante, ch. II, et dans La Crise du monde moderne, ch. IV [voir également Le Règne de la quantité et les Signes des temps, ch. VIII].
9 - Le sanscrit Dêva et le latin Deus ne sont qu’un seul et même mot.
10 -Le mot « poésie » dérive aussi du verbe grec poiein, qui a la même signification que la racine sanscrite Kri, d’où vient Karma, et qui se retrouve dans le verbe latin creare entendu dans son acception primitive ; à l’origine, il s’agissait donc de tout autre chose que de la simple production d’une œuvre artistique ou littéraire, au sens profane qu’Aristote semble avoir eu uniquement en vue en parlant de ce qu’il a appelé « sciences poétiques ».
11 - Le mot « devin » lui-même n’est pas moins dévié de son sens, car étymologiquement, il n’est pas autre chose que divinus, signifiant ici « interprète des dieux ». Les « auspices » (de aves spicere, « observer les oiseaux »), présages tirés du vol et du chant des oiseaux, sont plus spécialement à rapprocher de la « Langue des oiseaux », entendue alors au sens le plus matériel, mais pourtant identifiée encore à la « langue des dieux » puisque ceux-ci étaient regardés comme manifestant leur volonté par ces présages, et le oiseaux jouaient ainsi un rôle de « messagers » analogue à celui qui est généralement attribué aux anges (d’où leur nom même, puisque c’est là précisément le sens propre du mot grec angelos), bien que pris sous un aspect très inférieur.


Ces quelques indications suffiront, pensons-nous, à montrer combien ont tort ceux qui se moquent des récits où il est question de la « langue des oiseaux » ; il est vraiment trop facile et trop simple de traiter dédaigneusement de « superstitions » tout ce qu’on ne comprend pas ; mais les anciens, eux, savaient fort bien ce qu’ils disaient quand ils employaient le langage symbolique. La véritable « superstition », au sens strictement étymologique (quod superstat), c’est ce qui se survit à soi-même, c’est à-dire, en un mot, la « lettre morte » ; mais cette conservation même, si peu digne d’intérêt qu’elle puisse sembler, n’est pourtant pas chose si méprisable, car l’esprit, qui « souffle où il veut » et quand il veut, peut toujours venir revivifier les symboles et les rites, et leur restituer, avec leur sens perdu, la plénitude de leur vertu originelle.


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Symboles de la Science sacrée Empty Chapitre LXII : Les « racines des plantes »

Message par Ligeia Lun 20 Avr - 12:52

Cet article a été publié dans les Études Traditionnelles de septembre 1946.
Il a été reproduit dans l’ouvrage « Symboles de la Science Sacrée » au chapitre LXII.

Je le publie aussi en lien avec la tendance actuelle à la divinisation de la « nature » sans plus voir le Principe dont elle n’est elle-même qu’une manifestation.  


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Les "racines des plantes"


D’après la tradition kabbalistique, parmi ceux qui pénétrèrent dans le Pardes (1), il en est certains qui « ravagèrent le jardin », et il est dit que ces ravages consistèrent plus précisément à « couper les racines des plantes ». Pour comprendre ce que cela signifie, il faut se référer avant tout au symbolisme de l’arbre inversé, dont nous avons déjà parlé en d’autres occasions (2) : les racines sont en haut, c’est-à-dire dans le Principe même ; couper ces racines, c’est donc considérer les « plantes », ou les êtres qu’elles symbolisent, comme ayant en quelque sorte une existence et une réalité indépendantes du Principe.

Dans le cas dont il s’agit, ces êtres sont principalement les anges, car ceci se rapporte naturellement à des degrés d’existence d’ordre supra-humain ; et il est facile de comprendre quelles peuvent en être les conséquences, notamment pour ce qu’on est convenu d’appeler la « Kabbale pratique ».
En effet, l’invocation des anges envisagés ainsi, non comme les « intermédiaires célestes » qu’ils sont au point de vue de l’orthodoxie traditionnelle, mais comme de véritables puissances indépendantes, constitue proprement l’« association » (en arabe shirk), au sens que donne à ce mot la tradition islamique, puisque de telles puissances apparaissent alors inévitablement comme associées à la Puissance divine elle-même, au lieu d’être simplement dérivées de celle-ci.

Ces conséquences se retrouvent aussi, à plus forte raison, dans les applications inférieures qui relèvent du domaine de la magie, domaine où se trouvent d’ailleurs nécessairement enfermés tôt ou tard ceux qui commettent une telle erreur, car, par là même, il ne saurait plus être réellement question pour eux de « théurgie », toute communication effective avec le Principe devenant impossible dès lors que « les racines sont coupées ».

1 Le Pardes, figuré symboliquement comme un « jardin », doit être considéré ici comme représentant le domaine de la connaissance supérieure et réservée : les quatre lettres PRDS, mises en rapport avec les quatre fleuves de l’Éden, désignent alors respectivement les différents sens contenus dans les Écritures sacrées et auxquels correspondent autant de degrés de connaissance ; il va de soi que ceux qui « ravagèrent le jardin » n’étaient parvenus effectivement qu’à un degré où il demeure encore possible de s’égarer.
2 Voir notamment L’Arbre du Monde [ch. LI].


Nous ajouterons que les mêmes conséquences s’étendent jusqu’aux formes les plus dégénérées de la magie telles que la « magie cérémonielle » ; seulement, dans ce dernier cas, si l’erreur est toujours essentiellement la même, les dangers effectifs en sont du moins atténués par l’insignifiance même des résultats qui peuvent être obtenus (3).

Enfin, il convient de remarquer que ceci donne immédiatement l’explication de l’un au moins des sens dans lesquels l’origine de semblables déviations est parfois attribuée aux « anges déchus » ; les anges, en effet, sont bien véritablement « déchus » lorsqu’ils sont envisagés de cette façon, puisque c’est de leur participation au Principe qu’ils tiennent en réalité tout ce qui constitue leur être, si bien que, quand cette participation est méconnue, il ne reste plus qu’un aspect purement négatif qui est comme une sorte d’ombre inversée par rapport à cet être même (4).
Suivant la conception orthodoxe, un ange, en tant qu’« intermédiaire céleste », n’est pas autre chose au fond que l’expression même d’un attribut divin dans l’ordre de la manifestation informelle, car c’est là seulement ce qui permet d’établir, à travers lui, une communication réelle entre l’état humain et le Principe même, dont il représente ainsi un aspect plus particulièrement accessible aux êtres qui sont dans cet état humain.

C’est d’ailleurs ce que montrent très nettement les noms mêmes des anges, qui sont toujours, en fait, la désignation de tels attributs divins ; c’est ici surtout, en effet, que le nom correspond pleinement à la nature de l’être et ne fait véritablement qu’un avec son essence même. Tant que cette signification n’est pas perdue de vue, les « racines » ne peuvent donc pas être « coupées » ; on pourrait dire, par suite, que l’erreur à cet égard, faisant croire que le nom divin appartient en propre à l’ange comme tel et en tant qu’être « séparé », ne devient possible que quand l’intelligence de la langue sacrée vient à s’obscurcir, et, si l’on se rend compte de tout ce que ceci implique en réalité, on pourra comprendre que cette remarque est susceptible d’un sens beaucoup plus profond qu’il ne le paraît peut-être à première vue (5).

Ces considérations donnent aussi toute sa valeur à l’interprétation kabbalistique de Malaki, « Mon ange » ou « Mon envoyé (6) », comme « l’ange dans lequel est Mon nom », c’est à-dire, en définitive, dans lequel est Dieu même, tout au moins sous quelqu’un de ses aspects « attributifs (7) ».

3 Sur la question de la « magie cérémonielle », cf. Aperçus sur l’initiation, ch. XX. L’emploi des noms divins et angéliques sous leurs formes hébraïques est sans doute une des principales raisons qui ont amené A. E. Waite à penser que toute magie cérémonielle devait son origine aux Juifs (The Secret Tradition in Freemasonry, pp. 397-399) ; cette opinion ne nous paraît pas entièrement fondée, car la vérité est plutôt qu’il y a là des emprunts faits à des formes de magie plus anciennes et plus authentiques, et que celles-ci, dans le monde occidental, ne pouvait réellement disposer, pour leurs formules, d’aucune langue sacrée autre que l’hébreux.
4 On pourrait dire, et peu importe que ce soit littéralement ou symboliquement, que, dans ces conditions, celui qui croit faire appel à un ange risque fort de voir au contraire un démon apparaître devant lui.
5 Nous rappellerons à ce propos ce que nous avons indiqué plus haut quant à la correspondance des différents degrés de la connaissance avec les sens plus ou moins « intérieurs » des Écritures sacrées ; il est évident qu’il s’agit là de quelque chose qui n’a rien de commun avec le savoir tout extérieur qui est tout ce que peut fournir l’étude d’une langue profane, et même aussi, ajouterons-nous, celle d’une langue sacrée par des procédés profanes tels que ceux des linguistes modernes.
6 On sait que la signification étymologique du mot « ange » (en grec aggelo) est celle d’« envoyé » ou de « messager », et que le mot hébreu correspondant maleak a aussi le même sens.
7 Cf. Le Roi du Monde, p. 33. Au point de vue principiel, c’est l’ange ou plutôt l’attribut qu’il représente qui est en Dieu, mais le rapport apparaît comme inversé à l’égard de la manifestation.


Cette interprétation s’applique en premier lieu et par excellence à Metatron, l’« Ange de la Face (8 ) », ou à Mikaèl (dont Malaki est l’anagramme) en tant que, dans son rôle « solaire », il s’identifie d’une certaine façon à Metatron ; mais elle est applicable aussi à tout ange, puisqu’il est véritablement, par rapport à la manifestation, et au sens le plus rigoureux du mot, le « porteur » d’un nom divin, et que même, vu du côté de la « Vérité » (El-Haqq), il n’est réellement rien d’autre que ce nom même.
Toute la différence n’est ici que celle qui résulte d’une certaine hiérarchie qui peut être établie entre les attributs divins, suivant qu’ils procèdent plus ou moins directement de l’Essence, de sorte que leur manifestation pourra être regardée comme se situant à des niveaux différents, et tel est en somme le fondement des hiérarchies angéliques ; ces attributs ou ces aspects doivent d’ailleurs nécessairement être conçus comme étant en multitude indéfinie dès lors qu’ils sont envisagés « distinctivement » et c’est à quoi correspond la multitude même des anges (9).

On pourrait se demander pourquoi, en tout cela, il est question uniquement des anges, alors que, à la vérité, tout être, quel qu’il soit et à quelque ordre d’existence qu’il appartienne, dépend aussi entièrement du Principe dans tout ce qu’il est, et que cette dépendance, qui est en même temps une participation, est, pourrait-on dire, la mesure même de sa réalité ; et, au surplus, tout être a aussi en lui-même, et plus précisément en son « centre », virtuellement tout au moins, un principe divin sans lequel son existence ne serait pas même une illusion, mais bien plutôt un néant pur et simple.
Ceci correspond d’ailleurs exactement à l’enseignement kabbalistique suivant lequel les « canaux » par lesquels les influences émanées du Principe se communiquent aux êtres manifestés ne s’arrêtent point à un certain niveau, mais s’étendent de proche en proche à tous les degrés de l’Existence universelle, et jusqu’aux plus inférieurs (10), si bien que, pour reprendre le précédent symbolisme, il ne saurait y avoir nulle part aucun être qui soit assimilable à une « plante sans racines ».
Cependant, il est évident qu’il y a des degrés à envisager dans la participation dont il s’agit et que ces degrés correspondent précisément à ceux mêmes de l’Existence ; c’est pourquoi ceux-ci ont d’autant plus de réalité qu’ils sont plus élevés, c’est-à-dire plus proches du Principe (bien qu’il n’y ait assurément aucune commune mesure entre un état quelconque de manifestation, fût-il le plus élevé de tous, et l’état principiel lui-même).
Il y a lieu de faire avant tout ici, comme d’ailleurs à tout autre égard, une différence entre le cas des êtres situés dans le domaine de la manifestation informelle ou supra-individuelle, auquel se rapportent les états angéliques, et celui des êtres situés dans le domaine de la manifestation formelle ou individuelle ; et ceci demande encore à être expliqué d’une façon un peu précise.

8 Le nom de Metatron est numériquement équivalent au Nom divin Shaddaï.
9 Il doit être bien entendu qu’il s’agit ici d’une multitude « transcendantale », et non pas d’une indéfinité numérique (cf. Les Principes du calcul infinitésimal, ch. III) ; les anges ne sont aucunement « nombrables », puisqu’ils n’appartiennent pas au domaine d’existence qui est conditionné par la quantité.
10 Le symbolisme de ces « canaux », descendant ainsi graduellement à travers tous les états, peut aider à comprendre, en les envisageant dans le sens ascendant, comment les êtres situés à un niveau supérieur peuvent, d’une façon générale, jouer un rôle d’« intermédiaire » pour ceux qui sont situés à un niveau inférieur, puisque la communication avec le Principe n’est possible pour ceux-ci qu’en passant à travers leur domaine.
 

C’est seulement dans l’ordre informel qu’on peut dire qu’un être exprime ou manifeste véritablement, et aussi intégralement qu’il est possible, un attribut du Principe ; c’est la distinction de ces attributs qui fait ici la distinction même des êtres, et celle-ci peut être caractérisée comme une « distinction sans séparation » (bhêdâbhêdâ dans la terminologie hindoue (11), car il va de soi que, en définitive, tous les attributs sont réellement « un » ; et c’est là aussi la moindre limitation qui soit concevable dans un état qui, étant manifesté, est encore conditionné par là même.
D’autre part, la nature de chaque être se ramenant ici en quelque sorte tout entière à l’expression d’un attribut unique, il est évident que cet être possède ainsi, en lui-même, une unité d’un tout autre ordre et bien autrement réelle que l’unité toute relative, fragmentaire et « composite » à la fois, qui appartient aux êtres individuels comme tels ; et, au fond, c’est en raison de cette réduction de la nature angélique à un attribut défini, sans aucune « composition » autre que le mélange d’acte et de puissance qui est nécessairement inhérent à toute manifestation (12), que saint Thomas d’Aquin a pu considérer les différences existant entre les anges comme comparables à des différences spécifiques et non à des différences individuelles (13).

Si maintenant on veut trouver, dans l’ordre de la manifestation formelle, une correspondance ou un reflet de ce que nous venons de dire, ce n’est point les êtres individuels pris chacun en particulier qu’il faudra envisager (et cela résulte assez clairement de notre dernière remarque), mais bien plutôt les « mondes » ou les états d’existence eux-mêmes, chacun d’eux, dans son ensemble et comme « globalement », étant relié plus spécialement à un certain attribut divin dont il sera, s’il est permis de s’exprimer ainsi, comme la production particulière (14) ; et ceci rejoint directement la conception des anges comme « recteur des sphères » et les considérations que nous avons déjà indiquées à ce propos dans notre précédente étude sur la « chaîne des mondes ».

11 Cf. Le Règne de la quantité et les signes des temps, ch. IX.
12 On pourrait dire que l’être angélique est en acte sous le rapport de l’attribut qu’il exprime, mais en puissance sous le rapport de tous les autres attributs.
13 Cf. Le Règne de la quantité et les signes des temps, ch. XI.
14 Il va de soi qu’une telle façon de parler n’est valable que dans la mesure et sous le point de vue où les attributs eux-mêmes peuvent être envisagés « distinctement » (et ils ne peuvent l’être que par rapport à la manifestation), et que l’invisible unité de l’Essence divine même, à laquelle tout se ramène finalement, n’en saurait être aucunement affectée.



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Symboles de la Science sacrée Empty Chapitre XXII : Quelques aspects du symbolisme du poisson

Message par Ligeia Jeu 7 Mai - 20:37

Publié dans les Études Traditionnelles, février 1936.

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Le symbolisme du poisson, qui se rencontre dans de nombreuses formes traditionnelles, y compris le christianisme, est fort complexe et présente de multiples aspects qui demandent à être distingués avec précision. Pour ce qui est des origines premières de ce symbole, il semble qu’il faille lui reconnaître une provenance nordique, voire même hyperboréenne ; on a signalé en effet sa présence en Allemagne du Nord et en Scandinavie (1), et, dans ces régions, il est vraisemblablement plus près de son point de départ que dans l’Asie centrale, où il fut sans doute apporté par le grand courant qui, issu directement de la Tradition primordiale, devait ensuite donner naissance aux doctrines de l’Inde et de la Perse. Il est d’ailleurs à noter que, d’une façon générale, certains animaux aquatiques jouent surtout un rôle dans le symbolisme des peuples du Nord : nous en citerons seulement comme exemple le poulpe, particulièrement répandu chez les Scandinaves et chez les Celtes, et qui se retrouve aussi dans la Grèce archaïque, comme un des principaux motifs de l’ornementation mycénienne (2).

Un autre fait qui vient encore à l’appui de ces considérations, c’est que, dans l’Inde, la manifestation sous la forme du poisson (Matsya-avatâra) est regardée comme la première de toutes les manifestations de Vishnu (3), celle qui se place au début même du cycle actuel, et qu’elle est ainsi en relation immédiate avec le point de départ de la Tradition primordiale.

1 Cf. L. Charbonneau-Lassay, Le Poisson, dans Regnabit, numéro de décembre 1926.
2 Les bras du poulpe sont généralement droits dans les figurations scandinaves, tandis qu’ils sont enroulés en spirale dans les ornements mycéniens ; dans ceux-ci, on voit aussi apparaître très fréquemment le swastika ou des figures qui en sont manifestement dérivées. Le symbole du poulpe se rapporte au signe zodiacal du Cancer, qui correspond au solstice d’été et au « fond des Eaux » ; il est facile de comprendre par là qu’il ait pu être pris parfois dans un « sens maléfique », le solstice d’été étant la Janua Inferni.
3 Nous devons faire remarquer que nous ne disons pas « incarnations », comme on le fait habituellement en Occident, car ce mot est tout à fait inexact ; le sens propre du terme avatâra est « descente » du Principe divin dans le monde manifesté.


Il ne faut pas oublier, à cet égard, que Vishnu représente le Principe divin envisagé spécialement sous son aspect de conservateur du monde ; ce rôle est bien proche de celui du « Sauveur », ou plutôt ce dernier en est comme un cas particulier ; et c’est véritablement comme « Sauveur » que Vishnu apparaît dans certaines de ses manifestations, correspondant à des phases critiques de l’histoire du monde (4).
Or, l’idée du « Sauveur » est également attachée de façon explicite au symbolisme chrétien du poisson, puisque la dernière lettre de l’Ichthus grec s’interprète comme l’initiale de Sôter (5) ; cela n’a rien d’étonnant, sans doute, lorsqu’il s’agit du Christ, mais il est pourtant des emblèmes qui font plus directement allusion à quelque autre de ses attributs, et qui n’expriment pas formellement ce rôle de « Sauveur ».

Sous la figure du poisson, Vishnu, à la fin du Manvantara, qui précède le nôtre, apparaît à Satyavrata (6), qui va devenir, sous le nom de Vaivaswata (7), le Manu ou le Législateur du cycle actuel. Il lui annonce que le monde va être détruit par les eaux, et il lui ordonne de construire l’arche dans laquelle devront être renfermés les germes du monde futur ; puis, toujours sous cette même forme, il guide lui-même l’arche sur les eaux pendant le cataclysme ; et cette représentation de l’arche conduite par le poisson divin est d’autant plus remarquable qu’on en retrouve aussi l’équivalent dans le symbolisme chrétien (8 ).

Il y a encore, dans le Matsya-avatâra, un autre aspect qui doit retenir particulièrement notre attention : après le cataclysme, c’est-à-dire au début même du présent Manvantara, il apporte aux hommes le Vêda, qu’il faut entendre, suivant la signification étymologique de ce mot (dérivé de la racine vid, « savoir »), comme la Science par excellence ou la Connaissance sacrée dans son intégralité : c’est là une allusion des plus nettes à la Révélation primordiale, ou à l’origine « non-humaine » de la Tradition. Il est dit que le Vêda subsiste perpétuellement, étant en soi-même antérieur à tous les mondes ; mais il est en quelque sorte caché ou enveloppé pendant les cataclysmes cosmiques qui séparent les différents cycles, et il doit ensuite être manifesté de nouveau.

4 Signalons aussi, à ce propos, que la dernière manifestation, le Kalkin-avatâra, « Celui qui est monté sur le cheval blanc », et qui doit venir à la fin de ce cycle, est décrite dans les Purânas en des termes rigoureusement identiques à ceux qui se trouvent dans l’Apocalypse, où ils sont rapportés à la « seconde venue » du Christ.
5 Quand le poisson est pris comme symbole du Christ, son nom grec Ichthus est considéré comme formé par les initiales des mots Iêsous Christos Theou Uios Sôter.
6 Ce nom signifie littéralement « voué à la Vérité » ; et cette idée de la « Vérité » se retrouve dans la désignation du Satya-Yuga, le premier des quatre âges en lesquels se divise le Manvantara. On peut aussi remarquer la similitude du mot Satya avec le nom de Saturne, considéré précisément dans l’antiquité occidentale comme le régent de l’« âge d’or » ; et, dans la tradition hindoue, la sphère de Saturne est appelée Satya-Loka.
7 Issu de Vivaswat, l’un des douze Âdityas, qui sont regardés comme autant de formes du Soleil, en correspondance avec les douze signes du Zodiaque, et dont il est dit qu’ils doivent paraître simultanément à la fin du cycle (cf. Le Roi du Monde, ch. IV et XI).
8 M Charbonneau-Lassay cite, dans l’étude mentionnée plus haut, « l’ornement pontifical décoré de figures brodées qui enveloppait les restes d’un évêque lombard du VIIIe ou IXe siècle, et sur lequel on voit une barque portée par le poisson, image du Christ soutenant son Église ». Or, l’arche a souvent été regardée comme une figure de l’Église, aussi bien que la barque (qui fut anciennement, avec les clefs, un des emblèmes de Janus ; cf. Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. VIII) ; c’est donc bien la même idée que nous trouvons ainsi exprimée à la fois dans le symbolisme hindou et dans le symbolisme chrétien.


L’affirmation de la perpétuité du Vêda est d’ailleurs en relation directe avec la théorie cosmologique de la primordialité du son parmi les qualités sensibles (comme qualité propre de l’éther, âkâsha, qui est le premier des éléments (9) ) ; et cette théorie n’est pas autre chose, au fond, que celle que d’autres traditions expriment en parlant de la création par le Verbe : le son primordial, c’est cette Parole divine par laquelle, suivant le premier chapitre de la Genèse hébraïque, toutes choses ont été faites (10). C’est pourquoi il est dit que les Rishis ou les Sages des premiers âges ont « entendu » le Vêda : la Révélation, étant une œuvre du Verbe comme la création elle-même, est proprement une « audition » pour celui qui la reçoit ; et le terme qui la désigne est celui de Shruti, qui signifie littéralement « ce qui est entendu (11) ».

Pendant le cataclysme qui sépare ce Manvantara du précédent, le Vêda était renfermé à l’état d’enveloppement dans la conque (shankha), qui est un des principaux attributs de Vishnu. C’est que la conque est regardée comme contenant le son primordial et impérissable (akshara), c’est-à-dire le monosyllabe Om, qui est par excellence le nom du Verbe manifesté dans les trois mondes, en même temps qu’il est, par une autre correspondance de ses trois éléments ou mâtrâs, l’essence du triple Vêda (12).
D’ailleurs, ces trois éléments, ramenés à leurs formes géométriques essentielles et disposés graphiquement d’une certaine façon, forment le schéma même de la conque et, par une concordance assez singulière, il se trouve que ce schéma est également celui de l’oreille humaine, l’organe de l’audition, qui doit effectivement, pour être apte à la perception du son, avoir une disposition conforme à la nature de celui-ci. Tout ceci touche visiblement à quelques-uns des plus profonds mystères de la cosmologie ; mais qui, dans l’état d’esprit qui constitue la mentalité moderne, peut encore comprendre les vérités qui relèvent de cette science traditionnelle ?

Comme Vishnu dans l’Inde, et aussi sous la forme du poisson, l’Oannès chaldéen, que certains ont regardé expressément comme une figure du Christ (13), enseigne également aux hommes la doctrine primordiale : frappant exemple de l’unité qui existe entre les traditions en apparence les plus différentes, et qui demeurerait inexplicable si l’on n’admettait leur rattachement à une source commune. Il semble d’ailleurs que le symbolisme d’Oannès ou de Dagon n’est pas seulement celui du poisson en général, mais doit être rapproché plus spécialement de celui du dauphin ; celui-ci, chez les Grecs, était lié au culte d’Apollon (14) et avait donné son nom à Delphes ; et ce qui est très significatif, c’est qu’on reconnaissait formellement que ce culte venait de hyperboréens.

9 Cf. notre étude sur La Théorie hindoue des cinq éléments, dans les Études Traditionnelles d’août-septembre 1935 [recueilli dans les Études sur l’Hindouisme].
10 Cf. également le début de l’Évangile de saint Jean.
11 Sur la distinction de la Shruti et de la Smriti et sur leurs rapports, voir L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. I. Il doit être bien entendu que, si nous employons ici le mot de « révélation » au lieu de celui d’« inspiration », c’est pour mieux marquer la concordance des différents symbolismes traditionnels et que d’ailleurs, comme tous les termes théologiques, il est susceptible d’une transposition dépassant le sens spécifiquement religieux qu’on lui donne d’une façon exclusive en Occident.
12 Sur la présence de ce même idéogramme AVM dans l’ancien symbolisme chrétien, cf. Le Roi du Monde, ch. IV.
13 Il est intéressant de noter à cet égard que la tête de poisson, qui formait la coiffure des prêtres d’Oannès, est aussi la mitre des évêques chrétiens.
14 C’est ce qui explique le rattachement du symbole du dauphin à l’idée de la lumière (cf. L. CharbonneauLassay, Le Dauphin et le crustacé, dans Regnabit, numéro de janvier 1927, et Le Bestiaire du Christ, ch. XCVIII, V). Ŕ Il convient de noter aussi le rôle de sauveteur des naufragés attribué par les anciens au dauphin, et dont la légende d’Arion offre un des exemples les plus connus.


Ce qui donne à penser qu’il y a lieu de faire un tel rapprochement (qui ne se trouve pas nettement indiqué par contre, dans le cas de la manifestation de Vishnu), c’est surtout l’étroite connexion qui existe entre le symbole du dauphin et celui de la « Femme de mer » (l’Aphrodite Anadyomène des Grecs) (15) ; précisément, celle-ci se présente, sous des noms divers (notamment ceux d’Istar, d’Atergatis et de Dercéto) comme la parèdre d’Oannès ou de ses équivalents, c’est-àdire comme figurant un aspect complémentaire du même principe (ce que la tradition hindoue appellerait sa Shakti) (16). C’est la « Dame du Lotus » (Istar, comme Esther en hébreu, signifie « lotus », et aussi quelquefois « lis », deux fleurs qui, dans le symbolisme, se remplacent souvent l’une l’autre) (17), comme la Kouan-yn extrêmeorientale, qui est également, sous une de ses formes, la « Déesse du fond des mers ».

Pour compléter ces remarques, nous ajouterons encore que la figure de l’Ea babylonien, le « Seigneur de l’Abîme », représenté comme un être moitié chèvre et moitié poisson (18), est identique à celle du Capricorne zodiacal, dont elle a peut-être même été le prototype ; or il est important de se rappeler, à cet égard, que ce signe du Capricorne correspond, dans le cycle annuel, au solstice d’hiver. Le Makara, qui, dans le Zodiaque hindou, tient la place du Capricorne, n’est pas sans présenter une certaine similitude avec le dauphin ; l’opposition symbolique qui existe entre celui-ci et le poulpe doit donc se ramener à celle des deux signes solsticiaux du Capricorne et du Cancer (ce dernier, dans l’Inde, est représenté par le crabe), ou de la Janua Cœli et de la Janua Inferni (19) ; et ceci explique aussi que ces deux mêmes animaux se soient trouvés associés dans certains cas, par exemple sous le trépied de Delphes et sous les pieds des coursiers du char solaire, comme indiquant les deux points extrêmes atteints par le Soleil dans sa marche annuelle.

Il importe de ne pas commettre ici de confusion avec un autre signe zodiacal, celui des Poissons, dont le symbolisme est différent et doit être rapporté exclusivement à celui du poisson commun, envisagé notamment dans son rapport avec l’idée du « principe de vie » et de la « fécondité » (entendue surtout au sens spirituel, comme la « postérité » dans le langage traditionnel extrême-oriental) ; ce sont là d’autres aspects, qui peuvent d’ailleurs être rapportés également au Verbe, mais qui n’en doivent pas moins être distingués nettement de ceux qui le font apparaître, comme nous l’avons vu, sous ses deux attributs de « Révélateur » et de « Sauveur ».

15 Il ne faut pas confondre cette « Femme de mer » avec la sirène, bien qu’elle soit quelquefois représentée sous une forme similaire.
16 La Dea Syra est proprement la « Déesse solaire », de même que la Syrie primitive est la « Terre du Soleil », comme nous l’avons déjà expliqué, son nom étant identique à Sûrya, nom sanscrit du Soleil.
17 En hébreu, les deux noms Esther et Sushanah ont la même signification, et, de plus, ils sont numériquement équivalents ; leur nombre commun est 661, et, en plaçant devant chacun d’eux la lettre he, signe de l’article défini, dont la valeur est 5, on obtient 666, ce dont certains n’ont pas manqué de tirer des déductions plus ou moins fantaisistes ; nous n’entendons, pour notre part, donner cette indication qu’à titre de simple curiosité.
18 En outre, Ea tient devant lui comme le scarabée égyptien, une boule qui représente l’« Œuf du Monde ».
19 Le rôle du dauphin comme conducteur des âmes bienheureuses vers les « îles Fortunées » se rapporte aussi évidemment à la Janua Cæli
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Symboles de la Science sacrée Empty Chapitre XXXV : Les Portes solsticiales

Message par Ligeia Dim 21 Juin - 0:43

Le solstice est un événement astronomique qui se produit lorsque la position apparente du Soleil vu de la Terre atteint son extrême méridional ou septentrional en fonction du plan de l'équateur céleste ou terrestre. Il s'oppose ainsi à l'équinoxe, qui se produit lorsque la position apparente du Soleil est située sur l'équateur céleste. Tandis que les équinoxes se caractérisent par une durée égale entre le jour et la nuit, les solstices correspondent à une durée de jour minimale (en décembre, dans l’hémisphère nord) ou maximale (en juin, dans l'hémisphère nord).
(Wikipedia)

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Les Portes solsticiales

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Symboles de la Science sacrée, chapitre XXXV.
Egalement publié dans les Études Traditionnelles, mai 1938


Nous avons dit que les deux portes zodiacales, qui sont respectivement l’entrée et la sortie de la « caverne cosmique », et que certaines traditions désignent comme la « porte des hommes » et la « porte des dieux », doivent correspondre aux deux solstices ; il nous faut maintenant préciser que la première correspond au solstice d’été, c’est-à-dire au signe du Cancer, et la seconde au solstice d’hiver, c’est-à-dire au signe du Capricorne.


Pour en comprendre la raison, il faut se référer à la division du cycle annuel en deux moitiés, l’une « ascendante » et l’autre « descendante » : la première est la période de la marche du soleil vers le nord (uttarâyana), allant du solstice d’hiver au solstice d’été ; la seconde est celle de la marche du soleil vers le sud (dakshinâyana), allant du solstice d’été au solstice d’hiver (1).

Dans la tradition hindoue, la phase « ascendante » est mise en rapport avec le dêva-yâna, et la phase « descendante » avec le pitri-yâna (2), ce qui coïncide exactement avec les désignations des deux portes que nous venons de rappeler : la « porte des hommes » est celle qui donne accès au pitri-yâna, et la « porte des dieux » est celle qui donne accès au dêvayâna ; elles doivent donc se situer respectivement au début des deux phases correspondantes, c’est-à-dire que la première doit bien être au solstice d’été et la seconde au solstice d’hiver.
Seulement, dans ce cas, il s’agit proprement, non d’une entrée et d’une sortie, mais de deux sorties différentes : cela tient à ce que le point de vue est autre que celui qui se rapporte d’une façon spéciale au rôle initiatique de la caverne, tout en se conciliant d’ailleurs parfaitement avec celui-ci.

1 Il y a lieu de remarquer que le Zodiaque figuré fréquemment au portail des églises du moyen âge est disposé de façon à marquer nettement cette division du cycle annuel.
2 Voir notamment Bhagavad-Gîtâ, VIII, 23 à 26 ; cf. L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XXI. Ŕ Une correspondance analogue se retrouve dans le cycle mensuel, la période de la lune croissante étant de même en rapport avec le dêva-yâna, et celle de la lune décroissante avec le pitri-yâna ; on peut dire que les quatre phases lunaires correspondent, dans un cycle plus restreint, aux quatre phases solaires qui sont les quatre saisons de l’année.


En effet, la « caverne cosmique » est ici considérée comme le lieu de manifestation de l’être : après s’y être manifesté dans un certain état, tel que l’état humain par exemple, cet être, suivant le degré spirituel auquel il sera parvenu, en sortira par l’une ou l’autre des deux portes ; dans un cas, celui du pitri-yâna, il devra revenir à un autre état de manifestation, ce qui sera représenté naturellement par une rentrée dans la « caverne cosmique » ainsi envisagée ; au contraire, dans l’autre cas, celui du dêva-yâna, il n’y a plus de retour au monde manifesté.
Ainsi, l’une des deux portes est à la fois une entrée et une sortie, tandis que l’autre est une sortie définitive ; mais, en ce qui concerne l’initiation, c’est précisément cette sortie définitive qui est le but final, de sorte que l’être, qui est entré par la « porte des hommes », doit, s’il a effectivement atteint ce but, sortir par la « porte des dieux (3) ».

Nous avons expliqué précédemment que l’axe solsticial du Zodiaque, relativement vertical par rapport à l’axe équinoxial, doit être regardé comme la projection, dans le cycle solaire annuel, de l’axe polaire nord-sud ; suivant la correspondance du symbolisme temporel avec le symbolisme spatial des points cardinaux, le solstice d’hiver est en quelque sorte le pôle nord de l’année, et le solstice d’été son pôle sud, tandis que les deux équinoxes de printemps et d’automne correspondent de même respectivement à l’est et à l’ouest (4).

Cependant, dans le symbolisme vêdique, la porte du dêva-loka est située au nord-est, et celle du pitriloka au sud-ouest ; mais ceci doit être considéré seulement comme une indication plus explicite du sens suivant lequel s’effectue la marche du cycle annuel. En effet, conformément à la correspondance que nous venons de mentionner, la période « ascendante » se déroule en allant du nord à l’est, puis de l’est au sud ; de même, la période « descendante » se déroule en allant du sud à l’ouest, puis de l’ouest au nord (5) ; on pourrait donc dire, avec plus de précision encore, que la « porte des dieux » est située au nord et tournée vers l’est, qui est toujours regardé comme le côté de la lumière et de la vie, et que la « porte des hommes » est située au sud et tournée vers l’ouest, qui est pareillement regardé comme le côté de l’ombre et de la mort ; et ainsi sont exactement déterminées « les deux voies permanentes, l’une claire, l’autre obscure, du monde manifesté ; par l’une il n’est pas de retour (du non-manifesté au manifesté) ; par l’autre on revient en arrière (dans la manifestation) » (6).

3 La « porte des dieux » ne peut être une entrée que dans le cas de descente volontaire, dans le monde manifesté, soit d’un être déjà « délivré », soit d’un être représentant l’expression directe d’un principe « supracosmique » [Sur ce point, voir Initiation et réalisation spirituelle, ch. XXXII : Réalisation ascendante et descendante.]. Mais il est évident que ces cas exceptionnels ne rentrent pas dans les processus « normaux » que nous envisageons ici. Nous ferons seulement remarquer qu’on peut facilement comprendre par là la raison pour laquelle la naissance de l’Avatâra est considérée comme ayant lieu à l’époque du solstice d’hiver, époque qui est celle de la fête de Noël dans la tradition chrétienne.
4 Dans la journée, la moitié ascendante est de minuit à midi, la moitié descendante de midi à minuit ; minuit correspond à l’hiver et au nord, midi à l’été et au sud ; le matin correspond au printemps et à l’est (côté du lever du soleil), le soir à l’automne et à l’ouest (côté du coucher du soleil). Ainsi, les phases du jour, comme celles du mois, mais à une échelle encore plus réduite, reproduisent analogiquement celles de l’année, il en est de même, plus généralement, pour un cycle quelconque, qui, quelle que soit son étendue, se divise toujours naturellement suivant la même loi quaternaire. Suivant le symbolisme chrétien, la naissance de l’Avatâra a lieu non seulement au solstice d’hiver, mais aussi à minuit ; elle est donc ainsi doublement en correspondance avec la « porte des dieux ». D’autre part, suivant le symbolisme maçonnique, le travail initiatique s’accomplit « de midi à minuit », ce qui n’est pas moins exact si l’on considère ce travail comme une marche s’effectuant de la « porte des hommes » à la « porte des dieux » ; l’objection qu’on pourrait être tenté de faire en raison du caractère « descendant » de cette période se résout par une application du « sens inverse » de l’analogie, ainsi qu’on le verra plus loin.
5 Ceci est en relation directe avec la question du sens des « circumambulations » rituelles dans les différentes formes traditionnelles : suivant la modalité « solaire » du symbolisme, ce sens est celui que nous indiquons ici, et la « circumambulation » s’accomplit ainsi en ayant constamment à sa droite le centre autour duquel on tourne ; suivant la modalité « polaire », elle s’accomplit en sens inverse de celui-là, donc en ayant le centre à gauche. Le premier cas est celui de la pradakshinâ, telle qu’elle est en usage dans les traditions hindoue et thibétaine ; le second cas se rencontre notamment dans la tradition islamique ; il n’est peut-être pas sans intérêt de remarquer que le sens de ces « circumambulations », allant respectivement de gauche à droite et de droite à gauche, correspond également à la direction de l’écriture dans les langues sacrées de ces mêmes formes traditionnelles. Dans la maçonnerie, sous sa forme actuelle, le sens des « circumambulations » est « solaire » ; mais il parait avoir au contraire été « polaire » dans l’ancien rituel « opératif », selon lequel le « trône de Salomon » était d’ailleurs placé à l’occident et non à l’orient.
6 Bhagavad-Gitâ, VIII, 26.  On peut remarquer que la « clarté » et l’« obscurité », caractérisant respectivement ces deux voies, correspondent exactement aux deux principes complémentaires yang et yin de la tradition extrême-orientale.


Il reste pourtant encore à résoudre une apparence de contradiction, qui est celle-ci : le nord est désigné comme le point le plus haut (uttara), et c’est d’ailleurs vers ce point qu’est dirigée la marche ascendante du soleil, tandis que sa marche descendante est dirigée vers le sud, qui apparaît ainsi comme le point le plus bas ; mais, d’autre part, le solstice d’hiver, qui correspond au nord dans l’année, marquant le début du mouvement ascendant, est en un certain sens le point le plus bas, et le solstice d’été, qui correspond au sud, et où se termine ce mouvement ascendant, est sous le même rapport le point le plus haut, à partir duquel commencera ensuite le mouvement descendant, qui s’achèvera au solstice d’hiver.

La solution de cette difficulté réside dans la distinction qu’il y a lieu de faire entre l’ordre « céleste », auquel appartient la marche du soleil, et l’ordre « terrestre », auquel appartient au contraire la succession des saisons ; selon la loi générale de l’analogie, ces deux ordres doivent, dans leur corrélation même, être inverses l’un de l’autre, de telle sorte que ce qui est le plus haut suivant l’un devient le plus bas suivant l’autre, et réciproquement ; et c’est ainsi que, selon la parole hermétique de la Table d’Émeraude, « ce qui est en haut (dans l’ordre céleste) est comme ce qui est en bas (dans l’ordre terrestre) », ou encore que, selon la parole évangélique, « les premiers (dans l’ordre principiel) sont les derniers (dans l’ordre manifesté) (7)».

Il n’en est d’ailleurs pas moins vrai que, en ce qui concerne les « influences » attachées à ces points, c’est toujours le nord qui demeure « bénéfique », qu’on le considère comme le point vers lequel se dirige la marche ascendante du soleil dans le ciel, ou, par rapport au monde terrestre, comme l’entrée du dêva-loka ; et, de même, le sud demeure toujours « maléfique », qu’on le considère comme le point vers lequel se dirige la marche descendante du soleil dans le ciel, ou, par rapport au monde terrestre, comme l’entrée du pitri-loka (8 ).

Il faut ajouter que le monde terrestre peut être regardé comme représentant ici, par transposition, tout l’ensemble du « cosmos » et qu’alors le ciel représentera, suivant la même transposition, le domaine « extra-cosmique » ; à ce point de vue, c’est à l’ordre « spirituel », entendu dans son acception la plus élevée, que devra s’appliquer la considération du « sens inverse » par rapport, non seulement à l’ordre sensible, mais à l’ordre cosmique tout entier (9).

7 À ce double point de vue correspond, entre autres applications, le fait que, dans des figurations géographiques ou autres, le point placé en haut peut être le nord ou le sud ; en Chine, c’est le sud et, dans le monde occidental, il en fut de même chez les Romains et même pendant une partie du moyen âge ; cet usage est d’ailleurs en réalité, d’après ce que nous venons de dire, le plus correct en ce qui concerne la représentation des choses terrestres, tandis que par contre, quand il s’agit des choses célestes, c’est le nord qui doit normalement être placé en haut ; mais il va de soi que la prédominance de l’un ou de l’autre des deux points de vue, suivant les formes traditionnelles ou suivant les époques, peut déterminer l’adoption d’une disposition unique pour tous les cas indistinctement ; et, à cet égard, le fait de placer le nord ou le sud en haut apparaît généralement comme lié surtout à la distinction des deux modalités « polaire » et « solaire », le point qu’on place en haut étant celui qu’on a devant soi en s’orientant suivant l’une ou l’autre de celles-ci, ainsi que nous l’expliquerons dans la note suivante.
8 Signalons incidemment, à ce propos, un autre cas où un même point garde aussi une signification constante à travers certains changements qui constituent des renversements apparents : l’orientation peut être prise suivant l’une ou l’autre des deux modalités « polaire » et « solaire » du symbolisme ; dans la première, en regardant l’étoile polaire, c’est-à-dire en se tournant vers le nord, on a l’est à sa droite ; dans la seconde, en regardant le soleil au méridien, c’est-à-dire en se tournant vers le sud, on a au contraire l’est à sa gauche ; ces deux modalités ont été notamment en usage en Chine à des époques différentes ; ainsi, le côté auquel a été donnée la prééminence a été parfois la droite et parfois la gauche, mais en fait, il a toujours été l’est, c’est-à-dire le « côté de la lumière ». Ajoutons qu’il existe encore d’autres modes d’orientation, par exemple en se tournant vers le soleil levant ; c’est à celui-ci que se réfère la désignation sanscrite du sud comme dakshina ou le « côté de la droite » ; et c’est également celui qui, en Occident, était pratiqué par les constructeurs du moyen âge pour l’orientation des églises. [cf. La Grande Triade, ch. VII]
9 Pour donner un exemple de cette application, d’ailleurs en relation assez étroite avec ce dont il s’agit ici, la « culmination » du soleil visible ayant lieu à midi, celle du « soleil spirituel » pourra être envisagée symboliquement comme ayant lieu à minuit ; c’est pourquoi il est dit que les initiés aux « grands mystères » de l’antiquité « contemplaient le soleil à minuit » ; à ce point de vue, la nuit représente, non plus l’absence ou la privation de la lumière, mais son état principiel de non-manifestation, ce qui correspond d’ailleurs strictement à la signification supérieure des ténèbres ou de la couleur noire comme symbole du non-manifesté ; et c’est aussi en ce sens que doivent être entendus certains enseignements de l’ésotérisme islamique, suivant lesquels « la nuit est préférable au jour ». On peut remarquer en outre que, si le symbolisme « solaire » a un rapport évident avec le jour, le symbolisme « polaire » a, de son côté, un certain rapport avec la nuit ; et il est encore assez significatif, à cet égard que le « soleil de minuit » ait littéralement, dans l’ordre des phénomènes sensibles, sa représentation dans les régions hyperboréennes, c’est-à-dire là même où se situe l’origine de la tradition primordiale.


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Symboles de la Science sacrée Empty Chapitre XXVIII - Le symbolisme des cornes

Message par Ligeia Jeu 9 Juil - 13:11

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Le symbolisme des cornes


Publié dans les Études Traditionnelles, novembre 1936.


Dans son étude sur le celtisme (1), T. Basilide signalait l’importance d’Apollon Karneios en tant que dieu des hyperboréens ; le nom celtique de Belen est d’ailleurs identique à Ablun ou Aplun, devenu chez les Grecs Apollon. Nous nous proposons de revenir quelque jour plus complètement sur la question de l’Apollon hyperboréen ; pour le moment, nous nous bornerons à quelques considérations concernant plus spécialement le nom de Karneios, ainsi que celui de Kronos avec lequel il est en étroit rapport, puisque ces deux noms ont la même racine KRN, qui exprime essentiellement les idées de « puissance » et d’« élévation ».

Dans le sens d’« élévation », le nom de Kronos convient parfaitement à Saturne, qui correspond en effet à la plus élevée des sphères planétaires, le « septième ciel » ou le Satya-Loka de la tradition hindoue (2). On ne doit d’ailleurs pas regarder Saturne comme étant uniquement, ni même en premier lieu, une puissance maléfique, comme on semble avoir tendance à le faire parfois, car il ne faut pas oublier qu’il est avant tout le régent de l’« âge d’or », c’est-à-dire du Satya-Yuga ou de la première phase du Manvantara, qui coïncide précisément avec la période hyperboréenne, ce qui montre bien que ce n’est pas sans raison que Kronos est identifié au dieu des hyperboréens (3).
Il est d’ailleurs vraisemblable que l’aspect maléfique résulte ici de la disparition même de ce monde hyperboréen ; c’est en vertu d’un « retournement » analogue que toute « Terre des Dieux », siège d’un centre spirituel, devient une « Terre des Morts » lorsque ce centre a disparu.

1 [Trois études Celtiques, dans les Études Traditionnelles, août-septembre. 1936.]
2 Pour les pythagoriciens, Kronos et Rhéa représentaient respectivement le Ciel et la Terre : l’idée d’élévation se retrouve donc aussi dans cette correspondance. Ce n’est que par une assimilation phonétique plus ou moins tardive que les Grecs ont identifié Kronos ou Saturne à Chronos, le Temps, alors que les racines de ces deux mots sont en réalité différentes ; il semble que le symbole de la faux ait été aussi transféré alors de l’un à l’autre, mais ceci ne rentre pas dans notre sujet actuel.
3 La mer qui entourait l’île d’Ogygie, consacrée à Karneios ou à Kronos, était appelée mer Kronienne (Plutarque, De facie in orbe Lunæ) ; Ogygie qu’Homère appelle le « nombril du Monde » (représenté plus tard par l’Omphalos de Delphes) n’était d’ailleurs qu’un centre secondaire ayant remplacé la Thulé ou Syrie primitive à une époque beaucoup plus proche de nous que la période hyperboréenne.


Il est possible aussi qu’on ait concentré plus volontiers par la suite cet aspect su le nom de Kronos, tandis que l’aspect bénéfique demeurait au contraire attaché au nom de Karneios, du fait du dédoublement de ces noms qui originairement n’en sont qu’un ; et il est vrai encore que le symbolisme du soleil présente en lui-même les deux aspects opposés, vivifiant et meurtrier, producteur et destructeur, ainsi que nous l’avons fait remarquer dernièrement à propos des armes représentant le « rayon solaire (4) ».

Karneios est le dieu du Karn, c’est-à-dire du « haut lieu » symbolisant la Montagne sacrée du Pôle, et qui était représenté chez les Celtes, soit par le tumulus, soit par le cairn ou monceau de pierres qui en a gardé le nom. La pierre est d’ailleurs souvent en rapport direct avec le culte d’Apollon, comme on le voit notamment par l’Omphalos de Delphes, et aussi par le cube de pierre qui servait d’autel à Délos, et dont l’oracle ordonna de doubler le volume ; mais, d’autre part, la pierre avait aussi une relation particulière avec Kronos ; il y a là un nouveau rapprochement que nous ne pouvons qu’indiquer en passant, car ce point mériterait d’être traité à part (5).

En même temps, Karneios est aussi, par la signification même de son nom, le « dieu puissant (6) » ; et, si la montagne est, sous un de ses aspects, symbole de puissance aussi bien que d’élévation, en raison de l’idée de stabilité qui y est attachée, il y a un autre symbole qui est encore plus caractéristique à ce point de vue, et qui est celui des cornes. Or, il y avait à Délos, outre la pierre cubique que nous venons de mentionner, un autre autel appelé Keraton, qui était entièrement formé de cornes de bœufs et de chèvres solidement assemblées ; il est évident que ceci se rapporte directement à Karneios, dont la relation symbolique avec les bêtes à cornes a même laissé des traces jusqu’à nos jours (7).

Le nom même de la corne se rattache d’ailleurs manifestement à la racine KRN, aussi bien que celui de la couronne qui est une autre expression symbolique des mêmes idées, car ces deux mots (en latin cornu et corona) sont très proches l’un de l’autre (8 ).

4 En grec, la forme même du nom d’Apollon est très proche de celle d’Apollyon, le « destructeur » (cf. Apocalypse, IX, 11).
5 On attribue assez généralement aux « bétyles », qui sont assimilables à l’Omphalos, une signification « solaire » ; mais celle-ci a dû, à une certaine période, se superposer à une signification « polaire » primitive, et il se peut qu’il en ait été ainsi pour Apollon lui-même. Notons encore qu’Apollon est représenté comme protecteur des sources (le Borvo celtique lui a été assimilé à cet égard) ; et les sources sont aussi en relation avec la montagne ou avec la pierre qui en est un équivalent dans le symbolisme « polaire ».
6 Ce nom correspond par là, en hébreu, au nom divin Shaddaï, qui doit être plus particulièrement le nom du Dieu d’Abraham ; or, il y a encore, entre Abraham et Kronos, des rapports assez remarquables. Que nous expliquerons peut-être quelque jour. [Un précédent article, La chirologie dans l’ésotérisme islamique (Voile d’Isis, mai 1932), recueilli dans les Aperçus sur l’ésotérisme islamique et le Taoïsme, évoque un de ces rapport : « Ciel de Saturne (ElKaywân) : Seyidna Ibrahîm. »]
7 En Bretagne, saint Corneille ou Cornély, substitué à Apollon Karneios, est regardé comme le protecteur des bêtes à cornes ; les considérations que nous exposons ici permettront de comprendre qu’il y a là, en réalité, beaucoup plus que le simple « jeu de mots » que certains seraient peut-être tentés d’y voir.
8 Le mot grec Keraunos, qui désigne la foudre, semble bien être dérivé aussi de la même racine ; remarquons à ce propos que la foudre frappe habituellement les sommets, les lieux ou les objets élevés ; et il faut aussi tenir compte de l’analogie de l’éclair avec le rayon lumineux sur lequel nous allons avoir à revenir.


Il est trop évident que la couronne est l’insigne du pouvoir et la marque d’un rang élevé pour qu’il soit nécessaire d’y insister ; et nous trouvons un premier rapprochement avec les cornes dans le fait que celles-là et celles-ci sont également placées sur la tête, ce qui donne bien l’idée d’un « sommet (9) ». Cependant, il y a encore autre chose : la couronne était primitivement un cercle orné de pointes en forme de rayons ; et les cornes sont pareillement regardées comme figurant les rayons lumineux (10), ce qui nous ramène à certaines des considérations que nous avons déjà exposées en ce qui concerne les armes symboliques. Il est bien clair, du reste, que les cornes peuvent être assimilées à des armes, même dans le sens le plus littéral, et c’est bien aussi par là qu’une idée de force ou de puissance a pu y être attachée, comme, en fait, elle l’a été partout et toujours (11).
D’autre part, les rayons lumineux conviennent bien comme attribut de la puissance, qu’elle soit, suivant le cas, sacerdotale ou royale, c’est-à-dire spirituelle ou temporelle, car ils la désignent comme une émanation ou une délégation de la source même de la lumière, ce qu’elle est en effet lorsqu’elle est légitime.

On pourrait facilement donner de multiples exemples, de provenances très diverses, des cornes employées comme symbole de puissance ; on en trouve notamment dans la Bible, et plus spécialement encore dans l’Apocalypse (12) ; nous en citerons un autre, pris à la tradition arabe, qui désigne Alexandre sous le nom d’ElIskandar dhûl-qarnein, c’est-à-dire « aux deux cornes (13) », ce qui est interprété le plus habituellement dans le sens d’une double puissance s’étendant sur l’Orient et sur l’Occident (14).
Cette interprétation est parfaitement juste, tout en n’excluant pas un autre fait qui la complète plutôt : Alexandre, ayant été déclaré fils d’Ammon par l’oracle de ce dieu, prit pour emblème les deux cornes de bélier qui étaient le principal attribut de celui-ci (15) ; et cette origine divine ne faisait d’ailleurs que le légitimer comme successeur des anciens souverains de l’Égypte, à qui elle était également attribuée.

9 Dans la tradition hébraïque, Kether ou la « Couronne » occupe le sommet de l’arbre séphirotique.
10 On peut en trouver un exemple particulièrement frappant dans les représentations de Moïse, car on sait que les apparences de cornes qu’il porte à son front ne sont pas autre chose que des rayons lumineux. Certains, parmi lesquels Huet, évêque d’Avranches, ont voulu identifier Moïse avec Dionysos, qui est également figuré avec des cornes ; il y aurait d’ailleurs d’autres relations curieuses à envisager, mais ceci nous entraînerait trop loin de notre sujet.
11 La même assimilation est naturellement valable aussi pour d’autres armes animales, comme les défenses de l’éléphant et du sanglier, dont la forme en pointe est d’ailleurs semblable à celle des cornes. Ajoutons cependant que la dualité des cornes (et aussi des défenses) empêche que le symbolisme « axial » leur soit applicable : elles s’assimilent plutôt, à cet égard, aux deux pointes latérales du trishûla ; et c’est aussi pourquoi nous parlons ici des rayons lumineux en général, et non pas du « Rayon céleste » qui est, au double point de vue macrocosmique et microcosmique, un équivalent de l’« Axe du Monde ».
12 Il faut remarquer qu’ici l’idée n’est plus seulement celle d’une puissance légitime, mais est étendue à toute puissance quelconque, qui peut être maléfique aussi bien que bénéfique : il y a les cornes de l’Agneau, mais aussi les cornes de la Bête.
13 Le mot arabe qarn est le même que « corne », la racine KRN, se changeant facilement en QRN et aussi en HRN, comme dans l’anglais horn. Ŕ Ce mot qarn a aussi un autre sens, celui d’« âge » ou de « cycle », et le plus ordinairement de « siècle » ; cette double signification entraîne parfois une curieuse méprise, certains croyant que l’épithète dhûl-qarnein appliquée à Alexandre veut dire que celui-ci aurait vécu deux siècles.
14 Sous ce rapport, les deux cornes sont un équivalent des deux têtes de l’aigle héraldique.
15 Ammon lui-même était appelé « Maître de la double corne » (Livre des morts, ch. CLXV).


On dit même qu’il se fit représenter ainsi sur ses monnaies, ce qui du reste, aux yeux des Grecs, l’identifiait plutôt à Dionysos, dont il évoquait aussi le souvenir par ses conquêtes, par celle de l’Inde surtout ; et Dionysos était le fils de Zeus, que les Grecs assimilaient à Ammon ; il est possible que cette idée n’ait pas été étrangère non plus à Alexandre lui-même ; mais, cependant, Dionysos était représenté d’ordinaire avec des cornes, non de bélier, mais de taureau, ce qui constitue, au point de vue du symbolisme, une différence assez importante (16).

Il y a lieu de remarquer en effet que les cornes, dans leur usage symbolique, revêtent deux formes principales : celle de cornes de bélier, qui est proprement « solaire », et celle des cornes de taureau, qui est au contraire « lunaire », rappelant d’ailleurs la forme même du croissant (17).
On pourrait aussi, à ce propos, se référer aux correspondances respectives des deux signes zodiacaux du Bélier et du Taureau ; mais ceci donnerait lieu surtout, par l’application qui pourrait en être faite à la prédominance de l’une ou de l’autre forme dans différentes traditions, à des considérations « cycliques » dans lesquelles nous ne pouvons songer à entrer présentement.

Pour terminer cet aperçu, nous signalerons seulement encore un rapprochement, sous certains rapports, entre ces armes animales que sont les cornes et ce qu’on peut appeler les armes végétales, c’est-à-dire les épines. Il est à noter, à cet égard que beaucoup de plantes qui jouent un rôle symbolique important sont des plantes épineuses (18 ) ; ici encore, les épines, comme les autres pointes, évoquent l’idée d’un sommet ou d’une élévation, et elles peuvent également, dans certains cas tout au moins, être prises pour figurer les rayons lumineux (19).
On voit donc que le symbolisme est toujours parfaitement cohérent, comme il doit d’ailleurs l’être nécessairement par là même qu’il n’est point le résultat de quelque convention plus ou moins artificielle, mais qu’il est au contraire fondé essentiellement sur la nature même des choses.

16 Il est possible encore qu’Alexandre ait porté un casque orné de deux cornes ; on sait que les casques à cornes étaient en usage chez beaucoup de peuples anciens. Chez les Assyro-Babyloniens, la tiare à cornes était un attribut caractéristique des divinités.
17 À cette distinction correspond celle des deux formes que les alchimistes donnent au signe du mercure : la forme lunaire est ici rapportée au mercure vulgaire, et la forme solaire au mercure des sages.
18 On peut donner comme exemples la rose, le chardon, l’acacia, l’acanthe, etc.
19 Le symbolisme chrétien de la couronne d’épines (qu’on dit être des épines d’acacia) se rapproche par là, d’une façon que certains trouveront peut-être inattendue, mais qui n’en est pas moins réelle et exacte, de la couronne à rayons dont nous avons parlé plus haut. Il est à remarquer aussi que, dans diverses régions, les menhirs sont désignés sous le nom d’« épines » (de là, en Bretagne et ailleurs, des noms de lieux comme la Belle-Épine, Notre-Dame-del’Épine, etc.) : or le symbolisme du menhir, comme celui de l’obélisque et de la colonne, se rapporte au « rayon solaire » en même temps qu’à l’« Axe du Monde ».



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Symboles de la Science sacrée Empty Chapitre XX : Sheth

Message par Ligeia Lun 31 Aoû - 20:26

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SHETH

Kâna el-insânu hayyatan fil-qidam
(« L’homme fut serpent autrefois. »)


Dans la chronique d’un curieux livre anglais sur les « derniers temps », The Antichrist (Personal. Future) de E. H. Moggridge (1), il est un point qui a particulièrement retenu notre attention et sur lequel nous voudrions apporter quelques éclaircissements : c’est l’interprétation des noms de Nimrod et de Sheth. À vrai dire, l’assimilation établie entre l’un et l’autre par l’auteur appelle bien des réserves, mais il y a tout au moins un certain rapport réel, et les rapprochements tirés du symbolisme animal nous semblent bien fondés.

Précisons tout d’abord que namar en hébreu, comme nimr en arabe, est proprement l’« animal tacheté », nom commun au tigre, à la panthère et au léopard ; et l’on peut dire, même en s’en tenant au sens le plus extérieur, que ces animaux représentent bien en effet le « chasseur » que fut Nimrod d’après la Bible. Mais, en outre, le tigre, envisagé en un sens qui d’ailleurs n’est pas forcément défavorable, est, comme l’ours dans la tradition nordique, un symbole du Kshatriya ; et la fondation de Ninive et de l’empire assyrien par Nimrod semble être effectivement le fait d’une révolte des Kshatriyas contre l’autorité de la caste sacerdotale chaldéenne. De là le rapport légendaire établi entre Nimrod et les Nephilim ou autres « géants » antédiluviens, qui figurent aussi les Kshatriyas dans des périodes antérieures ; et de là également l’épithète de « nemrodien » appliquée au pouvoir temporel qui s’affirme indépendant de l’autorité spirituelle.

Maintenant, quel est le rapport de tout ceci avec Sheth ? Le tigre et les autres animaux similaires sont, en tant que « destructeurs », des emblèmes du Set égyptien, frère et meurtrier d’Osiris, auquel les Grecs donnèrent le nom de Typhon ; et l’on peut dire que l’esprit « nemrodien » procède du principe ténébreux désigné par ce nom de Set, sans pour cela prétendre que celui-ci ne fait qu’un avec Nemrod luimême ; il y a là une distinction qui est plus qu’une simple nuance.

1 [Chronique d’Argos, collaborateur du Voile d’Isis, parue en juillet 1931]

Mais le point qui semble donner lieu à la plus grande difficulté est cette signification maléfique du nom de Set ou Sheth, qui d’autre part, en tant qu’il désigne le fils d’Adam, loin de signifier la destruction, évoque au contraire l’idée de stabilité et de restauration de l’ordre. Du reste, si l’on veut établir des rapprochements bibliques, le rôle de Set vis-à-vis d’Osiris rappellera celui de Caïn vis-à-vis d’Abel ; et nous noterons, à ce propos, que certains font de Nimrod un des « caïnites » qui auraient échappé au cataclysme diluvien. Mais le Sheth de la Genèse est opposé à Caïn, loin de pouvoir lui être assimilé ; comment donc son nom se retrouve-t-il ici ?

En fait, le mot Sheth, en hébreu même, a bien réellement les deux sens contraires, celui de « fondement » et celui de « tumulte » et de « ruine (2) » ; et l’expression beni-Sheth (fils de Sheth) se trouve aussi avec cette double signification. Il est vrai que les linguistes veulent voir là deux mots distincts, provenant de deux racines verbales différentes, shith pour le premier et shath pour le second, mais la distinction de ces deux racines apparaît comme tout à fait secondaire, et, en tout cas, leurs éléments constitutifs essentiels sont bien identiques. En réalité, il ne faut voir là rien d’autre qu’une application de ce double sens des symboles auquel nous avons eu souvent l’occasion de faire allusion ; et cette application se rapporte plus particulièrement au symbolisme du serpent.

En effet, si le tigre ou le léopard est un symbole du Set égyptien, le serpent en est un autre (3), et cela se comprend sans peine, si on l’envisage sous l’aspect maléfique qui lui est le plus ordinairement attribué ; mais on oublie presque toujours que le serpent a aussi un aspect bénéfique, qui se trouve d’ailleurs également dans le symbolisme de l’ancienne Égypte notamment sous la forme du serpent royal, « uræus » ou basilic (4). Même dans l’iconographie chrétienne, le serpent est parfois un symbole du Christ (5) ; et le Sheth biblique, dont nous avons signalé ailleurs le rôle dans la légende du Graal (6), est souvent regardé comme une « préfiguration » du Christ (7). On peut dire que les deux Sheth ne sont pas autre chose, au fond, que les deux serpents du caducée hermétique (8 ) : c’est, si l’on veut, la vie et la mort, produites l’une et l’autre par un pouvoir unique en son essence, mais double dans sa manifestation (9).

2 Le mot est identique dans les deux cas, mais, chose assez curieuse, il est masculin dans le premier et féminin dans le second.
3 Il est assez remarquable que le nom grec Typhon soit anagrammatiquement formé des mêmes éléments que Python.
4 Rappelons aussi le serpent figurant Kneph, et produisant l’« Œuf du Monde » par sa bouche (symbole du Verbe) ; on sait que celui-ci, pour les druides, était pareillement l’« œuf de serpent » (représenté par l’oursin fossile).
5 Dans Le Roi du Monde, ch. III, nous avons signalé à cet égard la figuration de l’« amphisbène » ou serpent à deux têtes, dont l’une représente le Christ et l’autre Satan.
6 Le Roi du Monde, ch. V.
7 Il est vraisemblable que les Gnostiques dits « Séthiens » ne différaient pas en réalité des « Ophites », pour qui le serpent (ophis) était le symbole du Verbe et de la Sagesse (Sophia).
8 Il est assez curieux que le nom de Sheth, ramené à ses éléments essentiels ST dans l’alphabet latin (qui n’est qu’une forme de l’alphabet phénicien) donne la figure du « serpent d’airain ». À propos de ce dernier, signalons que c’est en réalité le même mot qui en hébreu signifie « serpent ») (nahash) et « airain » ou « cuivre » (nehash) ; on trouve en arabe un autre rapprochement non moins étrange : nahas « calamité », et nahâs « cuivre ».
9 On pourra, sur ce point, se reporter à l’étude que nous avons consacrée aux « pierres de foudre » [ch. XXV].


Si nous nous arrêtons à cette interprétation en termes de vie et de mort, quoiqu’elle ne soit en somme qu’une application particulière de la considération de deux termes contraires ou antagonistes, c’est que le symbolisme du serpent est effectivement lié, avant tout, à l’idée même de vie (10) : en arabe, le serpent est elhayyah, et la vie el-hayâh (hébreu hayah, à la fois « vie » et « animal », de la racine hayi qui est commune au deux langues (11)).
Ceci, qui se rattache au symbolisme de l’« Arbre de Vie (12) », permet en même temps d’entrevoir un singulier rapport du serpent avec Ève (Hawâ, « la vivante ») ; et on peut rappeler ici les figurations médiévales de la « tentation » où le corps du serpent enroulé à l’arbre est surmonté d’un buste de femme (13).
Chose non moins étrange, dans le symbolisme chinois, Fo-hi et sa sœur Niu-Koua, qui sont dits avoir régné ensemble, formant un couple fraternel comme on en trouve également dans l’ancienne Égypte (et même jusqu’à l’époque des Ptolémées), sont parfois représentés avec un corps de serpent et une tête humaine ; et il arrive même que ces deux serpents sont enlacés comme ceux du caducée, faisant sans doute allusion alors au complémentarisme du yang et du yin (14). Sans y insister davantage, ce qui risquerait de nous entraîner bien loin, nous pouvons voir en tout ceci l’indication que le serpent a eu, à des époques sans doute fort reculées, une importance qu’on ne soupçonne plus aujourd’hui ; et, si l’on étudiait de près tous les aspects de son symbolisme, notamment en Égypte et dans l’Inde, on pourrait être amené à des constatations assez inattendues.

À propos du double sens des symboles, il est à remarquer que le nombre 666, lui aussi, n’a pas une signification exclusivement maléfique ; s’il est le « nombre de la Bête », il est tout d’abord un nombre solaire, et, comme nous l’avons dit ailleurs (15), il est celui d’Hakathriel ou l’« Ange de la Couronne ». D’autre part, ce nombre est également donné par le nom de Sorath, qui est, suivant les Kabbalistes, le démon solaire, opposé comme tel à l’archange Mikaël, et ceci se rapporte aux deux faces de Metraton (16) ; Sorath est en outre l’anagramme de sthur, qui signifie « chose cachée » : est-ce là le « nom de mystère » dont parle l’Apocalypse ?
Mais, si sathar signifie « cacher », il signifie aussi « protéger » ; et, en arabe, le même mot satar évoque presque uniquement l’idée de protection, et même souvent d’une protection divine et providentielle (17) ; là encore, les choses sont donc beaucoup moins simples que ne le croient ceux qui ne les voient que d’un seul côté.

10 Ce sens est notamment évident pour le serpent qui s’enroule autour du bâton d’Esculape.
11 El-Hay est un des principaux nom divins ; on doit le traduire, non par « le Vivant » comme on le fait souvent, mais par « le Vivifiant », celui qui donne la vie ou qui est le principe de la vie.
12 Voir Le Symbolisme de la Croix, ch. XXV.
13 On en trouve un exemple au portail gauche de Notre-Dame de Paris.
14 Il est dit que Niu-Koua fondit des pierres des cinq couleurs (blanc, noir rouge, jaune, bleu) pour réparer une déchirure dans le ciel, et aussi qu’elle coupa les quatre pieds de la tortue pour y poser les quatre extrémités du monde.
15 Le Roi du Monde, ch. V.
16 Ibid., ch. III.
17 Pourrait-on, sans trop de fantaisie linguistique, en rapprocher le grec sôter, « sauveur » ? Et faut-il dire à ce propos qu’il peut et qu’il doit même y avoir, entre les désignations du Christ (El-Mêssîh) et celles de l’Antéchrist (ElMessîkh), une singulière ressemblance ? [Voir à ce sujet Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXIX]


Mais revenons aux animaux symboliques du Set égyptien : il y a encore le crocodile, ce qui s’explique de soi-même, et l’hippopotame, dans lequel certains ont voulu voir le Behemoth du livre de Job, et peut-être non sans quelque raison, quoique ce mot (pluriel de behemah, en arabe bahîmah) soit proprement une désignation collective de tous les grands quadrupèdes (18 ).

Mais un autre animal qui a ici au moins autant d’importance que l’hippopotame, si étonnant que cela puisse sembler, c’est l’âne, et plus spécialement l’âne rouge (19), qui était représenté comme une des entités les plus redoutables parmi toutes celles que devait rencontrer le mort au cours de son voyage d’outre-tombe, ou, ce qui ésotériquement revient au même, l’initié au cours de ses épreuves ; ne serait-ce pas là, plus encore que l’hippopotame, la « bête écarlate » de l’Apocalypse (20) ?
En tout cas, un des aspects les plus ténébreux des mystères « typhoniens » était le culte du « dieu à la tête d’âne », auquel on sait que les premiers chrétiens furent parfois accusés faussement de se rattacher (21) ; nous avons quelques raisons de penser que, sous une forme ou sous une autre, il s’est continué jusqu’à nos jours, et certains affirment même qu’il doit durer jusqu’à la fin du cycle actuel.

De ce dernier point, nous voulons tirer au moins une conclusion : au déclin d’une civilisation, c’est le côté le plus inférieur de sa tradition qui persiste le plus longtemps, le côté « magique » particulièrement, qui contribue d’ailleurs, par les déviations auxquelles il donne lieu, à achever sa ruine ; c’est ce qui se serait passé, dit-on, pour l’Atlantide.
C’est là aussi la seule chose dont les débris ont survécu pour les civilisations qui ont entièrement disparu ; la constatation est facile à faire pour l’Égypte, pour la Chaldée, pour le druidisme même ; et sans doute le « fétichisme » des peuples nègres a-t-il une semblable origine.

On pourrait dire que la sorcellerie est faite des vestiges des civilisations mortes ; est-ce pour cela que le serpent, aux époques les plus récentes, n’a presque plus gardé que sa signification maléfique, et que le dragon, antique symbole extrême-oriental du Verbe, n’éveille plus que des idées « diaboliques » dans l’esprit des modernes Occidentaux ?

18 La racine baham ou abham signifie « être muet », et aussi « être caché » ; si le sens général de Behemoth se rattache à la première de ces deux idées, la seconde peut évoquer plus spécialement l’animal « qui se cache sous les roseaux » ; et, ici, le rapprochement avec le sens de l’autre racine sathar, dont nous venons de parler est encore assez curieux.
19 Encore un étrange rapprochement linguistique : en arabe « âne » se dit himar (en hébreu hemor), et « rouge » ahmar ; l’âne rouge serait donc, comme le « serpent d’airain », une sorte de « pléonasme » en symbolisme phonétique.
20 Dans l’Inde, l’âne est la monture symbolique de Mudêvî, aspect « infernal » de la Shakti.
21 Le rôle de l’âne dans la tradition évangélique, à la naissance du Christ et son entrée à Jérusalem, peut sembler en contradiction avec le caractère maléfique qui lui est attribué presque partout ailleurs ; et la « fête de l’âne » qui se célébrait au moyen âge ne paraît pas avoir été jamais expliquée d’une façon satisfaisante : nous nous garderons bien de risquer la moindre interprétation sur ce sujet fort obscur. [cf. chapitre suivant.]



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Symboles de la Science sacrée Empty Chapitre LIX - Kâla-mukha

Message par Ligeia Mar 15 Sep - 20:16

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Kâla-mukha


Publié dans les Études Traditionnelles, mars-avril 1946.

Au cours de l’étude dont nous venons de parler (1), A. K. Coomaraswamy examine incidemment un autre symbole dont la signification est en rapport avec la Janua Cæli : il s’agit d’une « tête de monstre » qui, sous des formes variées et souvent plus ou moins stylisées, se rencontre dans les pays les plus différents, où elle a reçu des noms également divers, notamment ceux de Kâla-mukha et Kîrti-mukha dans l’Inde, et celui de T’ao-t’ie en Chine ; on la retrouve aussi, non seulement au Cambodge et à Java, mais jusque dans l’Amérique centrale, et elle n’est même pas étrangère non plus à l’art européen du moyen âge.
Ce qu’il importe de remarquer avant tout, c’est que cette figuration est généralement placée sur le linteau d’une porte ou la clef de voûte d’une arche, ou encore au sommet d’une niche (torana) contenant l’image d’une divinité ; d’une façon ou d’une autre, elle apparaît le plus souvent comme liée à l’idée de la porte, ce qui en détermine nettement la valeur symbolique (2).

On a donné de cette figure un certain nombre d’explications (nous ne parlons pas, bien entendu, de ceux qui ne veulent y voir qu’un motif simplement « décoratif »), qui peuvent contenir une part de vérité, mais dont la plupart sont insuffisantes, ne serait-ce qu’en ce qu’elles ne sauraient s’appliquer indistinctement à tous les cas. Ainsi, M. K. Marchal a remarqué que, dans les figurations qu’il a étudiées plus spécialement, la mâchoire inférieure manquait presque toujours ; joignant à ce fait la forme ronde des yeux (3) et la mise en évidence des dents, il en conclut qu’il a dû s’agir, à l’origine, de l’image d’un crâne humain (4).

1 Swayamâtrinnâ : Janua Cæli, dans Zalmoxis, t. II (1939).
2 Coomaraswamy donne la reproduction d’une figure de T’ao-t’ie de l’époque des Han, à laquelle un anneau est comme suspendu, et qui pourrait être regardée en quelque sorte comme le prototype de la forme commune des heurtoirs, en usage jusqu’à nos jours, celle d’un masque d’animal tenant un anneau dans sa bouche ; cet anneau est lui-même ici un symbole de la « porte étroite », comme la gueule ouverte du monstre l’est dans d’autres cas.
3 Cette forme est en réalité, très généralement, un caractère de la représentation traditionnelle des entités « terribles » ; c’est ainsi que la tradition hindoue l’attribue aux Yakshas et autres génies « gardiens » et la tradition islamique aux Jinn.
4 The Head of the Monster in Khmer and Far Eastern Decoration, dans le Journal of the Indian Society of Oriental Art (1948).


Cependant, la mâchoire inférieure n’est pas toujours absente, et elle existe notamment dans le T’ao-t’ie chinois, bien qu’elle y présente une apparence assez singulière, comme si elle était coupée en deux parties symétriques qui auraient été rabattues de chaque côté de la tête, ce que M. Carl Hentze explique comme répondant à l’aspect de la dépouille étalée d’un tigre ou d’un ours (5) ; cela peut être exact dans ce cas particulier, mais ne le serait plus ailleurs, où le monstre a une bouche de forme normale et plus ou moins largement ouverte ; et, même en ce qui concerne le T’ao-t’ie, cette explication n’a en somme qu’une valeur « historique » et ne touche naturellement en rien à l’interprétation symbolique.

Le T’ao-t’ie n’est d’ailleurs en réalité ni un tigre ni un ours, non plus qu’aucun autre animal déterminé, et M. Hentze décrit ainsi le caractère composite de ce masque fantastique : « gueule de carnassier armée de grands crocs, cornes de buffle ou de bélier, face et aigrettes de hibou, moignons d’ailes et griffes d’oiseau de proie, ornement frontal en forme de cigale ».
Cette figure est fort ancienne en Chine, puisqu’elle se trouve presque constamment sur les bronzes de la dynastie Chang (6) ; le nom de T’ao-t’ie, qu’on traduit habituellement par « glouton » ou par « ogre », paraît ne lui avoir été donné que beaucoup plus tard, mais cette appellation n’en est pas moins juste, car c ‘est bien d’un monstre « dévorateur » qu’il s’agit en effet.
Ceci est également vrai pour ses équivalents appartenant à d’autres traditions, et qui, même s’ils ne présentent pas un caractère aussi composite que le T’ao-t’ie, semblent en tout cas ne jamais pouvoir se ramener à la représentation d’un animal unique : ainsi, dans l’Inde, ce peut être un lion (et c’est alors qu’on est convenu de lui donner plus particulièrement le nom de Kâla), ou un Makara (symbole de Varuna, ce qui est à retenir en vue des considérations qui vont suivre), ou même un aigle, c’est-à-dire un Garuda ; mais, sous toutes ce formes, la signification essentielle demeure toujours la même.

Quant à cette signification, M. Hentze, dans l’article que nous venons de citer, voit avant tout dans le T’ao-t’ie un « démon des ténèbres » ; cela peut être vrai en un certain sens, mais à la condition d’être expliqué et précisé, ainsi qu’il l’a d’ailleurs fait lui-même depuis lors dans un autre travail (7).
Ce n’est point un « démon » au sens ordinaire de ce mot, mais au sens originel de l’Asura vêdique, et les ténèbres dont il s’agit sont en réalité les « ténèbres supérieures (8 ) » ; en d’autre termes, il s’agit là d’un symbole de l’« Identité Suprême » en tant qu’absorbant et émettant tour à tour la « Lumière du Monde ».

5 Le Culte de l’ours et du tigre et le « T’ao-t’ie », dans Zalmoxis, t. I (1938).
6 Cf. H. G. Creel, Studies in Early Chinese Culture ; cet auteur insiste particulièrement sur les éléments de cette représentation empruntés au bœuf et au bélier, et il y voit un rapport possible avec le fait que ces animaux étaient, à l’époque des Chang, ceux qui servaient le plus souvent aux sacrifices.
7 Die Sakralbronzen und ihre Bedeutung in der Frühchinesischen Kulturen (Anvers, 1941). Ŕ Nous ne connaissons pas directement cet ouvrage mais nous devons à Coomaraswamy l’indication du sens dans lequel le T’aot’ie y est interprété.
8 Voir notre étude sur Les deux nuits [ch. XXXI d’Initiation et Réalisation spirituelle].


Le T’ao-t’ie et les autres monstres similaires correspondent donc à Vritra et à ses divers équivalents, et aussi à Varuna, par qui la lumière ou la pluie est alternativement retenue et relâchée, alternance qui est celle des cycles involutifs et évolutifs de la manifestation universelle (9) ; aussi Coomaraswamy a-t-il pu dire avec raison que cette face, quelles que soient ses apparences diverses, est véritablement la « Face de Dieu » qui à la fois « tue et vivifie » (10). Ce n’est donc pas précisément une « tête de mort » comme le voudrait M. Marchal, à moins que celle-ci ne soit prise comme un symbole ; mais c’est plutôt, comme le dit encore Coomaraswamy, la « tête de la Mort », c’est-à-dire de Mrityu, dont Kâla est aussi un des noms (11).

Kâla est proprement le Temps « dévorateur » (12), mais désigne aussi, par transposition, le Principe même en tant que « destructeur », ou plutôt « transformateur », par rapport à la manifestation qu’il ramène à l’état non-manifesté en la résorbant en quelque sorte en lui-même, ce qui est le sens le plus élevé dans lequel la Mort puisse être entendue. Il est aussi assimilé symboliquement au soleil, et l’on sait d’ailleurs que le lion, dont il emprunte le masque (sinha-mukha), est plus particulièrement un symbole solaire ; ceci nous ramène à ce que nous avons exposé précédemment au sujet de la Janua Cæli, et Coomaraswamy rappelle à ce propos que le Christ, qui dit : « Je suis la Porte », est aussi à la fois le « Lion de Juda » et le « Soleil des hommes » (13). Dans les églises byzantines, la figure du Pantokrator ou du Christ « en majesté » occupe à la voûte la position centrale, c’est-à-dire celle qui correspond précisément à l’« œil » du dôme ; or celui-ci, ainsi que nous l’avons expliqué ailleurs, représente, à l’extrémité supérieure de l’« Axe du Monde », la porte par laquelle s’effectue la « sortie du cosmos » (14).

Pour en revenir à Kâla, la figuration composite connue à Java sous le nom de Kâla-makara, et dans laquelle les traits du lion sont combinés avec ceux du Makara, a aussi une signification essentiellement solaire, et en même temps, par son aspect de Makara, elle se réfère plus précisément au symbolisme de Varuna. En tant que celui ci s’identifie à Mrityu ou à Yama (15), le Makara est le crocodile (shishumâra ou shimshumârî) aux mâchoires ouvertes qui se tient « contre le courant » représentant la voie unique par laquelle tout être doit passer nécessairement, et qui se présente ainsi comme le « gardien de la porte » qu’il doit franchir pour être libéré des conditions limitatives (symbolisées aussi par le pâsha de Varuna) qui le retiennent dans le domaine de l’existence contingente et manifestée (16).

9 La lumière et la pluie sont deux symboles des influences célestes ; nous reviendrons sur cette équivalence [voir ch. LX].
10 El-Muhyî et El-Mumît sont deux noms divins dans la tradition islamique.
11 Coomaraswamy signale à ce propos des poignées de sabres indonésiennes où sont figurés des monstres dévorateurs ; il est évident qu’un symbole de la Mort est ici particulièrement approprié. D’autre part, on peut aussi faire un rapprochement avec certaines représentations de Shinje, la forme thibétaine de Yama, tenant devant lui la « roue de l’Existence » et semblant s’apprêter à dévorer tous les êtres qui y sont figurés (voir M. Pallis, Peaks and Lamas, p. 146).
12 Ce mot a pour sens premier celui de « noir », ce qui nous ramène encore au symbolisme des « ténèbres », lequel est d’ailleurs applicable, à l’intérieur même de la manifestation, à tout passage d’un état à un autre.
13 La « porte solaire » (sûrya-dwâra) est la « porte de la Délivrance » (mukti-dwâra) ; la porte (dwâra) et la bouche (mukha) sont ici des symboles équivalents. Le soleil, en tant que « Face de Dieu », est également représenté par un masque de lion sur un sarcophage chrétien de Ravenne.
14 Voir La Porte étroite [ch. XLI].
15 Voir Le « trou de l’aiguille » [ch. LV].
16 Voir Le passage des eaux [ch. LVI]. - Ce crocodile est l’Ammit des anciens Égyptiens, monstre qui attend le résultat de la psychostasis ou « pesée des âmes » pour dévorer ceux qui n’auront pas satisfait à cette épreuve. C’est aussi ce même crocodile qui, la gueule béante, guette le « fou » de la vingt et unième lame du Tarot ; ce « fou » est généralement interprété comme l’image du profane qui ne sait ni d’où il vient ni où il va, et qui marche aveuglément sans avoir conscience de l’abîme dans lequel il est sur le point de se précipiter.


D’autre part, ce même Makara est, dans le Zodiaque hindou, le signe du Capricorne, c’est-à-dire la « porte de Dieux » (17) ; il a donc deux aspects apparemment opposés, « bénéfique » et « maléfique » si l’on veut, qui correspondent aussi à la dualité de Mitra et de Varuna (réunis en un couple indissoluble sous la forme duelle Mitrâvarunau), ou du « Soleil diurne » et du « Soleil nocturne », ce qui revient à dire que, suivant l’état auquel est parvenu l’être qui se présente devant lui, sa bouche est pour celui-ci la « porte de la Délivrance » ou les « mâchoires de la Mort (18 )». Ce dernier cas est celui de l’homme ordinaire, qui doit, en passant par la mort, revenir à un autre état de manifestation, tandis que le premier est celui de l’être qui est « qualifié pour passer à travers le milieu du Soleil (19) », par le moyen du « septième rayon », parce qu’il s’est déjà identifié au Soleil lui-même, et qu’ainsi, à la question « qui es-tu ? » qui lui est posée lorsqu’il arrive à cette porte, il peut répondre véritablement : « Je suis Toi. »

17 Voir Quelques aspects du symbolisme du poisson [ch. XXII]. - Au lieu de l’aspect du crocodile « dévorateur » le Makara revêt alors celui du dauphin « sauveur ».
18 À la dualité Mitrâvarunau correspond, dans certaines traditions, l’association des symboles de l’Amour et de la Mort, que nous avons eu l’occasion de signaler à propos des « Fidèles d’Amour ». Cette même dualité est aussi, en un certain sens, celle des « deux hémisphères » à laquelle se réfère notamment le symbolisme des Dioscures ; voir La double spirale [ch. V de La Grande Triade ].
19 Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 6, 1.



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Symboles de la Science sacrée Empty Le Sanglier et l'Ourse

Message par Ligeia Mar 15 Déc - 11:28

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Le Sanglier et l’Ourse


Publié dans les Études Traditionnelles, août-septembre 1936.



Chez les Celtes, le sanglier et l’ours symbolisaient respectivement les représentants de l’autorité spirituelle et ceux du pouvoir temporel, c’est-à-dire les deux castes des druides et des chevaliers, équivalentes, au moins originairement et dans leurs attributions essentielles, à ce que sont dans l’Inde celles des Brâhmanes et des Kshatriyas. Comme nous l’avons indiqué ailleurs (1), ce symbolisme, d’origine nettement hyperboréenne, est une des marques du rattachement direct de la tradition celtique à la Tradition primordiale du présent Manvantara, quels que soient d’ailleurs les autres éléments, provenant de traditions antérieures, mais déjà secondaires et dérivées, qui aient pu venir s’adjoindre à ce courant principal et s’y résorber en quelque sorte en lui.
Ce que nous voulons dire ici, c’est que la tradition celtique pourrait vraisemblablement être regardée comme constituant un des « points de jonction » de la tradition atlante avec la tradition hyperboréenne, après la fin de la période secondaire où cette tradition atlante représenta la forme prédominante et comme le « substitut » du centre originel déjà inaccessible à l’humanité ordinaire (2) ; et, sur ce point aussi, le même symbolisme que nous venons de mentionner peut apporter quelques indications qui ne sont pas sans intérêt.

Remarquons tout d’abord l’importance donnée également au symbole du sanglier par la tradition hindoue, elle-même issue directement de la tradition primordiale, et affirmant expressément dans le Vêda sa propre origine hyperboréenne. Le sanglier (varâha) n’y figure pas seulement, comme on le sait, le troisième des dix avatâras de Vishnu dans le Manvantara actuel, mais notre Kalpa tout entier, c’est-àdire tout le cycle de manifestation de notre monde, y est désigné comme Shwêtavarâha-Kalpa, le « cycle du sanglier blanc ».

1 Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. I.
2 Cf. Le Roi du Monde, ch. X, notamment ce qui concerne les rapports de la Tula hyperboréenne et de la Tula atlante (Tula étant une des désignations premières des centres spirituels) ; voir aussi notre article Atlantide et Hyperborée, dans le Voile d’Isis, octobre 1929 (recueilli dans Formes traditionnelles et cycles cosmiques).


Cela étant, et si l’on considère l’analogie qui existe nécessairement entre le grand cycle et les cycles subordonnés, il est naturel que la marque du Kalpa, si l’on peut s’exprimer ainsi, se retrouve au point de départ du Manvantara ; et c’est pourquoi la « terre sacrée » polaire, siège du centre spirituel primordial de ce Manvantara, est appelée aussi Vârâhî ou la « terre du sanglier »  (3).
D’ailleurs, puisque c’est là que résidait l’autorité spirituelle première, dont toute autre autorité légitime du même ordre n’est qu’une émanation, il est non moins naturel que les représentants d’un telle autorité en aient reçu aussi le symbole du sanglier comme leur signe distinctif et l’aient gardé dans la suite des temps ; et c’est pourquoi les druides se désignaient eux-mêmes comme des « sangliers », bien que, le symbolisme ayant toujours des aspects multiples, on puisse en même temps y voir accessoirement une allusion à l’isolement dans lequel ils se tenaient à l’égard du monde extérieur, le sanglier étant toujours regardé comme le « solitaire » ; et il faut ajouter, du reste, que cet isolement même, réalisé matériellement, chez les Celtes comme chez les Hindous, sous la forme d’une retraite dans la forêt, n’est pas sans rapport avec les caractères de la « primordialité », dont un reflet au moins a toujours dû se maintenir en toute autorité spirituelle digne de la fonction qu’elle remplit.

Mais revenons au nom de Vârâhî, qui donne lieu à des remarques particulièrement importantes : elle est considéré comme un aspect de la Shakti de Vishnu (et plus spécialement par rapport à son troisième avatâra), ce qui, étant donné le caractère « solaire » de celui-ci, montre immédiatement son identité avec la « terre solaire » ou « Syrie » primitive dont nous avons parlé en d’autres occasions (4), et qui est encore une des désignations de la Tula hyperboréenne, c’est-à-dire du centre spirituel primordial. D’autre part, la racine var, pour le nom du sanglier, se retrouve dans les langues nordiques sous la forme bor (5) ; l’exact équivalent de Vârâhî est donc « Borée », et la vérité est que le nom habituel d’« Hyperborée » fut employé seulement par les Grecs à une époque où ils avaient déjà perdu le sens de cette antique désignation ; il vaudrait donc mieux, en dépit de l’usage qui a prévalu depuis lors, qualifier la tradition primordiale, non pas d’« hyperboréenne », mais simplement de « boréenne », affirmant par là sans équivoque sa connexion avec la « Borée » ou « terre du sanglier ».

Il y a encore autre chose : la racine var ou vri, en sanscrit, a les sens de « couvrir », de « protéger » et de « cacher » ; et, comme le montrent le nom de Varuna et son équivalent grec Ouranos, elle sert à désigner le ciel, tant parce qu’il couvre la terre que parce qu’il représente les mondes supérieurs, cachés aux sens (6). Or, tout ceci s’applique parfaitement aux centres spirituels, soit parce qu’ils sont cachés aux yeux des profanes, soit parce qu’ils protègent le monde par leur influence invisible, soit enfin parce qu’ils sont, sur la terre, comme des images du monde céleste lui-même.

3 Voir encore à ce propos Atlantide et Hyperborée ; nous y avons fait remarquer que, contrairement à ce que semble avoir pensé Saint-Yves d’Alveydre, ce nom de Vârâhî ne s’applique aucunement à l’Europe ; à vrai dire, celleci ne fut jamais que la « Terre du Taureau », ce qui se réfère à une période fort éloignée des origines.
4 Voir La Science des Lettres [ch. VI], et La Terre du Soleil [ch. XII]
5 De là l’anglais boar, et aussi l’allemand Eber.
6 Voir Le Roi du Monde, ch. VII, où nous avons indiqué en outre que le mot cælum lui-même a originairement la même signification.


Ajoutons que la même racine a encore un autre sens, celui de « choix » ou d’« élection » (vara), qui, évidemment, ne convient pas moins à la région qui est partout désignée par des noms comme ceux de « terre des élus », de « terre des saints » ou de « terre des bienheureux » (7).

On a pu noter, dans ce que nous avons dit tout à l’heure, l’union des deux symbolismes « polaire » et « solaire » ; mais, en ce qui concerne proprement le sanglier, c’est l’aspect « polaire » qui importe surtout, et cela résulte d’ailleurs du fait que le sanglier représentait anciennement la constellation qui, plus tard, est devenue la Grande Ourse (8 ). Il y a, dans cette substitution de noms, une des marques de ce que les Celtes symbolisaient précisément par la lutte du sanglier et de l’ours, c’est-à-dire la révolte des représentants du pouvoir temporel contre la suprématie de l’autorité spirituelle, avec les vicissitudes diverses qui s’ensuivirent au cours des époques historiques successives. Les premières manifestations de cette révolte, en effet, remontent beaucoup plus loin que l’histoire ordinairement connue, et même plus loin que le début du Kali-Yuga, dans lequel elle devait prendre sa plus grande extension ; c’est pourquoi le nom de bor a pu être transféré du sanglier à l’ours (9) , et la « Borée » elle-même, la « terre du sanglier », a pu par suite devenir à un certain moment la « terre de l’ours », pendant une période de prédominance des Kshatriyas à laquelle, suivant la tradition hindoue, mit fin Parashu-Râma (10).

Dans cette même tradition hindoue, le nom le plus habituel de la Grande Ourse est sapta-riksha ; et le mot sanscrit riksha est le nom de l’ours, linguistiquement identique à celui qu’il porte dans différentes autres langues : le celtique arth, le grec arktos, et même le latin ursus. Cependant, on peut se demander si c’est bien là le sens premier de l’expression sapta-riksha, ou s’il n’y a pas eu plutôt, correspondant à la substitution dont nous venons de parler, une sorte de superposition de mots étymologiquement distincts, mais rapprochés et même identifiés par l’application d’un certain symbolisme phonétique. En effet, riksha est aussi, d’une façon générale, une étoile, c’est-à-dire en somme une « lumière » (archis, de la racine arch ou ruch, « briller » ou « illuminer ») ; et, d’autre part, le sapta-riksha est la demeure symbolique des sept Rishis, qui, outre que leur nom se rapporte à la « vision », donc à la lumière, sont aussi eux-mêmes les sept « Lumières », par lesquelles fut transmise au cycle actuel la Sagesse des cycles antérieurs (11).

7 Signalons encore, à titre de rapprochement possible, la racine germanique ur ayant un sens de « primordialité ».
8 Nous rappellerons que cette constellation a eu encore beaucoup d’autres noms, entre autres celui de la Balance ; mais il serait hors de propos de nous en occuper présentement.
9 En anglais bear, en allemand Bâr.
10 Nous avons déjà eu l’occasion de signaler, à ce propos, que Fabre d’Olivet et ceux qui l’ont suivi, comme Saint-Yves d’Alveydre, paraissent avoir fait une assez étrange confusion entre Parashu-Râma et Râma-Chandra, c’està-dire entre les sixième et septième avatâras de Vishnu.
11 On remarquera la persistance de ces « sept Lumières » dans le symbolisme maçonnique : la présence d’un même nombre de personnes les représentant est nécessaire pour la constitution d’une loge « juste et parfaite », ainsi que pour la validité de la transmission initiatique. Ŕ Signalons aussi que les sept étoiles dont il est parlé au début de l’Apocalypse (I, 16 et 20) seraient, suivant certaines interprétations, celles de la Grande Ourse.


Le rapprochement ainsi établi entre l’ours et la lumière ne constitue d’ailleurs pas un cas isolé dans le symbolisme animal, car on en rencontre un tout semblable pour le loup, tant chez les Celtes que chez les Grecs (12), d’où résulta son attribution au dieu solaire, Belen ou Apollon.

Dans une certaine période, le nom de sapta-riksha fut appliqué, non plus à la Grande Ourse, mais aux Pléiades, qui comprennent également sept étoiles ; ce transfert d’une constellation polaire à une constellation zodiacale correspond à un passage du symbolisme solsticial au symbolisme équinoxial, impliquant un changement dans le point de départ du cycle annuel, ainsi que dans l’ordre de prédominance des points cardinaux qui sont en relation avec les différentes phases de ce cycle (13). Ce changement est ici celui du nord à l’ouest, qui se réfère à la période atlante ; et ceci se trouve confirmé nettement par le fait que, pour les Grecs, les Pléiades étaient filles d’Atlas et comme telles, appelées aussi Atlantides. Les transferts de ce genre sont d’ailleurs souvent la cause de multiples confusions, les mêmes noms ayant reçu, suivant les périodes, des applications différentes, et cela aussi bien pour les régions terrestre que pour les constellations célestes, de sorte qu’il n’est pas toujours facile de déterminer à quoi elles se rapportent exactement dans chaque cas ; et que même cela n’est réellement possible qu’à la condition de rattacher leurs diverses « localisations » aux caractères propres des formes traditionnelles correspondantes, ainsi que nous venons de le faire pour celles du sapta-riksha.

Chez les Grecs, la révolte des Kshatriyas était figurée par la chasse du sanglier de Calydon, qui représente d’ailleurs manifestement une version dans laquelle les Kshatriyas eux-mêmes expriment leur prétention de s’attribuer une victoire définitive, puisque le sanglier y est tué par eux ; et Athénée rapporte, suivant des auteurs plus anciens, que ce sanglier de Calydon était blanc (14), ce qui l’identifie bien au Shwêta-varâha de la tradition hindoue (15). Ce qui n’est pas moins significatif à notre point de vue, c’est que le premier coup fut porté par Atalante, qui, dit-on, avait été nourrie par une ourse ; et ce nom d’Atalante pourrait indiquer que la révolte eut son commencement, soit dans l’Atlantide même, soit tout au moins parmi les héritiers de sa tradition (16).

D’autre part, le nom de Calydon se retrouve exactement dans celui de Caledonia, ancien nom de l’Écosse : en dehors de toute question de « localisation » particulière, c’est proprement le pays des « Kaldes » ou Celtes (17) et la forêt de Calydon ne diffère pas en réalité de celle de Brocéliande, dont le nom est encore le même, quoique sous une forme un peu modifiée, et précédé du mot bro ou bor, c’est-à-dire du nom même du sanglier.

12 En grec, le loup est lukos et la lumière luké ; de là l’épithète à double sens de l’Apollon Lycien.
13 Le transfert de la Balance dans le Zodiaque a naturellement aussi une signification similaire.
14 Deipnosophistarum, IX, 13.
15 Il est à peine besoin de rappeler que le blanc est aussi la couleur attribuée symboliquement à l’autorité spirituelle ; et l’on sait que les druides, en particulier, portaient des vêtements blancs.
16 Il y a encore d’autres rapprochements curieux à cet égard, notamment entre les pommes d’or dont il est question dans la légende d’Atalante et celles du jardin des Hespérides ou « filles de l’Occident », qui étaient aussi filles d’Atlas comme les Pléiades.
17 Il est d’ailleurs probable que ce nom des Celtes, comme celui des Chaldéens qui lui est identique, n’était pas originairement celui d’un peuple particulier, mais celui d’une caste sacerdotale, exerçant l’autorité spirituelle chez différent peuples.


Le fait que l’ours est souvent pris symboliquement sous son aspect féminin, comme nous venons de le voir à propos d’Atalante, et comme on le voit aussi par les dénominations de constellations de la Grande Ourse et de la Petite Ourse, n’est pas sans signification non plus quant à son attribution à la caste guerrière, détentrice du pouvoir temporel, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, cette caste a normalement un rôle « réceptif », c’est-à-dire féminin, vis-à-vis de la caste sacerdotale puisque c’est de celle-ci qu’elle reçoit, non seulement l’enseignement de la doctrine traditionnelle, mais aussi la légitimation de son propre pouvoir, en laquelle consiste strictement le « droit divin ».
Ensuite, lorsque cette même caste guerrière, renversant les rapports normaux de subordination, prétend à la suprématie, sa prédominance est généralement accompagnée de celle des éléments féminins dans le symbolisme de la forme traditionnelle modifiée par elle, et parfois même aussi, comme conséquence de cette modification, de l’institution d’une forme féminine de sacerdoce, comme le fut celle des druidesses chez les Celtes. Nous ne faisons qu’indiquer ici ce dernier point, dont le développement nous entraînerait trop loin, surtout si nous voulions rechercher ailleurs des exemples concordants ; mais du moins cette indication suffit-elle à faire comprendre pourquoi c’est l’ourse, plutôt que l’ours, qui est opposée symboliquement au sanglier.

Il convient d’ajouter que les deux symboles du sanglier et de l’ours n’apparaissent pas toujours forcément comme étant en opposition ou en lutte, mais que, dans certains cas, ils peuvent aussi représenter l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel, ou les deux castes des druides et des chevaliers, dans leurs rapports normaux et harmoniques, comme on le voit notamment par la légende de Merlin et d’Arthur.
En effet Merlin, le druide, est encore le sanglier de la forêt de Brocéliande (où il est d’ailleurs finalement, non pas tué comme le sanglier de Calydon, mais seulement endormi par une puissance féminine) ; et le roi Arthur porte un nom dérivé de celui de l’ours, arth (18 ) ; plus précisément, ce nom est identique à celui de l’étoile Arcturus, en tenant compte de la légère différence due à leurs dérivations respectivement celtique et grecque. Cette étoile se trouve dans la constellation du Bouvier, et, par ces noms, l’on peut encore voir réunies les marques de deux périodes différentes : le « gardien de l’Ourse » est devenu le Bouvier quand l’Ourse elle-même ou le sapta-riksha est devenu les septem triones, c’est-à-dire les « sept bœufs » (d’où l’appellation de « Septentrion » pour désigner le nord) ; mais nous n’avons pas à nous occuper ici de ces transformations, relativement récentes par rapport à ce que nous envisageons (19) .

18 On trouve aussi en Écosse, comme nom de famille, Mac-Arth ou « fils de l’ours », qui indique évidemment l’appartenance à un clan guerrier.
19 Arthur est le fils d’Uther Pendragon, le « chef des cinq », c’est-à-dire le roi suprême qui réside dans le cinquième royaume, celui de Mide ou du « milieu » situé au centre des quatre royaumes subordonnés qui correspondent aux quatre points cardinaux (voir Le Roi du Monde, ch. IX) ; et cette situation est comparable à celle du Dragon céleste lorsque, contenant l’étoile polaire, il était « au milieu du ciel comme un roi sur son trône », suivant l’expression du Sepher Ietsirah. Cf. La Terre du Soleil [ch. XII].


Des considérations que nous venons d’exposer, une conclusion paraît se dégager quant au rôle respectif des deux courants qui contribuèrent à former la tradition celtique ; à l’origine, l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel n’étaient pas séparés comme deux fonctions différenciées, mais unis dans leur principe commun, et l’on retrouve encore un vestige de cette union dans le nom même des druides (dru-vid, « force-sagesse », ces deux termes étant symbolisés par le chêne et le gui) (20) ; à ce titre, et aussi en tant que représentant plus particulièrement l’autorité spirituelle, à laquelle est réservée la partie supérieure de la doctrine, ils étaient les véritables héritiers de la tradition primordiale, et le symbole essentiellement « boréen », celui du sanglier, leur appartenait en propre.

20 Voir Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. IV, où nous avons indiqué l’équivalence de ce symbolisme avec celui du Sphinx.

Quant aux chevaliers, ayant pour symbole l’ours (ou l’ourse d’Atalante), on peut penser que la partie de la tradition qui leur était plus spécialement destinée comportait surtout les éléments procédant de la tradition atlante ; et cette distinction pourrait même peut-être aider à expliquer certains points plus ou moins énigmatiques de l’histoire ultérieure des traditions occidentales.


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