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Le Théosophisme : histoire d'une pseudo religion

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Message par Ligeia Lun 27 Jan - 9:26

Je ne reproduirai pas tout le livre mais seulement les points qui me semblent importants pour dissiper des erreurs récurrentes.

Ceux qui sont intéressés peuvent le consulter ici en pdf :
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***********


Chapitre XX : Le Messie futur

Pour comprendre l’étrange équipée messianique qui fit quelque bruit en ces dernières années, il faut connaître la conception très particulière que les théosophistes se font du Christ, ou, plus généralement, de ce qu’ils appellent un « Grand Instructeur » ou « Instructeur du Monde ».
Ces deux expressions sont la traduction des termes sanscrits Mahâguru et Jagadguru, qui servent simplement, en réalité, à désigner les chefs de certaines écoles brâhmaniques : ainsi, le Jagaddguru authentique est le chef de l’école vêdântine de Shankarâchârya. Disons en passant, à ce propos, et pour mettre en garde contre des confusions possibles, que le personnage auquel ce titre appartient légitimement à l’époque actuelle n’est pas celui qui se fait passer pour tel dans des publications où l’exposition du « Vêdânta » est notablement déformée à l’usage des Occidentaux (bien que la dénaturation y soit encore moins complète, il faut le reconnaître, que chez Vivekânanda et ses disciples) ; cette histoire a des dessous politiques assez curieux, mais qui nous entraîneraient trop loin de notre sujet.

Quand les théosophistes parlent du Mahâguru dans leurs ouvrages, le personnage dont il s’agit n’est aucun de ceux auxquels cette qualité est reconnue dans l’Inde, mais il est identique au Bodhisattwa, dont ils ont fait, comme nous l’avons vu déjà, le « chef du département de l’Instruction religieuse » dans le « gouvernement occulte du monde ».
D’après la conception bouddhique, un Bodhisattwa est en quelque sorte un Bouddha « en devenir » : un être qui est sur le point d’atteindre l’état de Bouddha ou la possession de la sagesse suprême, et qui se trouve présentement au degré immédiatement inférieur à celui-là. Les théosophistes admettent bien cette conception, mais ils y ajoutent maintes fantaisies qui leur appartiennent en propre : c’est ainsi que, pour eux, il y a deux fonctions qui sont en quelque sorte complémentaires, celle du Manou et celle du Bodhisattwa ; en outre, il y a un Manou et un Bodhisattwa qui sont spécialement préposés à chacune des sept « races-mères ». Quand un Bodhisattwa a terminé son rôle, il devient Bouddha et est remplacé par un autre « Adepte » ; le Manou, lorsque s’achève la période dans laquelle il devait exercer ses fonctions, passe de même à un rang supérieur, mais qui n’est pas précisé. Enfin, l’ère du Manou et celle du Bodhisattwa ne coïncident pas : « Un Manou commence toujours avec la première sous-race de la racemère, tandis que le Bodhisattwa a toujours son œuvre à cheval sur deux grandes races » (1).

Ceci posé, nous pouvons revenir à la conception du « Christ historique », que les théosophistes ont soin de distinguer du « Christ mystique », c’est-à-dire du principe supérieur de l’homme, dont il a été question plus haut, et aussi du « Christ mythologique » ou « dieu solaire », car ils admettent les conclusions de la prétendue « science des religions » sur les « mythes » et leur interprétation astronomique. M me Blavatsky faisait une distinction, qui ressemble à un jeu de mots, entre Christos et Chrestos : elle réservait le premier de ces deux termes au « Christ mystique », et elle regardait le second comme désignant un certain degré d’initiation dans les mystères antiques ; tout homme qui avait atteint ce degré était donc, non pas Chris tos, mais Chrestos, et tel put être le cas de Jésus de Nazareth, si toutefois l’on admet son existence historique, dont, pour sa part, elle doutait fortement.

1 De l’an 25000 avant Jésus-Christ à nos jours, pp. 60-61.

Voici, en effet, l’un des passages où elle s’explique le plus nettement à cet égard :


  • « Pour moi, Jésus-Christ, c’est-à-dire l’Homme-Dieu des Chrétiens, copie des Avatars de tous les pays, du Chrishna hindou (1) comme de l’Horus égyptien, n’a jamais été un personnage historique. C’est une personnification glorifiée du type déifié des grands Hiérophantes des Temples, et son histoire racontée dans le Nouveau Testament est une allégorie, contenant certainement de profondes vérités ésotériques, mais c’est une allégorie. »



Cette « allégorie », bien entendu, n’est pas autre chose que le fameux « mythe solaire » ; mais poursuivons :


  • « La légende dont je parle est fondée, ainsi que je l’ai démontré à diverses reprises dans mes écrits et dans mes notes, sur l’existence d’un personnage nommé Jehoshua (dont on a fait Jésus), né à Lud ou Lydda vers l’an 120 avant l’ère moderne. Et si l’on contredit ce fait, ce à quoi je ne m’oppose guère, il faudra en prendre son parti et regarder le héros du drame du Calvaire comme un mythe pur et simple » (2).


Pourtant, un peu plus tôt, Mme Blavatsky s’était exprimée d’une façon bien différente et beaucoup plus affirmative sur le « fait » dont il s’agit : « Jésus fut un Chrestos,… qu’il ait vécu réellement pendant l’ère chrétienne, ou un siècle auparavant, sous le règne d’Alexandre Jannès et de sa femme Salomé, à Lud, ainsi que l’indique le Sepher Toldoth Jehoshua. »

1 C’est évidemment avec intention que Mme Blavatsky écrit Chrishna et non Krishna ; elle n’ose pourtant pas aller jusqu’à écrire Christna, comme le faisait Jacolliot.
2 Le Lotus, avril 1888 (controverse avec l’abbé Roca).


La source qu’elle cite ici est un livre rabbinique composé avec un évident parti pris de polémique antichrétienne, et dont on s’accorde généralement à regarder la valeur historique comme tout à fait nulle ; cela n’empêche pas que, répondant à « quelques savants d’après lesquels cette assertion serait erronée », et parmi lesquels il faut ranger Renan lui-même, elle ajoutait en note :


  • « Je dis que les savants mentent ou déraisonnent. C’est nos Maîtres qui l’affirment. Si l’histoire de Jehoshua ou Jésus Ben Pandira est fausse, alors tout le Talmud, tout le canon juif est faux. Ce fut le disciple de Jehoshua Ben Parachia, le cinquième président du Sanhédrin depuis Ezra qui récrivit la Bible. Compromis dans la révolte des Pharisiens contre Jannæus en 105 avant l’ère chrétienne, il s’enfuit en Egypte, emmenant le jeune Jésus avec lui. Bien plus vrai est ce récit que celui du Nouveau Testament dont l’histoire ne dit mot » (1).



Ainsi, voilà des faits dont ses « Maîtres » eux-mêmes, à l’en croire, lui avaient garanti la réalité, et, quelques mois plus tard, elle ne s’oppose plus à ce qu’on les traite de simple légende ; comment expliquer de semblables contradictions, sinon par ce « cas pathologique » que devait dénoncer ensuite le directeur de la revue même qui avait publié toutes ces élucubrations.

Tout autre est l’attitude de Mme Besant, car elle affirme au contraire l’existence historique de Jésus, tout en la reportant, elle aussi, un siècle environ avant l’ère chrétienne ; nous allons résumer le récit singulier qu’elle fait à ce sujet dans son Christianisme Esotérique (2).
L’enfant juif dont le nom fut traduit par celui de Jésus naquit en Palestine l’an 105 avant notre ère ; ses parents l’instruisirent dans les lettres hébraïques ; à douze ans, il visita Jérusalem, puis fut confié à une communauté essénienne de la Judée méridionale, Disons tout de suite que l’histoire des relations de Jésus avec les Esséniens n’a pas été inventée de toutes pièces par les théosophistes, et que, avant eux, bien d’autres organisations occultes ont voulu en tirer parti ; c’est d’ailleurs une habitude assez courante, dans ces milieux, de se réclamer des Esséniens, que certains prétendent rattacher aux Bouddhistes, on ne sait trop pourquoi, et chez lesquels on a voulu trouver une des origines de la Maçonnerie.

1 Le Lotus, décembre 1887.
2 Voir également l’ouvrage de Mead intitulé Did Jesus live 100 B. C. ?


Il y a même eu en France, il y a une trentaine d’année, une secte spirite qui se disait « essénienne », et pour laquelle il y avait deux Messies, Jésus et Jeanne d’Arc ; on y attachait une grande importance à un manuscrit relatif à la mort de Jésus, soi-disant retrouvé à Alexandrie, et publié à Leipzig en 1849 par un certain Daniel Ramée ; une traduction anglaise de cet écrit, dont le but manifeste est de nier la résurrection, a paru récemment en Amérique sous les auspices de la « Grande Ecole » ou « Ordre de lumière » dont nous avons parlé précédemment.

Mais revenons au récit de Mme Besant : à dix-neuf ans, Jésus entra au monastère du mont Serbal, où se trouvait une bibliothèque occultiste considérable, dont beaucoup de livres « provenaient de l’Inde transhimâlayenne » ; il parcourut ensuite l’Egypte, où il devint « un initié de la Loge ésotérique de laquelle toutes les grandes religions reçoivent leur fondateur », c’est-à-dire de la « Grande Loge Blanche », qui, à cette époque, n’était pas encore centralisée au Thibet, bien qu’un autre écrivain, qu’on assure d’ailleurs n’être pas théosophiste, et à l’égard duquel les théosophistes témoignèrent même quelque méfiance, prétende avoir retrouvé des traces du séjour de Jésus dans cette dernière contrée, où il aurait été connu sous le nom d’Issa (1).

La suite demande encore quelques explications, car c’est ici que nous en arrivons à la façon dont se produit, d’après les théosophistes, la manifestation d’un « Grand Instructeur », ou même parfois celle d’un « Maître » de moindre importance : pour épargner à un être aussi « évolué » la peine de se préparer lui-même un « véhicule » en passant par toutes les phases du développement physique ordinaire, il faut qu’un « initié » ou un « disciple » lui prête son corps, lorsque, après y avoir été spécialement préparé par certaines épreuves, il s’est rendu digne de cet honneur.

1 La Vie inconnue de Jésus-Christ, par Nicolas Notovitch ; voir Lotus Bleu, 27 juillet 1894.

Ce sera donc, à partir de ce moment, le « Maître » qui, se servant de ce corps comme s’il était le sien propre, parlera par sa bouche pour enseigner la « religion de la sagesse » ; il y a là quelque chose d’assez analogue au phénomène que les spirites appellent « incarnation », mais avec cette différence qu’il s’agirait dans ce cas d’une « incarnation » permanente.
Il faut ajouter que des « Maîtres » vivants pourraient, d’une façon semblable, se servir occasionnellement du corps d’un disciple, ce qu’ils auraient fait souvent avec Mme Blavatsky ; on dit encore que les « Maîtres » ne se réservent pas exclusivement le privilège de la réincarnation par substitution, et qu’ils en font parfois bénéficier leurs disciples les plus avancés : sur ce dernier point, nous avons rapporté plus haut les affirmations de Sinnett et de M. Leadbeater, d’après lesquelles Mme Blavatsky serait ainsi passée dans un autre corps aussitôt après sa mort.

Mais le cas qui nous intéresse plus particulièrement ici est celui de la manifestation des « Maîtres » ; on semble admettre, sans toutefois l’affirmer toujours d’une façon absolue, que Bouddha se servit du moyen que nous venons d’indiquer ; voici ce que dit là-dessus M. Leadbeater :

  • « Il se peut que le corps d’enfant né du roi Souddhodana et de la reine Mâyâ n’ait pas, dans les premières années, été habité par le Seigneur Bouddha lui-même, qui, comme le Christ, aurait demandé à un de ses disciples de prendre soin de ce véhicule et n’y serait entré qu’au moment où ce corps se trouva affaibli par les longues austérités qu'il s’infligea pendant six années pour trouver la vérité. S’il en est ainsi, il n’est pas étonnant que le prince Siddhârtha n’ait pas conservé la mémoire de toutes les connaissances acquises antérieurement par le Seigneur Bouddha, puisqu’il n’était pas la même personne » (1).


1 L’Occultisme dam la Nature, p. 322.

Siddhârtha aurait donc été, de même que Jésus, le disciple choisi par le « Maître » pour préparer un corps adulte et le lui céder ensuite, « sacrifice que ses disciples seront toujours heureux de lui faire » (1) ; et ce qui n’est donné que comme une simple hypothèse dans le passage que nous venons de citer est présenté ailleurs par le même auteur comme un fait certain et d’un caractère très général :

  • « L’idée d’emprunter un corps approprié est toujours adoptée par les Grands Etres lorsqu’ils pensent qu’il est bon de descendre parmi les hommes dans les conditions actuelles. Le Seigneur Gautama agit ainsi lorsqu’il vint sur terre pour atteindre la dignité de Bouddha. Le Seigneur Maitreya fit de même lorsqu’il vint en Palestine il y a deux mille ans » (2).



En tout cas, en ce qui concerne la manifestation du Christ, dont il s’agit dans cette dernière phrase, les théosophistes actuels sont toujours très affirmatifs : Mme Besant dit que le « disciple » Jésus, parvenu à l’âge de vingt-neuf ans, était devenu « apte à servir de tabernacle et d’organe à un puissant Fils de Dieu, Seigneur de compassion et de sagesse » ; ce « Maitre » descendit donc en Jésus, et, pendant les trois années de sa vie publique, « c’est lui qui vivait et se mouvait dans la forme de l’homme Jésus, prêchant, guérissant les maladies, et groupant autour de lui quelques âmes plus avancées » (3).
Au bout de trois ans, « le corps humain de Jésus porta la peine d’avoir abrité la présence glorieuse d’un Maître plus qu’humain » (4) ; mais les disciples qu’il avait formés restèrent sous son influence, et, pendant plus de cinquante ans, il continua à les visiter au moyen de son « corps spirituel » et à les initier aux mystères ésotériques.

1 L’Occultisme dans la Nature, p. 319.
2 Adyar Bulletin, octobre 1913.
3 Esoteric Christianity, p. 134 de l’édition anglaise.
4 Ibid., P. 136.


Par la suite, autour des récits de la vie historique de Jésus, se cristallisèrent les « mythes » qui caractérisent un « dieu solaire », et qui, après qu’on eut cessé de comprendre leur signification symbolique, donnèrent naissance aux dogmes du Christianisme ; ce dernier point est à peu près le seul, dans toute cette histoire, où l’on retrouve les idées de Mme Blavatsky.

Le « Seigneur de compassion », dont il vient d’être question, est le Bodhisattwa Maitreya ; ce nom et ce titre, rapportés à la conception du « Bouddha futur », existent bien dans le Bouddhisme authentique ; mais on peut trouver assez maladroit cet essai de fusion entre le Bouddhisme et le Christianisme, qui constitue le caractère spécial du messianisme des théosophistes.
C’est encore là un exemple de la manière éminemment fantaisiste dont ceux-ci prétendent accorder les diverses traditions auxquelles ils font des emprunts ; nous en avons déjà trouvé un autre dans l’association du Manou et du Bodhisattwa. Signalons encore, au même point de vue, que, toujours d’après les théosophistes actuels, Maitreya, longtemps avant de se manifester comme le Christ, était apparu dans l’Inde sous la figure de Krishna; seulement, il faut sans doute admettre que, à cette époque, il n’était pas encore Bodhisattwa, mais un « Adepte » d’un rang un peu inférieur (ce qu’est aujourd’hui Koot Hoomi, son successeur désigné), puisque Krishna est fort antérieur au moment ou Gautama, le précédent Bodhisattwa, devint Bouddha.
Pourtant, nous ne sommes pas bien sûr que certains théosophistes ne commettent pas un anachronisme à cet égard et ne croient pas Krishna postérieur à Bouddha ; en effet, M. Leadbeater, après avoir donné comme une règle générale l’emprunt fait par les « Grands Etres » du corps d’un disciple, ajoute :


  • « L’unique exception qui nous est connue est la suivante : lorsqu’un nouveau Bodhisattwa assume la fonction d’Instructeur du Monde après que son prédécesseur est devenu Bouddha, il naît comme un petit enfant ordinaire au moment de sa première apparition dans le monde en qualité d’Instructeur. Notre Seigneur, le présent Bodhisattwa, fit ainsi lorsqu’il naquit comme Shrî 198 LE THÉOSOPHISME Krishna dans les plaines dorées de l’Inde pour être aimé et honoré avec une passion de dévotion qui n’a peut-être jamais été égalée nulle part ailleurs » (1).



Quoi qu’il en soit, c’est ce même Bodhisattwa Maitreya qui doit se manifester de nouveau de nos jours, dans des conditions analogues à celles que nous venons de décrire en ce qui concerne le Christ :

  • « Le Grand Chef du département de l’Instruction religieuse, dit M. Leadbeater, le Seigneur Maitreya, qui a déjà enseigné sous le nom de Krishna aux Hindous et sous celui de Christ aux Chrétiens, a déclaré que bientôt il reviendrait dans le monde pour apporter la guérison et l’aide aux nations, et pour revivifier la spiritualité que la terre a presque perdue. Une des grandes œuvres de la Société Théosophique est de faire son possible pour préparer les hommes à sa venue, de façon qu’un plus grand nombre d’entre eux puisse profiter de l’occasion unique qui leur est offerte par sa présence même parmi eux. La religion qu’il a fondée lorsqu’il vint en Judée, il y a deux mille ans, est maintenant répandue sur toute la terre, mais, lorsqu’il quitta son corps physique, les disciples réunis pour envisager la situation nouvelle n’étaient, dit-on, que cent vingt. Un seul précurseur annonça sa venue la dernière fois ; maintenant, c’est à une Société de vingt mille membres, répartis sur le monde entier, qu’est donnée cette tâche ! Espérons que les résultats seront meilleurs cette fois que la dernière et que nous pourrons garder le Seigneur parmi nous plus de trois ans, avant que la méchanceté humaine ne l’oblige à se retirer ; puissions-nous aussi réunir autour de lui un plus grand nombre de disciples que jadis ! » (2).


1 Adyar Bulletin, octobre 1913.
2 L’Occultisme dans la Nature, p. 382.


Tel est donc le but que l’on assigne aujourd’hui à la Société Théosophique, que Mme Besant déclarait, il y a déjà près de vingt ans, « avoir été choisie comme la pierre angulaire des futures religions de l’humanité,… le chaînon pur et béni entre ceux d’en haut et ceux d’en bas » (1).

Maintenant, la réussite complète que l’on souhaite pour la nouvelle manifestation du Bodhisattwa doit-elle être interprétée en ce sens que, cette fois, il parviendra à l’état de Bouddha parfait ? D’après Sinnett, « le Bouddha Maitreya ne viendra qu’après la disparition complète de la cinquième race et quand l’établissement de la sixième race sur la terre datera de plusieurs centaines de mille ans » (2) ; mais Sinnett n’avait aucune connaissance des apparitions préalables de Maitreya comme Bodhisattwa, qui constituent une innovation dans le théosophisme.
Du reste, quand on se rappelle combien a été réduit l’intervalle qui nous sépare du début de la cinquième race, il n’y aurait rien d'étonnant à ce que sa fin fût beaucoup plus proche qu’on ne l’avait dit tout d’abord ; en tout cas, on nous annonce pour bientôt la naissance du noyau de la sixième race, « sous la direction d’un Manou bien connu des théosophes », qui est le « Maître » Morya (3).

Le rôle que la Société Théosophique s’attribue ne se borne pas à annoncer la venue du « Grand Instructeur » ; il est aussi de trouver et de préparer, comme l’auraient fait jadis les Esséniens, le « disciple » de choix en qui s’incarnera, quand le moment sera arrivé, « Celui qui doit venir ». A vrai dire, l’accomplissement de cette mission n’a pas été sans quelques tâtonnements ; il y eut tout au moins une première tentative qui échoua piteusement, et qui remonte d’ailleurs à une époque où l’on n’était pas encore très exactement fixé sur la personnalité du futur « Porteur du flambeau de la Vérité », comme avait dit Mme Blavatsky.

1 Introduction à la Théosophie, p. 12.
2 Le Bouddhisme Esotérique, p. 210.
3 L’Occultisme dans la Nature, p. 261. – Voir le livre de Mme Besant intitulé : Man whence, how and wither.


C’était à Londres, où une sorte de communauté de théosophistes existait alors dans le quartier de Saint-John’s Wood ; on y élevait un jeune garçon, à l’air malingre et peu intelligent, mais dont les moindres paroles étaient écoutées avec respect et admiration, car ce n’était rien moins, paraît-il, que « Pythagore réincarné ».
Il est d’ailleurs probable qu’il ne s’agissait pas là d’une réincarnation proprement dite, mais plutôt d’une manifestation du genre de celles dont nous venons de parler, puisque les théosophistes admettent que Pythagore est déjà réincarné en Koot Hoomi, et que celui-ci n’avait pas cessé de vivre.
Cependant, il y a d’autres cas où une semblable interprétation ne paraît même pas possible, et les théosophistes ne s’embarrassent guère des pires difficultés : ainsi, certains d’entre eux ayant appelé Mme Blavatsky « le Saint-Germain du XIXe siècle » (1), il y en eut d’autres qui, prenant les choses à la lettre, crurent qu’elle avait été effectivement une réincarnation du comte de Saint-Germain, tandis que ce dernier, d’autre part, après avoir été regardé comme un simple envoyé de la « Grande Loge Blanche », se trouvait élevé au rang d’un « Maître » toujours vivant ; nous signalerons à ce propos qu’une biographie théosophiste de ce personnage, véritablement fort énigmatique d’ailleurs, a été écrite par Mme Isabel Cooper-Oakley, qui fut un des premiers disciples de Mme Blavatsky (2).

Il y a en tout cela des mystères qu’il vaut sans doute mieux ne pas trop chercher à approfondir, car on s’apercevrait probablement que les idées des théosophistes, là comme ailleurs, sont extrêmement flottantes et indécises, et on se trouverait même en présence des affirmations les plus inconciliables ; en tout cas, au dire de Sinnett, Mme Blavatsky elle-même prétendait avoir été incarnée précédemment dans un membre de sa propre famille, une tante qui était morte jeune, et avoir été auparavant une femme hindoue ayant des connaissances considérables en occultisme ; il n’était pas question là dedans du comte de Saint-Germain.

1 Lotus Bleu, 27 mai et 27 septembre 1895.
2 Il en est aussi, d’autre part, qui prétendent que le comte de Saint-Germain lui-même fut une réincarnation de Christian Rosenkreutz, le fondateur symbolique de la Rose-Croix (The Rosicrucian Cosmo-Conception, par Max Heindel, p. 433), et que ce dernier était déjà antérieurement un initié de haut grade, ayant vécu à l’époque du Christ.


Mais revenons à Pythagore, ou plutôt au jeune garçon que l’on destinait à lui fournir un nouveau « véhicule » : au bout de quelque temps, le père de cet enfant, un capitaine en retraite de l’armée britannique, retira brusquement son fils des mains de M. Leadbeater, qui avait été spécialement chargé de son éducation (1).
Il dut même y avoir quelque menace de scandale, car M. Leadbeater fut, en 1906, exclu de la Société Théosophique, pour des motifs sur lesquels on garda prudemment le silence ; ce n’est que plus tard qu’on eut connaissance d’une lettre écrite alors par Mme Besant, et dans laquelle elle parlait de méthodes « dignes de la plus sévère réprobation » (2).
Réintégré cependant en 1908, après avoir « promis de ne pas répéter les conseils dangereux » donnés jadis par lui à des jeunes gens (3), et réconcilié avec Mme Besant dont il devint même le collaborateur constant à Adyar, M. Leadbeater devait jouer encore le principal rôle dans la seconde affaire, beaucoup plus connue, et qui allait aboutir à un dénouement presque similaire.

1 Ces faits ont été rapportés dans un article signé J. Stonet, paru dans le Sun du 1er août 1913.
2 Theosophical Voice, du Chicago, mai 1908.
3 Theosophist, février 1908. – cette réintégration provoqua en Angleterre un certain nombre de démissions, notamment celles de MM. Sinnett et Mead (The Hindu, de Madras, 28 janvier 1911) ; le premier fut remplacé, comme vice-président de la société Théosophique, par Sir S. Subramanya Iyer, ancien premier juge de la Haute-Cour de Madras.
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Message par Ligeia Lun 27 Jan - 16:45

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Une Contrefaçon du Catholicisme (∗)


Nous faisions allusion, dans notre dernier article, aux sectes pseudo-religieuses qui, de nos jours, se multiplient d'une étrange façon, et dont la plupart ont pris naissance dans le monde anglo-saxon ; nous avons, il y a quelques années, consacré un ouvrage à l'étude historique de l'une des plus répandues d'entre elles, le théosophisme (1). Nous croyons utile de revenir aujourd'hui sur ce sujet, car les singulières machinations que nous signalions alors ont continué à se développer dans le sens que nous prévoyions, et la dernière entreprise théosophiste présente ce caractère particulier d'être une véritable contrefaçon du Catholicisme, combinée assez habilement pour induire en erreur des esprits sincères, mais mal informés.

Nous n'avons pas l'intention de refaire ici l'histoire, fort compliquée d'ailleurs, de l'organisation qui porte le nom de « Société Théosophique » ; nous dirons seulement que, dans sa première phase, elle présentait, sous une étiquette orientale, un mélange confus d'idées très modernes et très occidentales avec des fragments empruntés à des doctrines des provenances les plus diverses ; et cet ensemble hétéroclite était, disait-on, la doctrine originelle dont toutes les religions étaient issues. Le théosophisme était alors assez violemment antichrétien ; mais, à un certain moment, il se produisit un changement d'orientation, au moins apparent, et le résultat en fut l'élaboration d'un « Christianisme ésotérique » de la plus extraordinaire fantaisie.
On ne devait pas s'en tenir là : bientôt, on annonça la venue imminente d'un nouveau Messie, d'une autre incarnation du Christ ou, comme disent les théosophistes, de l'« Instructeur du Monde » ; mais, pour faire comprendre la façon dont on prépare cette venue, il est nécessaire de donner quelques explications sur la conception très particulière qu'on se fait du Christ dans le milieu dont il s'agit.

Nous devons donc résumer le singulier récit que Mme Besant, présidente de la Société Théosophique, a fait dans son ouvrage intitulé Esoteric Christianity, d'après des informations soi-disant obtenues par «clairvoyance », car les chefs du théosophisme ont la prétention de posséder une faculté leur permettant de faire des recherches directes dans ce qu'ils appellent les « archives occultes de la terre ».

Voici l'essentiel de ce récit : l'enfant juif dont le nom fut traduit par celui de Jésus naquit en Palestine l'an 105 avant notre ère; ses parents l'instruisirent dans les lettres hébraïques ; à douze ans, il visita Jérusalem, puis fut confié à une communauté essénienne de la Judée méridionale. A dix-neuf ans, Jésus entra au monastère du mont Serbal, où se trouvait une bibliothèque occultiste considérable, dont beaucoup de livres « provenaient de l'Inde transhimâlayenne » ; il parcourut ensuite l'Égypte, où il devint « un initié de la Loge ésotérique de laquelle toutes les grandes religions reçoivent leur fondateur ».
Parvenu à l'âge de vingt-neuf ans, il devint « apte à servir de tabernacle et d'organe à un puissant Fils de Dieu, Seigneur de compassion et de sagesse » ; celui-ci, que les Orientaux appellent le Bodhisattwa Maitreya et que les Occidentaux nomment le Christ, descendit donc en Jésus, et, pendant les trois années de sa vie publique, « c'est lui qui vivait et se mouvait dans la forme de l'homme Jésus, prêchant, guérissant les maladies, et groupant autour de lui quelques âmes plus avancées ». Au bout de trois ans, « le corps humain de Jésus porta la peine d'avoir abrité la présence glorieuse d'un Maître plus qu'humain » ; mais les disciples qu'il avait formés restèrent sous son influence, et, pendant plus de cinquante ans, il continua à les visiter au moyen de son « corps spirituel » et à les initier aux mystères ésotériques.
Par la suite, autour des récits de la vie historique de Jésus, se cristallisèrent les « mythes » qui caractérisent un « dieu solaire », et qui, après qu'on eut cessé de comprendre leur signification symbolique, donnèrent naissance aux dogmes du Christianisme.

∗ « Regnabit » - 6e année – N° 11 – Tome XII – Avril 1927.
(1) Le Théosophisme, histoire d'une pseudo-religion (Nouvelle Librairie Nationale, Paris, 1921).


Ce qu'il y a surtout à retenir de tout cela, c'est la façon dont se produit, d'après les théosophistes, la manifestation d'un « Grand Instructeur », ou même parfois celle d'un « Maître » de moindre importance : pour épargner à un être aussi « évolué » la peine de se préparer lui-même un « véhicule » en passant par toutes les phases du développement physique ordinaire, il faut qu'un « initié » ou un « disciple » lui prête son corps, lorsque, après y avoir été spécialement préparé par certaines épreuves, il s'est rendu digne de cet honneur.
Ce sera donc, à partir de ce moment, le « Maître » qui, se servant de ce corps comme s'il était le sien propre, parlera par sa bouche pour enseigner la « religion de la sagesse ». II résulte de là une séparation complète entre la personne du Christ, qui est l'« Instructeur du Monde », et celle de Jésus, qui était seulement le « disciple » qui lui céda son corps, et qui, assure-t-on, est parvenu lui-même au rang des « Maîtres » à une époque plus récente ; il n'est pas nécessaire d'insister sur tout ce qu'il y a de manifestement hérétique dans une semblable conception.

Dans ces conditions, le retour prochain du « Grand Instructeur » étant annoncé, le rôle que devait s'attribuer la Société Théosophique était de trouver et de préparer, comme l'auraient fait jadis les Esséniens, le « disciple » de choix en qui s'incarnera, quand le moment sera arrivé, « Celui qui doit venir ». L'accomplissement de cette mission n'alla pas sans quelques tâtonnements ; après diverses tentatives qui échouèrent, les dirigeants théosophistes jetèrent leur dévolu sur un jeune Hindou, Krishnamurti, qu'ils éduquèrent spécialement en vue de la fonction qu'ils lui destinaient.
Nous ne redirons pas en détail tout ce qui s'ensuivit : procès scandaleux, démissions retentissantes, schismes à l'intérieur de la Société Théosophique ; ces incidents fâcheux ne firent d'ailleurs que retarder quelque peu la réalisation des projets de Mme Besant et de ses collaborateurs. Enfin, en décembre 1925 eut lieu la proclamation solennelle du nouveau Messie ; mais, bien que plusieurs de ses « Apôtres » soient déjà désignés, on laissa subsister une telle ambiguïté qu'il est encore impossible de savoir si Krishnamurti, qu'on appelle maintenant Krishnaji, doit être lui-même le « véhicule » du Christ, ou s'il ne sera qu'un simple « précurseur ». Les mésaventures passées incitent à quelque prudence, et on se réfugie dans le vague, à tel point que, d'après certaines publications récentes, il se pourrait que le Christ « choisisse, dans chaque pays, une individualité qu'il guiderait et inspirerait d'une manière spéciale », de façon à pouvoir, « sans avoir l'obligation de parcourir corporellement le monde, parler quand il le voudrait, dans tel pays de son choix convenant le mieux à son action » (2).
Nous devons donc nous attendre à voir de prétendus Messies ou prophètes apparaître un peu partout, d'autant plus qu'il semble, et c'est peut-être là ce qu'il y a de plus inquiétant, que la Société Théosophique ne soit pas la seule organisation qui travaille actuellement à susciter des mouvements de ce genre. Bien entendu, en disant cela, nous n'entendons pas parler des organisations qui, sous des apparences plus ou moins indépendantes, ne sont en réalité que des filiales ou des auxiliaires de la Société Théosophique, et dont certaines, comme l'« Ordre de l'Étoile d'Orient », ont été fondées spécialement pour préparer la venue du futur Messie ; mais, parmi celles-ci, il en est une sur laquelle nous tenons à attirer l'attention, car c'est là que se trouve cette contrefaçon du Catholicisme à laquelle nous faisions allusion au début.

Il existait en Angleterre, depuis quelques années, une Église vieille-catholique fondée par un prêtre excommunié, A. H. Mathew, qui s'était fait consacrer évêque par le Dr Gérard Gul, chef de l'Église vieille-catholique de Hollande, formée elle-même des débris du Jansénisme unis à quelques dissidents qui, en 1870, avaient refusé d'accepter le dogme de l'infaillibilité pontificale. En 1913, le clergé de cette Église s'augmenta de plusieurs membres, tous anciens ministres anglicans et théosophistes plus ou moins en vue ; mais, deux ans plus tard, l'évêque Mathew, qui ignorait tout du théosophisme, fut épouvanté en s'apercevant que ses nouveaux adhérents attendaient la venue d'un futur Messie, et il se retira purement et simplement, leur abandonnant son Église. Les théosophistes comptaient bien en effet s'emparer entièrement de celle-ci, mais ce résultat avait été obtenu trop vite, et cela ne faisait pas leur affaire, car, pour pouvoir se présenter comme « catholiques », ils voulaient tout d'abord s'assurer le bénéfice de la « succession apostolique » en obtenant la consécration épiscopale pour quelques-uns des leurs. Le secrétaire général de la section anglaise de la Société Théosophique, J. I. Wedgwood, ayant échoué auprès de Mathew, parvint, après diverses péripéties, à se faire consacrer par F. S. Willoughby, évêque expulsé précédemment de l'Église vieille-catholique ; il se mit à la tête de celle-ci, dont le titre fut changé, en 1918, en celui d'« Église Catholique Libérale » ; il consacra à son tour d'autres évêques et fonda des branches « régionales » en divers pays : il en existe notamment une à Paris.

2 Le Christianisme primitif dans l'Evangile des Douze Saints, par E. F. Udny, prêtre de l'Église Catholique Libérale ; traduction française, p. 59.

Le but des théosophistes, en prenant la direction d'une Église « catholique » de dénomination et de rite, sinon effectivement, est assez clair : il s'agit d'attirer ceux qui, sans avoir peut-être de principes religieux bien définis, tiennent cependant à se dire chrétiens et à en conserver au moins toutes les apparences extérieures. Dans le Theosophist d'octobre 1916, Mme Besant, parlant de certains mouvements qui sont destinés, suivant elle, à acquérir une importance mondiale, mentionnait parmi eux « le mouvement peu connu appelé vieux-catholique : c'est une Église chrétienne vivante, qui croîtra et multipliera avec les années, et qui a un grand avenir devant elle ; elle est vraisemblablement appelée à devenir la future Église de la Chrétienté quand Il viendra ». C'était la première fois qu'il était officiellement question de l'Église vieille-catholique dans un organe théosophiste, et les espoirs que l'on fonde sur cette organisation se trouvaient ainsi nettement définis.

Naturellement, il n'est nullement nécessaire d'adhérer à la Société Théosophique pour faire partie de l'Église Catholique Libérale ; dans celle-ci, on n'enseigne pas ouvertement les doctrines théosophistes, mais on prépare les esprits à les accepter. La liturgie elle-même a été assez adroitement modifiée dans ce sens : on y a glissé une foule d'allusions peu compréhensibles pour le grand public, mais très claires pour ceux qui connaissent les théories en question. Chose qui mérite particulièrement d'être signalée ici, le culte du Sacré-Cœur est utilisé de la même façon, comme étant en étroite relation avec la venue du nouveau Messie : on prétend que « le Règne du Sacré-Cœur sera celui de l'Esprit du Seigneur Maitreya, et, en l'annonçant, on ne fait pas autre chose que dire sous une forme voilée que son avènement parmi les hommes est proche ».

Ce renseignement, qui nous est venu d'Espagne, nous montre une déviation qui est à rapprocher des contrefaçons du Sacré-Cœur dont il a déjà été question précédemment ; les amis de Regnabit ne se doutaient certainement pas qu'ils travaillaient directement, quoique d'une façon dissimulée, à préparer l'avènement du Messie théosophiste !

Il y a mieux encore : ce n'est plus seulement la liturgie, c'est maintenant l'Évangile lui-même qui est altéré, et cela sous prétexte de retour au « Christianisme primitif ». On met en circulation, à cet effet, un prétendu Evangile des Douze Saints ; ce titre nous avait fait supposer tout d'abord qu'il s'agissait de quelque Évangile apocryphe, comme il en existe un assez grand nombre ; mais nous n'avons pas été longtemps à nous rendre compte que ce n'était qu'une simple mystification.
Ce prétendu Évangile, écrit en araméen, aurait été conservé dans un monastère bouddhique du Thibet, et la traduction anglaise en aurait été transmise « mentalement » à un prêtre anglican, M. Ouseley, qui la publia ensuite. On nous dit d'ailleurs que le pauvre homme était alors « âgé, sourd, physiquement affaibli ; sa vue était des pires et sa mentalité fort ralentie ; il était plus ou moins cassé par l'âge » (3) ; n'est-ce pas avouer que son état le disposait à jouer dans cette affaire un rôle de dupe ? Nous passons sur l'histoire fantastique qui est racontée pour expliquer l'origine de cette traduction, qui serait l'œuvre d'un « Maître » qui fut autrefois le célèbre philosophe François Bacon, puis fut connu au XVIIIe siècle comme l'énigmatique comte de Saint-Germain.'

Ce qui est plus intéressant, c'est de savoir quels sont les enseignements spéciaux contenus dans l'Évangile en question, et qu'on dit être « une partie essentielle du Christianisme originel, dont l'absence a tristement appauvri et appauvrit encore cette religion » (4). Or ces enseignements se ramènent à deux : la doctrine théosophiste de la réincarnation, et la prescription du régime végétarien et antialcoolique cher à certain « moralisme » anglo-saxon ; voilà ce qu'on veut introduire dans le Christianisme, tout en prétendant que ces mêmes enseignements se trouvaient aussi jadis dans les Évangiles canoniques, qu'ils en ont été supprimés vers le IVe siècle, et que l'Evangile des Douze Saints a seul « échappé à la corruption générale ».

3 Le Christianisme primitif dans l'Evangile des Douze Saints, traduction française, p. 26.
4 Ibid., p. 4.


A vrai dire, la supercherie est assez grossière, mais il en est malheureusement encore trop qui s'y laisseront prendre ; il faudrait bien mal connaître la mentalité de notre époque pour se persuader qu'une chose de ce genre n'aura aucun succès.

On nous fait d'ailleurs prévoir une entreprise de plus grande envergure :
« L'auteur, est-il dit dans le petit livre destiné à présenter l'Évangile soi-disant « retrouvé », a lieu de croire qu'une Bible nouvelle et meilleure sera, sous peu, mise à notre disposition, et que l'Église Catholique Libérale l'adoptera probablement ; mais il est seul responsable de cette opinion, n'ayant pas été autorisé par l'Église à l'affirmer. Pour que la question puisse se poser, il faut naturellement que la Bible meilleure ait paru » (5).
Ce n'est encore là qu'une simple suggestion, mais il est facile de comprendre ce que cela veut dire ; la falsification va être étendue à l'ensemble des Livres saints ; nous voilà donc prévenus, et, chaque fois qu'on annoncera la découverte de quelque manuscrit contenant des textes bibliques ou évangéliques jusqu'ici inconnus, nous saurons qu'il convient de se méfier plus que jamais.

Il semble que nous entrions dans une période où il deviendra particulièrement difficile de « distinguer l'ivraie du bon grain » ; comment parviendra-t-on à faire ce discernement, si ce n'est en examinant toutes choses à la lumière du Sacré-Cœur, « en qui sont tous les trésors de la sagesse et de la science» ?
Dans le livre que nous avons rappelé, nous évoquions, à propos des entreprises messianiques des théosophistes, cette parole de l'Évangile : « Il s'élèvera de faux Christs et de faux prophètes, qui feront de grands prodiges et des choses étonnantes, jusqu'à séduire, s'il était possible, les élus eux-mêmes » (6).
Nous ne sommes pas encore là, mais ce que nous avons vu jusqu'ici n'est sans doute qu'un commencement et comme un acheminement vers des événements plus graves ; sans vouloir risquer aucune prédiction, on peut bien dire que, d'après toutes sortes d'indices, ce qui se prépare présentement est fort peu rassurant, et cela dans tous les domaines.

Dans le désordre actuel, les théosophistes ne font sans doute que jouer leur rôle, comme beaucoup d'autres, d'une façon plus ou moins inconsciente ; mais, derrière tous ces mouvements qui jettent le trouble dans les esprits, il peut y avoir quelque chose d'autrement redoutable, que leurs chefs mêmes ne connaissent pas, et dont ils ne sont pourtant en réalité que de simples instruments, comme d'autres à leur tour le sont entre leurs mains.
En tout cas, il y a là, même pour le présent, un danger très réel et qu'on aurait tort de se refuser à voir; nous avons cru bon de le dénoncer une fois de plus, et ce ne sera peut-être pas la dernière, car il est à prévoir que la propagande insinuante et multiforme à laquelle nous avons affaire aura encore d'autres manifestations.

RENÉ GUÉNON.

P.-S. - Dans un article intitulé Sem et Japhet, paru dans la revue Europe (15 novembre 1926), M. François Bonjean a écrit ceci : « Fait significatif, c'est du cœur, et non pas du cerveau, que la doctrine cosmologique des plus anciens textes âryens fait le siège, ou plutôt l'emblème de l'intelligence pure, de celle qui comprend les vérités transcendantales comme l'oreille entend, et c'est à cette intuition immédiate... qu'elle donne le premier rang parmi les qualités sensibles. »

Il semble qu'il y ait à la fin de ce passage un lapsus, peut-être dû à une simple omission typographique, et qu'il faille lire :
« C'est à cette intuition immédiate qu'elle donne le premier rang parmi les facultés, comme elle le donne au son parmi les qualités sensibles. »
Nous avons précisément parlé de cette doctrine hindoue de la primordialité du son dans notre article A propos du Poisson (février 1927) ; et, quant à la relation du cœur avec l'intelligence intuitive, nous l'avons déjà exposée ici à maintes reprises. Il semble que certaines vérités oubliées commencent à revenir au jour, et c'est toujours avec plaisir que nous en signalerons les indices, partout où nous les rencontrerons ; il y a là, fort heureusement, une contrepartie à l'envahissement de ce désordre mental dont nous venons d'avoir à signaler quelques symptômes inquiétants. R. G.

5 lbid., p. 41.
6 St Mathieu, XXIX, 24.
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Message par Uskudar Lun 27 Jan - 16:55

ça donne mal à la tête toutes ces élucubrations confused
Comme disait Guenon: une effrayante incompréhension des doctrines Hindous

Sur le mystérieux personnage du comte de St Germain, faut voir "Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, tome 2"
study

Uskudar

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Message par Ligeia Lun 27 Jan - 17:22

Exact, merci Uskudar !
Voilà le lien : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Dans un des comptes rendus, Guénon parle de façon élogieuse du livre de Paul Chacornac "Le Comte de Saint-Germain".
Pour ceux qui voudront aller plus loin le voici aussi : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
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Message par Ligeia Lun 3 Fév - 8:14

Sur Rudolf Steiner :

"Les thèses de Steiner sont comme un grand labyrinthe dans lequel on s'engouffre, c'est un système qui se réfère à lui-même. La personne qui commence à l'explorer sans repères va se fier à ces références internes au sein de ce système de pensées isolé, et se les approprier comme des éléments menant à la vérité, alors que c'est en tout et pour tout du "Steiner". C'est ce qui fait qu'il est impossible de relier ce que Steiner disait à quoi que ce soit d'authentique (enfin sauf si on considère authentique la Doctrine Secrète de Blavatsky...), malgré qu'il introduise chacune de ses affirmations d'un pompeux "Selon la science ésotérique...".
Le résultat est un enfermement complet dans un monde de chimères. Ça ne veut pas dire qu'il était totalement conscient de son action de confusion. Comme tout ce qui se livre corps et âme à des "révélations de clairvoyants", c'est de la pseudo-tradition, rien de plus (des idiots utiles, reproduisant simplement les suggestions que la contre-tradition leur souffle de façon plus ou moins indirecte). Tout comme Deunov, Philippe de Lyon, etc."

Source : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

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René Guénon, Le Théosophisme, 2ème édition, chapitre XXII - L'Anthroposophie de Rudolf Steiner


"Les théosophistes n’ont vraiment pas eu à se louer de leurs rapports avec les soi-disant Rosicruciens allemands : nous avons parlé précédemment des démêlés de Mme Blavatsky avec le Dr Franz Hartmann ; nous venons de voir comment, au début de 1913 et à propos de l’affaire Alcyone, Rudolf Steiner, secrétaire général de la section allemande de la Société Théosophique, se sépara entièrement de Mme Besant [1].

Pour se venger, celle-ci, prenant prétexte de ce que Steiner (né en 1861 à Kraljevic, en Hongrie) appartient à une famille catholique (et non juive comme certains l’ont prétendu), l’accusa d’être un Jésuite [2] ; si cela était vrai, il faudrait reconnaître qu’elle avait mis quelque temps à s’en apercevoir, car Steiner faisait partie de sa Société depuis une quinzaine d’années, et que sa « clairvoyance » ne lui avait guère servi en la circonstance. Cette accusation toute gratuite de « jésuitisme » est presque aussi courante que celle de « magie noire » dans les milieux « néo-spiritualistes », et elle ne mérite certes pas qu’on s’y arrête ; il y a des occultistes pour qui la crainte des Jésuites ou de leurs émissaires plus ou moins déguisés est devenue une véritable obsession [A].

D’autre part, certains auteurs, et parmi eux Mme Blavatsky (qui avait peut-être emprunté cette idée à l’écrivain maçonnique J.-M. Ragon), n’ont pas hésité à attribuer aux Jésuites la fondation du grade de Rose-Croix dans la Maçonnerie écossaise ; d’autres prétendent que les Jésuites s’introduisirent au XVIIIe siècle dans diverses organisations rosicruciennes et les détournèrent de leur but primitif ; d’autres encore, allant plus loin, veulent identifier les Rose-Croix du XVIIe siècle eux-mêmes avec les Jésuites : autant de fantaisies pseudo-historiques qui ne résistent pas au moindre examen, et que nous ne mentionnons que pour montrer que, sous ce rapport, Mme Besant n’a rien inventé ; voyant se dresser devant elle un adversaire qui était d’origine catholique et se recommandait d’une école rosicrucienne (d’ailleurs imprécise et peut-être inexistante), elle ne pouvait manquer de le dénoncer comme un Jésuite [3]. Quelques-uns ont cru que cette querelle entre Steiner et Mme Besant n’avait été qu’une simple comédie [4] ; bien qu’il faille toujours se méfier des apparences, nous ne pensons pas qu’il en soit ainsi, et, à notre avis, il y eut là au contraire une scission véritable, qui, outre l’affaire qui en fut l’occasion avouée, et sans parler de la question de rivalité personnelle, peut bien avoir eu aussi quelques motifs politiques ; sans doute, de part et d’autre, on s’est toujours défendu de faire de la politique, mais nous verrons plus loin que la Société Théosophique n’en a pas moins servi fidèlement les intérêts de l’impérialisme britannique, dont ses adhérents allemands étaient sans doute fort peu disposés à faire le jeu, étant allemands avant d’être théosophistes.

Nous avons dit que Steiner donna à sa nouvelle organisation le nom de « Société Anthroposophique », avec une intention manifeste de concurrence à l’égard de la Société Théosophique, aussi bien que pour caractériser sa conception propre, qui fait en effet de l’homme le centre de ce qu’il appelle la « science spirituelle ». Il faut ajouter, du reste, que le mot d’« anthroposophie » n’est pas, comme on pourrait le croire, un néologisme imaginé par Steiner, car un ouvrage du Rosicrucien Eugenius Philalethes ou Thomas Vaughan, qui date de 1650, a pour titre Anthroposophia Magica.

La Société Anthroposophique a pris pour devise : « La Sagesse n’est que dans la Vérité », par imitation de celle de la Société Théosophique : « Il n’y a pas de religion plus haute que la Vérité » ; cette dernière n’est d’ailleurs qu’une traduction fort défectueuse de la devise des Mahârâdjas de Bénarès [5].
Voici les principes sur lesquels la nouvelle organisation déclare se fonder, d’après une brochure de propagande qui fut publiée à l’époque même de sa création :


  • « Pour se former une vie satisfaisante et saine, la nature humaine a besoin de connaître et de cultiver sa propre essence suprasensible et l’essence suprasensible du monde extérieur à l’homme. Les investigations naturelles de la science moderne ne peuvent pas conduire à un tel but, bien qu’appelées à rendre d’inestimables services dans les limites de leur tâche et de leur domaine. La Société Anthroposophique va poursuivre ce but par l’encouragement des recherches sérieuses et vraies dirigées vers le suprasensible, et par l’entretien de l’influence que ces recherches exercent sur la conduite de la vie humaine. Une investigation vraie de l’esprit, et l’état d’âme qui en résulte, doivent donner à la Société Anthroposophique son caractère, dont l’expression peut se résumer dans les principes directeurs suivants : 1° Une collaboration fraternelle peut s’établir au sein de la Société entre tous les hommes acceptant comme base de cette collaboration affectueuse un fonds spirituel commun à toutes les âmes, quelle que soit la diversité de leur foi, de leur nationalité, de leur rang, de leur sexe, etc. 2° L’investigation des réalités suprasensibles cachées derrière toutes les perceptions de nos sens s’unira au souci de propager une science spirituelle véritable. 3° Le troisième objet de ces études sera la pénétration du noyau de vérité que renferment les multiples conceptions de la vie et de l’univers chez les différents peuples à travers les âges » [6].



On retrouve là des tendances qui sont tout à fait analogues à celles de la Société Théosophique : d’une part, l’idée de « fraternité universelle » et le « moralisme » qui s’y rattache plus ou moins étroitement, car « la Société Anthroposophique s’orientera vers un idéal de coopération humaine… et n’atteindra son but spirituel que si ses membres se consacrent à un idéal de vie qui peut servir d’idéal universel à la conduite de la vie humaine » [7] ; d’autre part, l’annonce d’« une méthode d’investigation spirituelle qui sait pénétrer dans les mondes suprasensibles » [8], et qui consiste évidemment dans un développement de la « clairvoyance » ou de quelque autre faculté similaire, quelque soit le nom sous lequel on la désignera [9].

Naturellement, la Société Anthroposophique se défend de vouloir constituer une religion, et même de se rattacher à n’importe quelle croyance particulière :
« Rien ne doit rester plus étranger aux efforts de la Société qu’une activité favorable ou hostile à une orientation religieuse quelle qu’elles soit, car son but est l’investigation spirituelle, et non pas la propagation d’une foi quelconque ; aussi toute propagande religieuse sort-elle de ses attributions » [10].

Assurément, cela n’est que logique de la part de gens qui ont précisément reproché à Mme Besant d’avoir forfait aux principes théosophiques en se livrant à une « propagande religieuse » ; mais ce qu’il faut tout particulièrement noter à cet égard, c’est qu’on aurait le plus grand tort de croire que les doctrines du Dr Steiner se présentent avec un caractère spécifiquement chrétien :

  • « L’investigateur spirituel qui contemple les plus nobles créations du génie humain au cours de son développement, ou qui approfondit les conceptions philosophiques ou les dogmes de tous les peuples et de tous les temps, ne s’attachera pas à la valeur même de ces dogmes ou de ces idées ; il les considérera comme une expression de l’effort humain, tendu vers la solution des grands problèmes spirituels intéressant l’humanité. Ainsi une désignation empruntée à une confession particulière ne saurait-elle énoncer le caractère fondamental de la Société. »


Ainsi, les religions sont mises ici sur le même rang que les simples conceptions philosophiques et traitées comme des faits purement humains, ce qui est bien un point de vue « anthroposophique », ou même « anthropologique » ; mais poursuivons :


  • « Si, par exemple, l’impulsion imprimée à l’évolution humaine par la personnalité du Christ est étudiée au cours des investigations de la science spirituelle, cette étude ne procédera pas des données d’une confession religieuse. Le résultat obtenu pourra être accueilli par le croyant d’une confession quelconque, au même titre qu’un fidèle de la religion hindoue ou du Bouddhisme se familiariserait avec l’astronomie de Copernic, qui ne fait pas davantage partie de ses documents religieux. Cette impulsion attribuée au Christ est le résultat exclusif d’investigations (sic) ; elle est présentée de façon à pouvoir être admise par les croyants de toute religion, et non pas seulement par les fidèles chrétiens à l’exclusion des autres » [11].


La comparaison avec l’astronomie de Copernic est vraiment une trouvaille admirable ; sans doute, il ne s’agit là que d’une exposition toute extérieure, où il n’est aucunement fait mention du Rosicrucianisme, et où, par une discrétion plutôt excessive, le nom de Steiner ne figure même pas, puisqu’on y dit seulement que la Société Anthroposophique a à sa tête un « Comité fondateur » composé du Dr Kark Unger, de Mlle Marie Von Sivers et de M. Michel Bauer, et ayant son siège provisoire à Berlin.

Pour connaître un peu le fond de la pensée de Steiner, c’est plutôt à ses ouvrages qu’il faut s’adresser, et l’on voit alors que, si sa doctrine peut, sous un certain aspect, être regardée comme une sorte de « Christianisme ésotérique », c’est encore dans un sens qui ne diffère pas très sensiblement de ce que l’on rencontre sous ce nom chez les autres théosophistes ; en voici un exemple :


  • « Le disciple, par la force de son initiation, se trouve initié au mystère auguste qui est uni au nom du Christ. Le Christ se montre à lui comme le grand idéal terrestre. Lorsque l’intuition a ainsi reconnu le Christ dans le monde spirituel, le disciple comprend le fait historique qui s’est passé sur la terre au cours de la période gréco-latine, et comment le Grand Etre Solaire que nous appelons le Christ est alors intervenu dans l’évolution. C’est pour le disciple une expérience personnelle que la connaissance de ce fait » [12].


Ici, il n’est pas question du « Bohdisattwa », car la façade simili-orientale du théosophisme a disparu ; mais le « Grand Etre Solaire » dont il s’agit est vraisemblablement identique au Logos de notre système, tel que Mme Blavatsky le conçut d’après ce qu’elle crut comprendre du néo-platonisme, et tel que le conçoivent encore ses successeurs [13], qui en font le chef suprême des sept Logoï planétaires, et, par eux, de « la hiérarchie des puissants Adeptes qui s’élève jusqu’à la Divinité elle-même » [14] en vertu de ce rattachement. Steiner diffère donc de Mme Besant en ce qu’il voit dans le Christ la manifestation d’un principe plus élevé, à moins que ce ne soit simplement une manifestation plus directe du même principe, par la suppression d’un certain nombre d’entités intermédiaires (deux exactement), car il y a toujours moyen de concilier de pareilles divergences quand on veut bien y apporter un peu de bonne volonté de part et d’autre, et d’ailleurs elles n’ont jamais été mises en avant pour motiver la rupture.

A propos de l’ouvrage de Steiner auquel nous avons emprunté la citation précédente, il convient de faire une remarque assez curieuse : ce livre, intitulé La Science Occulte, fut publié à Leizpig en 1910 ; or, l’année précédente, il avait paru à Seattle (Washington) un autre ouvrage ayant pour titre The Rosicrucian Cosmo-Conception, par Max Heindel, dans lequel étaient exposées des théories tout à fait semblables dans leur ensemble.
On pourrait donc, au premier abord, penser que Steiner, qui ne donne aucune explication de l’identité de ses affirmations avec celles de Heindel, a fait des emprunts à celui-ci ; mais, d’autre part, comme Heindel a dédié un livre à Steiner lui-même, il est permis de supposer qu’il a au contraire tiré ses idées des enseignements de ce dernier avant qu’ils n’aient été rendus public, à moins pourtant que tous deux n’aient simplement puisé à une source commune.
En tout cas, la différence la plus appréciable qu’il y ait entre eux (toute question de forme mise à part), c’est que Heindel n’hésite pas à attribuer nettement ses conceptions à la tradition rosicrucienne, tandis que Steiner se contente le plus souvent de parler au nom de « la science occulte », d’une façon extrêmement générale et vague, ce qui, du reste, est peut-être plus prudent. En effet, il n’est pas bien difficile de s’apercevoir que la plus grande partie des enseignements de Heindel, aussi bien que de ceux de Steiner, est tirée directement de la Doctrine Secrète, avec quelques modifications qui ne portent guère que sur les détails, mais en écartant avec soin tous les termes d’apparence orientale ; aussi ces conceptions n’ont elles que fort peu de rapports avec le Rosicrucianisme authentique, et même ce qui y est présenté plus spécialement comme « terminologie rosicrucienne », ce sont presque toujours des expressions inventées par Mme Blavatsky.

A un autre point de vue aussi, il y a, dans la réserve que garde Steiner, la preuve d’une certaine habileté, car on a toujours dit que les vrais Rose-Croix ne se proclamaient jamais tels, mais tenaient au contraire cette qualité cachée ; c’est sans doute une des raisons pour lesquelles Steiner évite de dire expressément, dans ses publications, qu’il se rattache au Rosicrucianisme, ce qui n’empêche qu’il le donne du moins à entendre et qu’il serait sûrement fort affligé qu’on ne le crût point. Nous ajouterons qu’il a dû se produire assez rapidement une scission entre Steiner et Heindel, car la dédicace de The Rosicrucian Cosmo-Conception a disparu dans les éditions plus récentes, et Heindel, qui a constitué de son côté une « Rosicrucian Fellowship » ayant son siège à Oceanside (Californie) [C], a écrit dans un autre ouvrage, publié en 1916, que le premier messager qui avait été choisi et instruit par les Frères de la Rose-Croix pour répandre leurs enseignements échoua dans certaines épreuves, de sorte qu’il fallut en chercher un second, qui n’est autre que Heindel lui-même [15] ; et, bien que le premier ne soit pas nommé, il est certain que c’est de Steiner qu’il s’agit.

En ce qui concerne l’organisation de la Société Anthroposophique, voici quelques renseignements que nous trouvons dans la brochure dont nous avons déjà cité des extraits :


  • « Le travail de la Société s’organisera par groupes libres pouvant se former de façon indépendante dans tous les pays ou en tous lieux. Ces groupes pourront rester séparés ou se réunir, former des sociétés entre eux ou des associations plus libres, s’inspirant uniquement des conditions dictées par les circonstances de leur milieu. La Société Anthroposophique, dans ses visées réelles, n’est nullement une société au sens s’attachant d’habitude à ce mot ; le lien unissant les membres ne consiste pas en une organisation issue d’un règlement ou en tout autre cadre extérieur. »


Il y a dans cette dernière phrase une idée qui pourrait être intéressante, d’autant plus que, effectivement, les vrais Rose-Croix n’ont jamais constitué de sociétés ; mais, si le mot de « société » est impropre, pourquoi donc s’en servir, et cela dans le titre même de l’organisation dont il s’agit ?


  • « Seule, la culture de la science spirituelle au sens idéal consacré par l’exposé qui précède, confère au titre de membre sa physionomie intégrale et véritable. Ce titre, toutefois, entraîne certains droits comme, par exemple, l’accès de certains écrits de science spirituelle réservés aux seuls membres[16], et d’autres prérogatives de ce genre… Au point de vue extérieur, le lien de la Société Anthroposophique ne différera ainsi en rien de ce qu’il serait, par exemple, au sein d’une société anthropologique ou d’une autre similaire » [17].


Cela suppose évidemment qu’il existe, « au point de vue intérieur », un lien d’une autre nature, mais sur lequel on ne s’explique pas ; nous devons donc retrouver ici l’équivalent de la division de la Société Théosophique en « section exotérique » et « section ésotérique ». En effet, les enseignements que l’on dit être réservés aux membres ne sont pas donnés à tous ceux-ci indistinctement, ou du moins ils ne le sont qu’en partie ; il y a, dans la Société Anthroposophique, une autre organisation déjà formée antérieurement par Steiner, et qui en constitue maintenant le « cercle intérieur » ; cette organisation, sur laquelle aucune information n’est donnée publiquement, s’affirme rosicrucienne, et on y emploie, pour la réception des membres, des formes d’initiation tout à fait analogues à celles qui sont en usage dans la Maçonnerie [18], trop analogues même, car il y a là encore une raison, parmi bien d’autres, de douter de l’authenticité de ce Rosicrucianisme.

Nous ne pouvons que rappeler à ce propos ce que nous avons dit précédemment : la plupart des groupements actuels qui se parent de cette étiquette ne peuvent revendiquer qu’une filiation toute fantaisiste, ou, tout au plus, un simple rattachement théorique ; c’est là, si l’on veut, un Rosicrucianisme d’intention, mais nous ne pensons pas qu’on puisse y voir autre chose, à moins que l’on ne prétende que l’emploi de certains symboles, indépendamment de toute autre considération et même du sens qu’on y attache, est suffisant pour constituer un lien effectif [19]. Bien entendu, nous en dirons autant, à plus forte raison, pour ce qui est d’un rattachement supposé aux mystères antiques, dont il est fréquemment question dans les ouvrages de Steiner [20][D] ; nous verrons que l’idée de la « restauration des mystères » existe aussi chez Mme Besant et ses adhérents ; mais il ne peut s’agir en tout cela que d’essais de reconstitution pour lesquels on compte s’appuyer surtout sur l’« intuition » ou sur la « clairvoyance », et qui, par suite, seront toujours extrêmement sujets à caution.

Quoi qu’il en soit, on peut maintenant voir comment, dans la Société Anthroposophique, la très large autonomie qui est promise aux divers groupes extérieurs ne compromet pas l’unité de direction : il suffira qu’il y ait, dans chacun de ces groupes, et même sans qu’ils soient nécessairement à leur tête, des « initiés » de l’organisation intérieure, qui se chargeront de transmettre, non pas précisément des ordres, mais plutôt des suggestions ; c’est généralement ainsi que les choses se passent dans les associations de ce genre. D’ailleurs, la Société Théosophique comprend aussi des sections ou des sociétés nationales qui possèdent l’autonomie administrative, et cela n’empêche pas la direction centrale d’exercer en fait un pouvoir presque absolu ; là aussi, c’est l’existence de la « section ésotérique », avec le serment d’obéissance qu’on fait prêter à ses membres, qui en fournit la possibilité. L’indépendance apparente est bien faite pour séduire ceux qui ne savent pas qu’elle n’est qu’illusoire, et c’est sans doute ce qui permit à la Société Anthroposophique de recueillir, dès son début, des adhésions plus ou moins nombreuses dans presque tous les pays ; elle en eut même quelques-unes en Angleterre, et elle en eut aussi en France, où nous nommerons seulement, comme ses représentants les plus connus, M. Edouard Schuré, dont nous avons eu déjà l’occasion de parler (et qui, après avoir quitté la Société Théosophique dès 1886, y était rentré en 1907), M. Eugène Lévy, Mme Alice Bellecroix et M. Jules Sauerwein, rédacteur au Matin et traducteur des ouvrages de Steiner.

D’un autre côté, Steiner voulut réaliser une idée très analogue à celle du monastère théosophique de Franz Hartmann : il fit construire à Dornach, près de Bâle[E], un temple « où les fervents de la science de l’esprit pourraient s’assembler, s’instruire et s’édifier dans un lieu préparé pour eux ».
La description en est trop curieuse pour que nous n’en reproduisions pas quelques extraits :


  • « L’édifice reflète bien la doctrine exposée par M. Steiner dans un grand nombre d’ouvrages et de conférences. Deux vastes coupoles s’élèvent sur la colline dominant un cirque boisé, couronné de vieilles ruines… Une des coupoles, plus grande que l’autre, symbolise l’Univers avec ses harmonies et les stades successifs de son évolution. Comme le nombre sept est celui qui, en occultisme, représente le déroulement des choses dans le temps, cette coupole est supportée par sept immenses colonnes de chaque côté. Les colonnes sont en forme de pentagrammes, constituées par des triangles qui s’emboîtent les uns dans les autres. Au-dessus de chaque colonne, un chapiteau orné représente une des formes planétaires de notre monde… La petite coupole est, pour ainsi dire, engagée dans la grande dont elle est issue. Sous cette coupole règne le nombre douze, celui de l’espace. Douze colonnes symbolisent les douze influences zodiacales, qui descendent sur le « microcosme » ou monde de l’être humain, tandis que, tout autour de l’édifice, des vitraux, dessinés par M. Steiner lui-même, peignent sous des couleurs sensibles les étapes du progrès de l’âme… M. Rudolf Steiner pense qu’un édifice où l’on doit étudier les forces de la nature doit, dans toutes ses parties, exprimer l’effort incessant, la métamorphose constante qui marquent le progrès de l’Univers » [21].


Pour subvenir aux frais de la construction, qui devaient s’élever à trois millions, il avait été constitué une association immobilière appelée « Société de Saint-Jean » (Johannes-bau-Verein), par allusion aux anciennes confréries de Maçons opératifs. Le temple devait être achevé vers la fin de 1914, mais la guerre eut pour effet d’interrompre les travaux ou tout au moins de les retarder, et ce n’est qu’en 1920, croyons-nous, que l’édifice put enfin être inauguré [F] ; il contient, entre autres choses, un théâtre où l’on doit jouer les « drames ésotériques » de MM. Steiner et Schuré [22].
Ajoutons que le Dr Steiner exerce une influence de plus en plus grande sur ses disciples, et que ceux-ci, qui étaient déjà plus de quatre mille en 1914, et parmi lesquels il y a beaucoup de femmes, ont pour lui une admiration et une vénération égales à celles que les théosophistes « orthodoxes », si l’on peut employer ce mot en pareil cas, professent à l’égard de Mme Besant.[G]

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[1] Voir au sujet de ce conflit,Mme Annie Besant et la Crise de la Société Théosophique, par Eugène Lévy.
[2] Theosophist, janvier 1913.
[3] Ajoutons à ce propos que Steiner n’a jamais été prêtre, comme l’a écrit par erreur le P. Giovanni Busnelli (Gregorianum, janvier 1920).
[4] Le Dr Rudolf Steiner et la Théosophie actuelle, par Robert Kuentz (articles publiés dans le Feu, octobre, novembre et décembre 1913, et réunis ensuite en une brochure).
[5] Salyât nâsti paro dharma. – Le mot sanscrit dharma a plusieurs significations, mais il n’a jamais eu proprement celle de « religion » ; bien qu’on puisse souvent le rendre approximativement par « loi », il est de ceux qu’il est à peu près impossible de traduire d’une façon exacte dans les langues européennes, parce que la notion qu’il exprime n’a véritablement aucun équivalent dans la pensée occidentale ; et d’ailleurs, si étonnant que cela puisse sembler à certains, ce cas est très loin d’être exceptionnel.
[6] Esquisse des principes d’une Société Anthroposophique, pp. 1-2.
[7] Ibid., p. 3. – On remarquera aussi l’inspiration nettement kantienne de cette dernière formule.
[8] Ibid., p. 4.
[9] Précisons pourtant qu’il ne s’agit ici ni de spiritisme ni de médiumnité, car quelques-uns, comme M. Kuentz, ont fait cette confusion entre des choses qui sont réellement fort distinctes.
[10] Ibid., p. 3.
[11] Ibid., pp. 4-5.
[12] La Science Occulte, p. 338 de la traduction française.
[13] Voir notamment Le Credo Chrétien, par C. W. Leadbeater.
[14] L’Occultisme dans la Nature, p. 202.
[15] The Rosicrucian Mysteries, pp. 12-14.
[16] Ce sont surtout les conférences de Steiner, qui forment un ensemble énorme : il y en avait déjà vingt et une séries en 1913.
[17] Esquisse des principes d’une Société Anthroposophique, pp. 4-5.
[18] On trouvera une description assez détaillée de l’initiation au premier degré dans la brochure du P. L. de Grandmaison intitulée La Nouvelle Théosophie, pp. 36-37. – Nous devons dire à cette occasion qu’il y a certains points sur lesquels il ne nous est pas possible d’accepter les conclusions formulées dans cette brochure, notamment en ce qui concerne les origines du Rosicrucianisme (pp. 22-24), ainsi que le rôle du théosophisme dans l’Inde.
[19] Il est possible que Steiner, à ses débuts, ait appartenu à l’« Illuminisme Rénové » de Léopold Engel, bien que nous ne puissions l’affirmer dune façon absolue.
[20]Voir Le Mystère chrétien et les Mystères antiques, traduction de l’ouvrage allemand intitulé Le Christianisme comme fait mystique.
[21] Le Matin, 1er mai 1914.
[22] Ceux de ce dernier ont été traduits en allemand par Mlle Marie von Sivers. – Il paraît cependant que M. Schuré s’est séparé de Steiner, pendant la guerre, à cause d’une brochure pangermaniste écrite par celui-ci, et que, depuis lors, il s’est de nouveau rapproché de la Société Théosophique, où il a même fait récemment quelques conférences sur l’« esprit celtique ».


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Notes additionnelles de la seconde édition:

A - Mme Besant a prétendu identifier les Jésuites aux « magiciens noirs », appelés par Mme Blavatsky « Frères de l’Ombre » (voir chapitre VI, dernier §) et « Seigneurs de la Face sombre », et elle est allée jusqu’à les accuser d’avoir été les inspirateurs de toutes les attaques dirigées contre la Société Théosophique et ses chefs, et notamment d’avoir inventé de toutes pièces l’affaire Leadbeater. Comme on pourrait avoir quelque peine à le croire, il nous faut, malgré la longueur de la citation, reproduire ici ses propres paroles : « Vous vous souviendrez des vives attaques de H. P. B. contre les Jésuites, en qui elle reconnaissait les ennemis les plus dangereux de la Théosophie. Tout en accomplissant beaucoup d’excellent travail, le clergé catholique, à mesure que son chef acquérait dans le monde occidental une autorité suprême, s’abandonnait à l’esprit de la persécution, car il considérait le savoir comme trop dangereux pour le commun du peuple, et fermait ses portes, même aux plus dignes…
Les persécuteurs des temps antiques et du moyen âge s’attachèrent toujours à souiller leurs victimes en les accusent calomnieusement de perversion sexuelle, témoin les accusations lancées contre les Templiers, les Albigeois, contre Paracelse, Bruno, et autres serviteurs de la Loge Blanche. Depuis qu’est fondé l’Ordre des Jésuites, ces soldats de l’Eglise, les connaissances occultes de ses chefs, la discipline intellectuelle et l’obéissance des sous-ordres, ont produit à la fois des Saints et des persécuteurs. Répandu de par le monde, obéissant à une volonté unique, cet Ordre est devenu une formidable puissance pour le bien et pour le mal : il a une liste merveilleuse de martyrs, et maintes fois a été banni des royaumes chrétiens pour ses crimes. Etant lui-même dépositaire du pouvoir occulte, il cherche à briser tous ceux qui y atteignent en dehors de sa propre discipline, et, n’ayant plus le pouvoir de faire périr, il emploie l’ancienne arme mortelle pour ruiner les réputations. De là les véhémentes tentatives de H. P. B. pour le démasquer ; elle voyait en lui l’incarnation des Forces sombres qui combattent sans cesse contre la Lumière, et leur arme la plus meurtrière. Sous sa forme la plus basse, il est à l’apogée de sa force dans l’Amérique du Nord et en Australie, car dans ces pays l’Eglise catholique romaine cherche à s’attacher la démocratie, et elle a dans les Jésuites des soldats sans scrupules. Contre H. P. B. on fit servir de nouveau la vieille arme, et ou l’accusa de la pire débauche. Ceci fut plus meurtrier que les attaques ouvertes des Coulombs (sic)... La, même politique fut mise en œuvre contre celui qui a rang après elle parmi les Instructeurs que la S.T. a possédés, mon frère Leadbeater, qui a traversé un enfer d’accusations de la plus infâme espèce. D’autres personnes moins éminentes ont partagé sa croix, et en ce moment la conspiration des Jésuites lance avec sa vieille arme son attaque la plus venimeuse contre les chefs de l’Eglise catholique libérale, qu’elle reconnaît pour son ennemie mortelle parce que ses Evêques sont, comme aux premiers jours de l’Eglise, en contact avec les Maîtres de Sagesse. Ces attaques mêmes nous prouvent que les persécutés sont des apôtres » (The Theosophist, mars 1922 ; traduction parue dans le Bulletin Théosophique, avril 1922). On verra plus loin ce qu’est l’affaire à laquelle font allusion les dernières lignes de cette citation.

B - Mlle Marie von Sivers devint par la suite Mme Rudolf Steiner.

C - Max Heindel est mort en 1919 ; c’est sa veuve qui, depuis lors, dirige la Rosicrucian Fellowship et édite une revue intitulée Rays from the Rose-Cross, dans laquelle il est surtout question d’astrologie. A ces mêmes préoccupations astrologiques se rattache la curieuse information suivante : « La Rosicrucian Fellowship avait commandé l’année dernière douze toiles, représentant chacune un signe du zodiaque, à l’artiste peintre Camille Lambert, qui a son atelier à Juvisy. Ces toiles seront placées dans l’Ecclesia, temple construit dans un but humanitaire (sic), à Oceanside (Californie) » (Le Voile d’Isis, novembre 1922). Il existe une branche française de cette organisation, dont le chef est M. L. Krauss, et qui semble faire actuellement une propagande assez active ; une branche a été également constituée en Espagne en 1927.

D - Il est curieux de remarquer que l’ex-abbé Loisy a publié, en 1919, un volume intitulé Les Mystères païens et le Mystère chrétien, titre qui est presque identique à celui sous lequel a paru la traduction de l’ouvrage de Steiner.

E - Il faut croire que la Suisse fournit un terrain particulièrement favorable à la fondation de communautés théosophistes ou similaires : en juin 1920 fut créée à Céligny, près de Genève, sous la direction de M. René Borel, une « Communauté Théosophique Coopérative » appelée le « Domaine de l’Étoile », ayant pour but de « fonder une petite colonie vivant de son propre travail et destinée à rassembler dans un milieu harmonieux tous ceux des membres qui désireraient vivre dans une ambiance spiritualiste » (Bulletin Théosophique, avril 1922).

F - Le temple de Dornach, auquel avait été donné le nom de « Gœtheanum », fut incendié dans la nuit du 31 décembre 1922 ; comme il était construit presque entièrement en bois; tout fut détruit ; on commença d’ailleurs presque aussitôt à le rebâtir, mais cette fois en pierre. Cet incendie fut assez généralement attribué à la malveillance ; certains en accusèrent même les théosophistes, et d’autres les Jésuites, ce qui ne pouvait manquer. D’autre part, cet événement eut pour effet d’attirer l’attention du public sur la Société Anthroposophique et son fondateur, et l’on put lire dans la presse des informations comme celles-ci : « Si l’on en croit la légende, le Dr Steiner, dont les théories sont confuses, a rendu cependant un service éminent à l’humanité, en embrouillant l’esprit du comte de Moltke, chef d’état-major général, au moment décisif de la bataille de la Marne. Le stratège germanique resta néanmoins son disciple... L’année dernière, le prophète réunit 35 millions de marks de cotisations et fonda une compagnie par actions intitulée « Le Jour qui vient », qui entreprit la fabrication de cigarettes, dans le but de financer plus tard des œuvres de propagande. Cette concession aux faiblesses humaines fut mal accueillie par les adversaires de M. Steiner, et la fabrique de cigarettes dut liquider » (Echo de Paris, 10 janvier 1923).

G - Rudolf Steiner est mort le 26 avril 1925 ; depuis lors, la Société Anthroposophique a à sa tête un Comité directeur, et il ne semble pas qu’on ait jamais songé à donner un successeur à son fondateur. A la Société Anthroposophique sont rattachées diverses organisations accessoires : l’Ecole d’Eurythmie du Gœtheanum, créée et dirigée par Mme Marie Steiner, et à laquelle est adjointe une école d’art dramatique ; l’Ecole Waidorf, à Stuttgart, et d’autres écoles similaires en Hollande et en Angleterre ; les Laboratoires internationaux d’Arlesheim, autour desquels sont groupées quatre maisons de santé pour les enfants et pour les adultes. A propos des applications médicales des théories de Steiner, voici une information assez curieuse : « Le Dr Kolisko, de Vienne, a cherché à fonder une médecine nouvelle ou tout au moins une pharmacologie sur la doctrine anthroposophique de son maître Steiner. L’adoration (sic) du nombre trois suivant les méthodes babyloniennes (?) joue un certain rôle dans cette thérapeutique, qui s’apparente aussi aux recherches et résultats de l’ancienne homéopathie. A l’humanité souffrante, le Dr Kolisko apporte un remède universel, qui est le soufre. Il veut en, faire une humanité soufrée. La Société des médecins de Vienne s’est occupée avec quelque sévérité de ces procédés, dont la principale originalité consiste à justifier par les plus étranges raisons mystiques l’emploi de médicaments connus. C’est ainsi qu’en préconisant l’usage d’une tisane quelconque contre le cancer, les théosophes (sic) évoquent le mythe du dieu de l’hiver Hœder, qui tue le dieu de l’été Balder » (Echo de Paris, 23 août 1922). – La « Société Anthroposophique de France », dont le siège est 3, avenue de l’Observatoire, a pour organe une revue intitulée La Science Spirituelle, qui semble d’ailleurs ne paraitre qu’à intervalles assez irréguliers. D’autre part, un « Congrès mondial pour montrer l’existence d’une Science Spirituelle et ses applications pratiques » s’est tenu à Londres en juillet 1928 ; voici quelques extraits du manifeste lancé à cette occasion : « La science de l’analyse, la logique inflexible, le dogme cristallisé, ont achevé leur tâche… Le temps est venu où l’homme doit développer en lui une forme supérieure de connaissance. Ce sera, nécessairement, au moyen d’une Science Spirituelle qui projettera une nouvelle clarté sur l’Incarnation Divine et sur la mission du Christ. Mais une compréhension vaste et profonde de la mission du Christ n’est possible que si l’on dégage le sens de l’évolution de la terre dans sa totalité… A la lumière de cette connaissance surgira une plus claire compréhension du rôle confié à chaque nation terrestre, et l’Individualisation, la Liberté, la Bonne Volonté constitueront une Réalité Spirituelle qui pénétrera toutes les branches de l’activité humaine… Chaque époque a eu ses guides. C’est à l’homme qu’incombe à présent la mission de découvrir où réside la Sagesse et, l’ayant trouvée, d’ériger, sur des bases solides, l’édifice des temps nouveaux. »


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Comptes rendus de certains de ses livres :

Rudolf Steiner – L’Évangile de saint Jean
(Association de la Science Spirituelle, Paris).

Ce volume contient la traduction française d’un cycle de douze conférences faites à Hambourg en 1908. L’auteur commence par critiquer avec juste raison les procédés de l’exégèse moderne et les résultats auxquels ils aboutissent ; mais ensuite, pour accommoder à ses conceptions « anthroposophiques » l’Évangile de saint Jean, dont le véritable auteur serait, selon lui, Lazare ressuscité, il le traite lui-même d’une façon dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est d’une haute fantaisie ; et il semble même, au fond, le prendre surtout comme un prétexte pour exposer des vues qui, pour une bonne part, et spécialement en ce qui concerne l’« évolution » humaine, rappellent beaucoup plus la Doctrine Secrète de Mme Blavatsky qu’une tradition rosicrucienne. Ce qu’il appelle « science spirituelle » n’est du reste tel que du fait d’une des confusions que nous signalons par ailleurs dans notre article, car, pour lui, « spirituel » est à peu près synonyme d’« invisible », tout simplement ; et, naturellement, la conception qu’il se fait de l’initiation s’en ressent fortement. Signalons, à ce propos, une chose assez curieuse : d’une part, il prétend que les initiations auraient perdu leur raison d’être depuis la venue du Christ, dont l’effet aurait été de rendre accessible à tous ce que les mystères antiques réservaient à un petit nombre ; mais, d’autre part, il décrit ce qu’il appelle l’initiation chrétienne et l’initiation rosicrucienne, entre lesquelles il semble d’ailleurs faire une certaine différence ; il n’est vraiment pas très facile de voir comment tout cela peut se concilier !
Juillet 1935

Rudolf Steiner – Mythes et Mystères égyptiens
(Association de la Science spirituelle, Paris).
Dans cette série de douze conférences faites à Leipzig en 1908, l’auteur se défend, avec une curieuse insistance, de vouloir expliquer les symboles ; il ne veut y voir que l’expression de ce qu’il appelle des « faits spirituels », par quoi il entend des événements qui sont censés s’être passés, au cours de telle ou telle période de l’histoire de l’humanité, dans le domaine psychique, voire même simplement « éthérique », car, comme nous avons eu déjà à le faire remarquer à propos d’un autre volume, sa conception du « spirituel » est plus que vague… Nous retrouvons là une fois de plus, sur les « races » et les « sous-races » humaines, quelques-unes des histoires fantastiques que nous ne connaissons que trop ; ce que nous trouvons toujours le plus étonnant là-dedans, c’est qu’on puisse faire accepter comme « enseignements rosicruciens » des assertions dont la plupart, en dépit de quelques modifications de détail, sont visiblement dérivées en droite ligne de la Doctrine Secrète de Mme Blavatsky !
Avril 1936

Rudolf Steiner – L’Apparition des Sciences naturelles
(Association de la Science Spirituelle. Paris).
Ce volume, comme ceux qui l’ont précédé, représente l’édition d’une série de conférences, faites cette fois à Dornach en 1922-1923, et où l’« histoire des idées » est traitée d’une façon bien spéciale à l’auteur. Il est certain que le développement des sciences modernes est étroitement lié à la formation d’une certaine mentalité, très différente de celle des époques précédentes ; mais la nature réelle du changement qui s’est produit ainsi au cours des derniers siècles n’est peut-être pas précisément celle qui est décrite ici, et les vues concernant le mode de connaissance des anciens rappellent un peu trop les fantaisies des « clairvoyants » pour qu’on puisse volontiers les prendre au sérieux.
Octobre 1936

Rudolf Steiner – L’Évangile de saint Luc
(Association de la Science Spirituelle, Paris).

Ces conférences furent faites en 1909 à Bâle, devant les membres de la Société Théosophique, dont l’auteur ne s’était pas encore séparé à cette époque ; et les interprétations qu’elles présentent sont peut-être encore plus fantastiques, si c’est possible, que celles qui ont cours « officiellement » parmi le commun des Théosophistes. Il paraît que, quand l’évangéliste parle de « témoins oculaires », il faut traduire par « clairvoyants » ; partant de là, il n’y a plus qu’à faire appel à la « chronique de l’Akâsha », et ce qu’on en tire n’est certes pas banal !
Ainsi, on y découvre que c’est le « Bouddha transfiguré » qui apparut aux bergers sous la forme d’une « armée céleste », puis qu’il y eut simultanément deux enfants Jésus, l’un de Nazareth et l’autre de Bethléem, en qui se réincarnèrent d’abord respectivement Adam et Zoroastre, en attendant d’autres transformations… Nous croyons inutile de poursuivre davantage cette histoire plus que compliquée ; vraiment, si l’on se proposait délibérément de tout brouiller pour faire des origines du Christianisme une sorte de gâchis incompréhensible, il serait difficile de mieux faire ; et, si même une telle intention n’a pas présidé consciemment à l’élaboration de toutes ces fables, l’impression qui se dégage de celles-ci n’en est pas moins pénible, et la façon péremptoire dont elles sont affirmées comme des « faits » y ajoute encore ; nous voudrions tout au moins, pour la mémoire de l’auteur, croire qu’il n’a joué en tout cela qu’un simple rôle de « suggestionné » !
Janvier 1937


Les écoles de Steiner sont financées par l'UNESCO

Par ailleurs, le mouvement mondial des écoles Steiner a établi dès 1994 un partenariat avec l'UNESCO ayant donné lieu à des publications conjointes et à des actions communes dans des pays comme l'Afrique du Sud. La fondation a été admise en tant que partenaire officiel en 2001 [1].
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[1] Rapport d'admission de la Fédération des écoles Steiner à l'Unesco [archive]
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Cf. Le Théosophisme, chapitre XXVI - Les organisations auxiliaires de la Société Théosophique, sur des collaborations du même genre, entre la Société Théosophique et les organisations humanitaires du début du XXe siècle.


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Le Théosophisme : histoire d'une pseudo religion Empty les écoles "alternatives" -Rudolf STEINER

Message par Uskudar Lun 3 Fév - 12:04

il y a eu récemment un documentaire ARTE sur la remise en cause des écoles alternatives. ils en parlent de la pédagogie "steiner" qui apparemment en Allemagne et en France certains parents commencent à se rendre compte et suspectent le côté occulte
dans une des dernières vidéos de L'HEURE DE SE REVEILLER : 👁 APPRENEZ À VOIR 3.2 - La Secte NXIVM en France ? il parle de l'influence de l'occultiste Steiner

Uskudar

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Le Théosophisme : histoire d'une pseudo religion Empty Re: Le Théosophisme : histoire d'une pseudo religion

Message par Ligeia Lun 3 Fév - 16:45

Exact merci !
Voilà le lien vers sa vidéo : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] vers 11 min 45.

Sur la "pédagogie Steiner-Waldorf" :

"Une pédagogie active centrée sur l’individualité et la créativité : L’école Steiner-Waldorf est fondée sur l’idée de la liberté de l’homme, convaincue que l’amour, la confiance et l’enthousiasme, aux lieu et place de l’ambition, la crainte et la compétition, dotent les enfants de la sérénité et des forces qui leur seront indispensables pour avancer dans un monde incertain, y réaliser leur projet d’existence, en contribuant au progrès de l’homme. C'est à la suite de ses conférences que Rudolf Steiner crée la pédagogie qui permettrait aux enfants d'acquérir les aptitudes psychiques nécessaires à l'anthroposophie."  pale

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Ok, on a compris....  Rolling Eyes Evil or Very Mad
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Le Théosophisme : histoire d'une pseudo religion Empty CHAPITRE XXVIII : Théosophisme et Protestantisme

Message par Ligeia Sam 11 Avr - 13:03

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Théosophisme et Protestantisme

Il nous paraît hors de doute que certaines des tendances qui s’affirment dans la propagande théosophiste, surtout celles que nous avons qualifiées de « moralistes », portent la marque de l’esprit protestant, et, plus spécialement, de l’esprit du Protestantisme anglo-saxon. Nous ne voulons pas dire, certes, que ces tendances soient le monopole exclusif du Protestantisme ; mais c’est là qu’elles sont prépondérantes, et c’est de là qu’elles se sont répandues plus ou moins largement dans le monde moderne.

Du reste, nous trouvons encore une analogie entre le théosophisme et les courants actuels du Protestantisme (surtout le « Protestantisme libéral », qui en est la forme extrême, et d’ailleurs l’aboutissement logique) dans le fait de substituer une « religiosité » vague à la religion proprement dite, en faisant prédominer les éléments sentimentaux sur l’intellectualité, au point d’en arriver à éliminer celle-ci à peu près entièrement ; n’est-ce pas là aussi ce qu’ont voulu faire, au sein du Catholicisme même, les modernistes, dont la mentalité, nous l’avons déjà dit, est au fond toute protestante ? Toutes ces tendances se tiennent de fort près, et il n’y a pas lieu de s’étonner que les théosophistes qui se disent catholiques (car il y en a) proclament en toute occasion leurs sympathies modernistes ou « modernisantes » (1).

1 Voir par exemple une brochure anonyme intitulée La Compagnie de Jésus et la Théosophie : Réponse d’une Catholique aux « Etudes » (articles du R. P. de Grandmaison).

Nous avons dit aussi que, d’une façon générale, le « néo-spiritualisme » s’apparente au Protestantisme ; c’est surtout dans les pays protestants que les sectes qui s’y rattachent prennent naissance, se développent et se multiplient d’une façon invraisemblable, ce qui est l’indice d’un grave déséquilibre de la mentalité religieuse ; mais, de toutes ces sectes, le théosophisme est peut-être, avec quelques groupements spirites que l’on pourrait qualifier de « piétistes », celle où l’infuence de l’esprit protestant apparaît le plus manifestement.

Si l’on examine les méthodes que le théosophisme emploie à sa diffusion, il est facile de voir qu’elles sont identiques à celles dont usent les sectes protestantes : de part et d’autre, c’est le même acharnement à la propagande, et c’est aussi la même souplesse insinuante pour atteindre les divers milieux que vise cette propagande, en créant toutes sortes d’associations, plus ou moins indépendantes en apparance, mais toutes destinées à concourir à la même œuvre. Faut-il rappeler ici, par exemple, l’action protestante qui s’exerce en tous pays au moyen de ces « Unions Chrétiennes de Jeunes Gens » (Y. M. C. A.) et de leurs filiales (1), où tous sont admis sans distinction de confession religieuse, afin de faire aussi large que possible le champ d’un prosélytisme qui, pour être déguisé, n’en est pas moins ardent ?
Et ce n’est pas tout : des associations comme celles-là, tout en se défendant d’être « confessionnelles », avouent cependant encore l’inspiration protestante qui les dirige ; mais, à côté d’elles, il en est d’autres qui affichent une neutralité absolue, et qui ne leur en sont pas moins étroitement rattachées, qui ont parfois à leur tête une partie du même personnel, ou qui, en tout cas, comptent une majorité protestante parmi leurs dirigeants.

1 Parmi celles-ci, il faut citer, en France, l’œuvre des « Foyers du Soldat ».

Telles sont les associations « neutres » de « boy-scouts », à côté des associations ouvertement protestantes (1) ; la même chose a lieu pour les ligues antialcooliques ; et les diverses sociétés secrètes ou demi-secrètes dont nous avons parlé au chapitre précédent, tout en étant « neutres » pour la plupart, n’en ont pas moins une origine essentiellement protestante.
Or ce sont bien les mêmes caractères que l’on retrouve dans les multiples organisations auxiliaires qu’ont instituées les théosophistes : que ces organisations aient un but de propagande théosophiste avouée, qu’elles se proclament indépendantes, et ouvertes à tous, tout en reconnaissant leur origine, ou même qu’elles dissimulent celle-ci plus ou moins soigneusement, toutes sont soumises, en fait, à une direction unique, toutes sont consacrées au « service » du théosophisme, directement ou indirectement, et parfois à l’insu d’une grande partie de leurs membres, parfaitement inconscients du rôle qu’on leur fait jouer.

Cette identité de tendances et de méthodes peut s’expliquer, d’une façon assez naturelle, par les origines protestantes des chefs du théosophisme et de la majorité de ses adhérents ; il y a même parmi eux bon nombre d’anciens « clergymen » qui, s’ils ont abandonné leur ministère, n’ont point pour cela changé leur mentalité, et qui la gardent intacte jusque sous le masque « vieux-catholique » qu’ils ont pris en dernier lieu.
Mais faut-il s’en tenir là, et doit-on croire que l’esprit de concurrence religieuse oppose le théosophisme au Protestantisme proprement dit, comme il l’oppose, quoi qu’on en dise, au Catholicisme ? Le cas n’est pas du tout le même, car il faut tenir compte de la multiplicité indéfinie des sectes, qui est essentiellement inhérente au Protestantisme, comme conséquence de son affirmation du « libre examen », c’est-à-dire, en somme, de son absence de principes et d’autorité traditionnelle ; or les sectes protestantes sont bien aussi en concurrence entre elles, ce qui ne les empêche pas d’être unies par des liens très réels, car elles ne sont que des expressions diverses d’une même mentalité générale ; et, ici, la rivalité n’implique pas nécessairement une hostilité foncière, parce qu’il n’y a rien qui soit comparable à l’unité catholique.

1 Voir La Question des Boy-Scouts ou Eclaireurs en France, par Copin-Albancelli.

C’est pour les mêmes raisons que les Eglises schismatiques qui se disent catholiques (nous ne parlons pas, bien entendu, des Eglises orthodoxes orientales) tendent invinciblement à se rapprocher du Protestantisme, et présentent d’ailleurs le même phénomène de dispersion ; il serait même difficile de tracer, entre ces schismes et les communions protestantes, une ligne de démarcation bien nette : les Anglicans, par exemple, n’aiment-ils pas à s’affirmer catholiques ?

Au fond, l’attitude du théosophisme à l’égard des sectes protestantes ne diffère pas sensiblement de celle qu’ont ces différentes sectes dans leurs rapports entre elles ; et c’est pourquoi les Hindous peuvent le regarder, dans son orientation actuelle tout au moins, comme une secte protestante nouvelle, qui est venue s’ajouter à toutes celles qui existaient déjà : une de plus ou de moins, dans une telle multitude, cela ne peut avoir qu’une assez médiocre importance.
Du reste, nous avons connu des gens qui étaient passés successivement par diverses sectes protestantes, et qui étaient venus de là au théosophisme ou inversement ; ces gens sont de ceux dont un théosophiste belge démissionnaire a pu dire très justement qu’ils « donnent à certains groupes un air d’Armée du Salut » (1) ; et l’on a exactement la même impression en lisant certains passages des publications théosophistes, dont le ton est tout a fait semblable à celui des prêches protestants.
De tels rapprochements ne sauraient être accidentels ; nous ne voulons pas dire, bien entendu, que le théosophisme procède de telle ou telle branche définie du Protestantisme ; mais, quand nous parlons du Protestantisme en général comme nous le faisons ici, il faut surtout entendre par là un certain état d’esprit, une certaine mentalité spéciale.

1 Lettre ouverte à M me Besant, par M. Emile Sigogne : Mysteria, février 1914.

C’est cet état d’esprit et cette mentalité que trahissent précisément toutes les analogies que nous avons relevées : ils sont bien ceux des théosophistes, comme ils sont, à des degrés divers, ceux de beaucoup d’autres « néo-spiritualistes », comme ils sont aussi, nous le répétons, ceux des modernistes et des immanentistes » soi-disant catholiques, et encore, dans le domaine philosophique, ceux des pragmatistes et des intuitionnistes contemporains.
Cela n’empêche pas, d’ailleurs, que, dans ces courants de pensée ou à leur point de départ, il peut y avoir des influences individuelles ou collectives s’exerçant d’une façon plus ou moins cachée, et favorisées dans leur action par l’enchevêtrement de tous ces groupements et de toutes ces écoles. Les divergences, si elles ne sont pas toutes superficielles, sont en tous cas beaucoup moins fondamentales que les tendances communes ; et l’on peut dire que tout se passe comme si l’on était en présence d’une multitude d’efforts tendant, chacun dans son domaine et selon ses moyens propres, à la réalisation d’un plan unique.

A propos des rapports du théosophisme avec le Protestantisme, une question se pose encore : si l’on estime que le théosophisme est antichrétien en principe et qu’il le demeure toujours malgré les actuelles apparences « néo-chrétiennes », faudra-t-il donc en conclure que le Protestantisme, lorsque ses tendances sont poussées à l’extrême, doit logiquement aboutir à l’antichristianisme ?

Si paradoxale qu’une telle conclusion paraisse peut-être au premier abord (et surtout quand on se souvient que beaucoup de sectes protestantes aiment à se dire « chrétiennes » sans épithète, ou encore « évangéliques », il y a pourtant des faits qui sont tout au moins susceptibles de lui donner quelque vraisemblance (1) : tel est surtout le cas du « Protestantisme libéral », qui n’admet même plus la divinité du Christ, oui qui ne l’admet que comme une « façon de parler », et qui n’est plus, au fond, qu’un simple « moralisme » déguisé en pseudo-religion ; et cette dégénérescence est plus logique, à notre avis, que le moyen terme auquel s’arrête le Protestantisme qui se qualifie d’ « orthodoxe », comme s’il pouvait y avoir une orthodoxie là où nulle règle ne peut intervenir efficacement pour limiter l’arbitraire des interprétations individuelles !

1 Cette conclusion est précisément celle d’un article consacré à M. Leadbeater et signé Thimothée (Charles Godard), publié dans l’Echo du merveilleux du 15 juillet 1912 ; cet article, qui ne concorde d’ailleurs pas entièrement avec notre propre manière de voir, se termine ainsi : « Après avoir rêvé sur les pages que Mme Annie Besant a écrites au sujet de la venue prochaine de l’Instructeur du Monde, du grand révélateur d’une religion mondiale, ils (les théosophistes) seront disposés à le reconnaître dans l’Antéchrist. Le protestantisme aura l’antichristianisme comme conséquence finale. »


D’un autre côté, il faut encore noter que les idées messianiques et millénaristes prennent actuellement une singulière extension dans certaines sectes protestantes : telle est, par exemple, celle des « Adventistes », qui annoncent pour une date peu éloignée la fin du monde et le retour du Christ glorieux.
En outre, aujourd’hui plus que jamais, les prophètes et les Messies prétendus pullulent étrangement dans tous les milieux ou l’on s’occupe d’occultisme : nous en avons connu un certain nombre, en dehors d’Alcyone et du théosophisme, et on en annonce encore d’autres ; l’idée d’une prochaine « réincarnation du Christ » se répand maintenant dans les cercles spirites ; faut-il voir là un signe des temps ?

Quoi qu’il en soit, et sans prétendre risquer la moindre prédiction, il est bien difficile, en présence de toutes ces choses, de s’empêcher de penser à ces paroles de l’Evangile :
« Il s’élèvera de faux Christs et de faux prophètes, qui feront de grands prodiges et des choses étonnantes, jusqu’à séduire, s’il était possible, les élus eux-mêmes » (1).
Assurément, nous n’en sommes pas encore là ; les faux Messies que nous avons vus jusqu’ici n’ont fait que des prodiges d’une qualité fort inférieure, et ceux qui les ont suivis n’étaient probablement pas bien difficiles à séduire ; mais qui sait ce que nous réserve l’avenir ?

1 St Matthieu, XXIX, 24.

Si l’on réfléchit que ces faux Messies n’ont jamais été que des instruments plus ou moins inconscients entre les mains de ceux qui les ont suscités, et si l’on se reporte en particulier à la série de tentatives faites successivement par les théosophistes, on est amené à penser que ce ne sont là que des essais, des expériences en quelque sorte, qui se renouvelleront sous des formes diverses jusqu’à ce que la réussite soit obtenue, et qui, en attendant, ont toujours pour résultat de jeter un certain trouble dans les esprits.
Nous ne croyons pas, d’ailleurs, que les théosophistes, non plus que les occultistes et les spirites, soient de force à réussir pleinement par eux-mêmes une telle entreprise ; mais n’y aurait-il pas, derrière tous ces mouvements, quelque chose d’autrement redoutable, que leurs chefs mêmes ne connaissent peut-être pas, et dont ils ne sont pourtant à leur tour que de simples instruments ?

Nous nous contenterons de poser cette dernière question sans chercher à la résoudre ici ; il faudrait, pour cela, faire intervenir des considérations extrêmement complexes, et qui nous entraîneraient bien au delà des limites que nous nous sommes fixées pour la présente étude.


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